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"Ils ont commencé indigènes, ils sont maintenant indigestes, ils finiront indignes"

Lien publiée le 18 mars 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://quartierslibres.wordpress.com/2017/03/17/tribune-libre-ils-ont-commence-indigenes-ils-sont-maintenant-indigestes-ils-finiront-indignes/

Cette tribune concernant la Marche du 19 mars pour la Justice et la Dignité nous a été envoyé par des militant(e)s de quartiers, il nous a semblé intéressant de la publier tel quel pour alimenter le débat sur les modalité de luttes contre les violences policières et plus largement sur la question politique des Quartiers Populaire. Bonne lecture. Merci aux auteur(e)s pour leur confiance, Q.L/

« Ils ont commencé indigènes, ils sont maintenant indigestes, ils finiront indignes »

Depuis plusieurs semaines, la Marche du 19 mars pour la Justice et la Dignité qui doit se tenir à Paris fait l’objet de questionnements sur les objectifs et les postures de certains de ses organisateurs. Ces questionnements qu’Houria Bouteldja du PIR (Parti des Indigènes de la République) qualifie avec un peu de suffisance de « bruits » sont accentués par la multiplicité des organisateurs, leur grande disparité idéologique et la capacité qu’on certains à parler avec plusieurs casquettes au nom des autres.

Cette dernière semaine un paroxysme a été atteint puisque les critiques politiques sur l’organisation de la marche donnent lieu à un torrent d’insultes et même de menaces. Comment de simples questionnements politiques peuvent-ils faire l’objet de telles réactions ? Tout cela n’est possible que parce que dans le milieu militant parisien, nombreux sont les militants 2.0 qui n’ont que pour seule activité les commentaires sous facebook et la mise en scène de leur propre discours.

Les critiques politiques à l’encontre de la Marche en particulier quand elles émanent de militants, collectifs ou associations de quartiers, sont systématiquement disqualifiées par certains organisateurs en invoquant commeun totem les familles de victimes de violences policières. Ce n’est pas parce que des stars du net militant entre deux selfies avec des artistes répètent en boucle que les familles de victimes de violences policières sont les organisatrices de la Marche que cette vérité du net est la vérité du monde réel. Nul ne conteste que des familles s’investissent dans la marche et trouvent dans cette Marche un débouché politique à leur lutte pour la Vérité et la Justice. Cependant force est de constater que toutes les familles n’appellent pas à soutenir l’organisation de cette marche qui est très loin des objectifs initiaux de la journée internationale contre les violences policières lancée par l’association vies volées en 2009. La suffisance de certains des organisateurs de la marche version 2017 et l’instrumentalisation avec laquelle ils manipulent le concept « des familles organisatrices de la marche » ne fait que jeter de l’huile sur le feu et empêche de répondre politiquement aux critiques des familles et des collectifs militants qui ne se reconnaissent pas dans la stratégie de la Marche 2017.

La réalité de l’investissement des familles dans la marche c’est que très peu de familles sont directement parties prenantes de l’organisation. On parle beaucoup en leur nom mais on les voit peu sur le devant de la scène. Il est évident que l’éloignement géographique, le temps nécessaire à cet investissement limitent le poids réel des familles. Mais la réalité c’est que toutes les familles des victimes des violences policières ne sont pas signataires de l’appel à la marche.

Plus inquiétant certaines des familles de victimes qui se mobilisent pourtant dans la lutte contre les violences policières et qui sont aujourd’hui en première ligne face à la répression refusent de participer à cette marche.

Ce que révèle l’organisation de cette marche c’est qu’il existe des lignes de fractures politiques qui ne sont pas le produit d’ego mais le résultat de profondes divergences sur les pratiques, les analyses et sur les modalités de luttes contre les violences policières et que cela se cristallisent autour de quelques individus et en particulier autour de la direction du PIR. La focalisation sur Paris d’un point de vue médiatique et politique, ce que les anciens du MIB appelle à juste titre la « Couscoussière Parisienne » ne fait qu’accentuer ces fractures. Car les différences de couverture médiatiques militantes ou mainstream et donc aussi de moyens financiers ou d’accès aux stars du showbiz, qui semble être aujourd’hui l’alpha et l’oméga d’une mobilisation réussie pour les militants 2.0, peuvent conduire certaines familles à un sentiment d’abandon et de mise à l’écart. Facebook permet à chacun de constater que pour faire des selfies à des concerts dans les loges il y a plus de monde que pour monter des projets d’éducation populaire avec les petits au quartiers, soutenir les incarcérés ou pour marcher dans un quartier contre les violences policières.

Dans ce contexte, taire ou empêcher que s’expriment des voix différentes sur la stratégie de la marche en invoquant l’autorité morale des familles ne peut qu’aboutir à des clashs qui quand ils se produisent conduisent à une incompréhension de beaucoup et au final à une démobilisation.

Une des critiques les plus importantes sur la marche est celle de l’arc de force qu’ont construit certains de ces organisateurs. Cela va des artistes en mode « je m’engage le temps d’un tube » jusqu’à celle du Parti de Gauche. Ce mix entre showbiz et politique rappelle les stratégies à la mode SOS racisme qui ont été et qui reste la marque de « l’antiracisme morale des jours de fêtes » . Que certains s’interrogent sur le sens de ces mises en scène ne peut être balayé par un simple constat sous Facebook comme le fait Hourria Bouteldja.

C’est irréel de présenter la présence du PG à la marche comme le signe d’une victoire politique des tenants de l’antiracisme structurel. Il n’y a pas de basculement politique sur ces questions de la part du PG et plus largement de la gauche y compris celle qui appelle à manifester ce 19 mars. Il faut toute l’audace mais surtout tout l’opportunisme politique de la porte-parole du PIR pour présenter les choses sous cet angle.

Pourtant depuis des années, le PIR nous explique que la gauche est gangrenée par la pensée coloniale et le racisme. Le PG est même régulièrement présenté par le PIR comme un parti islamophobe et colonial. Mais voilà que par la grâce de sa présence à la Marche du 19, il devient fréquentable pour la porte-parole du PIR car soumis au mot d’ordre indigènes (sic). C’est bien de faire de l’éducation politique dans les salons confortables d’un bar parisien mais il faudra relire un peu ses classiques gramsciens pour ne pas confondre la victoire hégémonique culturelle avec la défaite de l’opportunisme politique.L’hégémonie culturel c’est quand ton adversaire reprend ton vocabulaire et tes idées politiques, en somme ta grille d’analyse. La défaite de l’opportuniste politique c’est quand ton adversaire vient occuper ton terrain avec ses propres mots d’ordres politiques.

Il suffit de lire l’appel à la Marche du 19 mars du PG pour voire qu’il n’y a aucune bascule politique opérée au sein du PG. C’est un appel à une police républicaine nettoyée de ses éléments qui salissent l’honneur de l’institution, c’est l’idée que les violences policières ne sont pas structurelles mais le fait de comportements déviants. La victoire aurait été que le PG s’approprie les analyses structurelles et l’incorpore dans son corpus politique : il n’en est rien et c’est même l’inverse.

Sa présence politique et la présence politique probablement massive de la gauche républicaine et d’une extrême gauche organisée type Lutte Ouvrière à cette manifestation signe en grande partie la défaite politique de l’antiracisme structurel. La présence et la mise en scène de nombreux signataires de la marche qui soutiennent Hamon témoignent aussi que le PS n’est pas absent de cette marche. Tout cela concours à la crainte de voir revenir ces bonnes veilles manifestations moralisatrices qu’une grande partie de la gauche et du showbiz adore.

Bien évidemment, cette présence massive de la gauche moralisatrice est accentuée par la période électorale : on se bouscule à la marche pour y faire son marché.

Voire dans la présence de cette gauche une victoire politique et la revendiquer comme telle résulte d’un aveuglement politique, mais c’est surtout la tentative de mettre en place un contre-feu pour stopper toute critique ou questionnement légitimes sur la possibilité que des partis – qui jusqu’à présent était considérés comme des adversaires si ce n’est des ennemis politiques – puissent marcher sur leurs propres appels politiques lors de cette marche. Tout au long de la préparation de cette marche les cadres du PIR nous ont habitué à ces grands écarts intellectuels. Ils ont ainsi encensé la tribune de Kery James qui fait pourtant l’apologie d’une gentille police et qui nie toute raison structurelle dans les violences policières. C’est vrai que Kery James finance depuis peu leur émission « Paroles d’honneur », qui leur offre l’occasion de repasser devant des écrans depuis la fin des émissions de Taddei. Ça aide à trouver la prose du rappeur d’Orly digeste fut elle en opposition totale avec la ligne politique que le PIR est censée défendre. Les animateurs politiques du PIR qui n’ont pas eu de mots assez dure ces 10 dernières années pour freiner toute les convergences possibles, comme lors de la lutte contre la loi Travail se retrouvent dans la préparation de cette marche à être les rois de la convergences sur des bases aussi branlantes.

Dès que des militants interrogent sur cette nouvelle posture, les cadres du PIR et leur allié.e.s sortent l’artillerie lourde, parlant de « sabotage » quand ce n’est pas les menaces contres ceux qui ont le culot de pointer leur contradiction et, surtout, de demander où tout cela va nous mener ?

Les mots d’ordre de la marche permettent à des organisations aux lignes politiques divergentes sur la question des violences policières et du racisme de marcher ensemble. Peu de personnes ont remarqué que le terme d’islamophobie était absent de l’appel officiel de la Marche. On peut donc aujourd’hui marcher en France contre le racisme sans nommer l’islamophobie. Des années de luttes pour enfin inscrire cette lutte dans les agendas et corpus politiques sont donc oubliées.

Par un jeu de passe-passe comme seul le PIR en est capable ils ont réussi une OPA sur la  Marche internationale contre les violences policières pour la lier à celle la Marche de la Dignité du 31 octobre 2015.  Sachant qu’une partie des organisateurs de la Marche de la Dignité de 2015 se retrouvent parmi les organisateurs de la Marche du 19 mars, on ne peut que constater et s’interroger sur ce recul dans le contenu dans l’appel du 19 mars. En 2015 l’islamophobie était centrale dans la lutte contre le racisme; en 2017 elle ne l’est plus, alors que majoritairement c’est les mêmes organisateurs en 2015 qu’en 2017.

La Marche de la Dignité de 2015 nous avait été vendue comme comme une « marche historique » , qu’il devrait y avoir un Avant et un Après politique à cette Marche de la Dignité: l’Après politique c’est, finalement, sans l’islamophobie…

En parlant de cette direction stratégique du PIR, un militant de quartier de la région lyonnaise avait eut ce bon mot il y a quelques années « Ils ont commencé indigènes, ils sont maintenant indigestes, il finiront indignes ». On est probablement rentré dans la dernière période.

Les critiques les plus notables à l’encontre d’une partie de organisateurs et qui visent pour beaucoup les cadres  PIR et leurs proches politiques posent ainsi la question de la sincérité dans  les discours politiques affichés et la réalité de leurs pratiques, et, plus généralement, de la confiance entre militants.

Pourquoi des militants qui se revendiquent d’un combat intraitable contre la gauche SOS Racisme, fossoyeuse des luttes dans les Quartiers, la gauche récupératrice, la gauche qui tente continuellement de neutraliser toute dynamique autonome des quartiers et classes populaires, pourquoi ces militants peuvent-ils aujourd’hui construire une telle marche qui permet à des partis de la gauche républicaine de venir faire leur emplettes électoralalistes ?

Répondre a cette question c’est aussi répondre a celle-ci : Pourquoi cette même direction du PIR peut, à sa demande, rencontrer un responsable du Parti Socialiste pour lui demander de l’argent pour financer sa télévision ? Vendredi 10 mars Houria Bouteldja du PIR a rencontré un cadre et élu « racisé » du PS ancien de la Marche de 1983 pour lui demander de financer « Paroles D’honneur » la nouvelle chaîne TV du PIR … Il n’y a donc plus de « Serment de Gaza » quand il faut s’assurer des passages dans les médias ? On est bien loin de l’autonomie politique et financière revendiquée, de l’Honneur dans la parole et de la sincérité politique. Discours publics, pratiques réelles. C’est sur ce fossé que se construisent depuis toujours les embrouilles militantes qui éloignent des familles pourtant combatives des luttes parisiennes.

Mais au-delà des pratiques du PIR et de ses amis, qui nous le rappelons n’engagent pas l’ensemble des organisateurs de la Marche, il n’est pas question ici de contester à qui ce soit de Marcher le 19 mars mais de commencer à poser des questions politiques qui ne peuvent être balayées par un post d’insultes sur facebook.

Le recours systématique aux stratégies médiatiques, la recherche du buzz ou de la star avec laquelle s’afficher, ce sont des techniques que nous sommes nombreux avoir déjà vues a l’œuvre dans nos quartiers. Elles n’ont toujours produit que des désillusions et des trahisons.

Des militantes et militants de banlieues excédés par « la couscoussière parisienne » et « la nouvelle beurgeoisie militante ».