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    Retour sur le débat

    Lien publiée le 5 avril 2017

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    (Mediapart) Institutions, Europe, lutte contre le chômage, modèle social, Défense… Les prétendants ont alterné entre déroulé de leurs programmes et attaques de rivaux. Compte-rendu du débat à onze candidats.

    Avant le débat, mardi 4 avril © Reuters

    Avant le débat, mardi 4 avril © Reuters

    Une respiration démocratique. Trop longue et décousue, peut-être, mais bienvenue. Le débat proposé mardi 4 avril par les chaînes d’information en continu a permis une confrontation entre les projets des 11 candidats qualifiés pour l’élection présidentielle, dont seulement deux femmes. Les sujets au cœur des préoccupations des Français, comme le chômage, premier thème abordé, ont été évoqués. La soirée a aussi parfois permis de casser les codes d’un exercice trop souvent conventionnel, même si le format, très court, ne permettait pas aux candidats de développer leurs raisonnements. 

    Ainsi en a-t-il notamment été des saillies de Philippe Poutou, le candidat du NPA, à l'encontre des affaires visant François Fillon et Marine Le Pen (lire l’article de Christophe Gueugneau). À plusieurs reprises, la candidate du Front national a été prise à partie, comme rarement lors d’un débat télévisé.

    Contrairement au débat à 5, organisé le 20 mars, Emmanuel Macron, favori des sondages, a été nettement moins au centre des échanges. Le candidat d’En Marche ! s’est contenté d’assurer le service minimum, quitte à s’entendre dire, comme le mois dernier : « On ne comprend rien à ce que vous dites ! » (Dupont-Aignan) ; « Vous êtes d’accord avec tout le monde » (Asselineau). Offensif au début de la soirée, le candidat de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, qui avait crevé l’écran la dernière fois, a voulu afficher un nouveau visage : « Je suis prêt à gouverner », a-t-il dit, fort de la dynamique actuelle de sa campagne. Son concurrent à gauche, Benoît Hamon, a beaucoup moins subi : critique de Mélenchon sur l’Europe, il s’en est surtout pris à François Fillon sur les services publics avant de livrer, en conclusion, une ode à la diversité de la France.

    La lutte contre le chômage

    Une fois n’est pas coutume, le débat a commencé par le cœur des préoccupations des Français : l’emploi. On pourrait distinguer cinq groupes : les libéraux, François Fillon et Emmanuel Macron ; la politique de relance avec Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon ; les anticapitalistes, Philippe Poutou et Nathalie Arthaud ; ceux qui n’avaient rien à dire, comme Jean Lassalle ; et ceux dont le seul angle d’attaque est l’Europe comme Nicolas Dupont-Aignan ou François Asselineau. Marine Le Pen, elle, a fait un « mix » entre les libéraux et les anti-Européens.

    Premier interrogé, le candidat LR François Fillon a commencé en affirmant qu’il « propose la liberté ». « C’est de liberté que notre économie a besoin », a-t-il répété, parlant de « libérer le marché du travail », le code du travail, de « baisser les charges », de « libérer l’investissement », de supprimer des normes agricoles et le RSI. Un programme partagé dans les grandes lignes par le leader d’En Marche !, Emmanuel Macron, qui, lui, parle plutôt de « simplifier » plutôt que de « libérer ». Mais il veut lui aussi changer le code du travail, baisser les charges, et supprimer le régime des indépendants (RSI). Il propose également un plan d’investissement pour la formation des chômeurs.

    À gauche, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon ont à l’inverse porté une relance, tournée vers la transition écologique, et sont opposés aux mesures de Fillon et Macron. Le candidat de la France insoumise, qui a directement interpellé le candidat de LR, a proposé d’investir 100 milliards d’euros, notamment pour les énergies renouvelables, le modèle agricole, l’augmentation des salaires. Il est également favorable au partage du temps de travail et à la retraite à 60 ans. Quant à celui du PS, d’EELV et du PRG, il a défendu « un million d’emplois sur le quinquennat » et demandé de « tourner le dos à ce qui n’a pas marché ». Il a évoqué la relance du pouvoir d’achat grâce à son revenu universel d’existence, l’augmentation du Smic et des minima sociaux et un taux d’impôt sur les sociétés modulable en fonction de l’investissement des entreprises.

    Plus à gauche, Philippe Poutou (NPA) et Nathalie Arthaud (Lutte ouvrière) ont affiché leurs convergences en évoquant le partage des richesses et l’interdiction des licenciements. Tous deux sont également favorables à une réduction du temps de travail.

    Avant le débat, mardi 4 avril © Reuters 

    Avant le débat, mardi 4 avril © Reuters

    Bien plus à droite, Nicolas Dupont-Aignan (Debout la République) et François Asselineau (UPR) en ont aussitôt profité pour émettre leurs critiques de l’Union européenne qu’ils accusent, avec des nuances, d’être la principale responsable de la crise économique en France. Le premier a très vite, et en premier, évoqué la directive sur les travailleurs détachés, puis les « barrières douanières » et appelé à la renégociation des traités européens. Quant à Asselineau, il a rappelé ce qu’il avait déjà indiqué en introduction : pour lui, la présidentielle n’est pas le moment d’un « programme économique » mais porte seulement sur « l’indépendance de la France ». « Tous les traités européens nous cadenassent dans une politique économique et sociale », a indiqué le candidat de l’UPR.

    Marine Le Pen (FN), peu en verve en début de débat, a à la fois emprunté aux recettes libérales et rappelé sa critique européenne : elle ne veut pas d’un « État qui écrase de normes, de fiscalité », évoquant une baisse de l’impôt sur les sociétés pour les petites entreprises. Elle a ensuite enchaîné sur le « patriotisme économique ».

    Deux candidats ont fait de la figuration sur ce sujet : Jean Lassalle a parlé d’un improbable « gisement d’emplois invisibles » et de « 15 000 emplois dès le nouvel été, apprentis… », sans plus de détails. Jacques Cheminade a, lui, parlé de « 100 milliards d’euros pour 5 millions d’emplois », notamment pour « la 3D ».

    La directive travailleurs détachés

    Là encore, il s’agit d’un sujet qui suscite de très nombreux débats dans le pays. Tous les candidats peuvent en témoigner, tant ils sont interpellés sur ce texte européen sur le terrain. La directive « détachés » ne figurait pas, en tant que telle, au programme, mais elle a occasionné une passe d’armes entre plusieurs candidats, notamment entre Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Le candidat de la France insoumise a rappelé que le FN s’était abstenu sur la directive « détachés » lors du vote au parlement européen, quand les eurodéputés du Front de gauche avaient voté contre. Macron, lui, a voulu défendre une partie du texte : « Le problème, c’est le travail détaché illégal », a indiqué le candidat d’En Marche !, qui propose une réforme de la directive, et non son abrogation.

    L’Europe

    C’est sur ce sujet que le débat, à l’intérieur de chaque camp, a été le plus évident. À gauche d’abord, c’est le seul sujet qui a divisé durant la soirée Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon (retrouver ici notre débat entre Thomas Piketty et Éric Coquerel). Contrevenant au « pacte de non-agression » qu’ils avaient conclu, le candidat du PS a critiqué celui de la France insoumise : « Que se passe-t-il si nous sortons de l’Europe ? Un plan A, un plan B, c’est quoi le plan pour les Français ? (…) Demain pas d’Europe, c’est la compétition à tout va. »  Puis, à destination de Mélenchon : « Nous avons un point d’accord : l’austérité ne tient plus. Mais un désaccord. (…) Car le chemin [proposé – ndlr], c’est la sortie de l’euro et de l’Europe. »

    Mélenchon a pour sa part défendu « la question centrale de la puissance de la France »« Personne n’a dit à Mme Merkel : “Nous ne sommes pas d’accord avec ce que vous proposez” », a-t-il ajouté, avant de défendre une « réécriture » des traités. « Si vous connaissez autre chose que la démocratie, dites-le », a-t-il ajouté à destination de plusieurs autres candidats.

    Comme Benoît Hamon, Emmanuel Macron a défendu le projet européen mais il a été le seul, avec François Fillon, à ne pas critiquer l’austérité défendue par les institutions de Bruxelles. « J’ai l’Europe au cœur. Je n’ai pas l’Europe naïve », a dit le candidat d’En Marche !, qui a parlé, comme à son habitude, « d’être sérieux », de « réformer avec un dialogue constructif ». Quant au candidat de LR, après une tirade sur la valeur des monnaies, il a proposé que l’Europe se consacre à « quelques objectifs stratégiques ». Au passage, il a glissé qu’il était favorable, comme Hamon, à une nationalisation temporaire des chantiers navals de Saint-Nazaire.

    Tous les autres candidats de droite et d’extrême droite ont été beaucoup plus critiques de l’Union européenne. Nicolas Dupont-Aignan a défendu son « protectionnisme » : « Ou on change de cap, ou on ose dire (...) qu’il faut défendre d’abord les intérêts français », a-t-il affirmé, parlant d’une« Europe à trois ou quatre projets ». En s’affrontant directement avec François Fillon, le candidat de Debout la République a aussi rappelé le référendum de 2005 remis en cause par le traité de Lisbonne de 2009, « une forfaiture ».

    Jacques Cheminade a défendu « une autre Europe des patries, des États-nations souverains », après s’être attaqué aux marchés financiers. Il s’appuie sur le plan Fouchet de 1962. François Asselineau a été le seul à défendre explicitement une sortie de la France des traités européens et de la zone euro, le « Frexit », ce qui a occasionné un rapide échange avec Marine Le Pen. La candidate du FN défend un programme proche mais se réfugie derrière l’organisation d’un référendum : la présence d’autres postulants à l’Élysée sur une ligne proche l’a empêchée de dérouler son discours habituel. En fin de débat sur ce sujet, Macron et Fillon ont attaqué la candidate du FN sur son projet européen. « Ce que vous proposez, c’est la baisse du pouvoir d’achat pour les Français », a dit le leader d’En Marche !. « Cette politique économique s’effondrera », a abondé le candidat LR.

    Quant à Arthaud et Poutou, ils ont tous les deux relativisé la responsabilité de l’Union européenne dans la crise économique et sociale. « Ce n’est pas l’Europe qui force le patronat à aggraver les cadences », a dit la candidate de LO. « Pendant ce temps, le patronat se frotte les mains. » Celui du NPA a lui aussi évoqué les « capitalistes nationaux » mais a malgré tout appelé à une « autre Europe, contre les banques et les capitalistes ».

    Défense et lutte contre le terrorisme

    Sur la lutte contre le terrorisme, les profondes lignes de fractures sont apparues. Bien plus que lors du précédent débat entre les cinq « grands candidats ». Une majorité des candidats, de Hamon à Fillon en passant par Macron ou Marine Le Pen, a soutenu une augmentation du budget de la Défense, porté à 2 % du PIB (3 % pour Jacques Cheminade) face à la menace extérieure. Plusieurs candidats ont insisté sur le manque de moyens des services de renseignements et de la cyberdéfense, alors que Nicolas Dupont-Aignan a avancé sa proposition de recruter 50 000 militaires.

    François Fillon a une nouvelle fois défendu l’idée d’une « alliance mondiale pour lutter contre le totalitarisme islamique », en soulignant que la France n’avait pas « vocation à être un gendarme du monde ».

    Sur la même ligne, Philippe Poutou et Nathalie Arthaud ont quant à eux dénoncé les guerres de ce quinquennat : des « interventions militaires crapuleuses » pour le premier et « des interventions impérialistes dans l’intérêt des grands groupes » pour la seconde.

    S’en prenant sans la citer explicitement à la proposition de Macron de rétablir un service militaire obligatoire, Hamon a souligné qu’en ces temps où les militaires étaient pris pour cible, il n’était pas forcément judicieux d’exposer « nos jeunes ».

    Marine Le Pen, qui a une fois de plus fustigé les terroristes qui s’immisceraient parmi le flot de réfugiés arrivant en Europe, s’en est violemment prise à l’ancien premier ministre, co-responsable de la désastreuse aventure libyenne. « Vous avez fait n’importe quoi », lui a-t-elle lancé en décrivant la France comme « une université des djihadistes ».

    Pour Jacques Cheminade, la guerre à Daech n’a jamais été réellement menée et face à des groupes djihadistes « financés par le Pentagone et la CIA », il a défendu l’idée de travailler avec Poutine et Trump, « en se bouchant le nez peut-être ».

    Interrogé sur la Syrie, Jean-Luc Mélenchon a indiqué qu’il revenait « aux Syriens de décider de l’avenir de leur pays », selon la résolution de l’ONU et plutôt que de s’appesantir sur ce que cela pouvait signifier dans l’état actuel du pays, le candidat de la France insoumise a appelé à sanctionner l’entreprise Lafarge qui « a avoué avoir payé Daech pour pouvoir continuer à produire son foutu ciment ». Benoît Hamon aura été le seul candidat à évoquer l’attaque chimique en Syrie.

    Sur la sécurité, la dirigeante frontiste a reproché à François Fillon d’avoir supprimé 12 000 postes de policiers et de gendarmes lorsqu’il était premier ministre : « Le moins qu’on puisse dire, c’est que vous n’êtes pas un visionnaire ! », a-t-elle raillé, en soulignant que le risque terroriste était déjà connu à l’époque. À rebours de la surenchère sécuritaire partagée par la plupart des candidats, Philippe Poutou a, lui, appelé à sortir de l’état d’urgence qui « se sert du prétexte du terrorisme pour museler la contestation » et à désarmer la police. Le candidat du NPA a été le seul durant ce débat à évoquer les violences policières et notamment le cas du père de famille chinois tué il y a quelques jours au cours d’une interpellation.  

    Institutions

    Jean-Luc Mélenchon, interrogé sur la moralisation de la vie politique, a défendu la nécessité de pouvoir révoquer les élus. Le candidat de la France insoumise a avancé l’idée de rendre inéligibles les élus mis en cause « pour une affaire fiscale ou autre ». Nicolas Dupont-Aignan a renchéri en rappelant sa proposition de demander un casier judiciaire vierge pour tout élu, parlant de nécessaire « dissuasion nucléaire » pour éviter la corruption des élus.

    Décrivant la démocratie française comme une « démocratie intermittente », Benoît Hamon a développé sa proposition d’un « 49-3 citoyen » par lequel les citoyens pourraient obliger le parlement à se saisir d’une question ou, à l’inverse, bloquer une loi, a-t-il détaillé en prenant exemple sur la loi Travail.

    Emmanuel Macron a expliqué qu’il fallait limiter le cumul dans le temps des mandats parlementaires, avec un tiers de députés en moins : « Si on veut être efficace, il faut faire moins de lois », a-t-il assuré. Jaques Cheminade a quant à lui défendu la création d’une assemblée de citoyens pour« réfléchir au futur des institutions politiques » et pour noter les élus, alors que François Asselineau a plaidé pour la reconnaissance du vote blanc.

    Face à une Marine Le Pen qui a, une fois de plus, rappelé son attachement au principe du référendum, François Fillon a, lui, repoussé tout « grand soir institutionnel », affirmant que l’urgence était économique et sociale.

    Le « modèle social »

    La dernière partie de la soirée a finalement été écourtée, mais a permis à François Asselineau de défendre, encore et encore, une « sortie de l’Europe », mais aussi l'idée de constitutionnaliser les « services publics à la française » (d’EDF à Orange, en passant par les autoroutes, les banques ou TF1), ou à Jacques Cheminade de faire référence à David Graeber, Ernesto Laclau ou Aimé Césaire. Emmanuel Macron s’est encore illustré comme un « monsieur “en même temps” » (sur France Culture le 9 mars dernier, il déclarait d’ailleurs : « Notre vie est toujours “en même temps” »). En même temps, « on ne rase pas gratis » et on refuse la « purge ». En même temps, on dit vouloir « embaucher sur l’école et la sécurité », et « préserver » en matière de santé, mais on annonce aussi « 60 milliards d’économies ». En même temps, on ne baisse pas les dotations des collectivités territoriales, mais on leur « demande d’économiser 10 milliards en 5 ans »

    C’est en fin de compte sur ce sujet que Marine Le Pen a semblé la plus convaincue de ses propres paroles au terme d’une soirée difficile, défendant les services publics et s’insurgeant contre la « réduction de l’État » et contre la « défense des intérêts privés ». Elle a dénoncé un « concept de rentabilité » mettant à mal l’« égalité territoriale », notamment en matière d’électricité, de transports, d’école, de police, d’infirmières, ou d’outre-mer. Avec une antienne à l’adresse des fonctionnaires à qui « on ne peut pas demander l’impossible », mais sans pour autant s’étendre sur de potentielles créations de postes. Nicolas Dupont-Aignan s’est lui aussi engagé à « faire mieux fonctionner les services publics », avant de plaider pour un ciblage vers les transports, la lutte contre les déserts médicaux, ou l’extension du haut débit internet. Il s’en est aussi pris à François Fillon et à sa « politique de mutuelles complémentaires » nuisant à la Sécurité sociale. Le candidat LR a martelé son obsession de la dette, dont il s’est indigné qu’elle n’ait pas été évoquée « avant 23 h 44 ». Assumant sa rigueur, il a promis de revenir à l’équilibre des finances publiques au bout du quinquennat, en se prononçant non plus sur la suppression de 500 000 postes de fonctionnaires, mais sur une « baisse de 8 % sur l’ensemble de la sphère publique », pour revenir « au niveau de 2002 ».

    Sur le sujet, Benoît Hamon a voulu marquer son « désaccord complet » avec le candidat de droite, lui disant « les yeux dans les yeux : moi j’aime la fonction publique », et ces fonctionnaires « qui ont tenu le pays après la crise financière ». « Entre vous et moi, il y a celui qui veut créer des places de prisons, et celui qui veut créer des postes d’enseignants », a-t-il lancé. Jean-Luc Mélenchon a lui aussi défendu une vision du modèle social français où la dette n’entraverait pas la création de « services nouveaux », proposant de « reconstituer tout ce qui a été détruit, notamment dans la santé », un secteur pour lequel il entend créer 60 000 postes. « La dette ne sera payée ni en France, ni au Portugal, ni en Espagne, explique-t-il, mais prise en charge par la BCE comme une dette perpétuelle. »

    La conclusion

    Pour terminer ce débat, chacun a semblé vouloir mettre en avant ce qu’il pense être ses meilleurs atouts. Comme être « le seul candidat à mettre en œuvre l’alternance avec une vraie majorité » (Fillon), ou le meilleur représentant d’une « France métissée » (Hamon). Ou encore ceux qui ne veulent « pas rassembler les Français » mais seulement ceux « qui imposent une dictature à des centaines de milliers d’“esclaves-salariés” » (Arthaud), ou qui veulent « sortir de l’euro » (Asselineau). Ceux qui veulent « redonner à la France un beau visage » (Cheminade), ou défendre une« civilisation clairement en danger » (Le Pen). Ceux qui veulent « en finir avec l’argent roi »« tout remettre à plat » et « commencer les jours heureux » (Mélenchon), et ceux qui veulent « tourner la page » en « rassemblant les progressistes et en libérant les énergies » (Macron).

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    (Mediapart) Impossible n’est pas démocratique… Le débat à onze candidats promettait d’être impraticable. Au bout du compte, les « petits » l’ont fait exister. Dans un exercice inédit et parfois débraillé, ils ont réveillé les échanges en bousculant les « grands ».

    Il a fallu de longues minutes pour que le climat s’installe. Ou plutôt qu’il se désinstalle. Qu’il échappe à sa mise en scène forcément amidonnée. Pensez donc ! Onze introductions de chaque fois une minute trente, entrecoupées de questions des journalistes, le prologue a duré plus d’un quart d’heure. Tout le monde s’est présenté à la première personne, dès le premier mot : Nicolas Dupont-Aignan : « Je veux incarner la France » ; Emmanuel Macron : « Je ne crois pas à la fatalité » ; Marine Le Pen : « Je suis une Française » ; Jacques Cheminade : « Je suis un homme en colère » ; Jean Lassalle : « Je suis un fils de berger » ; Nathalie Arthaud : « Je veux faire entendre la voix des travailleurs » ; Jean-Luc Mélenchon : « J’ai consacré ma vie à une cause » ; François Asselineau : « J’ai travaillé avec François Mitterrand et rencontré les plus grands chefs d’État » ; Benoît Hamon : « Je veux en finir avec les hypocrites et les hypocrisies » ; Philippe Poutou : « Moi je suis ouvrier, je suis le seul à avoir un métier normal »

    Ils ont tous dit « je ». Sauf un seul… Un certain François Fillon, qui a commencé ainsi : « Dans quelques jours, les Français vont voter pour élire le président de la République. » Un préambule poursuivi à la troisième personne comme s’il voulait évacuer la première, c’est-à-dire lui-même, candidat discutable, en l’effaçant derrière un événement indiscutable : l’élection présidentielle. Toute sa stratégie était là : ne parler que du programme, en oubliant ses emplois familiaux, ses costumes, et ses montres. La suite ne comblerait pas ses vœux.

    De tous les « petits candidats », c’est le plus rodé, le plus adapté au système, qui allait secouer le déroulement codé des échanges. Nicolas Dupont-Aignan s’en prenait à Fillon à propos du référendum de 2005 : « Moi je n’ai pas trahi mes idéaux, j’ai toujours refusé ces traités, je ne les ai pas signés. » Un peu plus tard, c’est Nathalie Arthaud qui bousculait l’ordre établi, alors qu’on parlait encore d’Europe et d’emploi, et que Marine Le Pen expliquait à François Asselineau qu’elle ne sortirait pas de l’Europe mais proposerait, s’il le fallait, un référendum aux Français. Coup de colère de la candidate Lutte ouvrière : « L’euro n’est pas le problème. On discute de l’euro pour éviter de parler des vrais sujets. Que ce soit en franc ou en euro, il va falloir augmenter les salaires. »

    Ces interventions inattendues, par leur vigueur et parce qu’elles s’intercalaient dans des proclamations souvent entendues cent fois, ont progressivement changé le climat, y compris chez les « grands candidats » qui ont moins retenu leurs coups. Emmanuel Macron, bousculé par François Asselineau à propos du Qatar, s’en est pris à Marine Le Pen et à son protectionnisme : « Ce que vous proposez, c’est la guerre économique ! » Puis Benoît Hamon a répondu vigoureusement à François Fillon à propos de la dette et de la réduction du nombre de fonctionnaires : « Que dites-vous là, tout à votre arrogance ? Nous avons un vrai clivage ! Nos grands services publics sont à l’os », lançait-il en évoquant les infirmières exténuées, elles aussi sommairement renvoyées à la dette publique, deux semaines plus tôt, par le candidat de la droite.

    Dès lors, le dialogue, parfois confus, s’est établi pour de bon, et le plateau du débat s’est mis à ressembler aux conversations qu’on entend partout dans la rue, mais pas souvent dans les studios télé. D’autant qu’avec son tee-shirt, ses manches courtes, ses allers et retours vers ses amis et sa place de débatteur, Philippe Poutou allait bousculer les codes de bienséance et aborder sans ménagement le sujet dont tout le monde parle depuis deux mois. Celui des affaires du candidat de la droite et de la candidate de l’extrême droite : « Le problème des politiciens corrompus, c’est la professionnalisation de la politique. Fillon, plus on fouille et plus on sent la triche ! (...) Le Pen ? Elle pique dans la caisse de l’Europe. Le FN ne s’emmerde pas, là… Peinard ! »

    Les « grands » candidats n’allaient pas reprendre ce vocabulaire fleuri, mais se laisser gagner par une espèce de liberté. Les fleurets mouchetés, ou les sous-entendus entre initiés, ont laissé place à des échanges denses et tendus, notamment entre Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon sur l’Europe…

    Naturellement, l’apport des « petits » candidats n’a pas été homogène. Jean Lassalle a fait sourire en cédant à des colères théâtrales ou des envolées lyriques, François Asselineau n’a pas manqué une occasion de citer par leur numéro les articles de la Constitution, Nathalie Arthaud a récité plus d’une fois son bréviaire automatique, mais en mêlant leurs arguments, leurs convictions, leurs colères, aux discours des candidats plus rodés, ces candidats « mineurs » ont bousculé les conventions et allumé les vraies « disputes », au sens classique du terme.

    Il n’est pas sûr que ce débat change grand-chose aux rapports de force. Jean-Luc Mélenchon n’a pas cédé à la facilité de faire des mots, comme le premier débat aurait pu l’y inciter, mais il a imposé son style, et désormais son calme. Emmanuel Macron n’a sans doute rien gagné mais rien perdu non plus ; il a été présent dans la première partie, un peu moins dans la seconde. François Fillon, après avoir parlé de lui à la troisième personne, a complètement disparu, comme englouti dans un déni, avant de se réveiller dans la seconde moitié. Benoît Hamon s’est réveillé sur la défense des services publics et a mieux occupé l’écran, et le terrain, que lors du premier débat. Quant à Marine Le Pen, elle a été si égale à elle-même, si attendue dans le sarcasme, si mécanique, qu’elle a fini par devenir transparente.

    Le plus frappant fut au fond l’espèce de démonstration de l’épuisement de la Cinquième République, et de l’absurdité de cette compétition présidentielle. Si le débat d’hier soir est sorti du ronronnement, et s’il a été riche, c’est grâce à son désordre. Avec ses onze candidats il est sorti des clous. Cette diversité de points de vue, pas forcément égaux en qualité, a ressemblé à une place publique. À un forum. Il y avait de la démocratie dans l’air. Or que voulaient prouver les débatteurs ? Qu’ils étaient le meilleur. Le seul. Qu’ils pouvaient incarner la France. Qu’avec leur voix unique la France serait plus forte. Le débat a prouvé le contraire…