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Pourquoi tant de Mélenchonistes sont-ils prêts à s’abstenir?

Mélenchon

Lien publiée le 27 avril 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.slate.fr/story/144604/front-republicain-france-insoumise

La France Insoumise est confrontée à un choix tactique qui implique sa stratégie de long terme.

La France Insoumise, qui rassemble les soutiens de Jean-Luc Mélenchon, est construite à partir de l’adhésion via une plateforme internet: #JLM2017. Elle rassemble officiellement plus de 460.000 personnes en France et utilise le web pour se développer et faire vivre ses groupes d’appui. Son organisation ressemble beaucoup à celle d’autres mouvements naissants en Europe ou en Amérique du Nord articulant forte demande d’horizontalité et définition des enjeux politiques et stratégiques fondamentaux par une direction politique resserrée.

Laisser la base militante participer à la décision finale est fondamental pour la France Insoumise. Son projet et sa stratégie sont liés à la mutation des identités politiques depuis la crise et à l’interprétation qu’il font de la stratégie à mener, qui puisse contrer le FN comme détenteur du monopole de la contestation populiste. C'est ce qui préside aujourd'hui aux considérations sur le «désistement républicain», le «front républicain», ou le «front unique»: autant de termes que les amis de Jean-Luc Mélenchon soumettent désormais à leur analyse du contexte né de la crise de 2008.

Retour aux origines

Dans notre histoire politique, la tactique du «désistement républicain» (se désister pour laisser un parti républicain, qui respecte les institutions de la République, l'emporter en dernier recours) date de la seconde partie des années 1920. Elle s’impose lorsque les socialistes de la SFIO proposent au Parti Radical un accord de désistement pour celui des deux candidats arrivés en tête, accord qui est respecté lors des législatives de 1928.  Alternativement, socialistes et radicaux se désistent en faveur de l’autre pour contrer communistes ou candidats conservateurs.

Pour les socialistes, la IIIe République doit encore s’enraciner dans le pays. Par-delà les divergences entre ses partisans, il faut l’y aider, d’où l’accord nécessaire de désistement avec des radicaux, pourtant fervents défenseurs de la propriété privée, pour contrer les forces de droite et ne pas subir la pression communiste. La droite d’alors ne brille pas par son enthousiasme ni par ses convictions républicaines, mais les communistes issus de la scission de la SFIO en 1920 luttent «classe contre classe» et, fidèles à la IIIe Internationale, sont hostiles au régime politique de la IIIe République.

Les socialistes français, par la synthèse jaurésienne, sont devenus des défenseurs de la République. Au cours des années 1920, ils s’interrogent sur leur participation à des gouvernements radicaux. Ceux qui en sont partisans sont appelés «participationnistes» et contribuent à renforcer un clivage qui va devenir déterminant, le clivage gauche-droite, alors que les communistes défendent une stratégie léniniste pour le mouvement ouvrier et ne s’identifient pas à la gauche.

Entre le PCF et l’alliance de centre droit

Dans les dernières décennies, la «discipline républicaine» signifiera le désistement automatique des candidats de gauche les moins bien placés au profit du candidat le mieux placé. Souvent pourtant, en cas d’affrontement au second tour avec d’autres candidats de gauche (en particulier communistes), les candidats écologistes refusent d’appliquer cette règle de «discipline républicaine», qui n’entre pas dans leur tradition politique.

Le Front Républicain fut quant à lui une alliance électorale des partis situés entre le PCF et l’alliance de centre droit, dans une période marquée par la montée en force des Poujadistes de l’UDCA lors des élections législatives de 1956. Il porta Guy Mollet à la présidence du Conseil et put obtenir le soutien ponctuel d’un PCF renforcé.

Enfin, l’idée d’un «Front unique» est plus directement liée au mouvement ouvrier et ne concerne que lui. Elle est donc indépendante de la question républicaine. C’est d’abord comme tactique que le Front unique apparait lorsque Léon Trotski analyse la situation de la France des années 1920. Aux communistes, il déclare:

«La question du front unique se pose par cela même, que des fractions très importantes de la classe ouvrière appartiennent aux organisations réformistes ou les soutiennent. Leur expérience actuelle n'est pas encore suffisante pour les en faire sortir et les amener à nous.» 

La question du «front unique» surgit d’abord en Allemagne quand Clara Zetkin et Paul Levi, deux dirigeants communistes allemands dénoncent la tentation «gauchiste» d’une partie des membres du KPD (Parti communiste allemand) qui prônent l’opposition frontale avec le SPD (Parti social-démocrate). Convoqués par l’Internationale communiste contrôlée par Moscou, ils sont finalement, à la surprise générale des délégués, approuvés par Lénine et Trotski, qui perçoivent la dangerosité de la fracture entre social-démocratie et communistes. Dans d’autres partis communistes, comme le Parti communiste italien, le Front unique va nourrir des perspectives théoriques nouvelles, sans toutefois s’imposer à temps, comme en Allemagne.

«L'antisystème fonctionnel au système» 

Dans la période récente (depuis les années 1980), l’apparition du FN a suscité la tactique du «front républicain», entendue comme un désistement pour le candidat le mieux placé de l’arc républicain face au FN. La période actuelle, qui résulte de la crise de 2008 et suit un quinquennat d’exercice du pouvoir par François Hollande, renouvelle le contexte. Il redéfinit les stratégies de chaque famille politique. La gauche radicale n’y échappe pas. Il s’agit du groupe le plus hermétique à la pénétration du vote FN et, au contraire, parvient à le concurrencer de nouveau au sein de certains groupes sociaux.

Pour comprendre ce second tour, il faut avoir en tête l’analyse de Frédéric Lordon, l’un des intellectuels les plus écoutés de la France Insoumise:

«Mais c’est certainement le cas de Marine Le Pen qui expose les propriétés les plus paradoxales, les plus retorses même, de cette économie générale. Car Le Pen est cette sorte particulière d’antisystème fonctionnelle au système. Le FN est ce merveilleux péril, cette providentielle horreur, qui permet à soi seul de "fixer" l’idée d’alternative et, par cette fixation même, de rendre essentiellement abominable tout projet de "faire autre chose" — quelle que soit cette autre chose. Même dans une démocratie aussi approximative que la nôtre, seul le recours à un monstre de service parvient maintenant à stabiliser un ordre devenu socialement odieux à des fractions de plus en plus larges de la population. Il fallait donc aménager la scène de telle sorte qu’entre le CICE et la bête immonde il n’y ait rien.»

Dans la perspective de la France Insoumise, Emmanuel Macron devient le candidat du néolibéralisme dans une élection où c’est «l’antisystème fonctionnel au système» qui est resté en lice. Si aucun bulletin de la France Insoumise ne doit aller à Marine Le Pen, c’est entre le vote Macron, l’abstention et le vote blanc ou nul que ses membres doivent choisir. Accepter de voter pour le promoteur des causes, afin de gagner du temps face à la montée des conséquences (le vote FN) est en quelque sorte la motivation de ceux des Insoumis qui optent pour Emmanuel Macron.

C’est avec le système qu’il faut construire une frontière politique et développer une forme d’agonisme (Chantal Mouffe). Faute de quoi, c’est le FN qui réimposera une frontière politique favorable à sa progression. Activation de la colère sociale, refus du projet de réforme du marché du travail promis, les arguments de la France Insoumise visent à rappeler cet objectif… qui passera aussi par l’affaiblissement de «l’antisystème fonctionnel au système».