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Meilleur jeune économiste: un prix décidément très politique

économie

Lien publiée le 27 mai 2017

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http://www.anti-k.org/2017/05/27/meilleur-jeune-economiste-un-prix-decidement-tres-politique/

Médiapart – 26 mai 2017 – Par NOAM AMBROUROUSI – Blog : Pour une gauche de gauche

L’attribution du prix du meilleur jeune économiste à Antoine Bozio, dont les travaux les plus connus portent sur les régimes de retraites à comptes notionnels ne doit rien au hasard. Il s’agit bien évidemment de préparer le terrain le plus favorable possible à la future réforme des retraites envisagée par Emmanuel Macron, alors même que ce type de régime comporte de nombreux dangers.

Chaque année, depuis 2000, Le Monde et le Cercle des économistes décernent, avec la modestie qui les caractérise, rien moins que le prix du meilleur jeune économiste. A lire la présentation de ce prix, il s’agit de distinguer « un économiste français de moins de 41 ans qui allie une expertise reconnue et une participation active au débat public ». Un examen rapide de la composition du jury ou de la liste des lauréats des précédentes éditions permet pourtant de douter de l’objectivité de cette distinction. En effet, on compte parmi les membres de ce cercle de nombreuses personnalités habituées des plateaux télés comme Jean-Hervé Lorenzi (administrateur indépendant du Conseil d’administration de BNP Paribas Cardif), Patrick Artus (Chef économiste de Natixis), Olivier Pastré (Président d’IM Bank et administrateur de CMP Banque), Laurence Boone (Chef économiste du groupe AXA, ex-chef économiste de Barclays Capital France), Jean Pisani-Ferry (conseiller économique d’Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle) mais aussi, au moins cinq signataires (Philippe Aghion, Yann Algan, Agnès Bénassy-Quéré, Stéphane Carcillo,  Hélène Rey) d’une tribune aussi courte que peu argumentée en faveur de la loi travail[1]. Autant dire que cet aéropage évoque davantage une amicale de la banque et de l’économie la plus orthodoxe plutôt qu’un jury indépendant représentant les différentes tendances de l’économie. La liste de certains éminents lauréats des éditions précédentes (Agnès Bénassy-Quéré, Pierre Cahuc, Etienne Wasmer, David Thesmar, Augustin Landier), dont certains sont d’ailleurs aujourd’hui membres du Cercle des économistes, ne fait que confirmer cette impression de se trouver en présence d’un des ces nombreux Rotary de l’économie mainstream.

S’agissant de l’édition 2017, si son lauréat, Antoine Bozio, n’est pas forcément un représentant pur et dur de cette école de pensée, il convient néanmoins de souligner le caractère très politique de sa nomination. En effet, Antoine Bozio est surtout connu pour ses travaux sur les systèmes de retraites, notamment sur les systèmes de retraites à points ou à comptes notionnels. Surtout, ses travaux sur le sujet ne sont pas nouveaux puisqu’il avait publié avec Thomas Piketty, aux éditions de la  rue d’Ulm, un ouvrage sur le sujet en 2008. Ce n’est pourtant que 9 ans plus tard qu’il est distingué, ce qui tombe à pic puisque le dispositif de retraites qu’il appelle de ses voeux correspond justement à celui qu’Emmanuel Macron souhaite mettre en place. Il se trouve d’ailleurs qu’Antoine Bozio a justement rencontré Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle et lui a même fourni une fiche sur ce système de retraites… Ainsi, la future réforme du nouveau Président se trouve-t-elle parée des oripeaux de la science, et de nombreuses vertus, parmi lesquelles « la liberté », Antoine Bozio n’hésitant pas à nous promettre qu’avec les comptes notionnels « chacun part [à la retraite] quand il veut ». Cette affirmation est pourtant largement discutable, tout comme l’est plus généralement ce type de régime de retraites, qui présente de nombreux risques, notamment ceux d’allonger l’âge de départ à la retraite et de réduire le montant des pensions, risques auxquels il convient d’ajouter un autre inconvénient majeur, son caractère bien peu démocratique.

Dans un régime de retraite à points, ou à comptes notionnels, les cotisations retraites versées par les salariés au cours de leur carrière sont converties en points sur un compte individuel fictif. Au moment de la liquidation du compte, c’est à dire lors du départ en retraite, une valeur est donnée au point, ce qui permet de calculer la pension que va percevoir le nouveau retraité. Or, ce calcul de la valeur du point est réactualisé chaque année et dépend, dans les pays où de tels systèmes ont été mis en place (Suède notamment), de l’espérance de vie de la génération à laquelle appartient le salarié et de l’évolution de la masse salariale du pays au cours de la carrière du nouveau retraité. En cas de récession économique (qui pèse négativement sur l’évolution de la masse salariale totale du pays) et/ou d’augmentation de l’espérance de vie (qui est très inégale selon la catégorie sociale à laquelle on appartient et qui s’accompagne de plus en plus d’une absence d’augmentation de l’espérance de vie en bonne santé), la valeur du point diminue et votre pension se trouve significativement réduite. Dans ces conditions le futur retraité n’a plus d’autre choix, s’il veut maintenir le montant de sa pension à un niveau acceptable, que de travailler plus longtemps…à condition qu’il en ait la possibilité, c’est à dire que son état de santé le lui permette et que son employeur ne l’ait pas déjà licencié, ce qui est malheureusement très souvent le cas. Dans ces conditions, « la liberté de partir à la retraite quand on veut » ressemble davantage à une liberté sous forte contrainte. En fait, si les régimes à comptes notionnels sont si populaires auprès de certains économistes et chez de nombreux représentants du courant ordo-libéral, c’est qu’ils offrent à leurs yeux l’incomparable avantage d’être auto-équilibrés. En effet le réajustement automatique, à la baisse, de la valeur du point garantit non seulement que le régime ne pourra plus être déficitaire, mais de plus, que cet équilibre pourra être obtenu sans délibération démocratique. C’est la fameuse « règle d’or » appliquée aux régimes de retraites. Alors que dans le dispositif actuel, chaque modification des paramètres (les fameuses (contre)réformes des retraites) nécessite une loi, avec la retraite à points ce n’est plus nécessaire puisque l’ajustement est automatique. Equilibre budgétaire et déni de démocratie, voilà bien deux des obsessions ordolibérales.

En fin de compte, la relative complexité de ce régime de retraites à comptes notionnels et les nombreux soutiens médiatiques dont il ne manquera pas de bénéficier dans les mois à venir ne doivent pas faire illusion. Ces régimes sont particulièrement dangereux pour les retraités et futurs retraités car ils ne visent qu’à réduire le poids des retraites dans le PIB, ce qui permettra d’ouvrir un boulevard aux systèmes de retraites par capitalisation. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’Italie et la Suède, qui ont adopté un tel régime de retraites par points, ont toutes les deux adossé à ce nouveau régime, un système de retraite par capitalisation, retraite par capitalisation dont l’OCDE encourageait justement le développement dans un récent rapport[2]. OCDE pour qui travaillent ou ont travaillé plusieurs des membres du Cercle des économistesCercle des économistes qui vient justement de distinguer Antoine Bozio…


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