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Comment les riches ont façonné et neutralisé le mouvement écolo grand public

écologie

Lien publiée le 7 juin 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.socialisme-libertaire.fr/2017/06/comment-les-riches-ont-faconne-et-neutralise-le-mouvement-ecologiste-grand-public.html

Ecologie radicale

Le texte qui suit est une traduction d'un article d'un chercheur indépendant australien, Michael Barker, initialement publié (en anglais) à cette adresse, le 11 janvier 2010. Il est à la fois long et dense. On y trouve un certain nombre d'acronymes et de noms d'institutions ou d'organisations à rallonge. Cependant, ce qu'il expose est d'une importance capitale pour ceux qui s'intéressent à l'écologie. L'histoire méconnue qu'il met en lumière démontre clairement comment les divers responsables du désastre écologique et social en cours, les principaux intérêts financiers, les individus les plus riches et puissants, sont parvenus à coopter et à organiser eux-mêmes le mouvement environnemental (ou plutôt, un simulacre de mouvement environnemental) censé s'opposer à leurs pratiques destructrices. C'est ainsi qu'ils ont pu désamorcer la préoccupation grandissante des populations à l'égard du sort réservé au monde naturel, et qu'ils ont pu protéger le système mortifère dont ils étaient et sont toujours les principaux bénéficiaires. Ce qu'il faut retenir de cet article, c'est qu'il est absurde et contre-productif de compter sur l'ONU ou sur ces innombrables mouvements soi-disant écologistes qui font la promotion du « développement durable » (ou de n'importe quel autre concept marketing) pour protéger le monde naturel, et s'opposer à la destructivité inhérente à la civilisation industrielle.

Le capital est plus qu’heureux d’intégrer le mouvement [environnemental] grand public en tant que partenaire de sa gestion de la nature. Les grands groupes environnementaux lui offrent un triple service : de légitimation, en rappelant au monde que le système fonctionne ; de contrôle de la désobéissance populaire, en agissant en tant qu’éponge qui aspire et restreint l’anxiété écologique de la population ; et de rationalisation, en tant qu’administrateur utile afin d’introduire un certain degré de contrôle et de protéger le système de ses pires tendances, tout en garantissant la continuation des profits.

Joe Kovel, 2002.

Les élites capitalistes mondiales sont depuis longtemps passées maîtresses dans l’art d’exploiter les travailleurs dans leur entreprise continue de destruction du vivant. Se souciant avant tout des actionnaires, les principes de la gestion scientifique du travail ont servi à enchaîner les travailleurs aux priorités corporatistes afin de piller efficacement la planète. Ainsi, des humains sont socialisés afin d’accepter comme naturel des impératifs de croissance capitaliste, qui canalisent l’énergie humaine dans une opération d’éradication de la nature. De plus, dans ce monde de réalités inversées, les alternatives radicales à cet état des choses toxique sont régulièrement considérées comme contraires à une véritable nature humaine ; on nous raconte que la soumission envers une autorité arbitraire est naturelle, comme le fait de laisser une petite élite profiter de la gestion corporatiste du vivant. Cependant, tout cela n’empêche pas des gens ordinaires de résister contre une telle brutalité. D’ailleurs, à travers l’histoire, les élites dirigeantes ont régulièrement eu à affronter une telle dissidence. C’est pourquoi cet article examinera certaines des principales initiatives environnementales impulsées par les élites, ayant servi à contenir toute opposition (à partir des années 1960).

En soulignant la manière dont les élites, main dans la main avec les Nations unies, sont parvenues à gérer le terrain environnemental afin de désamorcer les mouvements radicaux visant à démanteler le capitalisme, j’espère que les lecteurs comprendront la futilité de placer leurs espoirs entre les mains de gestionnaires environnementaux aussi illégitimes. Il n’y a qu’après que ces illusions auront été brisées que des mouvements fondés sur des analyses radicales pourront commencer à œuvrer afin de soutenir la vie d’une manière juste et équitable.

Mettre fin à la menace nucléaire ? Et la naissance d’un mouvement

L’historien de l’environnement John McCormick suggère qu’il est « crédible » que le Traité d’interdiction partielle des essais nucléaires de 1963 ait été le premier accord environnemental mondial. Pourtant, paradoxalement, ainsi que les historiens de la paix Frances McCrea et Geral Markle l’observent, cet accord important a marqué le point où « la marée de l’activisme pacifiste a commencé à baisser », de telle manière que « les essais nucléaires, [désormais] largement perçus comme un problème environnemental et sanitaire plutôt qu’un problème lié au désarmement, étaient devenus un non-problème ». D’ailleurs, la triste réalité est qu’après la signature de cet accord mondial environnemental, « les essais nucléaires américains – menés dans le sous-sol, où les USA bénéficiaient d’un avantage technologique – ont grandement augmenté ». Le mouvement conservationniste a donc ironiquement célébré l’avènement d’un accord environnemental qui a coïncidé avec l’affaiblissement du mouvement pacifiste mondial ; le plus puissant mouvement qui ait jamais remis en question la légitimité de la principale source de pollution, à savoir la guerre.

A la suite de la signature du Traité d’interdiction partielle des essais nucléaires, McCormick écrit que « l’idée de menaces universelles envers l’environnement » a été « largement renforcée » par la publication du classique de Rachel Carson, « Printemps silencieux » (Hamilton, 1963). A son honneur, McCormick souligne que Murray Bookchin venait aussi de publier, six mois plus tôt, un livre révolutionnaire intitulé « Notre environnement synthétique » (titre original : Our synthetic environment), en observant que la principale différence entre les deux livres était que celui de Carson « se concentrait sur un seul problème » (la surutilisation de pesticides), tandis que celui de Bookchin « examinait un large éventail des effets des technologies modernes, de la pollution de l’air au lait contaminé ». Naturellement, un livre focalisé sur un seul problème environnemental omettant de remettre en question tous les aspects de la destruction de la faune et de la flore du monde par le capitalisme était bien plus simple à coopter pour les capitalistes que des critiques systémiques telles que celles proposées par des analystes radicaux de la trempe de Bookchin.

Tandis que des guerres impérialistes ravageaient la terre de millions d’individus, la préoccupation pour l’environnement gagnait en ampleur durant les années 1960, particulièrement au sein des cercles des élites politiques libérales. Par exemple, en juillet 1965…

…Adlai Stevenson (alors ambassadeurs des USA à l’ONU) prononça un discours devant le conseil économique et social des Nations Unies à Genève sur les problèmes de l’urbanisation à travers le monde. Dans ce discours (écrit par Barbara Ward), il utilisa la métaphore de la Terre en tant que vaisseau spatial sur lequel l’humanité voyageait, et était dépendante de ses ressources vulnérables en air et en sol. (p.80)

Il est important de préciser que Barbara Ward s’apprête alors à jouer un rôle clé dans la mise en place de l’agenda environnemental corporatiste, et qu’avant sa mort, en 1981, elle siégeait en tant qu’administratrice au sein de la Conservation Foundation, une organisation appuyée par la Fondation Rockefeller.

Blâmer les populations !

Quelque chose devait être fait pour sauver l’environnement, et ainsi que Katherine Barkley et Steve Weissman le soulignent dans leur célèbre article de 1970 intitulé « l’Eco-establishment », les « gestionnaires de ressources au service des élites prirent comme modèle d’action le mouvement états-unien pour la conservation des années 1910, particulièrement son approche de coopération entre les grandes entreprises et le gouvernement ». La Conservation Foundation a été un membre clé de l’eco-establishment et a aidé (entres autres entreprises de propagande) à préparer le document du Congrès pour les audiences de 1968 concernant la qualité environnementale de la politique nationale, un document qui expose explicitement comment les élites comptaient « piocher dans la poche du consommateur pour payer les coûts additionnels auxquels ils feront face » à cause de la destructivité inhérente au capitalisme. Les groupes de conservation mis en place par les élites, ainsi que les médias de masse, s’assureront ensuite que la croissance de la population, et non le capitalisme, était présentée comme la principale menace pour le vivant ; et en 1968, le Sierra Club (sous la direction de David Brower) publia le travail du « néomalthusien éhonté » Paul Ehrlich, intitulé « La bombe population », qui « devint le best-seller environnemental le plus vendu de tous les temps ».

Plus tard, les environnementalistes des classes dirigeantes adoptèrent une approche faussement holistique qui les aiderait dans leur effort de gestion de l’environnement, et qui donnerait naissance à un autre célèbre livre néomalthusien, « Les limites à la croissance » [parfois traduit par : “Halte à la croissance ? : Rapport sur les limites de la croissance”] (Club de Rome, 1972). McCormick souligne comment les fondations de ce livre « remontent à la fin des années 1940, lorsque Jay Forrester, professeur de management au Massachusetts Institute of Technology (MIT), entrepris d’utiliser l’ordinateur, la prise de décision façon tactique militaire, et les systèmes de remontée de l’information afin d’étudier les forces interagissantes des systèmes sociaux ». Ces idées ont alors été reprises par Aurelio Peccei, un consultant en management italien et président d’Olivetti, qui, en 1968, « organisa un meeting de 30 économistes, scientifiques, pédagogues et industriels, à Rome » : le Club de Rome. Sous le giron de ce « Club » élitiste, Forrester recruta Dennis Meadows, l’auteur de « Les limites à la croissance ». Les critiques du Club de Rome, Robert Golub et Joe Townsend, écrivent que :

Les arguments des Limites à la croissance impliquent le besoin d’un organe international afin de réguler l’économie mondiale, mais le besoin d’un tel organe émane de l’instabilité intrinsèque de l’économie mondialisée – ainsi que de nombreux étudiants des corporations multinationales l’ont vite remarqué. La croissance et l’expansion des corporations multinationales des années 60 ont dépassé la capacité des gouvernements nationaux à réguler et à contrôler le système économique mondial. Avec suffisamment de clairvoyance, il était possible de comprendre que l’incapacité des gouvernements à réguler l’économie mondiale face au pouvoir grandissant des corporations multinationales serait le plus évident dans ces pays (comme l’Italie) où les gouvernements, en raison de leur faiblesse, avaient la plus grande difficulté à protéger leur capital initial.

Amorcer le mouvement environnemental

En 1971, deux réunions ont été tenues en préparation de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement humain (aussi appelée Conférence de Stockholm), la première à Founex, en Suisse, et la deuxième à Canberra, en Australie. La réunion de Founex a été organisée par Maurice Strong, alors directeur général du Bureau de l’aide extérieure du Canada, et qui « sera nommé secrétaire général de la conférence de Stockholm, et dirigera un comité préparatoire de 27 nations afin de planifier et de dessiner l’agenda de la Conférence de Stockholm ». Notablement, lors des réunions préparatoires, « Strong souligna constamment la compatibilité du développement et de la qualité environnementale dans ses discours préparatoires avec les gouvernements des PMD [pays les moins développés] ». Ces discours d’élaboration d’un consensus servaient à garantir que toute controverse soit réglée avant le principal évènement afin que la conférence puisse être gérée efficacement : « des différences d’opinion persistèrent, mais elles ne perturbèrent pas plus que ça la conférence ».

Un autre outil important qui permit d’édifier un consensus politique à Stockholm fut un « rapport non-officiel qui fournit aux délégués à Stockholm la fondation intellectuelle et philosophique pour leur délibération », qui fut commandité par Maurice Strong et co-rédigé par Barbara Ward et René Dubos (et examiné par un comité de 152 consultants). Le financement pour ce rapport fut apporté par la chaire Albert Schweitzer de l’université de Columbia, la Banque Mondiale et la Fondation Ford. Ce rapport, intitulé « Only One Earth » (en français : « Une seule terre ») sera ensuite publié (Norton & Company, 1972) « par un nouvel institut de recherche, l’Institut International pour les Affaires Environnementales (IIEA), créé en 1972 sous le mécénat de l’Institut Aspen ». L’IIEA avait déjà joué un rôle important dans les préparatifs d’avant la conférence, il est donc significatif que « les fondations philosophiques de l’IIEA découlent d’une étude de faisabilité de 4 mois, de février à mai 1970, organisée par la Anderson Foundation ».

Le coprésident de l’IIEA, Robert O. Anderson (président d’Atlantic Richfield et principal fondateur de l’Institut), pensait que l’Institut devrait « dessiner un chemin entre l’alarmisme catastrophiste et ceux qui refusent de reconnaître le danger clair auquel est soumis l’environnement humain ».

Anderson était, et est toujours, un dirigeant pétrolier important, avec d’excellents contacts dans le monde corporatiste, ayant servi en tant que président de la Federal Reserve Bank de Dallas (1961-1964) et ayant siégé aux comités d’administration d’autres géants corporatistes comme la Chase Manhattan Bank, la Columbia Broadcasting System, et Weyerhaeuser. En 1974, Anderson était président de l’organisation des Rockefeller « Resources for the Future » [en français : Ressources pour le futur], aux côtés d’un autre magnat du pétrole, Maurice Strong, qui a également siégé au conseil d’administration de la Fondation Rockefeller de 1971 à 1977.

Le programme environnemental des Capitalistes Unis

Après Stockholm, Maurice Strong créa le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), et en 1973 « il nomma les dirigeants des domaines qu’il connaissait le mieux : le business, la politique et le service public international ». Strong restera à la tête du PNUE pendant près de 3 ans, après quoi il sera nommé PDG de la compagnie nationale pétrolière du Canada, Petro-Canada [à la requête du premier ministre canadien de l’époque, Pierre Trudeau, le père de Justin Trudeau, l’actuel premier ministre, NdT]. Cependant, malgré l’approche corporatiste de l’UNEP, son financement « a toujours été un problème », et durant ses 8 premières années, les USA en furent le principal supporter, en contribuant à hauteur de 36% de son coût de fonctionnement. On comprend donc pourquoi le PNUE, en travaillant avec des groupes comme l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), a adopté une approche très conservatrice de la gestion environnementale. Bien sûr, les fonds obtenus de la part de fondations libérales ont aidé à garantir que ces organisations déjà conservatrices ne s’éloignent pas de l’agenda politique de l’élite. Raymond Dasmann…

…se souvient qu’au moment où il rejoignit l’UICN en 1970 en tant que dirigeant écologiste, il y avait eu trois changement dans l’organisation : elle avait une nouvelle direction, une nouvelle structure organisationnelle, et avait reçu un financement majeur de la part de la Fondation Ford. Ford avait suggéré le besoin d’un contrôle plus centralisé du siège de l’UICN sur ses activités. Un autre développement significatif souligné par Dasmann était l’emphase de l’UICN concernant le développement économique ; par exemple, conservation et développement étaient le thème de l’assemblée générale de l’UICN à Banff, au Canada (p.196)

Trois ans après la création du PNUE, « le PNUE demanda à l’UICN de préparer une stratégie de conservation de la faune sauvage » ; Dasmann et Duncan Poore passèrent les années suivantes à travailler sur des brouillons de ce document crucial. Lee Talbot, qui prit la tête de l’UICN « se rappelle que le premier brouillon était un traité sur la faune sauvage, mais que chaque nouveau brouillon rapprocha les perspectives initialement opposées des développeurs et des conservationnistes, au point que la version finale a été un consensus entre ces deux points de vue ». Ensuite, en 1977, à l’aide du financement du PNUE, l’UICN prépara un rapport sur une stratégie mondiale de conservation.

Publiée en mars 1980 sous la principale autorité de Robert Prescott-Allen, la Stratégie mondiale de la conservation de l’UICN était, et ce d’après ses auteurs, un compromis qui tentait d’établir un « accommodement entre la conservation et le développement ». D’un côté, les auteurs du rapport…

…admirent que la conservation et le développement devaient être présentés comme des objectifs compatibles. De l’autre, en se limitant à la conservation de la nature et des ressources naturelles, la stratégie ne tint pas compte du fait que les problèmes auxquels l’environnement naturel fait face font partie de problèmes plus vastes liés à l’environnement humain.

McCormick souligne avec justesse que « les deux sont indissociables ». Pourtant ils le furent, ce qui fournit une base idéologique solide pour la gestion pro-capitaliste de l’environnement, qui fut mise en place grâce à la cooptation de biologistes « conservationnistes » et grâce à la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (aussi appelée Commission Brundtland).

Le développement soutenable de l’impérialisme écologique

Organisée par l’ONU en 1983, et dirigée par Gro Harlem Brundtland, la Commission Brundtland tint son premier meeting en 1984, grâce au financement de différents gouvernements étrangers et fondations libérales, dont la fameuse Fondation Ford. Le secrétaire général de la Commission Brundtland (de 1983 à 1987) et principal auteur de son célèbre rapport, « Our Common Future » (« Notre avenir à tous »), Jim MacNeill, se trouvait être l’ancien président de l’Institut international du développement durable – un groupe créé par son président actuel, David Runnallis, dans les années 70, avec l’aide de Barbara Ward. Il est donc tout à fait attendu que Maurice Strong ait été un membre important de la Commission Brundtland.

Le rapport de la Commission Brundtland, Notre avenir à tous (Oxford University Press, 1987) a fait parler de lui parce qu’il a popularisé la notion trompeuse de développement soutenable [doublement trompeuse en français puisqu’elle a été traduite par développement durable, NdT]. A propos de ce succès rhétorique, Brian Tokar observe que :

Associant le langage de la soutenabilité sur le long terme du mouvement environnemental avec le discours de « développement » du néo-colonialisme, le développement soutenable [ou durable, NdT] devint un principe de base permettant de promouvoir la continuation de l’expansion des économies de marché capitalistes dans les pays du Sud, tout en prétendant agir au nom de l’environnement et des plus pauvres.

Conséquemment, il n’est pas surprenant que le rapport de la commission Brundtland ne mentionne aucune « analyse du complexe militaro-industriel et de son rôle dans le développement industriel ». De plus, ainsi que Pratap Chatterjee et Matthias Finger le soulignent, le chapitre du rapport Brundtland portant sur la paix et la sécurité « amène la Commission Brundtland à proposer un management international de type militaire des ressources et des problèmes environnementaux, soi-disant qualifiés de ‘communs’. » Cette logique militariste fut réaffirmée en 1989, par celle qui était alors la vice-présidente du World Resources Institute [Institut des ressources mondiales, NdT], Jessica Matthews, dont l’article malthusien « Redéfinir la sécurité » a joué un rôle important dans « la préparation de l’association de l’environnement et de la sécurité ». Il se trouve d’ailleurs que le bastion élitiste qu’est l’Institut des ressources mondiales a été mandaté par le PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement) en 1987 pour établir des recommandations politiques basées sur les conclusions de la Commission Brundtland. Ce qui a débouché sur la création, à l’initiative de la Banque mondiale, du FEM, ou Fonds pour l’environnement mondial (en anglais : Global Environmental Facility – GEF), dont la direction sera initialement confiée à un des vice-présidents de l’Institut des ressources mondiales, Mohamed El-Ashry. Le FEM était évidemment partie intégrante de l’eco-establishment, et, ainsi que Zoe Young le souligne, il a réussi « à diviser les activistes entre ceux qui étaient prêts à jouer selon les règles établies par l’agenda stratégique des USA et de la Banque mondiale, et ceux qui s’y refusaient ; les derniers se voyant écarter du débat en raison de positions jugées extrêmes et contre-productives, tandis que les compétences et les passions des premiers étaient canalisées par le FEM afin d’étendre la portée du capital et de la culture corporatistes ». Étant donné ce résultat, il n’est pas non plus surprenant qu’en 1990 l’Institut des ressources mondiales « ait publié une étude visant à montrer que les nations sous-développées des pays du Sud – et particulièrement la Chine, l’Inde, et le Brésil – émettaient autant de dioxyde de carbone dans la biosphère que les pays développés du Nord ». L’absurdité évidente de telles conclusions fut soulignée par Mark Dowie, mais malgré l’illogisme de ces rapports, Dowie remarque justement que : « En tant que justification pour l’impérialisme environnemental, cela sera sûrement utilisé afin de formuler les politiques d’aide et de prêts multinationaux pour les années à venir ».

Un Sommet de la Terre corporatiste

Des précédents aussi élitistes démontrent le succès de l’eco-establishment dans sa prise de contrôle de l’agenda environnemental grand public. C’est pourquoi, ainsi que Chatterjee et Finger le suggèrent, bien « que dans l’ensemble, la Conférence de Stockholm ait été caractérisée par une lourde confrontation entre des activistes de toutes sortes et des gouvernements » (ce qui est discutable), ce phénomène ne devait certainement pas se répéter au Sommet de la Terre de Rio (aussi connu sous le nom de Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUAD)). D’ailleurs, ils continuent en rappelant qu’à Rio « le climat, dans l’ensemble, se rapprochait du consensus et de la coopération » ; ce qui était attendu, puisque le secrétaire général du Sommet n’était autre que Maurice Strong. (La conseillère principale de Strong lors de ce Sommet de la Terre était Bella Abzug, ancienne membre du Congrès et co-fondatrice de l’Organisation des Femmes pour l’Environnement et le Développement). Chatterjee et Finger concluent que :

Au lieu de développer une nouvelle vision en adéquation avec les défis écologiques mondiaux, la CNUAD a réhabilité le progrès technologique et d’autres cultes de l’efficience. Au lieu d’imaginer des perspectives créatives de gouvernance globale, la CNUAD a réhabilité les institutions et organisations de développement en tant qu’agent légitimes pour affronter ces nouveaux défis mondiaux. Parmi elles les institutions de Bretton Woods et l’ONU, ainsi que les gouvernements nationaux et les corporations multinationales. Et, enfin, au lieu de faire en sorte que les divers actionnaires collaborent et parviennent collectivement à sortir de la crise mondiale, la CNUAD en a coopté certains, en a divisé ou détruit d’autres, et a mis en avant ceux qui avaient assez d’argent pour tirer profit de cet exercice de relations publiques et de lobbying. (p.173)

Dans la même veine, Michael Goldman écrit que :

Si nous devons retenir quelque chose du Sommet de la Terre de Rio de 1992, c’est que l’objectif des principaux pouvoirs en place n’était pas de contenir ou de restructurer les économies et les pratiques capitalistes afin de sauver les communs écologiques qui sont en train d’être détruits, mais de restructurer ces communs (c’est-à-dire de privatiser, de « développer », de « rendre plus efficient », de « valoriser », de « trouver le bon prix ») afin d’accommoder le capitalisme de crise. Son effet n’a pas été de stopper les pratiques destructrices mais de les normaliser et de les institutionnaliser plus encore.

La cooptation du Sommet de la Terre par les corporations était évidemment attendue. D’ailleurs, la communauté du commerce « soutenable » [ou « durable », NdT] avait commencé à sérieusement s’organiser en 1984 à la suite de la première Conférence industrielle mondiale sur la gestion environnementale (en anglais, World Industry Conference on Environmental Management) : un forum qui a accouché de la création du Conseil mondial des entreprises pour le développement durable (en anglais, Business Council for Sustainable Development) la veille du Sommet de la Terre. Timothy Doyle observe comment :

Au cours des années 1980, les destructeurs de l’environnement se mirent à la recherche de moyens moins conflictuels de sécuriser leur pouvoir. La plupart des intérêts corporatistes du monde ne niaient plus l’existence de dommages environnementaux causés, en partie, par leurs propres pratiques. Leur stratagème changea : battre les environnementalistes à leur propre jeu (mais selon des termes et des agendas nouvellement définis) ; les corrompre ; les diviser ; les supplanter ; apparaître plus verts que les verts.

La création du Conseil mondial des entreprises pour le développement durable (BCSD) est particulièrement intéressante puisque ses deux cofondateurs étaient Maurice Strong et le milliardaire et industriel Suisse Stéphane Schmidheiny – un ami de Strong depuis le forum économique de Davos (que Strong a dirigé). Selon des critiques, ce groupe faisait partie « d’une stratégie pour perturber le Centre des Nations Unies sur les sociétés transnationales qui s’apprêtait à élaborer un code de conduite pour les corporations multinationales ». D’ailleurs, ainsi que Joshua Karliner l’a remarqué, un des principaux résultats du Sommet de la Terre a été « l’entreprise dynamique visant à supprimer toute discussion au sein des gouvernements quant au besoin de régulation internationale et de contrôle des corporations mondialisées au nom du développement soutenable [ou durable, NdT] ». A cet égard, Karliner écrit que l’un « des premiers obstacles que les diplomates corporatistes de la [Chambre internationale de commerce] et du BCSD ont dû surmonter était une filiale de l’ONU elle-même – le Centre des Nations Unies sur les sociétés transnationales (UNCTC) ».

Problématiquement, semble-t-il, le Conseil économique et social des Nations unies avait demandé au Centre de « préparer un ensemble de recommandations pour les transnationales et d’autres entreprises industrielles importantes que les gouvernements pourraient utiliser lors de la rédaction du document principal du Sommet de la Terre », l’Agenda 21, qui devait être prêt en mars 1992. Pourtant, un mois avant cette date, Boutros Ghali, qui était alors secrétaire général de l’ONU…

…annonça que le Centre des Nations Unies sur les sociétés transnationales (UNCTC) serait éliminé en tant qu’entité indépendante. Ce qui eut pour effet de priver l’organisation du peu de pouvoir qu’elle aurait pu avoir. Il lui restait cependant le rapport commandité par l’ECOSOC à remettre à Maurice Strong et à son secrétariat du Sommet de Rio. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, mais l’UNCTC n’a pas réussi à faire accepter son rapport au secrétariat. Pendant ce temps-là, Maurice Strong avait choisi Stephan Schmidheiny pour être son conseiller principal. Schmidheiny s’occupa de former le BCSD (le Conseil mondial des entreprises pour le développement durable) et de préparer un rapport intitulé « Changing Course » (en français, « Changer de trajectoire »), qui serait un document officiellement soumis par les industrialistes au Sommet de la Terre de Rio.

Mais ce ne fut pas la seule manière dont l’ONU servit activement les intérêts des élites lors du Sommet de la Terre, puisqu’en parallèle, elle s’occupa de subtilement coopter les organisations non-gouvernementales (ONG) qui proposaient des critiques radicales de l’évènement. Ainsi, d’après Chatterjee et Finger, le PNUD dépensa 475 000$ en subventions d’ONG en 1990 et 1991, puis « 206 000$ au cours des six mois précédents et comprenant le mois du Sommet de Rio ». De ces initiatives de financement, deux perspectives émergèrent au sein des ONG des pays du Sud, incarnées par le Third World Network et le Green Forum de Maximo Kalaw des Philippines. Tandis que le Third World Network « dirigea [la plupart de ses critiques] contre la Banque mondiale, le FMI, le GATT et les USA », il « fut silencieux quant au PNUD ». Ce fut une omission cruciale de leur part étant donné le rôle que l’ONU a joué, et continue de jouer, dans la légitimation et la promotion du néolibéralisme. D’ailleurs, l’étendue de la coopération entre le PNUD et le Third World Network impliqua que ce dernier soit briefé en privé « sur les questions clés qui pourraient influencer la Banque mondiale ».

Étant donnée la posture non-critique du Third World Network à l’égard de l’ONU, il n’est pas surprenant que Martin Khor, qui dirigeait ce réseau lors de sa création en 1984, soit désormais un membre du Comité des Nations unies sur les politiques de développement. De plus, à partir de mars 2009, Martin Khor a été le directeur exécutif du South Center – un groupe dont le conseil d’administration a été dirigé par l’ancien secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros-Ghali, de 2003 à 2006. (Martin Khor était déjà au conseil d’administration du South Center de 1996 à 2002). Par ailleurs, le président actuel du South Center est l’ancien président de la Tanzanie, Benjamin Mkapa, qui est également un membre du conseil d’administration de l’antidémocratique African Wildlife Foundation ; avant que Boutros Boutros-Ghali ne prenne la tête du conseil d’administration, Gamani Corea le dirigeait, ce qui est intéressant puisqu’il dirigeait aussi le panel d’expert de Maurice Strong lors de la réunion de Founex en 1971, durant les préparatifs de la Conférence de Stockholm. Pour en revenir à l’histoire de Martin Khor, il faut ajouter qu’il siège aussi au conseil d’administration du Forum international sur la mondialisation un groupe qui a été très appuyé par l’éco-philanthropie controversée de Ted Turner et Douglas Tompkins.

Du Sommet de la Terre à son exploitation minière

Lorsque le mandat de secrétaire général du Sommet de la Terre de Maurice Strong prit fin, en 1992, « il prit la direction du Comité d’organisation du Conseil de la Terre [en anglais, Earth Council] ». La mission de ce Conseil était de « soutenir et encourager les populations à construire un futur plus sûr, plus équitable et plus soutenable », et, à l’invitation du gouvernement du Costa Rica, leur secrétariat fut établi à San José, en septembre 1992. Parmi les collègues de Strong siégeant au comité organisateur initial de ce groupe, on retrouve Stephan Schmidheiny. Désormais appelé l’Alliance du Conseil de la Terre [en anglais, Earth Council Alliance], son directeur est Tommy Short (qui était aussi un membre de l’Initiative de la Charte de la Terre [Earth Charter International]) ; tandis que son président, ancien ponte de l’Imperial Chemical Industries (ICI), Marcelo Carvalho de Andrade, est le fondateur et le dirigeant de Pro-Natura, qui « a été créée au Brésil en 1985, et qui, en 1992 est devenue l’une des premières ONG du ‘Sud’ à être internationalisée à la suite de la Conférence de Rio ». Marcelo de Andrade siège également au conseil d’administration du groupe controversé Counterpart International, et au conseil de la Earth Restoration Corps (dirigée par Hanne Strong, la femme de Maurice Strong).

A ce jour, le dévouement de Maurice Strong envers le libéralisme corporatiste demeure solide ; au lendemain du Sommet de la Terre, il a pris la direction de l’Institut des ressources mondiales (World Resources Institute) et de l’Institut de l’environnement de Stockholm (Stockholm Environment Institute). Puis, en 1999, Maurice Strong, l’ancien PDG de Petro-Canada, a estimé qu’il était temps qu’il se retire du conseil d’administration de la compagnie gazière et pétrolière Cordex Petroleums – une compagnie qui était dirigée par son fils, Fred Strong. Cela dit, malgré la continuation de son implication dans le domaine de la gestion environnementale, Maurice Strong continue à bénéficier du pillage de la planète, puisqu’il siège également au conseil d’administration de la compagnie Wealth Minerals Ltd – une organisation qui se décrit comme « un leader mondial bien financé et bien organisé de l’exploration de l’uranium, qui se concentre sur l’identification de gisement de classe mondiale en Argentine ».

Solutions

Bien que cet article expose clairement le fait que la gestion « environnementale » mondiale soutenue par Maurice Strong constitue une grave menace pour la vie sur terre, celui-ci est loin d’être le principal problème. Maurice Strong n’est qu’un exemple particulier de cette classe de technocrates aux doubles visages qui s’est formée afin de protéger le capitalisme et de prétendre protéger la vie sauvage (à condition que cela rapporte). Cependant, en examinant l’histoire de Maurice Strong et de sa gestion des intérêts capitalistes – ce qu’a fait cet article – il est possible de déconstruire ce cirque mondial grotesque qui s’est imposé au fil des années en tant que sauveteur de l’environnement. Les institutions de l’élite, comme l’ONU, doivent être destituées : ce qui ne pourra se produire que si nous commençons collectivement à imaginer des alternatives viables – comme le communisme.

Michael Barker

Traduction : Nicolas Casaux


NdT : Un dernier détail, significatif : le 20 avril 2005, l’ONU annonce la démission de Maurice Strong, visé personnellement par l’enquête sur le scandale du programme « Pétrole contre nourriture » de l’ONU en Irak. Strong a en effet encaissé un chèque de 988 885 $ de la main de Tongsun Park, un homme d’affaires sud-coréen qui fut inculpé en 2006 par la Cour Fédérale de New York dans le détournement du programme en faveur de Saddam Hussein. Après avoir quitté ses fonctions, Strong s’exile en Chine où il possède un appartement.

> Pour aller plus loin :

Du développement au « développement durable » :
histoire d’une tromperie (par Fabrice Nicolino)