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Le PTB, parti marxiste, bouscule les gauches belges

Belgique

Lien publiée le 12 juin 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Mediapart) C’est un coup de tonnerre dans le royaume : certains sondages donnent le PTB devant les sociaux-démocrates du PS, dans le sud de la Belgique. Réceptacle de la contestation du « système », le parti incarné par Raoul Hedebouw reste un objet très à part en Europe.

De notre envoyé spécial à Bruxelles, Liège et Seraing (Belgique).-  Recouvert d’affiches jaune vif, le stand de la « Wallonie insoumise », tenu par des sympathisants belges de Jean-Luc Mélenchon, est l’un de ceux qui attirent le plus de curieux. La place Saint-Paul, à deux pas de la cathédrale de Liège, dans le sud de la Belgique, commence à se remplir en ce lundi 1er mai. Des drapeaux du Che se mêlent aux affiches anti-Trump et aux photos de Julien Lahaut, un militant communiste belge assassiné en 1950. Beaucoup sont venus écouter Raoul Hedebouw haranguer la foule. Des journalistes des télévisions francophones ont aussi fait le déplacement. Mais l’homme fort du PTB, le parti du travail de Belgique, est en retard.

Au moment où il s’apprêtait à monter sur l’estrade, il a reçu un léger coup de couteau à la jambe. L’auteur de l’attaque est un déséquilibré qui, semble-t-il, en voulait à Hedebouw de ne pas avoir répondu à l’un de ses messages. Le leader du PTB, chemise blanche, finit par monter sur la scène, sous les applaudissements d’un public conquis, avec une bonne demi-heure de retard : « Après ce speech, je me rendrai à l’hôpital. Mais je vous rassure, je vais bien. Il en faudra bien plus pour nous faire taire », lance-t-il pour se chauffer, sous un ciel gris. « Aujourd’hui, nous sommes beaucoup plus nombreux que nous ne l’étions l’an dernier. Un vent traverse l’Europe, pour retourner aux vraies valeurs de gauche. […] Nous n’acceptons plus l’arrogance des libéraux qui répètent qu’il n’y a plus d’alternatives aux valeurs libérales ! »

Sur l’estrade, Hedebouw fait une tête de plus que tout le monde et l’on ne voit que lui. Il parle avec un accent liégeois typique, sans que l’on sache vraiment s’il le force ou pas, pour en rajouter sur ses origines populaires. L’accent dévoile ses origines : le député est né dans les environs, à Herstal, une ville connue de toute la Belgique pour héberger le siège d’un grand groupe d’armement, FN Herstal. Cette commune industrielle est aussi devenue l’un des fiefs du PTB, ce parti marxiste-léniniste, adversaire de l’UE, en train de bousculer de fond en comble les gauches du royaume. Jusqu’à présent, le paysage était archi-dominé par le parti socialiste, qui a longtemps joué un rôle comparable au PC français, grâce, en particulier, à sa proximité avec les syndicats francophones. Les choses sont en train de changer.

Il faut prendre cet indicateur avec prudence, notamment parce qu’il n’y a pas d’élections prévues en Belgique d’ici fin 2018. Mais un sondage, en mars, a servi de détonateur dans le débat public : pour la première fois, le PTB, longtemps abonné aux scores ultra-confidentiels, était donné devant le PS d’Elio Di Rupo en Wallonie, la région francophone du sud de la Belgique (3,6 millions d’habitants, sur un total de 11 millions à l’échelle du pays). Dans la région de Bruxelles, le PTB progresse aussi. « Tous nos paramètres sont au rouge, comme on dit chez nous », s’amuse Hedebouw, que l’on retrouve pour un entretien, dans une brasserie du centre de la capitale. Il se félicite, pêle-mêle, du doublement du nombre des membres du parti en sept ans, à 10 000 environ aujourd’hui, ou encore du succès grandissant de ManiFiesta, la fête annuelle du PTB en septembre, calquée sur la Fête de l’Huma en France.

Né en 1977 de parents flamands, des ouvriers venus travailler dans la région liégeoise (dont le père, Hubert, était déjà au PTB), Hedebouw est parfaitement bilingue. Dans un pays profondément divisé sur les questions linguistiques et identitaires, c’est une qualité plutôt rare, au sein de la scène politique francophone. Si l’on en croit son livre d’entretiens devenu un best-seller (Première à gauche, 2013), un déclic l’amène à la politique : sa mère, déléguée syndicale chez Sherwood Medical, a été licenciée en 1992, en même temps qu’une autre syndicaliste de cet équipementier médical. En signe de protestation, les deux femmes vont camper dans une caravane, devant l’usine, durant un hiver. L’adolescent en conclut alors qu’« en Belgique, les droits de l’homme s’arrêtent aux portes des entreprises ».

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Le succès du PTB doit beaucoup à la popularité d’Hedebouw, biologiste de formation, grande gueule et toujours très à l’aise sur les plateaux de télévision. « Raoul Hedebouw était inconnu il y a encore sept ans. Maintenant, tout le monde sait qui il est », assure Jean Faniel, le patron du CRISP, l’un des observatoires de référence de la vie politique belge. Mais la dynamique dépasse de loin la seule personnalité de « cool Raoul ». « Même Eden Hazard [footballeur international belge qui joue au Chelsea FC – ndlr], seul sur le terrain, il ne sait pas jouer, il lui faut une équipe », résume Michael Verbauwhede, un député régional né en 1985, qui fait partie de la jeune garde du parti, issu du militantisme étudiant. Au-delà du cas Hedebouw, comment le PTB en est-il arrivé là ?

« Le succès du PTB, c’est la manifestation format belge francophone de l’insurrection que l’on observe un peu partout en Europe, résume de son côté l’écologiste belge Philippe Lamberts. Quand vous votez à droite, vous avez des politiques néolibérales, et quand vous votez à gauche, vous avez des politiques néolibérales. À un moment, vous dites : O.K., il faut autre chose. Et c’est ce qu’il se passe en Belgique avec le PTB. »

Le PTB, décalque belge de Podemos, ce mouvement espagnol surgi en 2014 pour porter l’« indignation » ? Ou avatar, outre-Quiévrain, de La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon ? Hedebouw, on le verra plus loin, assume une proximité avec ces dynamiques qui tentent de dépasser, chacune à sa manière, la forme traditionnelle du parti, pour renouveler l’offre politique à gauche. Mais le PTB reste un cas à part, sur la carte des gauches européennes. « Le PTB est PTBiste », a coutume de dire son porte-parole vedette. C’est une exception déroutante et difficile à appréhender : alors que partout sur le continent, ce sont des nouveaux venus qui ont émergé en réponse à la crise, le PTB, lui, est un vieux parti révolutionnaire né en 1968, aux racines maoïstes, et rigide dans son organisation.

Lorsqu’on lui parle de la stratégie de Podemos en Espagne, Hedebouw évacue, sans détour : « Moi, le ni gauche ni droite, je n’y crois pas. On réclame le droit de dire un “fuck you” de gauche, idéologiquement. » Il insiste, quitte à paraître à contre-courant de l’air du temps : « Je crois vraiment à la forme du parti. Le fond du débat, ce n’est pas la forme du parti, c’est le type de démocratie que l’on veut construire. J’ai déjà observé des dynamiques plus horizontales, et cela peut être valable dans des mouvements en formation. Mais à un moment, il faut structurer la démocratie. On ne va pas tourner autour du pot. Y compris pour des mouvements qui se réclament de la démocratie directe, c’est quand même la démocratie des grandes gueules qui l’emporte. »

Un changement de stratégie à partir de 2003

À l’origine baptisé TPO-AMADA (« Tout le pouvoir aux ouvriers » / « Alle macht dan de arbeiders »), le parti naît à l’initiative d’un groupe d’étudiants, la plupart issus de l’université flamande de Louvain (KUL). Ils se radicalisent, pris dans le tourbillon de Mai-68. « Ce sont des gens qui viennent de la classe moyenne, à la fibre plutôt catholique », décrit le journaliste François Brabant, fin connaisseur du PTB d’aujourd’hui. La formation prend le nom de PTB dès 1979 et s’installe, sous la présidence de Ludo Martens, dans une triple référence, au stalinisme, au marxisme-léninisme et au maoïsme. Il ne l’a jamais, depuis, formellement abandonnée. À l’échelle européenne, le PTB est l’un des rares partis « mao » à avoir survécu et même à avoir gardé son nom d’origine.

Durant des décennies, le parti cherche à s’implanter, par ses « groupes de base », dans les quartiers comme les entreprises. Mais il reste confidentiel, abonné aux scores sous la barre des 1 % dans les urnes nationales. Selon le récit des dirigeants actuels, un déclic se produit en 2003, après des résultats électoraux décevants. « On s’est dit, il y a un truc qui cloche. On milite depuis plus de 20 ans, et même dans les bastions industriels, on reste bloqué à 1-2 % », expliquait Hedebouw il y a quelques années. C’est le début d’une longue mue. Hedebouw devient porte-parole en 2006. « On n’avait même pas de porte-parole jusqu’alors. On a rédigé notre premier communiqué de presse en 2005. Avant, on était persuadés que la presse capitaliste ne nous reprendrait pas », raconte aujourd’hui le leader.

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Au congrès de 2008, le symbole de la faucille et du marteau est mis de côté. La crise financière éclate la même année ; les sauvetages bancaires se multiplient et les inégalités se creusent. Aux régionales de 2009, le PTB connaît sa première véritable poussée dans les urnes, avec un slogan qui a marqué les esprits : « Stop au cirque politique ». Sur les affiches de campagne, le parti se moquait des principaux dirigeants du royaume, affublés d’un nez rouge, comme l’avaient déjà fait, quelques années plus tôt, leurs camarades du parti socialiste (SP) aux Pays-Bas. « Aux alentours de 2005, le PTB réalise un vrai tournant. Ils veulent formuler des propositions plus concrètes et communiquer davantage dans les grands médias », confirme Jean Faniel. Sur le terrain, les militants s’investissent pour la suppression de la redevance télévisuelle en Wallonie, ou la réforme des taxes sur les sacs-poubelle. « Est-ce que l’on convainc les gens en étant dans le concret, en bâtissant ensemble de la pédagogie politique, ou alors on s’en fout complètement d’être compris et on balance la vérité, ou en tout cas “sa” vérité ? C’est un débat qui traverse toutes les gauches », commente Hedebouw.

Symbole de cette évolution, le PTB a mis de côté l’un de ses slogans d’antan, « Faites payer les riches ! », pour mieux défendre aujourd’hui la « taxe des millionnaires », l’une de ses propositions vedettes. C’est une taxe sur les 1, 2 ou 3 % du patrimoine, selon que les fortunes en question dépassent un, deux ou trois millions d’euros. Aussi simple que cela. « En Belgique, il n’y a pas d’ISF, et c’est un mécanisme qui toucherait, à 90 %, les 1 % les plus riches du pays », explique Marco Van Hees à Mediapart.

Aux côtés d’Hedebouw, Van Hees est l’autre député fédéral du PTB, depuis 2014 (ils ne sont que deux, sur un total de 150 élus). Ce dernier n’est pas pour rien, non plus, dans l’ascension médiatique du PTB. Fonctionnaire du ministère des finances, entré au PTB dès 1993, il s’est imposé comme l’une des références, dans le débat public, sur la fiscalité belge et ses travers. Dès qu’une multinationale licencie sur le sol belge, de Caterpillar à ArcelorMittal, c’est lui qui calcule les cadeaux fiscaux, souvent faramineux, que l’État belge lui a faits au cours des décennies. Il est l’auteur, chaque année, d’un « top 50 des ristournes fiscales », où il s’en donne à cœur joie, notamment sur la fortune d’Albert Frère.

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Il est aussi l’un de ceux qui ont mis au jour les « intérêts notionnels », un type de niches fiscales qui n’existe qu’en Belgique et qui profite massivement aux grandes entreprises. Van Hees a dénoncé ce mécanisme dans un best-seller de 2007 consacré au ministre Didier Reynders, « l’homme qui parle à l’oreille des riches ». À travers ses alertes dans la presse et son expertise, il a rendu le programme du PTB plus crédible auprès du grand public. Preuve que sa réputation dépasse les frontières belges, ce « trublion des finances » apparaît aussi dans Merci Patron !, le documentaire césarisé de François Ruffin. « On est un paradis fiscal pour les grandes sociétés, mais pas pour les PME, ni encore pour les travailleurs », assure-t-il, avant de plaider pour une réforme de fond en comble de la courbe d’imposition des revenus (les petits revenus sont fortement imposés en Belgique).

Comme beaucoup de ses collègues du PTB, Marco Van Hees en veut beaucoup au PS francophone, qui a participé à toutes les coalitions au niveau fédéral, de 1988 à 2014. Dans son programme, le PS promet à chaque élection l’instauration d’un impôt sur la fortune. Mais il ne l’a jamais mis en œuvre quand il était aux affaires. « Le PS a totalement laissé ce dossier de la fiscalité aux libéraux, qui en ont fait leur cheval de bataille dans les gouvernements de coalition. Il y a eu un partage des rôles : le PS, c’était le social, et les libéraux, c’était le fiscal, analyse Van Hees. Quand j’ai sorti mon livre sur Reynders en 2007, Di Rupo [le patron du PS – ndlr] m’a invité chez lui pour en discuter. Il a reconnu qu’ils n’avaient pas été très vigilants sur ces questions. »

Assise dans le canapé de son bureau de députée à Bruxelles, Laurette Onkelinx, l’une des figures du PS belge, ancienne ministre du gouvernement Di Rupo, refuse tout mea culpa dans cette affaire. « Cette histoire d’un partage des rôles, c’est totalement faux, juge-t-elle. L’impôt minimum sur les grandes entreprises qui distribuent des dividendes, c’est nous qui l’avons imposé. L’augmentation du précompte immobilier [un impôt sur les biens immobiliers – ndlr], c’est nous aussi. On n’a pas arrêté. »

« Dans un pays comme la Belgique, vous ne pouvez jamais travailler en dehors de compromis, poursuit la socialiste, qui elle aussi revendique des racines liégeoises. Lors du dernier gouvernement, on sortait d’une crise politique de plus de 500 jours. Les partis flamands avaient accepté de venir à la table des négociations, à condition de respecter certains éléments de leur programme. Et la Flandre est beaucoup plus à droite que Bruxelles ou la Wallonie. Mais si l’on explique ça à un électeur du PTB, il s’en fout. C’est notre difficulté. À chaque fois que le PS ne remplit pas à 100 % son programme, ils ont des éléments pour nous critiquer. À nous de rappeler qu’on a été capables de consolider la Sécu ou d’améliorer les droits des travailleurs. »

« Ils sont incapables de penser une société civile autonome »

D’une certaine manière, l’eurodéputé Philippe Lamberts ne dit pas autre chose, lorsqu’il juge que l’exercice du pouvoir, pour son parti Ecolo, s’est accompagné d’une série de renoncements symboliques, qu’il paie cher aujourd’hui. « C’est normal d’aller au compromis quand on gouverne. Mais il y a des batailles que nous n’avons pas menées, quand on était au gouvernement [de 1999 à 2003 au fédéral, notamment – ndlr]. Dans les années 2000, Ecolo a fait le choix de devenir un parti tiède. Les gens ne nous reprocheront jamais de ne pas gagner toutes les batailles. Mais ils veulent que l’on se batte. Sur le TSCG [ce minitraité qui renforce la discipline budgétaire en Europe – ndlr], on ne s’est pas battus. Aujourd’hui, les gens préfèrent aller chez les vrais combattants. »

Quand il parle du PS, Hedebouw, bien sûr, ne mâche pas ses mots. « Chez nous [en Belgique – ndlr], on a un PS qui est soi-disant le plus à gauche d’Europe. Moi, je n’ai rien connu d’autre dans ma vie que le PS au pouvoir : privatisation de la banque et des chemins de fer, libéralisation de l’énergie… En gros, tous les dogmes imposés par l’UE ont été appliqués avec un grand enthousiasme par les deux partis sociaux-démocrates [le PS francophone, et le SP.A flamand – ndlr] », assure-t-il. Au PS, la poussée du PTB en angoisse plus d’un. D’autant qu’Elio Di Rupo, qui n’incarne pas, à 65 ans, le renouveau politique, semble s’accrocher à la direction du parti. « Je regarde les sondages avec sérieux, mais la panique est mauvaise conseillère », élude Laurette Onkelinx.

La députée sait qu’en France, aux Pays-Bas ou encore en Espagne, les sociaux-démocrates sont tous en net recul. Mais elle veut croire que le PS francophone est un cas à part. Elle rappelle que le PS est arrivé largement en tête en Wallonie, aux générales de 2014, alors même qu’il sortait d’une longue période d’exercice du pouvoir. Elle juge aussi que les bons sondages du PTB sont en partie liés à un facteur très particulier : le scandale Publifin, une vaste affaire d’enrichissement illégal d’élus qui a frappé certains barons du PS dans la province de Liège et choqué nombre de citoyens depuis le début de l’année, ou encore celle qui a provoqué la démission du maire PS de Bruxelles jeudi 8 juin.

La socialiste Laurette Onkelinx, alors ministre, le 18 novembre 2012 à Bruxelles © Sebastien Pirlet / Reuters. La socialiste Laurette Onkelinx, alors ministre, le 18 novembre 2012 à Bruxelles © Sebastien Pirlet / Reuters.

Si Paul Magnette, le bourgmestre (maire) PS de Charleroi, n’exclut pas, un jour, la possibilité d’un gouvernement des gauches (PS-Ecolo-PTB), Onkelinx, elle, se fait plus prudente. « C’est un vieux parti marxiste-léniniste, qui a modernisé et personnalisé sa communication, qui cherche à convaincre, non pas sur sa vision de la société, mais sur la base de quelques propositions phare, comme la taxe des millionnaires et le passage aux 32 heures, juge-t-elle. Mais je suis une amoureuse de la paix, et eux plaident pour la guerre civile, pour leur permettre d’installer leur vision, la dictature du prolétariat. Je ne crois pas que ce soit conciliable. » Et la députée de critiquer le comportement des élus PTB au sein des institutions démocratiques : « Ils utilisent le Parlement comme une tribune. Ils s’adressent chaque semaine aux députés comme à des élites bourgeoises qu’il faudrait gommer. Ils ne sont pas du tout impliqués dans un travail parlementaire de fond. »

Pour Lamberts, le désaccord de fond porte, là encore, sur la conception de la démocratie. « C’est un vrai parti marxiste-léniniste, qui se pense comme l’expression du peuple. Aucune conquête sociale ne se fait sans un rapport de force social, bien sûr. Mais ils ont tendance à se penser eux-mêmes comme des mouvements sociaux. C’est une confusion problématique. Au fond, ils ont un mépris pour les institutions démocratiques. On en reste au modèle chinois, qui [pose] que le parti sait ce qui est bon pour le peuple et que le peuple n’a qu’à faire confiance. Ils sont incapables de penser une société civile autonome. »

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Dans un livre publié en 2014, l’universitaire Pascal Delwit a livré une charge musclée contre le PTB. Il y décrit une « double ligne » au sein du parti. D’un côté, la « ligne interne », qu’il appelle « la cuisine » (« où dans l’entre-soi, l’avenir du marxisme-léninisme et de la révolution socialiste est débattu et rêvé »). De l’autre, « la ligne externe », ou encore « la salle de restaurant » (« où le PTB se donne à voir comme un gentil parti social-démocrate réformateur lors des élections »). Au-delà d’une com’ rajeunie et plus efficace, le parti continuerait donc à chérir Staline et Mao. Le dangereux PTB avancerait masqué.

La structure très verticale du PTB tend à accréditer l’hypothèse. Au sein de l’organisation, on distingue jusqu’à quatre types de membres, selon le degré d’investissement et le montant de la cotisation qu’ils s’engagent à reverser au parti (les véritables « militants », eux, acceptent de vivre avec un salaire qui ne dépasse pas les 1 800 euros net par mois, transférant le reste au parti). La formation continuait, jusqu’à peu, de faire lire à ses nouveaux venus Le Parti de la révolution, un texte de 1995 rédigé par son fondateur, Ludo Martens, dont un chapitre est consacré, dans une rhétorique pour le moins douteuse, à « rectifier et épurer » les futurs cadres du parti.

Au sein du CRISP, le politologue Jean Faniel se montre moins sévère et définitif que Pascal Delwit. Il insiste sur la dimension dynamique de l’analyse et n’exclut pas que la vieille direction, en partie composée des fondateurs staliniens, se fasse déborder par une base plus diverse et plus jeune. « Le parti est en train de se transformer. Que ses vieux caciques, comme il semble encore y en avoir, le veuillent ou non. S’il devait y avoir, à un moment donné, une reprise en main des marxistes-léninistes de la première heure, ils prendraient le risque d’un départ massif des nouveaux venus, estime Faniel. Mais la question de fond, celle de leurs objectifs, reste grande ouverte : veulent-ils devenir un parti plutôt réformiste, avec une représentation parlementaire forte, ou alors rester un parti révolutionnaire ? »

C’est l’un des talons d’Achille du PTB, et leur adversaire socialiste Paul Magnette l’a bien compris, qui leur tend la main dans les débats (voir la vidéo ci-dessous) : il n’est pas question, pour le PTB, de prendre le pouvoir à court terme. À l’échelon local, il est tout de même au pouvoir dans un district pauvre d’Anvers, Borgerhout, grâce à une coalition avec les socialistes et les écologistes flamands. Mais au niveau fédéral, c’est une tout autre histoire. « En Belgique, on a des coalitions dictées par la proportionnelle. On ne va pas monter un pouvoir avec des partis qui imposent l’austérité. Et ici, tous les partis sont pour l’austérité, sauf nous », assure Hedebouw. En résumé, hors de question de participer à une alliance des gauches pour un exécutif fédéral…, à moins que le PS n’évolue et ne rejette les traités européens.

« Dans l’état actuel des choses, ce n’est pas possible, tranche, lui aussi, Michael Verbauwhede. On ne veut pas le pouvoir à n’importe quel prix. À Bruxelles, le PS mène une politique de gentrification de la ville avec laquelle on ne peut pas être d’accord. Regardez ce que fait Magnette à Charleroi [dont il est maire – ndlr] : il est en opposition frontale avec les syndicats là-bas, ouvre un énorme centre commercial… Maintenant, cela ne veut pas dire qu’une nouvelle génération ne finira pas par faire évoluer le PS et provoquer une rupture. »

Pour comprendre la position jusqu’au-boutiste du PTB, Hedebouw rappelle souvent la trajectoire du parti communiste italien, une formation de masse qui s’est trouvée laminée par l’exercice du pouvoir et la pratique du compromis. L’épisode du renoncement d’Alexis Tsipras, dans son bras de fer avec Bruxelles à l’été 2015, l’a aussi fait réfléchir. « Je ne critique pas le fait que Tsipras ait dû laisser tomber, à un moment… Mais je critique le fait qu’il cautionne le fait qu’il ait dû laisser tomber. Qu’à un moment donné, on doive faire un pas en arrière, parce que le rapport de force ne nous est pas favorable, ça, je peux l’entendre. Mais il ne l’a pas reconnu. » En 2017, Hedebouw et ses camarades estiment clairement que le rapport de force n’est pas encore mûr pour tenter une aventure aux côtés de sociaux-démocrates, comme l’a fait Die Linke en Allemagne, ou le parti socialiste (SP, gauche critique) aux Pays-Bas.

La Flandre, talon d’Achille

À l’échelle européenne, le PTB reste isolé. Un peu plus radical que les autres. Mais il regarde bien sûr de très près le mouvement insoumis de Jean-Luc Mélenchon (que Hedebouw ne connaît pas personnellement). Verbauwhede, par exemple, a assisté à l’un des meetings de campagne de Mélenchon. C’était à Marseille, en avril. Le Bruxellois en est sorti totalement conquis, même s’il doute de la « durabilité » du mouvement insoumis, qu’il juge « trop focalisé sur la présidentielle », pas assez structuré à moyen terme.

« Indiscutablement, nos réponses politiques à la crise de la social-démocratie sont assez similaires, juge Hedebouw. L’idée que la superstructure européenne a fait son temps, qu’il faut repartir de zéro, qu’une mobilisation populaire est nécessaire pour y parvenir… Tout cela va dans le même sens. » Avant d’énoncer une réserve sur ce qu’il appelle « le côté un peu franchouillard » du leader des Insoumis. « Je ne crois pas qu’un repli national soit indispensable. En quoi le retrait des travailleurs britanniques de l’UE est une avancée pour la classe ouvrière du Royaume-Uni ? Je ne le vois toujours pas. L’infrastructure économique européenne est quasiment européanisée. Il faut donc organiser la riposte à l’échelle européenne. »

La vraie faiblesse du PTB est sans doute à chercher au nord du pays. En Flandre, là où les nationalistes de la N-VA, ultra-majoritaires, ont modifié de fond en comble le paysage politique, en déplaçant très à droite son centre de gravité. Comme aiment le rappeler ses dirigeants, le PTB est le seul parti national de Belgique. C’est-à-dire que le PTB et son versant flamand, le PVDA, ne font qu’un et obéissent à la même direction (ce qui n’est pas le cas des autres formations, toutes scindées en deux, au nord et au sud du pays). Il est attaché à l’unité de la Belgique et opposé à toute forme de nationalisme et autres indépendantismes. Mais à l’exception de quelques enclaves, dont le laboratoire de Borgerhout, à Anvers, l’équation flamande pour le PTB est ardue. C’est d’ailleurs la nouvelle mission de Hedebouw, qui, depuis le début d’année, arpente la région, de Gand à Hasselt, en amont des élections de la fin 2018.

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« Toute la difficulté pour le PTB en Flandre, c’est que le réceptacle de la colère populaire s’appelle Bart de Wever [le patron de la N-VA et maire d’Anvers – ndlr], explique le journaliste François Brabant. Le PTB va donc devoir faire tout un travail pour éjecter la N-VA. Cela paraît compliqué. D’autant que la Flandre est l’une des cinq régions les plus riches d’Europe, où tout le monde roule avec de grosses Audi. Structurellement, c’est une terre plus à droite, avec des médias également plus conservateurs. » Dans le nord du pays, Groen, le parti vert flamand, affiche aussi une meilleure santé que son pendant francophone, Ecolo, dans le sud du pays. Ce qui réduit un peu plus l’espace politique du PVDA.

« Le plus important pour un parti politique, c’est de ne pas être un feu de paille. Il faut construire du vrai, martèle Hedebouw. J’en ai marre de cette politique de la boîte de conserve. On nous fait bouffer de l’industriel au niveau de nos estomacs. On nous fait aussi bouffer de l’industriel au niveau de nos cerveaux. Pour faire du vrai, on doit être sur le terrain, avec de vraies gens. Un parti doit organiser tout ça. » Face au défi flamand, le PTB avance toujours la même réponse, qui est l’une des clés de son succès : ce patient maillage du territoire, des décennies durant, qui finit par porter ses fruits.

À l’université, c’est le travail de COMAC (pour « communistes et actifs »), un vivier de leaders étudiants, que l’universitaire Delwit qualifie d’« unique organisation de jeunesse politique de gauche visible sur les campus ». Les responsables du PTB gagnent aussi du terrain au sein des syndicats, le leader de la FGTB, l’une des grandes centrales du pays, proche du PS, allant jusqu’à dénoncer l’« entrisme » des militants dans ses rangs. « Le PTB n’a pas pris la main sur la FGTB, assure Marc Goblet à Mediapart. Mais inévitablement, beaucoup de travailleurs se tournent vers eux. À la FGTB, on a toujours été clairs : ce sont les lignes du syndicat qui s’imposent, et sûrement pas la ligne du parti. » La poussée du PTB au sein de la FGTB, difficile à quantifier, est source d’infinies tensions dans le sud du pays, qui devraient encore s’intensifier à l’approche des élections générales l’an prochain.

Mais l’une des caractéristiques les plus étonnantes de ce maillage réside dans un réseau de maisons médicales estampillées « Médecine pour le peuple ». En tout, une cinquantaine de médecins travaillent dans onze établissements à travers tout le pays, où ils proposent des soins gratuits (grâce à un accord avec les pouvoirs publics pour le remboursement des prestations, au coup par coup). Dans les années 1970, le parti qui allait devenir le PTB comptait déjà des étudiants en médecine parmi ses fondateurs. Le droit à la santé, en Belgique, comme dans les pays du sud, a longtemps structuré leurs luttes.

À Seraing, un bastion industriel qui s’étend sur des collines vallonnées près de Liège, la maison médicale, ouverte en 1983, compte aujourd’hui quelque 1 100 patients, sur un bassin de 65 000 habitants. On est ici au cœur de la logique du PTB : construire des institutions autonomes, à défaut de prendre le pouvoir à court terme, pour prouver que des alternatives sont possibles. « Tout le monde est le bienvenu. La santé est un droit pour tous, pas juste pour les ouvriers ou les personnes précarisées, prévient Muriel Krammisch, l’un des médecins du lieu. Comme on le dit souvent, même Albert Frère [l’homme le plus riche de Belgique – ndlr] a le droit de venir en maison médicale, s’il paie correctement ses impôts. »

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La géographie des maisons médicales recoupe en bonne partie celle des fiefs électoraux du PTB. Mais ses cadres l’assurent : il n’est pas nécessaire d’avoir sa carte au parti pour bénéficier des soins. Dans la salle d’attente à Seraing, les affiches pro-PTB, ou contre la politique de l’actuelle ministre de la santé (de droite), recouvrent tout de même les murs. « On doit agir avec nos patients pour changer cette société qui nous rend malades. Donc oui, on discute de tout avec eux, y compris de la taxe des millionnaires. Cela fait partie d’un travail de conscientisation », explique Muriel Krammisch. À 29 ans, elle est aussi conseillère municipale PTB à Seraing. Ici, le personnel soignant assure qu’il ne se contente pas seulement de soigner les gens et insiste sur la prévention.

Avec d’autres collègues, Krammisch a participé, quelques jours plus tôt, à une action aux Pays-Bas voisins. Ils ont pris d’assaut une pharmacie à Maastricht, pour dénoncer le prix élevé, en comparaison, des médicaments en Belgique. C’est l’un des chevaux de bataille du PTB, l’instauration du « modèle kiwi », tel qu’il se pratique déjà, assure le PTB, en Nouvelle-Zélande ou aux Pays-Bas : l’État organiserait des appels d’offres, afin de mettre en concurrence l’ensemble des fabricants d’un même médicament qui n’est plus sous brevet. Ce qui devrait permettre de faire baisser fortement, veulent-ils croire, le prix de certaines molécules. Pour le journaliste François Brabant, qui insiste sur les origines catholiques et tiers-mondistes du PTB, « il reste quelque chose d’une logique évangélisatrice, avec ces gens ultra-motivés, qui reversent une partie de leur salaire au parti. Ils me font penser à ces franciscains qui vivaient autrefois dans le dénuement ».

Le PTB réussira-t-il son échappée flamande ? Son succès, dans le sud wallon, a déjà changé la donne politique dans le royaume. Le paysage belge se banalise, comparé à ses voisins européens. La critique de l’UE a longtemps joué en sourdine, en Belgique, en partie parce que le pays est l’un des fondateurs de l’Europe, en partie parce qu’il héberge une bonne part des institutions européennes. Cette fois, la critique de l’UE ne semble plus ultra-minoritaire. Elle se fait entendre sur les plateaux de télévision à large audience. « Depuis la crise de 2008, il y a une prise de conscience que l’UE ne va pas apporter le bonheur des peuples », veut croire Hedebouw, qui rappelle que « beaucoup de travailleurs belges sont originaires, à deux ou trois générations, des fameux pays d’Europe du Sud, les fameux PIGS, qui ont été tellement maltraités pendant la crise ».

« C’est vrai que les choses sont peut-être en train de changer. Mais si c’est le cas, ce n’est pas lié au PTB, mais d’abord à l’euroscepticisme du Vlaams Belang [parti d’extrême droite belge – ndlr] ou de la N-VA, qui pèse beaucoup plus en Flandre que le PTB ne pèse en Wallonie », relativise Jean Faniel, au CRISP, qui n’observe pas, pour l’instant, de « rupture du consensus europhile à l’échelle du pays ». À l’automne dernier, le socialiste Paul Magnette, qui dirige la Wallonie, avait failli tuer le CETA, le traité de libre-échange entre l’UE et le Canada. C’est aussi la preuve que la contestation de l’UE gagne aussi les rangs sociaux-démocrates. En partie sous la pression du PTB.

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Boite Noire

Tous les entretiens ont été réalisés en avril et en mai 2017, en face-à-face, à Bruxelles, Liège et Seraing. Personne n’a demandé à relire ses propos.