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Face à Valls, les autres gauches irréconciliables

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Lien publiée le 16 juin 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Mediapart) Dans la première circonscription de l'Essonne, Manuel Valls brigue un quatrième mandat de député. Il est en ballottage avec Farida Amrani, candidate de La France insoumise, qui veut faire tomber celui qui incarne « tout ce qu’on ne veut plus voir en politique ». Mais les désaccords avec le candidat PCF, vaincu au premier tour, pourraient lui coûter les voix qu'il lui manque pour gagner au second.

Dans la première circonscription de l'Essonne, Manuel Valls brigue un quatrième mandat de député. Il est en ballottage avec Farida Amrani, candidate de La France insoumise, qui veut faire tomber celui qui incarne « tout ce qu’on ne veut plus voir en politique ». Mais les désaccords avec le candidat PCF, vaincu au premier tour, pourraient lui coûter les voix qu'il lui manque pour gagner au second.

Permanence de Manuel Valls à Corbeil-Essonnes. © L.E.Permanence de Manuel Valls à Corbeil-Essonnes. © L.E.

« Vous êtes venus chez moi ! » lance un homme, hilare, depuis la fenêtre de sa Clio. « Vous avez parlé à ma femme, j’ai vu votre tract et j’ai voté pour vous ! » Eux, ce sont Farida Amrani et Ulysse Rabaté, la candidate France insoumise et son suppléant, qui affrontent Manuel Valls, député sortant, au second tour des législatives dans la 1re circonscription de l’Essonne (Évry, Courcouronnes, Corbeil-Essonnes, Bondoufle, Villabé et Lisses). Dimanche, ils y ont obtenu 17,61 % des voix contre 25,45 % pour l’ancien premier ministre.

Dans la cité des Tarterêts, à Corbeil-Essonnes. © L.E. Dans la cité des Tarterêts, à Corbeil-Essonnes. © L.E.

Avec un taux de 59,89 %, l’abstention est encore plus forte ici qu’au niveau national. Ce mardi soir, les candidats vont au contact des habitants de la cité des Tarterêts (Corbeil-Essonnes) pour tenter de mobiliser un fort électorat potentiel qui leur a fait défaut au premier tour. Des femmes, assises en demi-cercle sur le trottoir, vendent tissus et boissons fraîches. L’une d’entre elles, vêtue d’un pagne : « Valls nous aime pas. SDieu le veut, on va le battre. »

« On pensait que le rejet de Valls aurait plus mobilisé », se désole Ulysse Rabaté, qui vit à Corbeil-Essonnes, dont il est conseiller municipal d’opposition (PCF). « Il y a un fort désintérêt de la politique, et on combat quelqu’un qui en est responsable en grande partie. Ici, c’est la circonscription de Dassault [Serge, ancien maire de Corbeil et sénateur de l’Essonne – nldr] et Valls, ils l’ont beaucoup abîmée et ont creusé le fossé entre les citoyens et la politique. » Dans le bureau de vote le plus proche, l’abstention s’est élevée à 81 %. « Il y a un paradoxe, note-t-ilC’est le bureau où nous faisons le meilleur score à la présidentielle et le plus mauvais aux municipales. » Parmi les causes que relève le suppléant : le clientélisme et les inclinations mafieuses, documentés depuis des années par Mediapart.

« Il y a une seule chose avec laquelle nous sommes d'accord avec Valls, reprend Rabaté l’insoumis. Il y a effectivement un “choix clair” dans ce second tourCe sont deux visions de la société qui s’affrontent. » Au premier tour, 22 candidats étaient en lice, parmi lesquels les médiatiques Dieudonné ainsi que Francis Lalanne. Tous, sauf un, « avaient en commun de ne pas se retrouver dans ce qu’incarne Valls : tout ce qu’on ne veut plus voir en politique. Cette vision est majoritaire dans la circonscription », estime Ulysse Rabaté.

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Une femme, la cinquantaine, drapée dans un long foulard bleu gris, interpelle les militants à la volée : « C’est pas encore fini ? Vous croyez que vous allez faire changer les gens d’avis à la dernière minute ? » tempête-t-elle, alors que la petite fille à qui elle tient la main trépigne. « Entre la peste et le choléra, de toute façon, c’est la mort au bout », dit-elle, sans savoir qu’elle se trouve en face de la candidate insoumise. « Valls, c’est la peste et le choléra », lui rétorque Farida Amrani. La dame ne veut rien savoir. Elle n’y croit plus. « Dans le quartier, on n’a plus d’éclairage public. À chaque fois que je demande, on me renvoie vers la municipalité, qui me dit d’aller voir le conseil départemental… À cause de ça, les gens n’ont pas pu aller à la mosquée, c’est des petits vieux ! » Farida Amrani acquiesce et compatit. « Ça fait quarante ans que j’habite ici, il n’y a pas de raison que ça change ! » conclut, désabusée, cette habitante des Tarterêts.

Ulysse Rabaté (gauche) discute avec des jeunes habitants des Tarterêts © L.E. Ulysse Rabaté (gauche) discute avec des jeunes habitants des Tarterêts © L.E.

« C’est ces mecs qui se sont pas réveillés dimanche ! » rit un jeune homme, plus loin, accablant ses camarades devant les candidats : « Moi, je leur enlève leur nationalité ! » Les références à Valls sont légion ce soir-là, à deux pas de l’endroit où il a été traité de « girouette » par un habitant des Tarterêts, dans une vidéo, reprise notamment par Dieudonné pour sa campagne. Joe, habitant des Tarterêts, pas loin de la trentaine, est venu donner un coup de main aux militants pour faire chuter l’ancien premier ministre : « Toute la France regarde la première circonscription. Valls a fait du mal à la France. La question, c'est : “Est-ce que nous sommes capables de lui mettre la claque qu’il mérite ?” » Il fait de cette élection une affaire presque personnelle : « Honte à moi le premier si on n’y arrive pas. »

« Ils cherchaient Valls, c’est tout ce que je sais ! »

Jeudi matin, séance de tractage dans les allées du marché d’Évry. Autour de Farida Amrani gravitent micros et caméras. Quelques heures plus tôt, celle qui est élue municipale à Évry, cadre dans l’administration territoriale et syndicaliste, répondait, nous dit-elle, aux questions de Radio Canada et de la télévision marocaine 2M. Mohammed, chargé de communication de la candidate, s’agace des questions de certains journalistes : « La personne qui regardera l’émission, je ne suis pas sûr qu’elle soit intéressée par la nuance de bleu sur nos tracts. » Ce second tour est devenu un événement national, sinon plus. « Tout le monde se pose la question de savoir comment une “inconnue du grand public” peut être en position de battre Valls. C’est la preuve que tout est possible ! » se réjouit Farida Amrani.

Farida Amrani répond aux journalistes sur le marché d'Évry. © L.E. Farida Amrani répond aux journalistes sur le marché d'Évry. © L.E.

Les deux insoumis reçoivent un large appui en dehors de leur circonscription. Chercheurs, politiques, associatifs, membres de la société civile ont notamment appelé publiquement à soutenir cette candidature dans une tribune publiée dans le Club de Mediapart. « Ah tiens, on a reçu un beau message de Pouria [Amirshahi, député qui a quitté le PS au cours de son mandat – ndlr] sur Twitter ! » salue Mohammed. « Ah, il tape fort ! » s’amuse Ulysse Rabaté.

Capture d'écran Twitter Capture d'écran Twitter

Une contradiction relevée par ce dernier : « Il y a un énorme engouement national autour de notre candidature, dans laquelle beaucoup de gens se reconnaissent. Mais ce ne sont pas eux qui votent ici. » Vengeur, Benoît Hamon, qui avait soutenu le candidat PCF Michel Nouaille au premier tour, appelle maintenant à voter Amrani pour battre Valls, « sans hésiter ». Une commerçante commente la déferlante de journalistes qui vient de passer devant son stand de traiteur : « Ils cherchaient Valls, c’est tout ce que je sais ! »

De son côté, celui-ci mène une campagne bien plus discrète. Jointe par tous les canaux imaginables, son équipe n’a pas donné suite aux demandes répétées d’entretien. Sur Twitter, la #TeamValls s’applique à relayer les événements auxquels il participe, a posteriori seulement. L’ancien maire d’Évry, qui brigue un quatrième mandat de député, ne s’adresse qu’à la presse locale. « Manuel Valls fait la campagne la plus discrète possible. Dès qu'il y a un peu de bruit, çréveille des tensions et ça joue contre lui, tance Ulysse Rabaté. Il compte sur une abstention record pour garder le pouvoir. »

Ni le parti socialiste ni La République en marche (LREM) ne l'ont investi, mais aucun ne lui a non plus opposé de candidat. Valls bénéficie du soutien d’anciens cadres socialistes (Bernard Cazeneuve, Laurence Rossignol, Jean-Yves Le Drian) ainsi que celui des maires des six communes de sa circonscription. Cinq d’entre eux sont de droite. « Rien d’étonnant », glisse Ulysse Rabaté, pour qui ce second tour constitue également un combat gauche contre droite. Autre soutien de poids, celui de Serge Dassault en personne, sénateur et ancien maire de Corbeil-Essonnes, condamné en première instance en février 2017 à deux millions d’euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité pour blanchiment de fraude fiscale et mensonge sur son patrimoine. Le sénateur, qui n’exclut pas de se représenter aux sénatoriales de septembre 2017, puisqu’il a fait appel de la décision du tribunal et que le procès n’aura lieu qu’après l’échéance, s’inquiète des « propositions irréalistes » des insoumis, qui « font peser de graves menaces sur notre pays et n'apporteraient aucune solution concrète pour notre territoire ». Commentaire de Farida Amrani : « Serge Dassault a toujours soutenu Valls, ils sont sur la même ligne politique, alors pourquoi pas ? » Pour l’anecdote, la permanence corbeil-essonnoise de Manuel Valls est toujours ornée d’une imposante rose au poing.

Permanence de Manuel Valls à Corbeil-Essonnes. © L.E. Permanence de Manuel Valls à Corbeil-Essonnes. © L.E.

« Nous sommes face à une candidature extrême, radicale, dangereuse pour le territoire », nous confie un proche de Valls, qui assure : « Les communistes eux-mêmes ne soutiennent pas cette candidature. » Une référence au coup de théâtre survenu mardi après-midi. Le candidat sans étiquette (sinon celle de la « majorité présidentielle ») publie sur Twitter un message de soutien à sa personne des élus communistes de sa ville d’Évry.

Capture d'écran Twitter Capture d'écran Twitter

L'impossible union de la gauche locale

« Une catastrophe, incompréhensible et condamnable », bouillonne Michel Nouaille, candidat du PCF défait au premier tour des législatives. Pour autant, il refuse de soutenir ouvertement Farida Amrani et Ulysse Rabaté, contre qui il est « très en colère »« Ils ont refusé tout contact depuis 18 mois. Au PCF [dont ils sont tous deux issus – ndlr], ils ont boycotté toutes les réunions et se sont assis sur le vote des adhérents. Pareil pour les réunions de La France insoumise, même celle où ma candidature a été proposée par les groupes d’appui de Corbeil et d’Évry. »

Début février, Jacques Simon, l’animateur du groupe d’appui JLM2017 d’Évry, s’était désolé de la nomination des deux candidats par La France insoumise, au mépris des militants locaux, dans un communiqué adressé au comité national de La FI : « Comme partout en France, les groupes d'appui locaux de Corbeil-Essonnes et Évry qui regroupent l’essentiel des forces militantes de la circonscription se sont réunis le 30 novembre 2016. Ce soir-là, ils ont clairement affiché leur rejet des candidatures de Farida Amrani et d'Ulysse Rabaté qui ne s’étaient d’ailleurs pas présentés devant l’assemblée générale. »

Michel Nouaille, candidat du PCF au premier tour des législatives. © L.E. Michel Nouaille, candidat du PCF au premier tour des législatives. © L.E.

« Ce n’est plus le débat, considère Ulysse Rabaté. L’enjeu, c’est de dépasser largement l’addition de nos deux listes. Aujourd’hui, on est soutenus par toute la France. » « La commission nationale de La France insoumise s’est réunie, et Farida et Ulysse ont été choisis parmi d’autres candidats, tranche Bruno Piriou, conseiller municipal d’opposition (avec Rabaté) à Corbeil-Essonnes et ancien membre du PCF. Le résultat du premier tour montre qu’ils ont eu raison. » « À qualité politique équivalente, entre un homme blanc de plus de cinquante ans et une femme de quarante ans, issue de la diversité, on choisit cette dernière. Si on veut le renouvellement de la classe politique… », explique encore Piriou. « Qu’il reste scotché là-dessus, c’est son problème, ajoute celui qui conseille les deux insoumis. Michel Nouaille est incapable de dire qu’il faut voter pour Farida Amrani, il est aigri, amer et triste. » 2 165 voix séparent les insoumis de Manuel Valls, soit peu ou prou le score de Michel Nouaille. Bruno Piriou n’a pas de mots assez durs pour son ancien camarade de parti : « S’il n’avait pas été candidat, nous serions devant Valls au premier tour. »

Cette bataille picrocholine n'est qu'un nouvel épisode de l'éparpillement des forces de gauche depuis l’élection municipale de 2014 à Corbeil-Essonnes. Face au système Dassault, que dénonce Michel Nouaille, « toute la gauche était prête à s’unir dès le premier tour, à condition que ce ne soit pas Bruno Piriou en tête de liste, dit-il. Il a confirmé sa candidature et trois listes de gauche se sont présentées au premier tour. » Celui-ci se félicite de son côté d’être arrivé devant la liste PS menée par Carlos Da Silva, alors suppléant de Manuel Valls à l’Assemblée nationale. « Vous vouliez que je fasse liste commune avec Valls ?! Le Valls de 2014 n’est pas celui de 2010. Un an plus tôt, il avait dit que “les Roms [avaient] vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie”, des propos de facho ! » Dernier épisode en date d’une longue série d’échecs d’union de la gauche locale.

Pour Michel Nouaille, il est désormais également « impensable de voter Valls ». « Mais comme Jean-Luc Mélenchon après le premier tour de la présidentielle, j'estime ne pas être “directeur de conscience”. Les gens connaissent mon engagement, ils savent très bien pour qui je vais voter. Mais je suis tellement en colère contre les méthodes de Farida Amrani et Ulysse Rabaté que je ne peux pas appeler à voter pour eux. » La déclaration des élus communistes d’Évry en faveur de Valls aura cependant forcé la fédération PCF de l’Essonne à appeler publiquement à voter Amrani dans un communiqué.

Gare d'Évry-Courcouronnes. © L.E. Gare d'Évry-Courcouronnes. © L.E.

Attablé à une terrasse de la place du marché de Corbeil-Essonnes, un militant déguste un demi. « Moi, je suis en marche ! » se félicite-t-il. Adhérent de longue date au PS à Évry, il l’a quitté en 2007 pour rejoindre l’UMP, où officiait son ex-copine. « Au PS, je militais pour rien, je payais pour rien. » Ce père de famille franco-congolais, qui a rejoint En Marche! il y a seulement deux mois, semble incarner la synthèse macroniste à lui seul. Il ne mâche pas ses mots quant au PS vallsiste : « Valls a servi la France, mais il a voulu simplement privilégier ses propres intérêts, accéder au plus haut niveau. Si on le connaît, c’est quand même grâce à l’électorat de banlieue. Il a tué le PS, il est responsable du bilan du PS, mais il ne veut pas assumer ; ce n’est pas un politique », condamne le « marcheur ». « J’habitais à Évry quand, au marché aux puces, il a dit :“Mettez-moi quelques Whites, quelques Blancos” [en 2009 – ndlr]. À un moment donné, ça vous choqueLe PS s’est servi de nous, les habitants de banlieue. » Il va encore plus loin, sans un regard aux candidats insoumis : « Pour moi, la gauche n’existe plus. » Dimanche, il votera probablement blanc.