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James Guillaume et la vulgarisation du "Capital" de Marx en France

Marx

Lien publiée le 17 juin 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://jguillaume.hypotheses.org/1833

En 1910, est paru l’Abrégé du « Capital » de Karl Marx par Carlo Cafiero. Traduit en français par James Guillaume chez Stock. La couverture ci-dessus provient de l’exemplaire conservé à la Bibliothèque nationale de France. Cet avant-propos a été reproduit à partir de l’original de la BnF ainsi que d’une version numérique mise en ligne par le CGA-RP. Toutefois, cette retranscription intégrale de l’Abrégé a été faite à partir de la réédition de 2008 par les éditions du Chien Rouge, l’exemplaire étant celui conservé au CIRA de Lausanne. Les notes ajoutées à cette occasion ont été enlevées et quelques erreurs de retranscription ont été corrigées.

Avant-propos du traducteur

Carlo Cafiero est né à Barletta, ville de l’ancien royaume de Naples, sur l’Adriatique, en septembre 1846. Il est mort à Nocera le 7 juin 1892, dans sa quarante-cinquième année.

Appartenant à une famille riche et très attachée à l’Eglise, il reçut sa première éducation au séminaire de Molfetta ; il y eut pour condisciple Emilio Covelli, qui plus tard devait combattre à ses côtés dans les rangs des socialistes révolutionnaires. Il fut ensuite envoyé à Naples pour y étudier le droit. Lorsqu’il eut obtenu ses diplômes, il se rendit à Florence, alors capitale du royaume d’Italie : on le destinait à la carrière diplomatique, et pendant un temps il fréquenta les cercles politiques et parlementaires. Mais ce qu’il vit dans ce monde-là ne tarda pas à lui inspirer le dégoût ; et des voyages à l’étranger, entrepris ensuite, donnèrent à ses idées une direction nouvelle. En 1870, il visita Paris et Londres ; dans cette dernière ville, où il fit un séjour d’une année environ, il entra en relations avec des membres du Conseil général de l’internationale, en particulier avec Karl Marx. En 1871, étant retourné en Italie, il devint membre de la Section internationale de Naples. Cette section, fondée en 1868, avait été dissoute par un arrêté ministériel du 14 août 1871 : mais elle se reconstitua sur l’initiative de Giuseppe Fanelli, le vieux conspirateur, ancien compagnon d’armes de Pisacane, et de quelques jeunes gens, Carmelo Palladino, Errico Malatesta, Emilio Covelli, auxquels il s’associa. Cafiero fut chargé de la correspondance avec le Conseil général de Londres, et commença un échange régulier de lettres avec Friedrich Engels, alors secrétaire du Conseil général pour l’Italie et l’Espagne.

C’était le moment où, par sa polémique retentissante contre Mazzini, qui venait d’attaquer la Commune de Paris, Michel Bakounine gagnait au socialisme la partie la plus avancée de la jeunesse révolutionnaire italienne, et l’enrôlait dans les rangs de l’internationale. C’était le moment aussi où les résolutions de la Conférence de Londres (septembre 1871) venaient de provoquer dans la grande Association ces luttes intestines qui allaient aboutir, d’abord à un triomphe momentané du parti autoritaire au Congrès de La Hay e (1872), et ensuite, une fois que les intrigues de la coterie dirigeante eurent été déjouées, au triomphe définitif des idées fédéralistes et à la suppression du Conseil général (1873). Cafiero, trompé sur l’état réel des choses par les lettres d’Engels, avait d’abord pris parti pour les hommes de Londres ; mais il fut vite abusé : son bon sens lui fit reconnaître la vérité, sa droiture fut révoltée par les manoeuvres jésuitiques employées contre Bakounine ; et alors il se déclara résolument l’adversaire du Conseil général. C’est lui qui présida la Conférence (ou Congrès) de Rimini (4 août 1872), où fut fondée la Fédération italienne de l’internationale, et votée la résolution fameuse déclarant que « la Fédération italienne rompait toute solidarité avec le Conseil général de Londres, affirmant d’autant plus la solidarité économique avec tous les travailleurs ». Les internationalistes italiens refusèrent d’envoyer des délégués au Congrès de La Haye ; mais Cafiero y assista en spectateur, et put y constater les procédés déloyaux dont usaient les hommes de la coterie autoritaire à l’égard de leurs contradicteurs. Puis avec Fanelli, Pezza, Malatesta, Costa, il représenta la Fédération italienne au Congrès international de Saint-Imier, qui suivit immédiatement le Congrès de La Haye.

En mars 1873, s’étant rendu à Bologne pour le second Congrès de la Fédération italienne, il y fut arrêté avec Malatesta, Costa, Faggioli et plusieurs autres ; il ne fut remis en liberté qu’en mai. C’est cette année-là que, entré en possession de la part qui lui revenait de l’héritage de ses parents, il conçut le projet de créer en Suisse, à proximité de la frontière italienne, une maison de refuge où pourraient s’abriter les internationalistes proscrits par les gouvernements. Il acheta à cet effet une villa appelée la Baronata, sur le lac Majeur, près de Locarno (Tessin) : dans cette villa, il installa, pour commencer, Bakounine et quelques autres amis russes et italiens. Mais cette entreprise, mal conçue et mal exécutée, fut une véritable dilapidation de la fortune du généreux et naïf révolutionnaire. Au mois de juillet 1874, Cafiero se trouvait à peu près ruiné. Il employa les restes de son patrimoine aux préparatifs des mouvements insurrectionnels qui éclatèrent en Italie en août 1874. Pendant l’année qui suivit, confiné dans la solitude de la Baronata[1], il y mena une vie d’anachorète avec sa femme Olympia Koutouzov, qu’il avait épousée à Saint-Pétersbourg en juin 1874 ; puis (octobre 1875) il entra comme employé chez un photographe de Milan, tandis que sa compagne retournait en Russie, pour s’y livrer à la propagande socialiste ; elle y fut arrêtée au commencement de 1881, et exilée en Sibérie.

De Milan, Cafiero se rendit à Rome en 1876. Délégué au troisième Congrès de la Fédération italienne, – qui ne put se réunir à Florence comme il avait été projeté, et, pour échapper aux persécutions gouvernementales, dut tenir ses séances dans un endroit reculé de l’Apennin toscan (21-22 octobre 1876), – il fut envoyé par ce Congrès, avec Malatesta, à Berne, pour y représenter l’Italie au huitième Congrès général de l’internationale (26-29 octobre 1876). Pendant l’hiver de 1876 à 1877, qu’il passa à Naples, il s’occupa, avec Malatesta et quelques autres, parmi lesquels le révolutionnaire russe Kraftchinsky (connu depuis sous pseudonyme de Stepniak), de l’organisation d’un mouvement insurrectionnel qui devait éclater dans l’Italie méridionale au commencement de l’été de 1877. Une trahison força les internationalistes italiens à précipiter les choses : bien que l’organisation ne fût pas terminée, et que la saison fût encore mauvaise, quelques-uns d’entre eux prirent les armes. On connaît l’histoire de cette aventureuse expédition (5-11 avril 1877) : commencée à San Lupo, près de Cerreto (province de Bénévent), elle aboutit, après l’occupation momentanée des deux communes de Letino et de Gallo (province de Caserte), à l’arrestation, sur les pentes du mont Matèse, de la poignée d’héroïques jeunes gens qui, avec Cafiero, Malatesta et Cesare Ceccarelli, avaient voulu essayer de soulever les paysans de la Campanie et du Samnium.

On croira difficilement, aujourd’hui, qu’au moment où Cafiero et ses amis étaient enfermés dans les prisons du gouvernement italien à la suite de leur généreuse tentative, des insulteurs qui se disaient socialistes les couvrirent d’outrages. Jules Guesde, alors collaborateur du Radical, de Paris, les bafoua dans les colonnes de ce journal, les appelant les « fuyards de Cerreto », et essayant de faire croire que la grande majorité des socialistes italiens répudiaient toute solidarité avec eux. Le Vorwärts, organe central du Parti de la Sozial-Demokratie d’Allemagne, prétendit que l’insurrection n’avait rien de commun avec l’internationale, et que les insurgés étaient de « simples malfaiteurs » (einfaches Raubgesindel). Un journal de Palerme, le Povero, dans lequel écrivait Malon, se distingua par son langage ignominieux à l’adresse de nos amis. Malon envoya en outre au Mirabeau, de Verviers, une correspondance calomnieuse à laquelle Andrea Costa, indigné, répondit en prenant énergiquement la défense de ses camarades emprisonnés. Enfin dans Tagwacht de Zürich, organe du Schweizerischer Arbeiterbund, Hermann Greulich insinua que Cafiero, Malatesta et leurs compagnons étaient des « agents provocateurs », et fit un rapprochement entre les internationalistes italiens et les blouses blanches de l’Empire.

C’est pendant que cette presse, où écrivaient des sectaires méchants ou aveugles, lui jetait de la boue, que Cafiero, dans sa prison, entreprit de rédiger, pour ses camarades italiens, un abrégé du Kapital de Marx, que personne ne connaissait encore en Italie. Cafiero, comme tous les socialistes révolutionnaires italiens et espagnols, comme la plupart des socialistes de France, d’Angleterre, de Belgique, de Hollande, de la Suisse française, de Russie, d’Amérique, avait lutté contre l’esprit autoritaire de Karl Marx, et avait refusé de laisser établir dans l’internationale la dictature d’un homme. Mais il rendait hommage à la science du penseur allemand ; et il eût certainement contresigné ces paroles écrites par Bakounine à Herzen en octobre 1869 : « Je ne saurais méconnaître les immenses services rendus par Marx à la cause du socialisme, qu’il sert avec intelligence, énergie et sincérité depuis près de vingt-cinq ans, en quoi il nous a indubitablement tous surpassés. Il a été l’un des premiers fondateurs, et assurément le principal, de l’internationale, et c’est là, à mes yeux, un mérite énorme, que je reconnaîtrai toujours, quoi qu’il ait fait contre nous. » Bakounine et Cafiero avaient le cœur trop haut pour permettre à des griefs personnels d’influencer leur esprit dans la sereine région des idées. Et c’est ainsi qu’il arriva que la première traduction russe du Manifeste communiste de Marx et d’Engels fut faite par Bakounine en 1862 ; que la première traduction russe du Kapital fut commencée par Bakounine en décembre 1869 (on sait que l’intervention malheureuse de Netchaïef l’empêcha de continuer) ; et que ce fut Cafiero qui entreprit le premier, en 1877, de faire connaître le grand ouvrage de Marx à l’Italie.

L’Abrégé du Capital occupa Cafiero pendant l’hiver 1877-1878 ; au mois de mars 1878 son travail était terminé. En août 1878, le verdict du jury de la Cour d’assises de Bénévent rendit à la liberté les insurgés de la « bande du Matèse », et en 1879 l’opuscule de Cafiero était publié à Milan, dans la Biblioteca socialista (C. Bignami e C.), dont il forme le tome V.

On sait que les dernières années de Cafiero furent un douloureux martyre. Sa raison s’était égarée. Sa vaillante femme, évadée de Sibérie en 1883, se rendit en Italie et le soigna (1886) avec un dévouement qui resta impuissant. Ses frères, à leur tour, le reçurent dans la maison paternelle, à Barletta (1889), pour essayer de le guérir : mais il fallut reconnaître enfin que le mal était incurable. J’ai eu entre les mains les lettres que le médecin qui le traita de 1890 jusqu’à la fin écrivit à Madame Olympia Cafiero-Koutouzof, alors retournée en Russie, le 4 juillet 1890 pour lui décrire l’état du pauvre malade, et le 5 novembre 1892 pour lui raconter ses derniers moments : il résulte de la dernière lettre que Carlo Cafiero a succombé à une tuberculose intestinale. Il supporta sa triste situation sans jamais proférer une plainte : « Toutes les fois que je lui demandais comment il se trouvait, – écrit le médecin, – il me répondait toujours avec sa douceur tranquille : Je n’ai pas mal, docteur. »

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J’ai pensé que l’Abrégé de Cafiero, écrit de façon populaire, sans aucun appareil scientifique, et donnant néanmoins l’essentiel du contenu du Kapital (c’est-à-dire du volume paru en 1867, le seul qui ait été publié par Marx lui-même), pourrait, traduit en français, rendre service à ceux des lecteurs qui n’ont pas le temps d’étudier le livre, et qui voudraient cependant avoir une idée de ce qu’on y trouve. Cafiero a en effet très exactement résumé, en style simple, la partie théorique ; sa lucide analyse, qui néglige de s’attarder aux subtilités, introduit la clarté dans la dialectique obscure et souvent rebutante de l’original. Evitant les abstractions, il s’est attaché à mettre en relief, comme il fallait s’y attendre de sa part, la portée révolutionnaire d’un ouvrage où il voyait avant tout une admirable arme de guerre ; et, donnant une large place à la partie historique, ainsi qu’à la description des misères du prolétariat de la Grande-Bretagne, il a su choisir de façon judicieuse, dans le vaste arsenal de faits où il avait à puiser, les citations les plus instructives et les plus frappantes. Quiconque aura lu avec attention les cent et quelques pages de ce petit volume se sera assimilé le meilleur des huit cents pages du gros livre allemand.

Cafiero s’est servi de la traduction française de J. Roy : c’est à cette traduction qu’il a emprunté ses citations, et que renvoient les indications de pages placées dans les notes. En confrontant cette version avec l’original allemand, je me suis aperçu que fréquemment le traducteur n’avait pas serré le texte d’assez près, et que parfois même il avait commis des contre-sens : au lieu donc de transcrire simplement la version française, je l’ai retouchée là où cela m’a semblé nécessaire, c’est-à-dire là où les différences entre la traduction française et l’original allemand ne provenaient pas des modifications que Marx lui-même, comme on sait, a faites à son texte primitif à l’occasion de la traduction de J. Roy.

J.G.

[1] On trouvera l’histoire détaillée de la Baronata au tome III de L’Internationale. Documents et Souvenirs, par James Guillaume, Paris, Stock, 1909.

Note : Merci à Marianne Enckell pour avoir retrouvé l’origine de la version en ligne de l’ouvrage à l’issue d’une méticuleuse enquête.

Jean-Charles BUTTIER