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    Amrani contre Valls: les éléments du recours

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    Lien publiée le 1 juillet 2017

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    (Mediapart) Farida Amrani, candidate défaite par Manuel Valls au second tour des législatives dans l’Essonne, a déposé mercredi un recours en annulation devant le Conseil constitutionnel. Plusieurs éléments du dossier, que Mediapart s’est procuré, laissent apparaître un faisceau de possibles irrégularités.

    La tension semble enfin avoir baissé d’un cran dans la première circonscription de l’Essonne. Les proches des deux candidats du second tour des législatives, Manuel Valls (sans étiquette) et Farida Amrani (France insoumise), s’écharpaient par tribunes et tweets interposés depuis le soir du 18 juin, qui avait vu l’ancien premier ministre l’emporter d’un très faible écart, 139 voix. Depuis le dépôt, mercredi, du recours en annulation de l’élection devant le Conseil constitutionnel par la candidate défaite, chacun semble s’être gardé d’invectiver le camp adverse. Ce dossier de recours, que Mediapart s’est procuré, rassemble un certain nombre d’éléments qui laissent entrevoir plusieurs irrégularités potentielles.

    C’est l’un des points que les Insoumis avaient soulevé dès l’annonce de leur défaite. Au soir du second tour, les résultats, donnés bureau par bureau et ville par ville, annoncent un scrutin extrêmement serré. Chaque camp fait ses comptes. Avant l’annonce des scores d’Évry, les chiffres provenant des communes de Corbeil-Essonnes, Bondoufle, Courcouronnes, Lisse et Villabé placent Farida Amrani légèrement en tête, avec 158 voix d’avance. Vers 22 h 30, Francis Chouat, maire d’Évry et proche de Manuel Valls, proclame la victoire de celui-ci, grâce à une avance de 297 voix dans sa commune. Dans leur recours, les insoumis s’émeuvent de la proclamation plus que tardive des résultats des quatre derniers bureaux de votes. Bureaux dans lesquels ils n’avaient aucun représentant, qui étaient tenus par les anciens colistiers de Manuel Valls lors des élections municipales de 2014 et qui ont placé ce dernier nettement en tête. Les requérants notent également qu’à la différence de la pratique habituelle, où les résultats sont d’ordinaire donnés bureau par bureau, c’est le maire qui a proclamé le résultat global de la commune.

    Depuis ce soir-là, l’équipe de Farida Amrani a donc rassemblé ce qu’il lui restait de forces vives pour tenter de constituer un dossier et de soulever les anomalies potentielles de cette élection. Chose peu aisée, alors qu’elle-même et son suppléant, Ulysse Rabaté, ont dû reprendre leurs activités professionnelles respectives après de longues semaines de congés dédiées à la campagne.

    L’un des premiers éléments que les contestataires ont pu verser à leur dossier avait été dévoilé sur Twitter à la veille du second tour. Il s’agit de photos prises le samedi 17 juin à six heures du matin par Bruno Piriou, soutien de Farida Amrani, à Corbeil-Essonnes. Celui-ci affirme avoir reconnu des militants de Manuel Valls, dont sa collaboratrice parlementaire, Juliette Nuti, qui collaient des affiches alors que la fin de la campagne officielle avait été proclamée la veille à minuit.

    Capture d'écran Twitter, photos prises par Bruno Piriou

    Capture d'écran Twitter, photos prises par Bruno Piriou

    Les métadonnées (date et heure de prise de vue) ont été authentifiées par un huissier et les requérants gagent que la plaque d’immatriculation de la voiture permettra l’identification formelle des militants vallsistes. « C’est difficile de prouver que cela a des incidences sur le résultat du scrutin, analyse Nathalie Dompnier, professeure de sciences politiques spécialiste des processus électoraux, auteure de publications sur la fraude électorale et présidente de l’université Lyon 2. Souvent, quand on ne respecte pas les délais de campagne, le juge de l’élection dit : il y a 4 000 voix d’écart, ça ne change rien. Ici, en revanche, avec un écart aussi faible, on peut argumenter dans le sens inverse et considérer que ça a pu jouer sur quelques voix. »

    Au cours de la conférence de presse tenue au sortir du Conseil constitutionnel, Farida Amrani et son avocat ont annoncé détenir un grand nombre de signatures qui paraissaient dissemblables d’un tour à l’autre pour un même électeur. Le dossier en compte 110. Après la consultation de plusieurs listes d’émargement, de grandes disparités entre certaines d’entre elles apparaissent effectivement, comme celle-ci :

    A gauche, la signature du second tour (vert), à droite, celle du premier (noir)

    A gauche, la signature du second tour (vert), à droite, celle du premier (noir)

    Jointe par Mediapart, une graphologue a pu consulter un échantillon de ces signatures douteuses. Tout en expliquant qu’il est « quasi impossible » d’affirmer avec certitude, sur un échantillon de deux griffes, que l’une d’entre elles est contrefaite, elle a pu constater des « différences importantes, voire significatives » sur la grande majorité de celles-ci. Mediapart a contacté quelques électeurs dont les signatures semblaient diverger fortement d’un tour à l’autre, qui ont tous répondu qu’ils étaient bien allés voter. Néanmoins, la majorité d’entre eux étaient simplement injoignables.

    L’équipe de Farida Amrani a également identifié plusieurs dizaines de signatures qui semblent avoir été décalquées. On y trouve des traces de crayon de papier, parfois gommées, en dessous du paraphe fait au stylo vert. « Ça ne rend pas la signature invalide, considère Nathalie Dompnier, mais cela peut amener à s’interroger sur sa régularité. » Elle ajoute : « Ça commence à faire beaucoup. » Voici un exemple, que la candidate avait présenté aux journalistes lors de sa conférence de presse :

    Capture d'écran Twitter : à gauche, la signature du second tour, à droite, celle du premier.

    Capture d'écran Twitter : à gauche, la signature du second tour, à droite, celle du premier.

    À la lecture des résultats bureau par bureau (dont les chiffres sont disponibles sur data.gouv.fr), une donnée étonnante est apparue. Entre le premier et le second tour, 23 nouveaux inscrits sur les listes électorales de la 1re circonscription de l’Essonne. Jusque-là, rien de surprenant. Il arrive très fréquemment que des décisions du tribunal d’instance permettent à des électeurs de s’inscrire durant l’entre-deux-tours. Idem pour les citoyens qui atteindraient la majorité légale dans cette période. L’originalité réside dans le fait que les 23 nouveaux inscrits le sont tous non seulement dans la même commune (Courcouronnes), mais dans le même bureau. Cette hausse forte et ciblée suscite « interrogations et perplexité » chez les requérants, qui dénoncent des inscriptions irrégulières.

    Le pure player d’information Essonne Info a fait ses comptes. Selon le site, d’après les chiffres donnés par la municipalité de Courcouronnes le soir même, le nombre d’inscrits y était resté le même d’un tour à l’autre. Il apparaît que les 23 nouvelles voix potentielles recensées plus tard par le ministère de l’intérieur ont toutes été comptabilisées dans l’abstention. Joint ce jeudi par Essonne Info, le maire (LR) de Courcouronnes, Stéphane Beaudet, qui avait appelé à voter Manuel Valls à l’entre-deux-tours, nie l’augmentation du nombre d’électeurs dans sa commune : « Il faut une décision du tribunal pour cela. Il n’y en a pas eu […] C’est insultant pour les services et les agents qui ont donné de leur temps pour que ces élections se passent correctement. Il n’y a rien eu à signaler, et les procès-verbaux ont été signés. J’apprends tout cela par vous et j’aurais aimé être prévenu. » Reste à savoir d’où viennent ces 23 nouveaux inscrits.

    La question est : « Est-ce que la volonté des électeurs a été respectée ? »

    Le bureau n° 6 de la ville d’Évry, situé dans le quartier des Épinettes, a livré lui aussi son lot d’interrogations. En s’y rendant au cours de leur tournée des bureaux de vote le 18 juin, Farida Amrani et Mohammed El Yattioui, son chargé de communication, constatent que le cahier d’émargement est ouvert, alors qu’aucun électeur n’est présent. Leur assesseur s’est lui-même absenté à ce moment-là. Épisode suivant : le soir venu, au moment du comptage, les Insoumis n’ont pas assez de scrutateurs pour en installer un à chacune des quatre tables de dépouillement. Il y a, à en croire le procès-verbal, 443 bulletins dans l’urne. Chaque table, comme c’est la règle, en dépouille 100. Après 400 votes comptés, Farida Amrani est en tête, 191 contre 179.

    Restent 43 bulletins, qu’une table sans scrutateur insoumis dépouille dans la foulée. Ceux-ci donnent un résultat largement favorable à Manuel Valls, 27 contre 12, et le font passer en tête de trois voix dans ce bureau. Une citoyenne, qui s’était portée volontaire pour participer au dépouillement, a attesté, dans le recours, ne pas savoir comment, ni par qui ces derniers bulletins ont été dépouillés.

    Feuille de dépouillement des 43 derniers bulletins du bureau 6 d'Évry

    Feuille de dépouillement des 43 derniers bulletins du bureau 6 d'Évry

    Un détail encore plus étonnant vient s’ajouter au tableau. Mediapart a pu constater, à la lecture de la liste d’émargement de ce bureau, un comptage très hasardeux des signatures. Sur chaque double page, le nombre de signatures est marqué en pied de colonne au crayon à papier, afin, vraisemblablement, de calculer plus facilement le total en additionnant ces valeurs à la fin. Seulement voilà, alors que le nombre de signatures correspond systématiquement au chiffre indiqué au crayon pour le premier tour, le compte est mauvais à huit reprises pour le second. À chaque fois, le chiffre indiqué est inférieur de un au nombre d’émargements. Au final, le procès-verbal recense 443 signatures, alors que les notes au crayon en donnent 437 et que la liste en compte en réalité 445 (un exemple est visible dans l’onglet Prolonger).

    Ce qui peut laisser accroire qu’une fois le premier compte fait, et comprenant que le résultat n’était pas assez favorable à l’un des candidats, quelqu’un aurait pu ajouter des signatures et les reporter sur le total final, sans avoir refait le compte au crayon à papier. Une hypothèse qui « semble plutôt bonne » à Nathalie Dompnier.

    Enfin, autre bureau d’Évry, autre scénario rocambolesque. Le matin du second tour, un assesseur désigné par Farida Amrani se voit confier l’une des deux clefs qui permettent, si on les utilise conjointement, d’ouvrir l’urne électorale. À la clôture du scrutin, il a la surprise de s’apercevoir que le président du bureau de vote, qui possédait la deuxième clef, a pu ouvrir l’urne tout seul. De fait, il lui était donc possible de le faire à sa guise à chaque fois que l’Insoumis s’absentait. « Ah ça, c’est pas mal ! rit Nathalie Dompnier. Ça semble vouloir dire qu’à partir des résultats du premier tour, on a plus ou moins anticipé combien de voix il fallait récupérer pour repasser en tête. » Elle s’étonne toutefois : « Par définition, quand on fraude, on a intérêt à le faire de manière massive, parce que si l’on n’a pas assez de voix pour basculer en tête, ça n’a aucun intérêt, explique la chercheuse. Ce qui est étonnant ici, c’est qu’il y a toute une série de petits éléments, 20 voix par-ci, 30 voix par-là… Ça demande une grande précision, un travail d’orfèvre pour obtenir un résultat qui se joue à peu de choses… C’est ça qui est assez étonnant. » « Toutes ces petites choses qui paraissent anodines, cumulées, font que l’on pense qu’il y a quand même quelque chose qui a été fait, considère Farida Amrani, jointe par Mediapart. Je pense que ça a peut-être été fait au dernier moment. Pas sûr que ça ait été préparé. »

    Comme c’est arrivé à plusieurs reprises, l’assesseur s’est abstenu de mentionner cet incident au procès-verbal du bureau de vote. Un oubli que les Insoumis mettent sur le compte du manque d’expérience de leurs militants. L’assesseur a pu se rattraper, néanmoins, dans une attestation versée au dossier de recours.

    « Vu le faible écart de voix, le juge peut considérer qu’il y a des doutes quant à la multitude de phénomènes qui peuvent avoir donné lieu à des irrégularités, volontaires ou non, dit Nathalie Dompnier. Et il peut décider d’annuler l’élection. Ce qui ne veut pas dire qu’on reconnaît qu’il y a fraude. La question que se posera le Conseil constitutionnel, c’est : est-ce que la volonté des électeurs a été respectée ? » Las, même si le scrutin était invalidé, les chances de victoire de son camp dans une législative partielle sont bien minces : « C’est une règle générale. Statistiquement, dans 95 % des cas, les électeurs de celui qui avait gagné se remobilisent, alors que les autres non, indique Nathalie Dompnier. C’est un phénomène massif. » C’est ainsi qu’Élie Aboud, dans l’Hérault, et Patrick Devedjian, dans les Hauts-de-Seine, l’avaient emporté une deuxième fois après l’invalidation de leur élection lors des législatives de 2012. Lueur d’espoir dans le Val-de-Marne : Henri Plagnol, dont l’élection avait été annulée, avait été battu lors d’une législative partielle par un dissident de son propre groupe, l’UMP.

    La décision du Conseil constitutionnel est attendue d’ici quatre à six mois. Mais peu importe le résultat, selon Farida Amrani : « On estime quand même que c’est une victoire. 139 voix d’écart, face à un ancien premier ministre qui tient la ville d’Évry… On n’est que des citoyens. On ne vit pas de la politique. Avec la loi travail et les autres projets du gouvernement qui arrivent, on continuera de toute façon à occuper le terrain. »