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Histoire du Parti socialiste en France – 1878-1920

Lien publiée le 22 juillet 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201707/9545/histoire-du-parti-socialiste-france-1878-1920-partie-i

En mai 1981, lors de son investiture, François Mitterrand rendait un hommage hypocrite et mensonger à Jean Jaurès, suggérant par-là une filiation du Parti socialiste (PS), qui nous gouverne et nous exploite depuis plusieurs décennies, avec la Deuxième Internationale de l’époque, et spécialement sa “section française”, la SFIO1, dans laquelle ont combattu d’authentiques militants ouvriers de la trempe des Jean Jaurès, Jules Guesde, Paul Lafargue ou l’ancien communard Édouard Vaillant. Aujourd’hui encore, les Hollande, Valls, Royal, Hamon et consorts, tous ces politiciens bourgeois cyniques et hypocrites, se réclament de cet héritage socialiste.

La série que nous débutons avec ce premier article a pour objectif de mieux faire connaître les origines souvent ignorées de ce parti initialement prolétarien afin de mieux mettre en évidence le processus qui le mena ensuite à la trahison et à devenir même un rouage incontournable de l’appareil d’État français. Nous retracerons les grandes étapes de cette évolution, depuis l’élaboration du programme d’inspiration marxiste du POF2 entre 1879 et 1882, la constitution d’un parti socialiste unifié en 1905 et la scission au congrès de Tours en 1920, qui clôtura l’histoire de la SFIO en tant que parti de la classe ouvrière, en passant évidemment par la trahison du principe fondamental de l’internationalisme prolétarien en 1914 avec le vote des crédits de guerre.

Afin de comprendre les étapes de la construction du parti socialiste en France, processus long, chaotique et laborieux, il est nécessaire de revenir sur les conditions très particulières qui ont fortement marqué sa naissance.

Forces et faiblesses dans la constitution d’un parti prolétarien en France : le poids d’un double héritage

La construction d’un parti socialiste unifié en France ne s’est en effet réalisé qu’en mai 19053 et portait alors le poids du lourd héritage de la révolution bourgeoise de 1789 et les effets de l’écrasement de la Commune de Paris en mai 1871. Ce double héritage a pesé négativement sur les épaules du prolétariat et du mouvement ouvrier en France, notamment sur son avant-garde révolutionnaire : il a non seulement affecté la conscience ouvrière et généré des confusions théoriques importantes, mais il a également produit des faiblesses et des fragilités récurrentes que le mouvement ouvrier n’a jamais pu totalement surmonter dans ce pays.

Pourtant, à travers trois événements majeurs qui devaient rayonner sur le mouvement ouvrier international (les révolutions de 1789 et 1793, les journées de juin 1848 et la Commune de 1871) s’était forgé en moins d’un siècle un élément exceptionnel et unique de force et d’assurance, une expérience insurrectionnelle et une tradition combative hors pair.

Les déformations héritées de 1789 et de la Révolution bourgeoise triomphante

Les faiblesses et déformations politiques du mouvement ouvrier en France étaient fortement liées aux aléas de l’histoire de la nation française, particulièrement à une tendance de la plupart des anarchistes, mais aussi parmi de très nombreux socialistes français, à se considérer comme les héritiers de la révolution bourgeoise de 1789. Les références à l’expérience française de 1789, aux armées révolutionnaires de 1792 et à la lutte du “peuple français” contre “l’envahisseur allemand” réactionnaire étaient permanentes dans la défense de leur point de vue révolutionnaire. Cette démarche tintée de jacobinisme introduisait en fait une vision nationale de la révolution en opposition avec la nature et le principe essentiel de l’internationalisme prolétarien.

Cette identification révolutionnaire à la révolution bourgeoise venait du fait que le “petit peuple” (les sans-culottes) avait amplement pris part à la lame de fond révolutionnaire de 1789-1793 contre la morgue et l’arrogance de la monarchie et de l’aristocratie. Ces manifestations insurrectionnelles ont largement occulté l’antagonisme de classe entre bourgeoisie et prolétariat, masquant la confiscation totale du pouvoir par la bourgeoisie. Les pionniers du mouvement socialiste en France allaient ainsi la négliger, voire perdre totalement de vue cette notion d’intérêts distincts, et devenus irréconciliables, avec ceux de la bourgeoisie.

Plusieurs facteurs contenus dans la référence à la révolution de 1789-1793 intervenaient pour expliquer un tel oubli :

- Le poids de la vision d’une bourgeoisie progressiste et éclairée, une vision intellectuelle théorisée par les philosophes des Lumières et marquée par les illusions d’une possible alliance avec cette dernière contre le retour de la monarchie et du bonapartisme ;

- Le rayonnement et l’aura de la révolution de 1789-1793 sur le mouvement ouvrier en général et en France en particulier. Cette fierté se cristallisera sous la forme d’une conception jacobine de la révolution qui va de pair avec un poids du nationalisme, du patriotisme et du républicanisme, avec la vision que la monarchie s’appuie sur les régimes réactionnaires des autres pays et complote son retour au pouvoir avec l’aide de l’étranger.

C’est en réalité d’abord et avant tout le grand soulèvement de juin 1848 à Paris qui permit de vérifier la réalité du prolétariat tel qu’il est défini dans le Manifeste du Parti communiste : une force politique indépendante irrévocablement opposée à la domination du capital. On est saisi par le contraste de la méthode de Marx et Engels qui furent en mesure de tirer les leçons fondamentales des précieuses expériences de juin 1848 et de la Commune de 1871 pour aider la social-démocratie allemande à former un parti socialiste et une nouvelle Internationale sur des bases politiques solides, tandis que les socialistes français s’exaltaient et s’enivraient avec orgueil de leur passé national, s’embourbant dans le patriotisme et faisant ainsi le lit de leur futur social-chauvinisme.

La méthode critique de Marx lui fit ainsi tirer de toutes autres leçons des événements de 1871. Car si la Commune a pu reprendre à son propre compte les principes de la révolution bourgeoise de 1789, ce n’est certainement pas pour leur donner le même contenu. Ainsi, loin d’avoir été un mouvement pour la défense de la patrie contre l’ennemi extérieur, c’est bien pour se défendre contre l’ennemi intérieur, contre “sa” propre bourgeoisie représentée par le gouvernement de Versailles, que le prolétariat parisien refusa de remettre les armes à ses exploiteurs et instaura la Commune. Pour les ouvriers de la Commune, “Liberté, Égalité, Fraternité” signifiait l’abolition de l’esclavage salarié, de l’exploitation de l’homme par l’homme, de la société divisée en classes. Cette perspective d’un autre monde qu’annonçait déjà la Commune, on la retrouve justement dans le mode d’organisation de la vie sociale que la classe ouvrière a été capable d’instaurer pendant deux mois. Car ce sont bien les mesures économiques et politiques impulsées par le prolétariat parisien qui confèrent à ce mouvement sa véritable nature de classe, et non les mots d’ordre du passé dont il se réclamait.4

Mais la leçon essentielle de la Commune de Paris tirée par Marx dans La Guerre civile en France est celle-ci : “la classe ouvrière ne peut se contenter de prendre telle quelle la machine d’État et la faire fonctionner pour son propre compte. Car l’instrument politique de son asservissement ne peut servir d’instrument politique de son émancipation”. Et dans Les Luttes de classes en France, écrit en 1850, on trouvait déjà : “la nouvelle révolution française sera obligée de quitter aussitôt le terrain national et de conquérir le terrain européenle seul où pourra l’emporter la révolution sociale”.

Les courants socialistes français, même les plus radicaux qui se réclamaient pourtant du marxisme, ignoraient au contraire ces leçons rapidement oubliées ou mal assimilées. Le 23 janvier 1893, Guesde et Lafargue, au nom du POF, lançaient ainsi un appel “aux travailleurs de France”, formule qui résume déjà le degré de confusion qu’ils semaient au sein du prolétariat : “On ne cesse pas d’être patriote en entrant dans la voie internationale qui s’impose au complet épanouissement de l’humanité, pas plus qu’on ne cessait à la fin du siècle dernier d’être Provençal, Bourguignon, Flamand ou Breton, en devenant Français. Les internationalistes peuvent se dire, au contraire, les seuls patriotes parce qu’ils sont les seuls à se rendre compte des conditions agrandies dans lesquelles peuvent et doivent être assurés l’avenir et la grandeur de la patrie, de toutes les patries, d’antagoniques devenus solidaires. (…) Les socialistes français sont encore patriotes à un autre point de vue et pour d’autres raisons : parce que la France a été dans le passé et est destinée à être dès maintenant un des facteurs les plus importants de l’évolution sociale de notre espèce. Nous voulons donc – et ne pouvons pas ne pas vouloir – une France grande et forte, capable de défendre sa République contre les monarchies coalisées et capable de protéger son prochain “89 ouvrier” contre une coalition, au moins éventuelle, de l’Europe capitaliste”. Cette rhétorique non seulement masque et dénature le caractère bourgeois du nationalisme et du patriotisme mais elle véhicule dans sa confusion extrême un poison mortel qui aura des conséquences tragiques : la trahison de l’internationalisme prolétarien par les socialistes dans la guerre de 1914 ! On mesure l’ampleur du fossé que même les plus déterminés des socialistes français ont creusé avec l’internationalisme prolétarien et avec le principe fondamental du marxisme : “les ouvriers n’ont pas de patrie”. On retrouve la même confusion et cette ambiguïté fondamentale dans le texte de Lafargue de 1906 censé dénoncer le “patriotisme de la bourgeoisie” qui au lieu de proclamer que “les patriotes sont les ennemis des ouvriers” entreprend de démontrer qu’ils sont en même temps “les alliés des ennemis de la France”…

La confusion, la perte de vue et même l’oubli des leçons fondamentales par les socialistes français traduisaient une incompréhension fondamentale du marxisme, en particulier dans le POF, aile révolutionnaire pourtant la plus avancée du socialisme français, qui s’en revendiquait ouvertement.5

La sous-estimation des conséquences de l’écrasement de la Commune

Le prolétariat français, comme classe révolutionnaire, fut littéralement décapité par l’écrasement de la Commune de Paris et pareille épreuve ne pouvait que lui laisser une empreinte indélébile. Après les événements de la Commune de Paris, une terrible répression s’abattit sur les mouvements socialistes. Il y eu entre 20 000 et 30 000 morts, plus de 38 500 fugitifs ou exilés et autant d’arrestations. Puis vinrent les arrestations en masse, les exécutions de prisonniers pour l’exemple, les déportations au bagne et les placements de plusieurs centaines d’enfants dans des maisons de correction. Parmi les personnes arrêtées, 78 % étaient des ouvriers, 84 % d’entre-deux furent déportés dans les plus lointaines contrées de l’empire colonial français.

Or, le poids de l’écrasement, de la répression et de l’ampleur de la défaite du prolétariat fut complètement sous-estimé. Avec l’écrasement de la Commune, qui a conduit à la disparition de la Première Internationale après 1872, la bourgeoisie est parvenue à infliger une défaite aux ouvriers du monde entier. Et cette défaite fut particulièrement cuisante pour la classe ouvrière en France, puisqu’elle cessa dès-lors d’être aux avant-postes de la lutte du prolétariat mondial.

Dès 1872, seul l’immédiatisme et l’activisme stérile se manifestèrent. Les ouvriers se réorganisèrent aussitôt en chambre syndicale. Le 28 mai 1872, Jean Barberet, un ouvrier bijoutier devenu journaliste, proche du leader républicain Gambetta, créa le Cercle de l’Union syndicale ouvrière, à partir du regroupement de 23 associations ouvrières. Finalement, le Cercle fut dissous par la police le 22 octobre de la même année, et Barberet emboîta le pas de la politique républicaine de Gambetta l’année suivante en prônant un socialisme républicain et réformiste. En octobre 1876, c’est encore sous l’influence de Barberet que se tint à Paris le premier Congrès ouvrier de France, marqué par l’esprit du mouvement des coopératives et du mutualisme proudhonien. À Londres, les exilés, notamment les amis de Blanqui, s’organisèrent également. Jules Guesde, journaliste condamné pour avoir défendu la Commune, pris néanmoins une orientation nettement plus influencée par le marxisme que les autres partis.

Aux lendemains de la défaite, l’éparpillement et les influences diverses dans le mouvement ouvrier, en grande partie masquées et surmontées par le soulèvement et la constitution de la Commune, se révélèrent au grand jour malgré les efforts pour construire une unité organisationnelle par l’éclatement et les divisions des différents courants socialistes.

La dispersion et la disparité des courants

Une structure socialiste unitaire fut pourtant créée en 1878 sous l’impulsion de Guesde et du courant marxiste : la Fédération du parti des travailleurs socialistes de France (FPTSF). Mais les congrès de 1880 et 1881 virent s’affirmer la désunion des socialistes. À partir de 1882, ils créèrent plusieurs partis.

Les Guesdistes étaient alors de loin le courant le plus déterminé et le plus solide. La FPTSF, formée en parti au Congrès de Lyon en 1878, décida l’année suivante, au congrès de Marseille, d’élaborer un “programme électoral minimum” qui fut en fait dicté par Marx à Guesde. Cette influence marqua notamment ses considérants qui stipulent que ce programme passe par la “propriété collective et ne peut sortir que de l’action révolutionnaire de la classe productive (ou prolétariat) organisée en parti politique distinct”. Ce programme fut confirmé en congrès national au Havre en 1880. Guesde, Lafargue et Deville, furent les principaux animateurs de ce parti qui devint le Parti ouvrier en 1882 puis le Parti ouvrier français en 1893. Le parti se battit non seulement pour des réformes mais aussi pour la conquête du pouvoir politique par les prolétaires. Cette organisation directement inspirée par le marxisme devient d’ailleurs la fraction socialiste la plus nombreuse en France. De 2000 membres du POF en 1889, ce chiffre bondit à 20 000 en 1902, avant de régresser les années suivantes face aux succès du courant réformiste. Dans les années qui suivirent 1880, près du tiers des 200 syndicats corporatistes parisiens adhérèrent au Parti ouvrier. En 1890, le congrès de Lille fit un devoir de chaque militant d’entrer dans la Chambre syndicale de sa corporation.

Cependant, l’existence de ce courant marxiste, lui-même affecté de faiblesses et de confusions politiques, a été contrecarrée par plusieurs scissions dues notamment à de sérieuses influences politiques néfastes. Ainsi, les Possibilistes de Paul Brousse qui fondèrent en 1882 la Fédération des travailleurs socialistes de France (FTSF) subissaient l’influence réformiste du mutualisme fédéraliste et anarchisant proudhonien. Ils affirmaient la nécessité de “fractionner le but idéal socialiste en plusieurs étapes sérieuses, immédiatiser en quelque sorte quelques-unes des revendications pour les rendre enfin possibles”. Leur programme fit une place importante à la conquête des institutions, particulièrement des municipalités et à une alliance avec le parti républicain radical bourgeois. Les Allemanistes de Jean Allemane qui formèrent en 1890 le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire (POSR) s’inspiraient dans leur vision fédéraliste d’un syndicalisme autogestionnaire et d’un réformisme municipal. Quant au Comité révolutionnaire central d’Édouard Vaillant (CRC) créé en 1881 qui devient en 1889 le Parti socialiste révolutionnaire (PSR), il mit en avant la vision blanquiste selon laquelle une petite minorité conspirative bien organisée pourrait effectuer des actions révolutionnaires pour entraîner à sa suite la masse du peuple.

Mais ce furent les illusions réformistes et parlementaristes qui constituèrent le plus lourd handicap du socialisme en France. Elles furent la base du programme des socialistes indépendants comme Jaurès et Millerand qui, au nom de la solidarité républicaine, prônaient une politique d’alliance et de compromis avec la bourgeoisie radicale. Ce courant a pris une influence croissante jusqu’à créer en 1898 la Confédération des Socialistes indépendants, qui fusionna en 1902 avec la FTSF de Brousse pour créer le Parti socialiste français.

Réformisme, anarchisme et populisme

Lors du banquet de Saint-Mandé, le 30 mai 1896, Millerand fit un discours qui servit de charte à toutes les tendances réformistes, appelant à l’unité de tous les socialistes autour des trois points suivants :

- substitution progressive de la propriété capitaliste par la propriété sociale ;

- conquête des pouvoirs publics par le suffrage universel ;

- nécessité de ne pas sacrifier la patrie à l’internationalisme.

Ce type de faiblesses et d’abandon des principes prolétariens étaient également à l’œuvre dans la plupart des pays occidentaux les plus développés où se développaient ouvertement le réformisme et le parlementarisme sur la base de la prospérité économique du capitalisme d’alors et du développement du suffrage universel. En Allemagne, par exemple, Bernstein propageait un révisionnisme qui considérait qu’il ne s’agissait plus de renverser le capitalisme par une révolution internationale mais de conquérir graduellement et pacifiquement le pouvoir, y compris au moyen d’alliances avec les partis progressistes de la bourgeoisie. En France, l’ensemble des courants ouvriers furent également marqués par une tendance plus ou moins forte au réformisme. Après quelques succès électoraux aux municipales de 1892 et aux législatives de 1893, plusieurs membres du POF, oubliant leur programme et l’objectif révolutionnaire, finirent même par prôner le réformisme, affirmant que le socialisme pouvaient être atteint par la voie électorale. Au poids du réformisme s’ajoutaient en outre les influences de la tradition artisanale et corporatiste portées par les déformations proudhoniennes et par la fédération jurassienne de Bakounine, traduisant le poids de l’anarchisme en général, mais aussi le poids du populisme boulangiste qui sévit dans le mouvement ouvrier en France, en particulier au sein du blanquisme. En 1889, les deux-tiers des députés boulangistes venaient de la gauche et de l’extrême gauche.

Paul Lafargue écrivit à ce titre : “La crise boulangiste a ruiné le parti radical ; les ouvriers, lassés d’attendre les réformes qui s’éloignaient à mesure que les radicaux arrivaient au pouvoir, dégoûtés de leurs chefs qui ne prenaient les ministères que pour faire pire que les opportunistes, se débandèrent ; les uns passèrent au boulangisme, c’était le grand nombre, ce furent eux qui constituèrent sa force et son danger : les autres s’enrôlèrent dans le socialisme”.

Toutes ces faiblesses expliquent en grande partie les difficultés de constitution d’un parti socialiste unitaire ainsi que ses tares idéologiques congénitales :

- une sous-estimation, voire un mépris pour les luttes économiques. Guesde impose au sein du POF une politique purement opportuniste envers les syndicats qu’il étouffe en subordonnant totalement ceux-ci aux visées électorales et parlementaires du parti et en les réduisant à une masse de manœuvre utilitaire, en particulier dans la CGT, ce qui eut un effet repoussoir en faveur du syndicalisme révolutionnaire, alimenta leur hostilité envers le parti et les poussa dans de nombreux cas dans les bras de l’anarchisme ;

- de nombreuses et fortes confusions sur l’action politique qui favoriseront l’entretien des divisions, handicaperont lourdement les tentatives d’unification du parti et l’armeront mal face à l’infiltration de l’idéologie bourgeoise et la collaboration de classe ;

- la faiblesse relative de l’implantation du marxisme dans le mouvement ouvrier en France, la mauvaise assimilation, les déformations sous une forme vulgarisée et simplifiée par Guesde, Lafargue ou Deville, présentés comme des théoriciens du marxisme. C’est dans une lettre à Lafargue que Marx décocha sa boutade à l’encontre des socialistes français “moi, je ne suis pas marxiste” et Engels lui-même s’opposa à la traduction en allemand des brochures de Deville : Le résumé du Capital, ou Aperçu sur le socialisme scientifique qu’il voyait comme une catastrophe, dont les erreurs et le simplisme vulgarisateur sèmeraient la confusion et le ridicule. Ainsi, Guesde professait comme marxiste l’absurde thèse lassalienne sur “la loi d’airain des salaires”, fermement combattue par Marx et qui consiste à dire que du fait de la concurrence entre ouvriers pour vendre leur force de travail, les salaires ne feront que diminuer et qu’ils devront avec leur famille toujours se contenter du minimum vital sans aucune considération de l’existence de la lutte de classes.

La popularité du blanquisme et de ses “combattants héroïques de la Commune” véhicula une grande confusion dans les moyens de la lutte et imprégna l’organisation révolutionnaire d’un état d’esprit conspiratif et putschiste. Engels, dans un article paru dans Der Volksstaat, le 26 juin 1874, se livra à une critique impitoyable mais profondément juste d’un Programme des Communeux marqué par l’immédiatisme, l’esprit de conspiration, plein de déclarations grandiloquentes et creuses, écrit peu de temps avant et signé à Londres par 33 blanquistes émigrés (dont Vaillant et Eudes).

Malgré tous ses défauts, le POF de Guesde, Lafargue et Deville a joué un rôle déterminant dans la naissance et l’impulsion d’une organisation d’inspiration marxiste en France qui fut la colonne vertébrale de l’introduction et de l’implantation du socialisme.

De même, le fait qu’Édouard Vaillant et ses amis blanquistes se soient ralliés au POF et à l’aile gauche du socialisme et ont lutté pour la constitution unitaire d’un parti socialiste démontre que le blanquisme fut capable d’évoluer ; la conversion de Jaurès lui-même au socialisme aurait été selon plusieurs sources le fruit d’une nuit de discussion avec Guesde à Toulouse le 27 mars 1892.

Nous reviendrons dans un deuxième article de manière plus détaillée sur la position des socialistes français face à deux épreuves qui vont conduire à l’échec les tentatives d’unification des courants socialistes : l’Affaire Dreyfus et le “cas Millerand”. Ces événements ont été l’occasion d’une confrontation entre deux grandes tendances, où chaque camp a montré des faiblesses idéologiques et politiques marquées par l’opportunisme mais aussi des éclairs de lucidité qui montrent qu’une dynamique du débat et une certaine clarification des idées et du programme socialiste fut possible. Nous verrons également comment le succès de l’unification du parti socialiste fut acquis grâce à l’aide déterminante du SPD allemand, de Rosa Luxemburg et de la IIe Internationale.

Wim, 10 mars 2017

1 Section française de l’internationale ouvrière.

2 Parti ouvrier français.

3 Une année charnière pour le mouvement ouvrier international marquée par une vague révolutionnaire en Russie.

4 Voir notre article "La Commune de Paris, premier assaut révolutionnaire du prolétariat", Révolution internationale n° 423.

5 Malgré ses tares et ses confusions, le mouvement ouvrier et le courant socialiste en France représentait, comme le soulignait Marx, un des trois piliers du socialisme scientifique international. Sur la tombe de Lafargue en 1911, Lénine saluait d’ailleurs sa conviction révolutionnaire, sa fidélité au prolétariat et l’immense énergie qu’il avait déployée tout au long de sa vie. L’œuvre de Lafargue est encore très précieuse aujourd’hui pour les générations futures qui auront encore à puiser ou à redécouvrir la force et l’originalité de ses écrits, notamment son pamphlet, Le Droit à la paresse, qui s’élève vigoureusement contre l’idéologie du travail inculquée par la morale bourgeoise pour défendre ses conditions d’exploitation, dénonçant par avance un encensement qui sera repris et érigé en modèle plus tard par les partis staliniens