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Omar Slaouti : "La convergence des luttes se construit sur le terrain"

Lien publiée le 28 juillet 2017

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://reporterre.net/Omar-Slaouti-La-convergence-des-luttes-se-construit-sur-le-terrain

La mort de Rémi Fraisse, l’état d’urgence ou encore la répression de l’opposition à la loi Travail ont révélé la violence policière et institutionnelle à l’œuvre de longue date dans les quartiers populaires. Et dans le même temps s’est opéré un rapprochement entre les luttes des plus précaires, des syndicats, et des écologistes. Une convergence qu’Omar Slaouti envisage sous la bannière du combat contre le racisme.

Omar Slaouti est professeur de physique-chimie dans un lycée d’Argenteuil. Issu des mouvements antiracistes, il est un des porte-parole de la manifestation du 19 mars 2017 contre les violences policières, qui a réuni près de 7.000 personnes à Paris. Il sera en août à l’Université européenne des mouvements sociaux, organisée par Attac.

Omar Slaouti.


Reporterre — On dit que les quartiers populaires sont des lieux particulièrement isolés, Manuel Valls avait parlé de ghetto en 2015. Qu’en pensez-vous ?

Omar Slaouti — Les quartiers populaires sont un laboratoire. Un laboratoire des violences policières, des discriminations racistes, et du néolibéralisme, à l’abri des regards. Mais un tournant s’est amorcé ces dernières années permettant aux différents courants militants de se rapprocher. Avec la mort de Rémi Fraisse, l’état d’urgence qui a empêché des manifestations de se tenir pendant la COP21, le mouvement social contre la loi Travail, la mort d’Adama Traoré et le viol de Théo, tout le monde en a pris plein la figure et a pu mesurer le degré de violence de l’État. Ces violences policières ne sont plus cantonnées aux quartiers populaires, elles touchent tous ceux qui s’opposent à ce système inique et ça a fait bouger les lignes.


Comment cela se traduit-il sur le terrain ?

Il y a une convergence réelle qui est en train de se construire, ce n’est pas que du blabla théorique. Pendant la manifestation du 19 mars dernier contre les violences policières et le racisme, beaucoup ont répondu à l’appel. Les familles des victimes, les migrants, les sans-papiers, organisations de l’immigration, associations antiracistes, zadistes, altermondialistes, syndicats se sont retrouvés pour exiger l’égalité. Par exemple, l’appel du 19 mars a été signé par la CGT, Solidaires, la FSU et des syndicats étudiants.

Et puis, lors de manifestations dans les quartiers populaires sur certaines affaires de violences policières, on retrouve des syndicalistes. Tout cela change la donne, car la police, les gouvernements craignent ce type de rapprochement. J’étais au rassemblement de Notre-Dame-des-Landes début juillet. Des zadistes, syndicalistes, soutiens aux migrants, militants de quartiers populaires, on était là, ensemble. C’est bien la preuve que des luttes, qui a priori n’ont pas grand-chose en commun, en réalité tissent des ponts et font le lien entre tous ces enjeux.

La « marche pour la justice et la dignité », le 19 mars, à Paris.


Quel est le rapport entre un projet d’aéroport, les migrants et les discriminations dans les quartiers populaires ?

La politique. Derrière chaque mesure néolibérale, comme la loi Travail, ce sont les plus précaires qui sont les premières victimes, en l’occurrence les femmes, les jeunes, les Noirs, les Arabes, les habitants des quartiers populaires. La lutte contre le racisme tout comme celle contre le patriarcat est un combat transversal qui doit imprégner toutes ces luttes.

Nous faisons face à un racisme institutionnel. Lorsque nous parlons de racisme et de sexisme, nous n’avons pas qu’une approche morale du type : « Nous sommes tous frères et sœurs », ce serait un écueil. Nous parlons de politique. Le patriarcat et le racisme structurent notre société, et ce n’est pas une question de responsabilité individuelle, c’est d’abord une question structurelle. Une femme meurt tous les trois jours des coups de son conjoint, les écarts de salaires entre hommes et femmes sont toujours là. Les Noirs et les Arabes subissent beaucoup plus les contrôles au faciès, ils subissent davantage les violences policières et judiciaires, ils sont discriminés à l’emploi. L’État et l’ensemble des institutions qui s’y rattachent construisent socialement les femmes, les hommes, les Noirs, les Arabes, les Asiatiques, les Roms, les musulmans, les musulmanes, les Blancs. Et dans le même temps de cette catégorisation, ils les hiérarchisent, plaçant les hommes au-dessus des femmes, les Blancs au-dessus d’autres racisés.


À vous entendre, racisme et patriarcat sont étroitement liés…

Tout à fait, en définitive, ces rapports de domination structurent la société, même si les ressorts de ces constructions/hiérarchisations sont différents. Ces luttes contre ces dominations sont d’autant plus importantes qu’en France et en Europe, l’extrême droite, la droite, et parfois à gauche n’hésitent pas à utiliser le féminisme à des fins racistes, comme les débats sur le port du voile qui cachent une islamophobie euphémisée. Il y a des féminismes antiracistes au sens politique du terme, et ces combats sont les nôtres. Pour autant, dans nos assemblées militantes, même de notre camp, les discriminations institutionnelles se retrouvent. Les femmes, les racisés d’en bas prennent moins la parole que les hommes blancs. Nuit debout était une formidable expérience sur de nombreux aspects, mais en matière de structuration, de représentation, beaucoup regardaient de loin ce mouvement. Il faut que ça change, c’est pour cela que nous avons à cœur la question de l’autonomie, passage nécessaire pour faire des convergences, mais surtout parce que les premières personnes concernées par une domination sont les mieux placées pour mener les combats le plus loin possible. Elles doivent être aux avant-postes, tenir les rênes de leur stratégie, leur calendrier, contre les oppressions qu’elles subissent.

La cantine végane de la Zad à Paris, le 19 mars, lors de la manifestation contre les violences policières.


Vous êtes donc favorable aux réunions non mixtes ?

Tout à fait. D’ailleurs au-delà des avis des uns et des autres, elles s’imposent à tous, par les premier-es concerné-es. Cette polémique sur la réunion non mixte pendant le festival afroféministe à Paris est scandaleusement raciste et sexiste, selon moi. Ceux qui s’y opposent ont peur de voir des groupes autonomes luttant contre des oppressions spécifiques s’organiser. Comme je viens de le dire, il est important que les premières personnes concernées soient aux avant-postes, elles doivent donc se réunir entre elles.

Derrière la critique de la non-mixité, on entend surtout l’argument du racisme anti Blanc. C’est un contresens. Le racisme est une question politique et pas individuelle. Alors oui, des Blancs peuvent être insultés, mais les institutions ne sont pas anti Blanc. De la même manière, le sexisme anti-homme n’a aucun sens politique, c’est même une forme de déni des oppressions structurelles.


Avez-vous le sentiment que l’articulation entre les différents collectifs militants se resserre ?

La preuve : les quartiers populaires étaient invités au rassemblement de Notre-Dame-des-Landes. Il y a un tournant qui s’opère, modestement, mais qui avance. Les différents collectifs se rencontrent et apprennent à se faire confiance. Ce sera le cas aussi à l’université d’Attac. On a tous les numéros de téléphone des uns et des autres, un vaste réseau se constitue. Mais la convergence ne se décrète pas, elle se construit sur le terrain. Celui des mobilisations comme celle pour et avec les migrants, celle contre la loi Travail, pour l’égalité. Si on ne se retrouve sur le terrain, alors tout cela ne sera que du blabla, du flan.

  • Propos recueillis par Julie Lallouët-Geffroy

Omar Slaouti et des dizaines d’intervenants seront à l’université d’été européenne des mouvements sociaux, organisée par Attac à Toulouse, du 23 au 27 août. Reporterre en est partenaire et y sera présent. Toutes les infos ici.