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Une cheminote anglaise : "Dans ma gare, 4 entreprises privées assurent le transport des voyageurs"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Ce témoignage d’une cheminote travaillant pour une entreprise privée à la gare de Londres montre de manière éclatante comment la privatisation sert à diviser les travailleurs en une multitude d’employeurs, de statuts et de contrats. Les conséquences sont multiples et toutes aussi néfastes : par-delà la dégradation du service rendu aux usagers et l’augmentation des tarifs, cette division permet une précarité croissance pour les salariés et de plus grandes difficultés pour se défendre collectivement. Autant de raisons pour rester mobilisés contre la réforme de la SNCF.
« Je travaille dans les chemins de fer à la gare de King’s Cross de Londres. Je voudrais dire un mot sur les conséquences de 22 ans de privatisation, tant pour nous, travailleurs, que pour les voyageurs.
Dans ma gare, 4 entreprises privées assurent le transport des voyageurs ; 4 autres se partagent les contrats de nettoyage ; une multinationale de la restauration assure l’approvisionnement des trains et gère la plupart des magasins de la gare. La gare, les voies et la signalisation appartiennent à une société de droit privé contrôlée par le ministère des transports. Quant au matériel roulant, il est loué à des entreprises privées extérieures à la gare.
Pour renforcer ces divisions, dans chaque entreprise les travailleurs ont un uniforme, une paie et des conditions de travail différentes. En plus, dans chacune d’elles coexistent plusieurs types de statut.
A East Coast, où je travaille, il y a 5 statuts différents : trois statuts permanents qui vont des anciens d’avant la privatisation de 1996, qui ont conservé leur statut, à ceux qui ont été embauchés entre 1996 et 1998, et ceux qui l’ont été après 1998. A chaque nouvelle catégorie correspond une dégradation - concernant les congés de maladie, les droits aux voyages gratuits ou encore le salaire de base. En plus, il y a deux statuts précaires plus mal payés : des CDD, dont le contrat peut ne pas excéder trois mois ; et des intérims dont la paie est encore plus basse et qui, pour certains, ont des contrats zéro-heure -c’està-dire sans un nombre garantie d’heures payées dans la semaine.
Depuis 1996, toutes les entreprises exploitantes de la ligne ont supprimé des emplois. C’est la dernière en date, VTEC, qui a fait le plus fort : depuis le début 2017, elle a entrepris de supprimer plus de 300 emplois sur environ 2000. Du coup, on se retrouve avec des roulements déments, sans aucune régularité. A la restauration, ils en sont même à nous faire sauter d’un train à un autre aux arrêts, de façon à en couvrir plus.
S’agissant du matériel, la plupart des wagons datent d’avant la privatisation. Quant aux motrices, la plupart sont encore des diesels parce que East Coast, qui relie Londres au nord de l’Ecosse via Edimbourg, n’est toujours pas entièrement électrifiée.
Comme les patrons essaient d’augmenter la fréquence des trains, la maintenance en souffre. Du coup, les toilettes sont souvent hors service, sur des trajets qui peuvent aller jusqu’à 8 heures. Mais il y a plus grave : freins défectueux, écrous manquants sous les wagons, etc... Sans parler des pannes et des trains annulés parce que trop de rames sont en réparation.
Quant aux nouvelles rames Hitachi qui devaient être mises en service ce mois-ci, ce sera pour plus tard. Il faut dire que le jour de leur présentation à la presse, le système d’air conditionné s’est mis à fuir sur les costumes des journalistes. Cela dit, privatisation ou pas, c’est le ministère des transports qui a dû financer ces nouveaux trains !
Malgré l’inconfort et le manque de fiabilité, les voyageurs paient les yeux de la tête. Depuis la privatisation le prix des billets a augmenté quatre fois plus rapidement que le salaire moyen. En fait, les prix ne sont réglementés que pour environ la moitié des billets. Mais pour les autres, ce sont les profits des compagnies qui font la loi. Du coup, pour donner un exemple, un abonnement annuel entre Londres et Peterborough, une ville-dortoir qui se trouve à 45 minutes de Londres, coûte 7 520 euros par an, soit près d’un tiers de mon salaire d’employée à la restauration sur les mêmes trains.
Pour conclure, voici la dernière nouvelle : le 24 juin, East Coast changera de mains pour la cinquième fois. La ligne ne lui rapportant pas assez, VTEC abandonne son contrat. Comme c’était déjà arrivé entre 2009 et 2015, la ligne repassera sous le contrôle de l’État. Un consortium privé sera payé pour la gérer pendant 2 ans, afin de trouver un nouveau repreneur privé. Bref, le chaos de la privatisation continue ! »