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Deux livres sur Action directe

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Lien publiée le 19 mars 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://dissidences.hypotheses.org/12098

Aurélien Dubuisson, Action directe. Les premières années. Genèse d’un groupe armée, 1977-1982, Paris, Libertalia, collection « Edition poche », 2018, 288 pages, 10 €., Jann Marc Rouillan, Dix ans d’Action directe. Un témoignage, 1977-1987, Marseille, Agone, collection « Mémoires sociales », préface de Thierry Discepolo, 2018, 408 pages, 22 €.

Un compte rendu de Jean-Guillaume Lanuque

Deux parutions récentes permettent de revenir sur la trajectoire du groupe Action directe, et de tenter d’aborder, enfin, ce thème comme un sujet d’histoire certes encore tiède, mais qui mérite d’être saisi sans le lester de diverses considérations politiques caricaturales ou intéressées.

Aurélien Dubuisson, doctorant, avait déjà livré une analyse intéressante consacrée à deux groupes armés, les Cellules communistes combattantes et Action directe (AD), au sein d’un ouvrage collectif, La Violence des marges politiques des années 1980 à nos jours1. Cette fois, il propose une étude plus fouillée consacrée aux premières années d’AD, issue de son mémoire de Master 2. A rebours des versions policières ou médiatiques les plus courantes, il prend au sérieux cet engagement réel, et montre le caractère diversifié de l’AD des débuts, s’appuyant pour ce faire sur les documents de revendication du groupe et sur plusieurs entretiens menés avec d’anciens membres (dont Jann Marc Rouillan).

Au-delà de la mouvance de l’Autonomie, matrice connue d’AD, il souligne à raison le rôle capital joué par la prison, tant elle fut propice à une politisation accrue encourageant la coordination de groupes fort différents. Aurélien Dubuisson, dans son récit, n’oublie pas les braquages, dits opérations de financement, avec parmi les vols les plus spectaculaires celui de la toile de Jérôme Bosch, L’Escamoteur. Pour ce qui est des actions de « propagande armée » proprement dites, elles ont pu s’effectuer grâce au stock d’explosifs rassemblé par Pierre Conty, suicidé en 1977, mais qui fut mis à disposition d’AD par sa veuve. L’auteur montre que les actions ciblèrent principalement l’ouest parisien, et il contextualise fort à propos certaines actions (l’attentat contre les locaux de la DST en mars 1980 visant en fait la collaboration du GIGN à la répression en Tunisie). La série d’arrestations qui eut lieu au cours de l’année 1980 initia un vaste soutien extérieur et de nouvelles luttes en prison, allant jusqu’à la réalisation d’un journal, Rebelles, en dépit des séjours en quartier de haute sécurité. Parmi elles, l’annexion des responsables du braquage de Condé-sur-Escaut à AD, afin d’éviter aux militants politiques italiens concernés le passage en droit commun et le risque d’extradition vers l’Italie.

Autre angle d’analyse, l’attitude de la presse : Aurélien Dubuisson montre bien qu’à cette époque, les membres d’AD sont considérés comme des militants, des enfants de 68, contrairement au champ lexical utilisé quelques années plus tard, à une époque où certaines organisations se révélaient nettement plus violentes qu’eux (le FNLC, ETA ou les auteurs de l’attentat de la rue Copernic). C’est d’ailleurs ce qui explique en partie l’amnistie accordée par le nouveau pouvoir socialiste, d’abord limitée puis totale au cours de l’année 1981. Mais face à cette indulgence jugée coupable du pouvoir politique, une opposition interne à la police se fait jour, estimant que les membres d’AD sont d’abord des criminels. L’attentat de la rue des Rosiers, en août 1982, faussement attribué à AD, conduit d’ailleurs l’État à interdire le groupe, alors en pleine désunion : scissionnent ainsi un courant plus mouvementiste, favorable à la lutte légale, un courant préférant soutenir les luttes sociales par la lutte armée (dit de l’assemblée clandestine du 1er août), et le courant dit anti-impérialiste, minoritaire mais qui conserva le sigle AD.

Toutefois, cette partie proprement historique ne représente qu’un tiers du livre. Le reste de l’ouvrage comprend les annexes documentaires (iconographiques, statistiques) et bibliographiques, et surtout cinq entretiens menés avec des militants anonymés, l’un d’entre eux étant Jann Marc Rouillan. On y voit l’importance de la filiation avec la Gauche prolétarienne (GP), les Brigades internationales (BI) et les Noyaux armés pour l’autonomie populaire (NAPAP), le désir de clandestinité et de sécurité au sein d’une Autonomie trop ouverte à l’infiltration policière, l’influence déterminante de la situation italienne (et particulièrement du groupe Prima Linea). Un des témoins évoque par ailleurs la scission de 1982, attribuant l’aggravation des divergences au fossé séparant les nouveaux militants recrutés au début des années 1980 des anciens ayant séjourné en prison. Le plus étonnant réside dans la proposition, évoquée dans deux entretiens, faite par le pouvoir socialiste à AD, cherchant à faire du groupe un bras armé clandestin du nouveau gouvernement, à qui aurait été confié des missions d’assassinat ciblé visant l’extrême droite ! En l’état, ce livre d’Aurélien Dubuisson est utile, mais n’est qu’un avant-goût d’une histoire globale d’Action directe qui se fait encore attendre.

L’autre ouvrage est un témoignage d’importance, puisqu’émanant des militants d’Action directe (AD) eux-mêmes, tout au moins du dernier noyau dont l’arrestation en 1987 puis les procès furent très largement médiatisés. Ecrit en prison, en situation de « torture blanche », au cours de la seconde moitié des années 1990,Dix ans d’Action directe n’est publié qu’en 2018, pour des raisons d’obligation judiciaire. Il a été en outre largement enrichi d’un appareil critique comprenant de nombreuses notes et un glossaire sur les sigles d’organisations citées. Dans sa préface, Thierry Discepolo (éditeur d’Agone) insiste particulièrement sur la différence de contexte comparativement aux années 70, l’image du patron et du policier étant alors bien loin de celle, presqu’idyllique, d’aujourd’hui2. Il pose également la question du résultat d’un militantisme d’extrême gauche plus pacifique, qui n’a pas réussi non plus à enrayer les progrès du néo-libéralisme à la française. Car c’est en particulier sur ce changement de phase du capitalisme que le livre insiste pour justifier les actions d’AD.

Si les différentes étapes du parcours de Jann Marc Rouillan conduisant peu à peu à l’émergence d’AD recoupent les évocations des différents tomes de De Mémoire3, l’importance, dans la filiation d’AD, de la dynamique impulsée par Mai 68 est centrale : l’expression de « grand Mai » revient à maintes reprises. La tendance fut à une organisation accrue, de la création d’une Coordination autonome en 1977, active entre autres dans les luttes anti-nucléaires, à celle de l’Organisation spécifique, prédécesseur direct d’AD. Jann Marc Rouillan insiste d’ailleurs beaucoup sur les nécessités d’une grande rigueur dans la clandestinité et la préparation des actions ou des rencontres, seul moyen de déjouer les investigations de la police. L’organisation ne se veut pas autoritaire ou dirigiste, les cadres n’étant que des militants armés plus expérimentés. Autre point important, le refus de la marginalité, et le souci subséquent de conserver le lien avec les luttes sociales, ainsi qu’avec d’autres terrains nationaux (Italie, RFA, Espagne, jusqu’aux combattants palestiniens).

La dimension politique d’AD est largement explicitée et justifiée, à rebours de nombre d’analyses journalistiques. La violence est présentée comme anticipant celle de l’État, dans un contexte de crise devant amener, selon les militants, à une intensification et un durcissement des conflits sociaux, sur le modèle des luttes pour la sidérurgie de la fin des années 1970 (autour de Longwy en particulier), et face auxquelles partis et syndicats, jugés opportunistes et intégrés au système, seront impuissants. Les ministères sont alors explicitement pris pour cibles dans un contexte de politique de rigueur, et la Sonacotra face aux expulsions de logements de travailleurs étrangers. On notera d’ailleurs que parmi les membres d’AD figurent un certain nombre de militants d’origine maghrébine, parmi lesquels Mohamed Bachiri. Cette sensibilité à la cause immigrée, qui va jusqu’à faire du travailleur étranger la figure type du sujet révolutionnaire, s’inscrit dans une filiation maoïste, et recoupe également les actions dirigées contre le néo-colonialisme. Les différentes actions violentes d’AD sont retracées, souvent avec beaucoup de détails – c’est Rouillan qui tira à la Sten sur le siège du CNPF le 1er mai 1979, à bord d’une voiture qui abritait également deux militants lyonnais et Nathalie Ménigon.

Les différentes étapes de l’histoire d’AD sont bien sûr largement évoquées, et au-delà de la sphère autonome, on saisit toute la pluralité des origines militantes, croisant des anciens de la GP, certes, mais également de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) ou de l’Organisation communiste des travailleurs (OCT). Les luttes en prison, en 1980 et 1981, sont également l’occasion de critiquer les méthodes de certains agents des Renseignements généraux (RG), dont la torture, d’expliciter l’identification de Chahine comme indicateur (attribuée à une trop grande liberté de ton de certains policiers, tel Jean-Pierre Pochon) et d’évoquer les procès menés pour les actions antifranquistes de Rouillan, qui conduisirent à son acquittement pour ces faits. L’amnistie de tous les prisonniers politiques fut finalement obtenue, mais par étapes, contre les réticences initiales de l’éphémère ministre de la justice Maurice Faure. Parmi les soutiens évoqués d’AD, le lecteur découvrira l’écrivain Dan Franck ou Daniel Guérin. La sortie de prison de Jann nMarc Rouillan et Nathalie Ménigon coïncida avec une crise de l’organisation, divisée entre un courant légaliste, favorable à l’abandon de l’action armée, un courant militariste, souhaitant la continuité de la politique suivie (la branche dite lyonnaise, celle de l’Affiche rouge, dont un des principaux dirigeants, André Olivier, est accusé de sexisme), et la tendance de Rouillan et Ménigon, appelant à un changement d’angle politique.

A la fin de 1981, ce sont eux qui impulsèrent la constitution d’une « base rouge » dans le quartier de Barbès à Paris. Ils furent ainsi à l’origine de l’occupation de certains logements ou bâtiments vacants pour pouvoir héberger des familles ou des travailleurs étrangers, ainsi que des militants révolutionnaires turcs en exil face à la dictature de leur pays. Ces actions se prolongèrent jusqu’au printemps 1982, moment où les expulsions s’accompagnèrent de régularisations et de relogements. Des propositions furent même faites aux militants d’AD pour qu’ils deviennent des permanents rangés de l’action sociale, option qualifiée par eux de « cimetière des luttes ». Ils reprirent leurs actions armées, en coordination avec les militants révolutionnaires turcs, dans ce nouveau contexte perçu donc comme celui d’une guerre menée par la bourgeoisie contre le « socialisme réel », contre le tiers-monde et contre les prolétariats des pays développés, guerre dissimulée sous le vocable neutre de mondialisation. Leur objectif consistait, grâce à la guérilla, à transformer cette guerre en guerre civile, dans une certaine tradition léniniste. Leurs actions ciblèrent alors, autour du G7 tenu à Versailles, les fascistes turcs, les lieux de pouvoir israéliens (Israël étant en pleine offensive anti-palestinienne au Liban), la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.

L’optique était clairement celle d’un front anti-impérialiste à l’échelle internationale, ce qui explique la collaboration étroite entre AD, les Brigades rouges (BR) et la RAF (Bande à Baader). Leur pratique des braquages se poursuivit, non seulement dans un objectif de financement, mais également pour aguerrir les nouvelles recrues. Ils étaient aidés par leur capacité, en ce premier tiers des années 80, à écouter les échanges internes à la police. Un temps, AD eut également son journal, L’Internationale. Mais les actions de la police contraignirent à accentuer la séparation entre sphère légale et sphère clandestine. Dans le même temps, d’abord en Belgique, puis dans la fameuse ferme de Vitry-aux-Loges, autour du noyau rassemblé autour de Rouillan et Ménigon, les actions se poursuivirent, dirigées en particulier contre le complexe militaro-industriel. Jann Marc Rouillan précise à ce sujet la volonté de ne jamais faire de victime appartenant aux classes dominées, et l’objectif de ne pas tuer Guy Brana, vice-président du CNPF, simplement de faire un coup d’éclat sous forme de fusillade.

Avec cette approche d’un chercheur et ce témoignage de l’intérieur de la mouvance AD, il est clair que le terme de terrorisme, qui règne désormais dans le champ médiatique, est totalement inadéquat, de par son impact surtout émotionnel et son caractère grossier car censé transcender les ancrages politiques. Il s’agit bien d’une forme de lutte armée, demeurée minoritaire, mais qu’il s’agit de prendre au sérieux, à la manière dont notre collectif avait tenté de le faire dans le tout premier ouvrage de sa collection, en 20054.

1Il est chroniqué sur ce blog : https://dissidences.hypotheses.org/9245

2Ce passage est écrit avant le mouvement des Gilets jaunes et les violences policières lors des manifestations pariennes et provinciales.

3Voir leurs chroniques dans notre revue électronique : https://revuesshs.u-bourgogne.fr/dissidences/document.php?id=1096 pour le tome 2, https://revuesshs.u-bourgogne.fr/dissidences/document.php?id=1848 pour le tome 3, et https://revuesshs.u-bourgogne.fr/dissidences/document.php?id=1530 pour Infinitif présent, évocation plus libre de souvenirs militants.

4Dissidences, « Révolution, lutte armée, terrorisme », Paris, L’Harmattan, 2005. Signalons que parmi les compléments en ligne de cet ouvrage, figurait un article sur Action directe, désormais incomplet, repris dans notre revue électronique : https://revuesshs.u-bourgogne.fr/dissidences/document.php?id=2005