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William Blanc, Super-héros. Une histoire politique

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Lien publiée le 19 mars 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://dissidences.hypotheses.org/12092

William Blanc, Super-héros. Une histoire politique, Paris, Libertalia, collection « Ceux d’en bas », préface de Xavier Fournier, 2018, 368 pages, 17 €. (suivi d’un entretien avec l’auteur)

Un compte rendu de Jean-Guillaume Lanuque

William Blanc s’était jusqu’à présent surtout fait connaître par ses ouvrages passionnants relevant de sa spécialité première, l’histoire médiévale : citons en particulier Charles Martel et la bataille de Poitiers1 (avec Christophe Naudin) et Le Roi Arthur, un mythe contemporain2. Cette fois, c’est à une mythologie nettement plus récente qu’il s’attaque, celle des super-héros. Il y décèle une tension, une dialectique pourrait-on presque dire, entre « (…) la foi dans l’avenir et la peur de voir le monde rationnel et démocratique s’effondrer pour retomber dans un Moyen Âge de cauchemar (…) » (p. 14).

Son propos porte exclusivement sur les super-héros anglo-saxons, principalement étatsuniens, ce qu’il est nécessaire de préciser tant cette mythologie est mondiale. William Blanc y met d’ailleurs à profit toute sa connaissance historique, insistant sur la réutilisation par les comics d’une imagerie médiévale, comme la Table ronde pour les premiers groupes de super-héros, le château en tant que symbole du passé à détruire, ou le chevalier s’opposant aux barbares, à l’instar de Batman ou de Captain America. Superman, le premier personnage du genre, apparu en 1938, comme bien d’autres de ses frères de papier, a été élaboré, il est important de le souligner, par des créateurs issus pour beaucoup de l’immigration juive. Le surhomme est, dans cette optique, bénéfique, promesse d’une modernité conquérante, généreuse et idyllique, tout en conservant un potentiel de destruction (à l’image du nazisme, « modernité réactionnaire »)

L’auteur trace d’ailleurs à cette occasion un parallèle avec l’homme nouveau tel que Trotsky le décrivait dans certaines pages de Littérature et révolution3. Mais les filiations de ces héros sont nettement plus riches, convoquant de façon souvent très convaincante Jeanne d’Arc, ou Houdini (lui aussi immigré juif, et exemple type de réussite par le spectacle). A Superman, il oppose par contre le John Carter du Cycle de Mars, d’Edgar Rice Burroughs, qu’il perçoit comme projection d’un esprit colonial conquérant. De la même manière, Wonder Woman était, pour son créateur, une figure de l’émancipation féminine (il imaginait même les Etats-Unis du futur comme un matriarcat !), et ce n’est qu’avec la guerre froide et le maccarthysme que cette image céda temporairement la place à une vision plus platement romantique, et même, dans la période la plus contemporaine, à celle de l’interventionnisme étatsunien.

A l’inverse, les années 1970 virent tout à la fois la valorisation de figures d’une masculinité réaffirmée (les comics prenant Conan comme héros), et l’apparition de femmes guerrières, telle Red Sonja, libre et désirable dans un contexte de libération sexuelle. Pour chaque figure évoquée, William Blanc essaye de la sorte de repérer un axe dominant d’explication : l’unité nationale face au spectre de la guerre civile pour Captain America ; l’anti-impérialisme pour Namor, le prince de l’Atlantide (avec en outre, à compter des années 1960, une idéalisation de la figure médiévale, à l’instar d’un William Morris) ; la figure à la fois chevaleresque et entrepreneuriale d’Iron Man, évoquant Edison et le complexe militaro-industriel des Etats-Unis ; le traumatisme des vétérans du Vietnam et le caractère réactionnaire du Punisher, dont le symbole est arboré de nos jours par des militaires ou des policiers étatsuniens ; l’« afrofuturisme » de Black Panther, premier super-héros noir dans un temps où les espoirs tiers-mondistes jouaient à plein ; le désir de justice sociale défendue par Green Arrow, adaptation de Robin des bois.

Dans ces différentes figures de la critique sociale, on remarque la domination d’une forme de réformisme, opposée au radicalisme de Malcolm X ou du BPP (Black Panther Party), par exemple. Il n’y a que Luke Cage, alias Power Man, pour se situer dans cette filiation, en faisant de son corps l’arme des opprimés, à la manière d’un Bruce Lee. On notera également, sur cette question du radicalisme et des convictions révolutionnaires, l’histoire de l’Escadron suprême, collectif de super-héros désireux de faire advenir sur Terre une utopie généreuse, mais qui finissent par mettre en place une dictature rouge, dans un parfait exemple de substitutisme pouvant évoquer, en ces années 1980, l’histoire de la Russie bolchevique.

Richement illustré, avec un cahier couleur, Super-héros. Une histoire politique est une lecture fascinante, témoignant d’une connaissance approfondie du domaine. Le seul reproche que l’on peut lui faire, en dehors de cette focale exclusivement tourné vers le monde anglo-saxon (qui est aussi, qu’on le veuille ou non, celui des super-héros les plus connus), est de ne pas proposer un tableau d’ensemble au profit d’une galerie de personnages abordés plus ou moins largement4, ou de thèmes (le baseball dans les comics, métaphore de la réussite sociale accessible à tous et du melting pot, ou l’émergence progressive de super-héros homosexuels). De quoi alimenter le prochain volume !

« Cinq questions à… William Blanc » (entretien numérique réalisé le 11 décembre 2018)

Dissidences : d’où est venue l’idée du livre, très différent de vos précédents ouvrages ?

William Blanc : Certes, la forme est différente. Mais il existe une nette continuité entre mon travail sur le médiévalisme (notamment le livre Le Roi Arthur, un mythe contemporain) et les super-héros. En effet, nombre de récits super-héroïque opposent un héros, qui représente le parangon de l’homme moderne devenu un « surhomme » grâce à la science, à un antagoniste qui lui habite dans un château médiéval et un donjon où il torture ses adversaires. Le super-héros incarne l’idée qui veut que l’avenir rime avec un futur radieux où les avancés de la science font écho à ceux de la démocratie. Superman, rapidement surnommé « l’homme de demain », représente parfaitement cette idée.

Dissidences : pourquoi vous être centré exclusivement sur les super-héros américains ? La France, entre autres, possède une belle galerie de personnages que Xavier Fournier, votre préfacier, a su remettre en lumière dans ses ouvrages.

WB : Xavier Fournier montre en effet qu’il a existé une belle tradition super-héroïque en France. J’en parle un peu lorsque je lui emprunte l’idée (qu’avait déjà évoquée Umberto Eco) que le comte de Monte Cristo constituerait une forme de sorte de préfiguration de l’archétype super-héroïque. Pourtant, les artistes français ont produit moins de récits super-héroïques qu’aux États-Unis, notamment après la Seconde Guerre mondiale, à un moment où l’idée de « surhomme » renvoyait sans doute trop à l’Allemagne nazie. Aussi ai-je préféré m’intéresser aux super-héros américains qui, aujourd’hui, constituent un véritable phénomène culturel mondial.

Dissidences : lorsque la question sociale est plus sérieusement prise en considération dans les comics, comme avec Green Arrow par exemple, la voie privilégiée demeure toujours celle d’un réformisme proche de celui de Roosevelt. Comment expliquez-vous ce point aveugle du radicalisme révolutionnaire chez les super-héros étatsuniens ?

WB : Beaucoup de super-héros s’inscrivent dans la lignée du New Deal et restent sur une ligne très pragmatique. Mais plusieurs récits super-héroïques posent la question de la possibilité de l’existence d’une société utopique. C’est notamment le cas dans la série « L’Escadron Suprême », publiée entre 1985 et 1986, où un groupe de super-héros tente de prendre le pouvoir pour imposer la fin de la pauvreté et de la guerre. Certes, l’auteur de ce récit n’emploie pas une rhétorique révolutionnaire, mais il se pose sérieusement la question (à travers des personnages allégoriques) du changement de société (et de ses limites). 

Dissidences : Avec le large succès public des films et des séries des franchises Marvel et DC en ce début de XXIe siècle, on assiste à une popularisation extrêmement étendue des super-héros. Comment interprétez-vous ce revival qui me semble sans précédent à cette échelle ? Que nous dit-il de notre époque ? Ce passage à la forme audiovisuelle n’a-t-il pas tendance à lisser le contenu des comics originaux ?

WB : Le succès de franchise comme le Marvel Cinematic Universe (lancé en 2008) permet au genre super-héroïque de se mondialiser. D’ailleurs, les films se déroulent sur les cinq continents et impliquent des personnages venus de tous les horizons, comme Black Panther. Ce phénomène (qui commence au début des années 2000 avec le début de la franchise X-Men) a été permis par les avancées techniques du cinéma, notamment des effets spéciaux. Mais il y a, je pense, en une période de crise climatique et de doute face à l’idée de progrès, le besoin de se raccrocher à une mythologie qui célèbre l’idée même de modernité ; que l’homme, grâce à la science, est capable d’accomplir des miracles.

Dissidences : Un second volume s’annonce, tant le nombre de super-héros pouvant faire l’objet d’études monographiques est encore considérable : le Surfer d’argent, les X Men, Dr Strange, les Watchmen, etc… Y a-t-il d’autres pans de la culture populaire que vous souhaiteriez ultérieurement étudier ? Je pense à la musique, par exemple, des paroles de chansons ouvrant régulièrement vos chapitres…

WB : Oui, il y a largement de quoi faire un deuxième et même un troisième tome. D’autant que la matière super-héroïque ne cesse de s’enrichir. Je vais y travailler. Mais pour l’instant, j’ai envie de me concentrer sur la fantasy qui constitue à mon avis l’autre grand genre populaire du XXe et du début du XXIe siècle. Ce n’est pas un hasard. Autant les super-héros célèbrent la modernité, autant la fantasy la critique. Les deux genres, apparus à quelques décennies d’intervalles dans leur forme contemporaine, semblent se répondre. Bref, prochain arrêt, la Terre du Milieu !

1Chroniqué sur notre blog : https://dissidences.hypotheses.org/5834

2Chroniqué sur notre blog : https://dissidences.hypotheses.org/8421

3Ce sont là des thématiques qui traversent également la science-fiction de l’époque, en particulier dans l’Ancien Monde, soit pour réfléchir à la question du surhomme émergent, soit pour imaginer les transformations physiques et cérébrales de l’homme de l’avenir.

4Logan, alias Wolverine, un des X Men les plus connus, est ainsi présenté avec beaucoup d’à-propos comme le négatif de Captain America, mais l’accent est uniquement mis sur le film Logan et le comics qui l’a inspiré, particulièrement crépusculaires.