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Avant la retraite à points, le traitement du cancer à points !
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
C’est la fille de René qui a contacté l’Humanité lundi. « Mon père est traité pour un cancer de la vessie. Il a appris la semaine dernière que son traitement ne pouvait être poursuivi car en rupture de stock. » à la suite du retrait de Sanofi en 2019, seul un labo allemand, Medac, produit pour la France le BCG qui permet d’éviter la récidive de ce cancer. Avec la pénurie, les urologues doivent désormais trier les patients, en leur attribuant des points selon le stade de la maladie...
Sur le site de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), la liste s’allonge, semaine après semaine, des médicaments en situation de pénurie. Simples « tensions d’approvisionnement » ou « ruptures de stock », pour les patients, le résultat est le même : l’impossibilité de pouvoir prendre leur traitement, et une angoisse qui monte en flèche. Or, quand ces molécules manquantes sont chargées de contenir les risques de récidive d’un cancer de la vessie et d’éviter une ablation de celle-ci, il va de soi que la nouvelle passe mal. Enseignant à la retraite, René Richoux, 74 ans, n’a pas bien vécu l’annonce de cette pénurie, malgré le dévouement de l’équipe médicale qui le suit au centre hospitalier Annecy-Genevois (Haute-Savoie). « Mon cancer a été diagnostiqué en mai 2019, et j’ai subi deux opérations. Comme ma maladie était dite “de haut grade”, j’ai dû prendre ce traitement immunothérapique très efficace, le BCG-Medac, pour renforcer mes défenses. Cela devait durer environ deux à trois ans. Tout se passait bien, jusqu’à un rendez-vous avec mon urologue la semaine dernière… » Alors qu’il s’attendait à repartir pour trois semaines d’« instillations », soit l’introduction dans la vessie du précieux médicament, notre septuagénaire s’entend dire qu’il devra patienter, à cause de « problèmes d’approvisionnement ».
En cas de rupture de stock, il n’y a pas de plan B
« Cela fait huit ans que les malades de ce cancer méconnu, pourtant le 4e chez les hommes (20 000 nouveaux cas annuels – NDLR), souffrent de pénuries récurrentes, qui sont comme une épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Cette situation est très choquante », s’émeut Frédérick Merlier, le président des Zuros, l’association de patients atteints de cancer de la vessie. Atteint lui-même depuis 2016, le quadragénaire a écrit samedi dernier à la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, pour lui demander de « trouver une solution ». Il attend sa réponse. Certes, cette pénurie insupportable a une explication technique à peu près audible : la production du BCG, variante du fameux bacille de Calmette et Guérin, qui permet de lutter contre la tuberculose, est très aléatoire. « C’est une bactérie qu’il faut cultiver, et la moindre contamination peut conduire à tout mettre à la poubelle, explique le Pr Yann Neuzillet, urologue à l’hôpital Foch (Suresnes) et membre de l’Association française d’urologie. C’est ce qui est arrivé à Sanofi dans son usine canadienne et a conduit le labo à stopper toute production du BCG. » Les derniers lots rapatriés par l’industriel en France ont atteint leur date de péremption fin septembre 2019. Depuis, le laboratoire allemand Medac est devenu l’unique producteur du traitement pour la France. En cas de souci d’approvisionnement, il n’y a pas de plan B.
Sauf que les difficultés de production n’expliquent pas tout. D’autres laboratoires parviennent à fournir de nombreux pays (États-Unis, Inde, Chine…), car les prix pratiqués dans ces derniers permettent aux industriels de conserver des marges importantes. Ce qui n’est pas le cas en France, où les tarifs sont contrôlés : 158 euros l’instillation de BCG-Medac, à multiplier par les 27 instillations prévues pour un traitement.
Ce tri des patients, « on ne le fait pas de gaieté de cœur »
« En Chine ou en Inde, c’est vendu trois à quatre fois plus cher, donc les labos sont intéressés. La santé ne devrait pas avoir de prix, mais, malheureusement, elle a un coût… » résume le Pr Yann Neuzillet. Qui souligne toutefois le paradoxe cruel de voir la France, « qui a été à l’origine de la découverte du BCG avec l’Institut Pasteur, et l’a donné gratuitement aux labos ensuite, en être privée aujourd’hui pour des raisons financières »...Contraints et forcés, les urologues français, en lien avec l’ANSM, se sont donc résolus à « organiser cette pénurie », mettant en place un contingentement des lots. « L’idée est que sa distribution se fasse selon des critères objectifs de gravité de la maladie. Le nombre de lésions, leur grade, leur stade, la fréquence des récidives… Tout cela donne des points, qui permettent d’accéder au traitement. On ne le fait pas de gaieté de cœur, croyez-moi », explique le médecin de l’hôpital Foch. « Moi, je trouve ça fou qu’on en soit arrivé là,s’étrangle Sylvie Richoux, la fille de René, qui a alerté l’Humanitésur cette affaire. S’ils n’ont que 20 doses, ils ne soigneront que 20 patients. Et les autres ! ? On essaye de nous imposer la retraite à points, mais là, on a déjà le traitement du cancer à points. C’est inhumain. »