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L’insurrection albanaise de 1997

Albanie histoire

Lien publiée le 18 juillet 2023

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L'insurrection albanaise de 1997 - Chroniques critiques (zones-subversives.com)

L'insurrection albanaise de 1997

En 1997, une insurrection éclate en Albanie. Cette révolte spontanée préfigure les soulèvements du XXIe siècle. La population se dresse contre un régime autoritaire qui accentue les inégalités sociales. Mais l'insurrection albanaise comporte également les limites des cycles de lutte de 2011 et de 2019. 

Une insurrection éclate en Albanie en 1997. Mais cette révolte semble désormais avoir sombré dans l’oubli. Ces événements sont pourtant largement couverts par la presse internationale de l’époque. Mais les historiens et les journalistes refusent d’évoquer cette période réduite à un moment de « guerre civile » rythmée par les rafales de kalachnikovs. L’article fouillé « Albanie "bon élève" à la dérive », publié dans Le Monde diplomatique, ne se penche pas sur la révolte de 1997.

Les soulèvements à travers le monde, sans leaders ni partis se sont banalisés. Il semble donc important de se pencher sur cette insurrection albanaise de 1997. Cette révolte se distingue par sa radicalité. Cependant, elle montre également que l’insurrection n’est qu’un début qui ne débouche pas toujours vers un processus de transformation sociale. Le soulèvement armé peut également conduire vers le gangstérisme et la dérive mafieuse. Un recueil de textes permet d’analyser les forces et les limites de cette révolte singulière dans le livre Albanie 1997, une insurrection oubliée ?

                    Albanie 1997 : une insurrection oubliée ? - 1

Insurrection

En janvier 1997 une crise économique et financière éclate en Albanie. La population voit son épargne s’évaporer. Le 19 janvier, le parti d’opposition lance une importante manifestation à Tirana. Dans la ville de Berat, des bâtiments de la police, de la justice et des bureaux ministériels sont attaqués avec des jets de projectiles. Les locaux du parti au pouvoir sont également ciblés. Les manifestations prennent de l’ampleur. Des barricades se dressent à Berat et la mairie est incendiée.

Le 1er mars, la ville de Vlora est aux mains des insurgés qui pillent les casernes et incendient les bâtiments d'institutions assimilées au gouvernement. La révolte se propage dans de nombreuses villes au cours du mois de mars. Les insurgés sont désormais armés. Les prisons sont attaquées et les prisonniers parviennent à s’évader. Cependant, la seule perspective de la révolte reste l’organisation d’élections libres qui se déroulent en juillet. Le chef du gouvernement Sali Berisha, contre lequel se dresse cette insurrection, est finalement réélu. Le mouvement s’effiloche entre dérives mafieuses, récupérations politiques et résignation de la population.

Durant ce mouvement, les entreprises d’État comme les banques ou les mines sont particulièrement attaquées. L’industrie du textile et les télécommunications, qui reposent sur un travail intensif, sont également ciblées. Les licenciements de masse, les bas salaires et les conditions de travail difficiles ont étendu le mécontentement au-delà du domaine de l’entreprise.

Un texte, paru dans l'hebdomadaire anarchiste Alpha, revient sur les causes et le déroulement de l’insurrection albanaise. La fin du régime stalinien débouche vers la prise de pouvoir par une caste corrompue. Les Albanais ont investi dans le mirage du capitalisme financier, mais ont fini par perdre toutes leurs économies. « Plus ils ressentaient l’exploitation, plus ils se soulevaient massivement et dynamiquement contre le régime totalitaire de Berisha qu’ils considéraient comme le responsable exclusif de la fraude contre l’ensemble du peuple albanais », observe l'hebdomadaire.

Les insurgés forment des comités de salut populaire. Ils avancent des revendications comme le remboursement de tous les déposants, la formation d’un gouvernement intermédiaire multipartite, la tenue de nouvelles élections et le vote d’une nouvelle Constitution. Mais ces comités permettent surtout le ravitaillement et la défense des zones insurgées.

Berisha rencontre les différents partis. Il accepte la formation d’un gouvernement intermédiaire avant l’organisation d’élections. En revanche, les revendications économiques comme la restitution de l’argent volatilisé ne sont pas évoquées. Face à cet arrangement de la classe politique, le mouvement prend de l’ampleur. Berisha implore l’aide de l’opposition. Il décide surtout de répliquer par une répression sanglante menée par les redoutables services secrets.

Le 13 mars, la révolte prend de l’ampleur. « Notre argent et la tête de Berisha » résume les revendications du mouvement qui semble pouvoir balayer le régime. « Nous pouvions voir clairement l’abolition de tout pouvoir gouvernemental, militaire et policier et qu’il n’était plus qu’une question d’heures avant que l’insurrection populaire arrive dans le centre de Tirana », précise l’article.

Le pouvoir tente de se redonner une nouvelle légitimité avant de déclencher une répression violente. « Les efforts du nouveau gouvernement sont axés sur la mise en place de nouvelles procédures institutionnelles, de nouveaux mécanismes de pouvoir, de nouvelles fonctions de l’État et du gouvernement », analyse l’hebdomadaire. Le pouvoir tente d’intégrer les Comités de salut public dans les structures de l’administration locale. Les prisons sont ouvertes.

            

Révolte sociale

La revue Wildcat, influencée par l’opéraïsme, revient sur l’intervention militaire de l’Italie. Ce qui se présente comme un appui militaire à une aide humanitaire masque mal le projet d’une restauration de l’autorité de l’État. Le soulèvement albanais montre que la population d’une région devient capable d’abolir l’État.

Les médias occidentaux décrivent cette révolte sociale comme un conflit ethnique entre le Nord et le Sud du pays. L’histoire et la géographie de l’Albanie favorisent les comparaisons avec la guerre du Kosovo et la situation des Balkans. Néanmoins, la révolte albanaise est également présente dans le Nord. Même si le régime n’a pas été renversé, contrairement à la région du Sud.

Les médias occidentaux réduisent ce soulèvement à des querelles tribales, à des oppositions ethniques et religieuses ou à des rivalités entre groupes criminels liés à la mafia. Pourtant, ce mouvement apparaît clairement comme une révolte politique et sociale. La démission de Berisha et le remboursement de l’argent perdu restent les deux revendications centrales. Les médias considèrent que le capitalisme néolibéral a définitivement enterré la lutte des classes. « Des pauvres et des opprimés qui se révoltent contre la pauvreté et l’oppression ça n’existe pas, le capitalisme a enfin triomphé mondialement depuis 1989, une fois pour toutes », ironise la revue Wildcat.

Le groupe grec Ta Paida tis Galaria (Les enfants du Paradis) revient sur le contexte historique de l’insurrection albanaise. Ce petit pays s’aligne sur l’URSS de Staline avec un culte de la personnalité autour du dictateur Enver Hoxha. L’État contrôle le secteur industriel et surtout les terres agricoles. En 1961, l’Albanie se tourne vers la Chine. Cette économie centralisée subit l’absentéisme important des salariés, mais aussi des problèmes de pénurie.

De plus, en raison de la forte natalité, il devient difficile de trouver un emploi pour toute la population. En 1985 s’amorce un processus de restructuration du modèle albanais. La population peut quitter le pays et découvre les médias occidentaux. En 1991, c’est un mouvement de grève générale qui balaye le régime. C’est la classe ouvrière glorifiée par le pouvoir qui provoque sa chute.

Le soulèvement de 1997 apparaît comme une insurrection moderne. Elle n’est pas portée par une classe ouvrière qui travaille en usine, mais par la main-d'œuvre la moins chère d’Europe. Les travailleurs albanais sont souvent émigrés et quittent leur pays pour survivre. « Plus que quiconque dans les Balkans, c’est le migrant albanais qui représente non seulement la pauvreté mais la disponibilité de main d’œuvre pour le capital. Certes, la révolte n’a pas eu lieu là où les Albanais émigraient, mais là d’où ils venaient, là d’où ils étaient membres d’une communauté, et non pas des étrangers complètement aliénés », observe le groupe TGPG. La révolte albanaise semble également moderne car elle cible directement le pouvoir de l’argent et de la marchandise qui détermine le rapport capitaliste à l’ère néolibérale. Elle n’attaque pas le vieux système bureaucratique démodé mais un pouvoir moderne qui impose des réformes économiques.

Ensuite, cette révolte ne porte pas des revendications politiques illusoires, mais lutte directement contre l’exploitation capitaliste. « Les chômeurs, les migrants, les paysans pauvres, ne créèrent pas les conditions matérielles d’une communauté de lutte qui durerait plus longtemps. Ils demandèrent simplement l’argent, la plus-value doublement volée, mais sans aucune perspective de produire leur vie et de s’auto-déterminer », analyse le groupe TGPG. Cependant, cette insurrection ne permet pas de déboucher vers de nouvelles perspectives politiques. Berisha parvient ainsi à se faire réélire.

        

Analyse de classe d’un soulèvement

Ce livre collectif permet de se pencher sur un moment méconnu de l’histoire récente. L’insurrection de 1997 en Albanie reste peu évoquée par les milieux militants. Sans doute car elle se situe dans les Balkans, une zone de conflits pas toujours faciles à déchiffrer. Surtout, cette révolte se lance sans leader ni parti. Aucune avant-garde de militants ne déclenche cette puissante insurrection. Ce sont les albanais eux-mêmes qui se révoltent et pillent les casernes de manière spontanée.

Cette révolte semble emblématique des potentialités et des limites des soulèvements du XXIe siècle. Cette insurrection reste indissociablement politique et sociale. Elle est clairement déclenchée par la situation économique et sociale. La population se retrouve considérablement appauvrie, ce qui provoque sa colère. Cependant, l’insurrection cible également le pouvoir d’État qui décide d’imposer des politiques néolibérales. La colère sociale débouche donc logiquement vers une remise en cause du régime de Berisha. Tandis que les révoltes qui secouent l’Europe de l’Est dans les années 1980 ciblent les vieux régimes bureaucratiques hérités du stalinisme, l’insurrection albanaise attaque surtout un État moderne qui s’appuie sur le capitalisme. Ce soulèvement attaque un régime autoritaire, mais aussi l’exploitation, la misère et le capitalisme.

L’autre force de ce soulèvement reste sa dimension spontanée. Depuis les révoltes dans les pays arabes en 2011, en passant par le mouvement Occupy et les mouvements de 2019, de nombreuses régions du monde sont secouées par ce même type de soulèvement. La population se révolte de manière spontanée contre les inégalités sociales. Ces mouvements n’organisent en dehors des partis et des syndicats. Aucun leader identifiable n’émerge pour prétendre diriger l’insurrection. Des formes d’auto-organisation peuvent même émerger. Ces mouvements ne s’appuient pas non plus sur des vieux programmes politiques. Leurs revendications semblent claires et directes. De l’argent et la chute du régime restent les deux principales revendications à travers le monde.

Une analyse de classe de ces révoltes peut permettre de distinguer une composante ouvrière qui insiste davantage sur les revendications sociales et sur la pratique de la grève. Une composante de classe moyenne met en avant la question des libertés démocratiques, sans remettre en cause directement les inégalités sociales et le capitalisme. Cette fraction des classes moyennes semble peut-être présente dans l’insurrection en Albanie. Seule une haute bourgeoisie d’État liée au régime semble se démarquer. La classe ouvrière, qui travaille et peut se mettre en grève, n’est pas non plus hégémonique. L’insurrection albanaise semble portée par une population qui subit le chômage et la précarité, qui peut parfois migrer dans d’autres pays d’Europe pour travailler.

La révolte en Albanie subit les mêmes dérives que les soulèvements depuis 2011, notamment dans le monde arabe. La militarisation du conflit débouche vers une situation de guerre civile avec une violence quotidienne et des territoires contrôlés par différents groupes paramilitaires ou mafieux. La situation de la Syrie évoque cette pente dangereuse d’une lutte contrôlée par des hommes armés. L’autre dérive est évidemment celle de l’électoralisme. Un soulèvement social peut s’effondrer dès lors que des élections sont à l’horizon. Les promesses des candidats, souvent fallacieuses, et d’une meilleure démocratie débouchent vers des impasses. L’Argentine de 2001 ou la Tunisie de 2011 montrent bien que les élections n’ouvrent aucun avenir meilleur.

Reste la question, à la fois décisive et complexe, de construire des perspectives révolutionnaires. Les révoltes sociales ne parviennent pas à construire des structures auto-organisées pour construire une nouvelle société depuis la base. Elles débouchent vers des discussions passionnantes, mais qui ne permettent pas toujours une véritable réflexion collective pour fixer des perspectives communes. Surtout, les révolutions finissent souvent isolées. Seul un embrasement dans différents pays du monde peut ouvrir des perspectives de rupture avec le capitalisme.

Source : Collectif, Albanie 1997, une insurrection oubliée ?, L’Asymétrie, 2022

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Pour aller plus loin :

Albanie – chronologie de l’insurrection de 1997, publié sur le site Hic Salta – Communisation

Albanie - De la pauvreté à la révolte, publié dans le journal Lutte de Classe n°27 en Avril 97

Marc Semo, Le sud albanais poursuit sa rébellion contre le pouvoir de Tirana. « Si les soldats avancent sur Vlora, ce sera un bain de sang », publié dans le journal Libération le 8 mars 1997

Vincent Hugeux, La Commune albanaise, publié dans le magazine L'Express le 13 mars 1997

Tristan Trasca, 1997, quand la guerre civile en Albanie a précipité la fuite d’une immense star argentine, publié sur le site La Grinta le 12 janvier 2022