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Hausse des tarifs des complémentaires santé : les pouvoirs publics premiers responsables

économie santé

Lien publiée le 4 février 2024

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://www.alternatives-economiques.fr/nathalie-coutinet/hausse-tarifs-complementaires-sante-pouvoirs-publics-premiers-r/00109434

Nathalie Coutinet
Maitresse de conférences en sciences économiques, Université Paris 13

La Mutualité française, qui regroupe près de 500 mutuelles, a annoncé une forte augmentation des cotisations (de 8,1 % en moyenne) pour l’année 2024, augmentation jugée « inacceptable » par l’ex-ministre de la Santé Aurélien Rousseau dans un communiqué daté du 15 décembre 20231.

Comment l’expliquer ? La cause première renvoie à la croissance du coût des soins : revalorisation des tarifs de plusieurs professionnels de santé (kinésithérapeutes, sages-femmes, dentistes, etc.) et de la consultation médicale, revalorisation des salaires des hospitaliers, hausse des prix des médicaments sont des facteurs qui augmentent les dépenses de soins et les remboursements effectués par les organismes d’assurance complémentaire en santé2.

Cependant, comme le remarquait l’ancien ministre de la Santé, ces hausses ne suffisent pas à justifier la forte augmentation des cotisations.

En effet, alors que les tarifs des organismes complémentaires augmentent de 10 %, la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM)3, hors crise sanitaire, affiche une croissance de seulement 3 %. L’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) pour 2024 est, lui aussi, en hausse de 3,2 % seulement, selon les prévisions du gouvernement incluses dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024 (soit une augmentation de 8 milliards d’euros à champ constant par rapport à 2023).

Pour comprendre les annonces de la Mutualité française, il est nécessaire de revenir sur la répartition du financement des soins et son évolution.

Progression de la part des complémentaires et des ménages

En France, le financement des soins est réparti entre trois acteurs : le premier financeur est la Sécurité sociale qui a pris en charge, en 2022, 79,6 % de la CSBM. Les organismes complémentaires constituent le second avec une participation de 12,6 %. Enfin, les ménages y participent à hauteur de 7,2 % (selon la Drees). Globalement, dans le temps, cette répartition du financement est relativement stable, mais elle présente des disparités importantes entre les différents types de soins.

Si la Sécurité sociale finance les soins hospitaliers à hauteur de 92,9 % pour le secteur public et à 90,5 % pour le secteur privé, cette proportion est beaucoup plus faible pour les soins de ville et les biens médicaux. Ainsi, concernant les dépenses des médecins généralistes, le financement de la Sécurité sociale est de 79,8 % et de 69,6 % pour les spécialistes.

En conséquence, la part des organismes complémentaires et des ménages est de respectivement de 14,6 % et 5,4 % pour les dépenses des médecins généralistes et 19,8 % et 10,3 % pour les spécialistes. Enfin, certains soins tels que les prothèses dentaires ou les biens d’optique sont majoritairement financés par les organismes complémentaires et les ménages (Drees, 2023).

Cependant, cette répartition du financement des soins reflète imparfaitement les évolutions récentes, notamment la couverture santé complémentaire obligatoire pour les salariés du secteur privé – accord national interprofessionnel (ANI) du 13 janvier 2013 – et le « 100 % santé » dont la mise en œuvre a débuté en 2019.

Transfert vers les organismes complémentaires

Depuis janvier 2016, les entreprises du secteur privé ont en effet l’obligation d’offrir une assurance santé complémentaire à leurs salariés. Ces contrats sont des contrats collectifs négociés entre un organisme complémentaire et une entreprise ou une branche professionnelle. Si tous doivent proposer une couverture minimum (appelée contrat socle), ils diffèrent cependant selon la taille de l’entreprise. Ainsi, les salariés des TPE/PME se voient généralement proposer des contrats moins-disants que ceux proposés aux salariés des grandes entreprises.

Parallèlement, les salariés du secteur public ou les plus précaires, mais aussi les étudiants, les chômeurs ou les retraités – non concernés par cet accord – ne peuvent souscrire qu’à des contrats individuels plus chers. Depuis cette loi, la situation professionnelle et les inégalités sur le marché du travail affectent la couverture complémentaire.

Par ailleurs, en généralisant la couverture complémentaire, les pouvoirs publics vont organiser un transfert progressif du remboursement des soins de la Sécurité sociale vers les organismes complémentaires.

Le « 100 % santé » est une mesure phare du premier quinquennat du président Macron. Annoncé en grande pompe, il permet aux patients d’acquérir des lunettes, des équipements d’audioprothèse ou certains soins prothétiques dentaires sans frais. Si cette mesure constitue une avancée importante en termes d’accès aux soins, son financement est en grande partie assuré par les organismes complémentaires. Or depuis sa mise en œuvre, les dépenses pour ces équipements ont fortement augmenté.

Concernant les audioprothèses, la consommation d’équipements « 100 % santé » avait augmenté d’environ 60 millions d’euros en 2020 à près de 500 millions d’euros en 2021. Une tendance identique s’observe pour les biens d’optique médicale hors lentilles. En 2022, la consommation totale de biens d’optique médicale du panier « 100 % santé » augmente de 7,4 % pour atteindre 379 millions d’euros.

Enfin, en 2022, les trois paniers de prothèses dentaires du « 100 % santé » sont en légère hausse en 2022 (+ 0,8 %), hausse qui fait suite à une croissance particulièrement forte en 2021 (+ 37,5 %).

Un choix politique coûteux et générateur d’inégalités

Une dernière mesure appliquée depuis le 15 octobre 2023 vient alourdir les dépenses des organismes complémentaires. Il s’agit de la baisse du taux de prise en charge par la Sécurité sociale des soins dentaires. Celui-ci passant de 70 % à 60 %, le taux de remboursement des organismes complémentaires passe lui-même de 30 % à 40 %.

L’analyse de la répartition du financement des dépenses de santé permet donc d’identifier les causes de l’augmentation des tarifs des organismes complémentaires. Et, contrairement aux affirmations d’Aurélien Rousseau, il n’est pas « inacceptable », mais résulte d’un transfert de financement de la Sécurité sociale vers les organismes complémentaires.

Cela fait maintenant plusieurs années que, pour contenir les dépenses de santé, les politiques menées par les pouvoirs publics organisent ce transfert de financement qui conduit les organismes complémentaires à augmenter les cotisations de leurs clients pour faire face aux remboursements. Ce choix politique interroge d’autant plus qu’il est coûteux pour les finances publiques et générateur d’inégalités.

Il est coûteux, car les entreprises offrant des contrats collectifs bénéficient d’un régime fiscal et social avantageux : la prise en charge du coût des contrats à hauteur d’un minimum de 50 % par l’employeur est déductible du bénéfice imposable de l’entreprise, et elle bénéficie – dans une certaine limite – d’une exonération sociale.

Il est inégalitaire, car contrairement à la Sécurité sociale qui repose sur la solidarité et offre une couverture santé indépendante de la situation familiale et professionnelle de l’individu, l’accès à l’assurance complémentaire est fortement dépendant de la situation sur le marché du travail et familiale.

Les gouvernements successifs ont alors beau jeu de se féliciter de ne pas augmenter les cotisations sociales !