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L’IRA et les luttes en Irlande

histoire Irlande

Lien publiée le 15 mars 2024

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

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Le conflit en Irlande du Nord apparaît souvent complexe et sanglant. Les attentats à la bombe et les émeutes rythment cette lutte de libération nationale. L'IRA reste traversée par d'importants débats politiques, notamment sur la participation directe de la classe ouvrière au processus de libération. 

Pendant trente ans, un conflit ensanglante l’Irlande du Nord avec 3 500 morts et 48 000 blessés. Cette guerre ne comporte aucun bombardement militaire et touche des civils. Le conflit en Irlande du Nord ne doit pas être considéré comme une relique, mais comme une préfiguration des guerres à venir. L’armée britannique reprend les techniques menées contre la guérilla urbaine et rurale en Irlande du Nord pour les transposer dans les guerres au Proche-Orient.

L’Armée républicaine irlandaise (IRA), responsable de la moitié des décès, demeure le principal acteur de ce conflit. L’organisation compte dix mille membres à son apogée. Le soutien de la population des catholiques nord-irlandais permet à l’IRA de mener une guérilla contre l’un des États les plus puissants d’Europe. Le mouvement républicain irlandais comporte une branche armée clandestine et un parti politique légal. Bien que séparées officiellement, ces deux branches sont dirigées par les mêmes personnes.

Dans les années 1970, les militants de l’IRA font référence au « mouvement anti-impérialiste ». La lutte armée s’accompagne de l’action de masse, avec des grèves et des émeutes. Les pics de la résistance civile se révèlent d’une importance décisive. Les militants de l’IRA conservent une posture élitiste. Ils se considèrent comme une élite courageuse qui se sacrifie pour que les masses obtiennent leur liberté. Mais ce sont pourtant les soulèvements des masses qui ont marqué durablement l’Irlande. Daniel Finn propose une histoire de l’IRA dans le livre Par la poudre et par la plume.

                       

Nationalisme irlandais

Durant les années 1910, le nationalisme irlandais comprend plusieurs tendances. Un courant libéral s’attache à défendre l’autonomie de l’Irlande sous administration britannique avec le Home Rule. Le journaliste Arthur Giffith, fondateur du Sinn Féin, semble tendre vers une indépendance totale des institutions du Royaume-Uni. Ce courant s’appuie sur la déferlante du nationalisme culturel et sur la jeunesse. Le syndicaliste Jim Larkin estime que la classe ouvrière serait le seul et unique soutient de l’indépendance. Le socialiste James Connelly défend le même point de vue.

Le syndicat de l’ITGWU constitue une milice ouvrière pour faire face aux assauts de la police contre les grévistes. L’insurrection de Pâques de 1916 permet au Sinn Féin de se développer et de remporter des élections. En avril 1918 éclate une grève générale qui paralyse tout le pays hormis l’Ulster. Le Sinn Féin devient le parti majoritaire en Irlande au cours des élections législatives de 1918.

L’IRA attaque des membres de la Police royale irlandaise (RIC). Les troupes britanniques répliquent à ces assassinats en tirant sur la foule lors d’un match de football gaélique avec 12 morts. Le gouvernement impose la loi martiale dans le sud-ouest de l’île. Néanmoins, le Premier ministre Lloyd George se tourne vers le Sinn Féin pour négocier une trève en 1921. Cependant, l’IRA s’effondre au cours des années 1920.          

Le militant ouvrier Cathal Goulding permet la renaissance de l’IRA durant les années 1960. Il s’inspire des textes de James Connelly pour articuler nationalisme et socialisme. Le combat contre les classes dirigeantes de Dublin et « l’impérialisme économique » des capitalistes étrangers deviennent tout aussi importants que celui qui vise l’administration britannique dans le Nord. Néanmoins, d’autres membres de l’IRA se méfient de l’action politique et préfèrent privilégier l’activité militaire clandestine. De plus, ils refusent de s’adresser à la classe ouvrière protestante.

L’association nord-irlandaise pour les droits civiques (Nicra) est lancée en 1967 après un meeting à Belfast. Cette organisation lutte pour la fin des discriminations de logement et d’emploi. La Nicra revendique également un découpage électoral plus équitable. Ce mouvement des droits civiques vise à s’adresser aux gens ordinaires qui ne peuvent pas se joindre à une lutte violente mais peuvent soutenir une lutte pacifique. Une marche est organisée contre la discrimination au logement en 1968.

        Dans Bloody sunday

Luttes sociales

Le Comité d’action pour le logement de Derry (DHAC) est impulsé par des jeunes républicains entousiasmés par les idées de Goulding. Ils appellent à la manifestation sur la question du logement. Mais la marche pacifique du 5 octobre 1968 à Derry se heurte à la Police royale d’Ulster (RUC). Si la manifestation reste maigre, son impact devient considérable. Les habitants furieux de cette répression policière convergent vers le centre-ville pour affronter la RUC. Trois jours d’émeutes s’ensuivent.

Le mouvement People’s Democraty est impulsé par des jeunes influencés par la Nouvelle Gauche et les idées trostkistes. Néanmoins, cette organisation ne s’appuie pas sur une ligne idéologique structurée. Ses militants les plus radicaux participent au DHAC. Ce groupe lance une manifestation le 1er janvier 1969 de Belfast à Derry. Le cortège est aggréssé par des milices loyalistes. Une foule immense attend les manifestants pour les acclamer. La RUC se déchaîne dans la nuit avec des passants tabassés et des fenêtres brisées.

En 1969 éclate une scission. L’IRA Provisoire s’oppose à l’IRA Officielle de Goulding. Cette nouvelle branche estime qu’il faut riposter à la RUC avec des armes. Le courant de Goulding se méfie de cette militarisation qui dépossède la population du conflit et peut déboucher vers une fusillade. L’IRA Provisoire estime au contraire que la lutte armée passe avant la mobilisation des masses. Ensuite, Goulding reste surtout implanté à Dublin. Les « Provos » sont surtout actifs à Belfast, au cœur de l’Irlande du Nord.

L’armée britannique débarque en Irlande. La population semble d’abord bienveillante. Cependant, la Grande Bretagne exporte ses méthodes coloniales. Des jeunes déclenchent des émeutes contre l’armée avec des jets de pierres et de cocktails molotov. Les militaires répliquent en noyant la population sous le gaz lacrymogène. Ce qui contribue à accentuer l’hostilité à l’égard de l’armée. L’IRA Officielle décide donc d’attaquer les militaires par les armes. Cette action permet au courant des Officiels de gagner en popularité. Cependant, les Provisoires semblent mieux armés pour la surenchère militariste.

      

Émeutes et lutte armée

Le 4 août 1971, les soldats procèdent à 300 arrestations. Puis à d’autres vagues d’interpellations à domicile. Les prisonniers subissent des tabassages et des privations de sommeil. Ces méthodes coloniales débouchent vers une recrudescence de la violence dans toute la région, avec près de 200 morts en quelques jours. Le recrutement des deux branches de l’IRA monte en flèche. La population catholique passe à la résistance civile et dresse des barricades dans les rues pour empêcher les soldats de circuler. Un mouvement de grève des loyers et des impôts se propage. Les Officiels tentent de relier l’agitation politique et la lutte armée. People’s Democraty lance un nouveau front avec le Mouvement de résistance du Nord (NRM) qui se rapproche des Provos.

Le NRM lance des manifestations pour exiger la libération des détenus. L’armée tire sur un cortège pacifique de 20 000 personnes. Les soldats abattent treize civils. Selon l’IRA Provisoire, le Bloody Sunday sonne le glas des stratégies non violentes. Les syndicalistes appellent à la grève générale, l’ambassade britannique de Dublin est incendiée, les grèves de loyers et d’impôts sont relancées. En 1972, l’IRA Provisoire organise un attentat à la voiture piégée. Cette action débouche vers la mort de deux soldats et sept civils avec plus de 130 blessés. Les Officiels estiment que ces victimes civiles contribuent à discréditer la cause nationaliste. De plus, cet attentat donne le pétexte à l’armée britannique pour renforcer le contrôle du territoire.

En 1975 est créé le Parti socialiste républicain irlandais (IRSP). Cette scission de l’IRA Officielle critique la stratégie d’alliance avec la classe ouvrière protestante. L’IRSP estime que la priorité demeure de chasser l’armée britannique d’Irlande. Cependant, ce nouveau courant reproche aux Provisoires de délaisser la lutte des classes et les mouvements de masse. Le courant provisoire critique l’administration britannique mais ne remet pas en cause les structures capitalistes et l’exploitation. L’IRSP est soutenu par le mouvement People’s Democraty. Ce mouvement révolutionnaire vise à associer la lutte pour l’indépendance nationale et l’émancipation sociale.

            

Hégémonie de l’IRA provisoire

Cependant, l’IRSP subit des règlements de compte et des des assassinats de la part de l’IRA Provisoire. L’IRSP se dote d’une branche armée secrète qui devient incontrôlable et assassine des dirigeants de l’IRA Provisoire. Cette militarisation débouche vers une structure hiérarchisée et complotiste. Le parti revendique une série d’attentats à l’arme à feu et à la bombe. Les marxistes quittent l’IRSP et dénoncent la dérive militariste.

La branche armée du parti finit par s’effondrer progressivement. L’IRA Provisoire décide d’éradiquer les Officiels avec des assassinats et des règlements de compte. Surtout, les Officiels abandonnent progressivement la lutte pour l’indépendance pour devenir un simple parti travailliste. L’IRA Provisoire devient donc la seule force politique en Irlande et peut désormais puiser les idées socialistes de ses rivaux déchus.

En 1976, une manifestation de 100 000 personnes défile pour la paix. L’IRA commence par traiter les manifestants de laquais des britanniques. Au contraire, de nombreux ouvriers défilent pour exprimer une lassitude à l’égard de la violence. Les militants de l’IRA subissent également l’isolement et la répression. Pour perdurer, la lutte armée doit établir des liens solides avec les ouvriers d’Irlande et les syndicalistes de lutte pour construire un véritable mouvement de masse. Gerry Adams et Dany Morrison, jeunes Provos du Nord, tiennent ce discours.

Néanmoins, l’IRA refuse de s’inféoder à des intellectuels marxistes. Si des discussions s’établissent avec ces théoriciens, ils ne sont pas intégrés à la direction de l’IRA. Surtout, Gerry Adams nuance le tournant vers la gauche radicale pour ne pas perdre le soutien des catholiques conservateurs et de l’Église. Ensuite, contrairement aux Officiels, les Provos refusent de tenter de rallier les loyalistes.

En 1978, des attentats à la bombe visent des cibles commerciales. Mais les avertissements donnés ne permettent pas d’empêcher la mort de douze civils. La propagande de la RUC se délecte des photos de cadavres. Cependant, l’IRA revendique fièrement ses méthodes. En août 1979, un attentat à la bombe tue dix-huit soldats. Dans l’été 1981, la mort de dix prisonniers à l’issue d’une grève de la faim ravive la cause républicaine.

          

Processus de paix

Néanmoins, la campagne de soutien aux prisonniers n’est pas portée par l’IRA. C’est le mouvement People’s Democraty et les Comités d’action des parents (RAC) qui mènent la lutte. Une marche réunit entre 10 000 et 25 000 personnes. Cette manifestation ne se contente pas d’exprimer sa solidarité avec les prisonniers. Elle exprime un soutien massif à l’IRA et à la lutte armée. Face à l’intransigeance de Margareth Thatcher, les manifestations se multiplient. Une solidarité internationale se développe. Aux États-Unis, des dockers refusent de décharger les bateaux britanniques. Néanmoins, la Première ministre Margareth Thatcher refuse de céder.

Durant les années 1980, le Sinn Féin stagne à 10% des voix. Malgré une percée en 1981, le parti ne parvient pas à élargir son électorat. Les actions de lutte armée perdurent et ne permettent pas au Sinn Féin de se développer dans le Sud. Surtout, ce parti doit se tourner vers la communauté unioniste pour améliorer son score électoral. L’IRA vise à peaufiner sa stratégie militaire. Les attentats contre les forces de l’ordre diminuent. En revanche, les bombes explosent au cœur de la City pour attaquer la finance et la Bourse de Londres en 1992 et 1993. Ces attentats causent des pertes économiques importantes et se révèlent particulièrement efficaces.

En 1994, l’IRA amorce un processus de paix. La lutte armée n’est pas abandonnée et demeure un moyen de pression. Cependant, la stratégie de l’IRA repose davantage sur le développement du Sinn Féin. Néanmoins, des tensions persistent. La scission de l’IRA Véritable continue les attentats, comme en 1998. Surtout, les loyalistes multiplient les défilés et les provocations dans les quartiers catholiques. Néanmoins, le procéssus de paix permet la libération des prisonniers et une réforme de la police.

Les élections de 2001 permettent au Sinn Féin de s’imposer sur la scène politique pour devenir un parti incontournable en Irlande. Malgré sa politique belliqueuse au Moyen-Orient, le Premier ministre Tony Blair accompagne le processus de paix en Irlande. Néanmoins, le gouvernement britannique veille à interdire les manifestations. L’abandon de la lutte armée par l’IRA ne s’accompagne pas d’une nouvelle stratégie qui repose sur les luttes sociales. L’électoralisme demeure la priorité. Le Sinn Féin ne s’appuie plus sur un mouvement de masse. La population irlandaise doit se cantonner à un rôle de spectateur et décroche de l’actualité politique locale.

          Dans Bloody sunday

Libération nationale et lutte des classes

Le livre de Daniel Finn demeure incontournable pour bien saisir les enjeux du conflit nord-irlandais. Il parvient à bien décrire une situation complexe. L’approche historique permet de restranscrire les débats et de comprendre les processus politiques. Le nationalisme ne se réduit pas à des règlements de compte sanglants mais demeure traversé par de véritables débats politiques et stratégiques. Daniel Finn refuse de s’en tenir à la chronique des attentats et à la comptabilité macabre. Son livre vise à comprendre les différents enjeux qui traversent ce conflit.

La nationalisme irlandais comporte une dimension anticoloniale et vise à la réappropriation d’un territoire par une population opprimée. Cependant, la lutte des classes comporte une dimension centrale en Irlande du Nord. Dès les origines du mouvement républicain, un courant socialiste s’affirme avec James Connelly. Cette tendance ne cesse de perdurer. L’unité des ouvriers, y compris entre catholiques et protestants, doit renverser l’État et la bourgeoisie protestante. Néanmoins, un autre courant insiste davantage sur l’identité nationale et sur la religion catholique. La plupart des luttes de libération nationale oppose ces deux tendances. Cependant, dans le cas irlandais, ces courants sont véritablement structurés et théorisés. Ce qui fait de la lutte des classes un enjeu central.

Ensuite, un autre débat traverse l’histoire de l’IRA. La direction insiste sur la lutte armée et sur la militarisation du conflit. Ce qui permet aux chefs de prendre les grandes décisions et d’écarter la population de ce processus. Au contraire, une autre tendance de l’IRA s’appuie sur les émeutes, les grèves et les manifestations. La lutte de libération nationale repose sur un véritable mouvement de masse et ne se réduit pas à une avant-garde armée. L’IRA parvient d’ailleurs à obtenir des victoires quand la contestation sociale devient puissante. Les luttes en Irlande demeurent même plus décisives que les attentats à la bombe.

Ce clivage entre mouvement social et avant-garde armée traverse également de nombreuses luttes de libération nationale. L’IRA subit la dérive de ces mouvements. L’abandon de la guérilla permet de dévoiler la stratégie réformiste de ce parti. L’électoralisme prédomine et les luttes sociales sont délaissées. En Irlande comme dans de nombreuses régions du monde, ce sont les grèves et les soulèvements sociaux qui permettent une amélioration des conditions de vie de la population.

Source : Daniel Finn, Par la poudre et par la plume. Histoire politique de l’IRA, traduit par Laure Mistral, Agone, 2023

Extrait publié sur le site des éditions Agone

Pour aller plus loin :

Relire l’histoire de l’IRA [1/2], publié sur le site de la revue Ballast le 22 décembre 2022

Relire l’histoire de l’IRA [2/2], publié sur le site de la revue Ballast le 27 décembre 2022

Dominique Sureau (UCL Angers), Lire Finn : « Par la poudre et par la plume, histoire politique de l’IRA », publié dans le journal Alternative libertaire N°340 (juillet-août 2023)

Francis Pian, Des idées et des luttes : Par la poudre et par la plume, publié" sur le site du journal Le Monde Libertaire le 14 mai 2023

Thierry Labica, Pour une histoire politique de l’IRA, publié sur le site de la revue Contretemps le 1er septembre 2023