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Italie: le Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo s’enracine dans l’électorat
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Le Monde) Longtemps, Luca Frusone a eu du mal à trouver le sommeil, dans l'appartement romain qu'il partage avec deux autres députés. Elu avec 159 autres parlementaires du Mouvement 5 étoiles, le parti du comique Beppe Grillo, aux élections de février 2013, ce jeune député du Latium se tournait et se retournait chaque soir dans son lit après une journée éreintante au palais Montecitorio, siège de la Chambre, où il s'astreint à être un des plus présents : « Est-ce que j'ai bien étudié ce dossier ? Est-ce que j'ai bien répondu à tel journaliste ? Ne serai-je pas demain en première page avec des propos mal formulés ? »
Inexpérimenté, comme la très grande majorité de ses collègues 5 étoiles, il a dûapprendre sur le tas et dans le stress. Pas question de compter sur des parlementaires d'un autre bord pour donner un coup de main. Ceux-là étaient tout heureux de voir ces grillini qui avaient voulu les renvoyer a casa se prendre les pieds dans le tapis des règlements : « On nous a d'emblée traités comme des étrangers dans la maison. Et c'est toujours le cas. Heureusement pour moi, j'ai fait du droit. »
Un an plus tard, rien ne distingue ce membre de la commission de la défense d'unonorevole (nom donné aux sénateurs et aux députés), sinon sa jeunesse (28 ans) et l'absence de cravate. Les élus du mouvement de Beppe Grillo font désormais partie du paysage. Après avoir refusé, à la demande du « non-leader » et de son idéologue, Gianroberto Casaleggio, de participer aux nombreuses émissions de débats politiques à la télévision, certains y ont désormais leur rond de serviette.
ACTIVISME
Premier signe d'allégeance aux rites de l'establishment politique ? Pas encore. Pas un jour ne passe sans que les grillini ne se fassent remarquer. Ils ont occupé le toit de Montecitorio pour protester contre un projet de réforme de la Constitution, occupé les bancs du gouvernement pour empêcher le vote sur la recapitalisation de la Banque d'Italie, insulté des députées de gauche qui n'auraient dû leur élection qu'à leur dextérité « à tailler des pipes ». A chaque fois, leur défense est la même : « Nous sommes stressés, on nous agresse. » Luca Frusone : « Il y a vis-à-vis de nous une forme de racisme. On nous hait parce que nous sommes une anomalie. Nous ne sommes pas achetables, nous n'avons pas de prix. »
Toutes ces actions iconoclastes sont amplement répercutées, défendues et parfois caricaturées par le blog de Beppe Grillo, qui dicte la ligne intransigeante et décide de l'exclusion d'un tel ou d'une telle soupçonnés de vouloir s'allier avec la gauche. A lire les commentaires, peu remettent en cause la parole du chef ou la « dictature de la base ». Ni Luca Frusone qui, opposé à la dure loi Bossi-Fini sur l'immigration (2002), l'aurait défendue avec la même vigueur si les militants du Mouvement consultés par un référendum en ligne avaient décidé de son maintien :« Nous sommes des porte-parole », dit-il. Mais cette agitation est inversement proportionnelle aux résultats. Si on peut mettre au crédit des parlementaires 5 étoiles la démission de la ministre de l'agriculture, soupçonnée de corruption, ou l'exclusion du Sénat de Silvio Berlusconi à la suite d'un vote public qu'ils ont exigé, aucune de leurs 400 propositions de loi n'a pour l'instant abouti. Quant à leur intention d'ouvrir une procédure d'impeachment contre le président de la République, Giorgio Napolitano, elle n'a aucune chance de se concrétiser.
Pourtant le Mouvement tient. Presque vainqueur en 2013 avec 25,5 % des voix, grâce aux jeunes, aux urbains et aux diplômés, il se maintient au-dessus de 20 % des intentions de vote. Mieux, il s'enracine désormais dans les couches les plus défavorisées. Selon un sondage de l'institut SWG pour l'hebdomadaire L'Espressodu 6 février, 65 % des sympathisants du Mouvement disent « arriver avec difficulté » à la fin du mois. Pour 63 % d'entre eux, l'Italie a « tiré plus de désavantages que d'avantages de l'Europe », 77 % n'ont « aucune confiance » dans les institutions communautaires et 54 % pensent que les « immigrés doivent être renvoyés chez eux ». Ce n'est plus seulement la crise politique ou la corruption des élus qui attirent les électeurs, mais la crise économique.
MULTIPLICATION DES OPÉRATIONS DE TERRAIN
Pour s'adresser à cet électorat, les élus du Mouvement délaissent de plus en plus souvent leurs réunions virtuelles sur Meetup au profit de nombreuses opérations de terrain. Marchés, petits meetings, pergolas installées sur les places publiques. A l'ancienne. Chaque week-end, par groupe de quatre ou cinq, ils arpentent la Botte, de Bolzano à Palerme. « Il faut parler aux gens, c'est dans notre ADN, explique Fabio Fucci, maire 5 étoiles de Pomezia, une commune de 65 000 habitants au sud de Rome. On sait se servir d'Internet, mais on ne perd pas le contact physique avec l'électeur. »
Face à un électorat déboussolé, à une jeunesse qui a le choix entre dormir chez ses parents jusqu'à 35 ans ou émigrer, l'attraction du Mouvement est devenue transversale : 39 % de ses sympathisants ne se sentent « ni de droite ni de gauche », 30 % se situent à gauche et 22 % à droite. « Petit à petit, nous habituons les gens à penser en dehors des catégories préétablies », se félicite la députée sicilienne Azzurra Cancellieri. « Nous représentons les personnes qui souffrent », assène Federico D'Inca, président du groupe à la Chambre.
Un danger les guette. S'il est voté, le nouveau projet de loi électorale conçue par Matteo Renzi et Silvio Berlusconi fera la part belle dans le prochain Parlement aux coalitions de droite et de gauche et diminuera d'autant le rôle du Mouvement 5 étoiles, sauf s'il dépasse 37 % des suffrages. « Notre travail, notre manière defaire de la politique, notre présence sur le terrain commencent à être compris, veutcroire Fabio Fucci. De toute façon, on a toujours dit que nous voulions représenter50 % des Italiens. »