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En Grande-Bretagne, les associations s’inquiètent du « retour de la faim »

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Lien publiée le 5 avril 2014

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Le Monde) Les difficultés de la vie se lisent sur le visage abîmé de Peter Rickie. Mais ce Londonien de 61 ans, qui en paraît dix de plus, était rarement tombé aussi bas. Depuis octobre, il ne touche plus un centime d'allocations sociales, après avoir été sanctionné pour ne pas avoir recherché assez activement un emploi.

« On me demande de faire les recherches sur un ordinateur, mais je ne comprends pas comment marchent ces machines », se défend-il. Et ce n'est pas le stage d'informatique de deux semaines auquel il a participé, plus ou moins forcé, qui ont changé les choses.

Alors, après avoir longtemps vécu aux crochets de sa large famille – il a douze frères et soeurs –, Peter s'est résigné à se rendre à la banque alimentaire installée à l'église St Mark, dans le sud-ouest de Londres. Dans les sacs en plastique distribués par les volontaires, il emporte des céréales, de la soupe en boîte, des pâtes, du riz, du lait. De quoi tenir en principe trois jours.

LA CRISE ÉCONOMIQUE A TOUT CHANGÉ

Mais Peter pense faire durer ces rations pendant une semaine. « Je saute régulièrement des repas », avoue-t-il. Des gens comme Peter défilent en ce vendredi matin à l'église St Mark. Une distribution alimentaire y est organisée deux matinées par semaine depuis mai 2013, et son « succès » ne se dément pas.« C'est le retour de la faim », affirme Alison Inglis-Jones, qui siège au conseil d'administration de l'association Trussell Trust, qui gère les lieux.

Si les Restos du cœur existent depuis près de trente ans en France, les banques alimentaires avaient quasiment disparu du Royaume-Uni il y a quinze ans. Il restait des soupes populaires, pour aider les sans-abri, mais peu de distribution de paquets alimentaires à emporter chez soi.

Trussell Trust était l'une des rares à en organiser : en 2005, elle venait au secours de 2 500 personnes par an. Mais l'arrivée de la crise économique en 2008 a tout changé. La demande s'est envolée, et l'association a servi 815 000 personnes ces douze derniers mois, à travers 420 banques alimentaires. Un chiffre qui se rapproche du million de personnes aidées par les Restos du Coeur en France.

DES CAS UBUESQUES

Il n'y a cependant pas que la crise qui explique cet afflux. Environ la moitié des personnes aidées par Trussell Trust se présentent suite à des problèmes d'allocations sociales. Pour faire des économies, le gouvernement britannique multiplie les sanctions contre les bénéficiaires de prestations sociales. Les demandeurs d'emploi doivent par exemple prouver qu'ils sont activement à la recherche d'un travail. Cela se traduit souvent par des cas ubuesques, comme celui de Peter. Lui n'a jamais vraiment eu d'emploi formel. Mais pendant des années, il était l'homme à tout faire d'un petit ensemble d'immeubles.

Quand cela s'est arrêté, il n'a jamais su retrouver de travail. « Je fais le tour des magasins avec mon CV, pour voir si quelqu'un veut m'embaucher », explique-t-il. Mais habillé de son bombers élimé, avec son âge avancé et son approche défaitiste, il fait face à un mur de rejets.

Et aucune de ses recherches n'a de valeur aux yeux du Job Centre (équivalent de l'ANPE), qui souligne simplement qu'il n'a pas posé candidature aux petites annonces qui lui ont été proposées et l'a sanctionné. Du coup, Peter ne peut plussupporter la moindre administration : « Je les déteste tous. » Et il n'a même pris la peine de demander d'autres aides, auxquelles il aurait droit.

COUPER L'ÉLECTRICITÉ LA NUIT

A l'église St Mark, les conséquences de cette politique de sanctions sont partout. D'habitude, Ricky touche 170 euros d'allocations toutes les deux semaines (en plus de son logement, qui est payé directement par une aide d'Etat). Petit, râblé, il a appris à vivre avec un budget extrêmement serré, coupant l'électricité la nuit, comptant chaque centime. « Normalement, les deux ou trois jours avant detoucher mes allocations sont durs, mais je m'en sors », dit-il.

Pour des raisons qu'il refuse d'expliquer, il a été condamné par la justice à une amende, prélevée directement sur son allocation. Pendant ses démêlés judiciaires, il a aussi été sanctionné pour ne pas chercher activement d'emploi. Résultat : il ne perçoit plus que 94 euros toutes les deux semaines. Soit moins de sept euros par jour pour payer son gaz et son électricité, acheter à manger, s'habiller et s'offrir son seul luxe : des cigarettes : « Je ne peux pas y arriver. C'est impossible. »

Barry est venu avec son fils de 17 ans. Père de sept enfants, il est alcoolique depuis plus d'une décennie. Il lui manque la moitié de ses dents. Il a perdu son emploi. mais il est en train de remonter la pente. Voilà neuf mois qu'il n'a pas touché une goutte d'alcool, grâce à une cure de désintoxication dans un foyer.

« VENIR ICI, C'EST LA HONTE »

Il vient de retourner chez lui, mais cela a changé son statut et l'administration a peine à suivre« Ma femme était la demandeuse d'allocation, et maintenant, c'est de nouveau sous mon nom. », explique-t-il. Si bien que pas un centime ne leur est versé, le temps de mettre à jour les données. « Franchement, venir ici, c'est la honte », dit-il à son fils, qui a le regard buté des adolescents en colère.

Face à cette situation, le premier ministre David Cameron répond que les sanctions font partie d'une réforme des allocations sociales plus générale, qui est nécessaire. « Trop souvent, le système verse plus d'argent aux gens au chômage qu'à ceux qui travaillent. (…) Il est bon – économiquement et moralement – de changer cela », écrivait-il en février dans le Daily Telegraph. Le système de protection sociale est donc profondément modifié, pour inciter àretrouver du travail. Les sanctions font partie de cette logique.

Sur le fond, beaucoup de travailleurs sociaux estiment que la réforme mériterait d'être menée, si elle était conduite intelligemment. Mais sa brutalité leur paraît inacceptable. Pour Chris Mould, le président de Trussell Trust, le verdict est clair :« Les limites du filet social ont été repoussées trop loin. »