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Guerre des nerfs et vide politique dans Donetsk paralysée

international Ukraine

Lien publiée le 10 avril 2014

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Le Monde) Sergueï Tarouta fait semblant de ne pas comprendre. Nouveau venu en politique, l'oligarque aux épaisses lunettes et au sourire affable est gouverneur de la région de Donetsk depuis un mois, à la demande des nouvelles autorités de Kiev. Mercredi 9 avril, il est assis dans un hall d'hôtel, face à des journalistes étrangers. On lui demande qui, aujourd'hui, dirige le Donbass, le puissant bassin houiller de l'est de l'Ukraine. Sergueï Tarouta esquisse une moue. Il répond en énumérant les institutions légitimes. Il se veut rassurant ; il paraît surtout dans le déni. La région est en apesanteur, attendant de savoir si elle va tomber dans la légalité ou le chaos, le calme ou la violence.

Le patron de l'Union industrielle du Donbass se prétend aux commandes, mais il se retrouve sans bureau fixe. Le sien a été saccagé, comme le reste du siège de l'administration régionale, occupé depuis le 6 avril par des militants prorusses. Plus les heures passent, et plus les séparatistes renforcent leurs défenses, érigent des barricades, arrachent des pavés. Le défi au pouvoir central devient insupportable, mais l'enkystement rend toute intervention délicate. Le vice-premier ministre, Vitali Iarema, a formulé l'espoir que le bâtiment de 11 étages, où l'électricité est coupée, serait libéré jeudi vers midi. La police reste invisible. Elle pourrait revenir à la demande des séparatistes, dit le gouverneur, pour les protégercontre des « provocations ». Sécurité à la carte.

La « république nationale du Donbass », proclamée lundi, n'a pas de réalité au-delà de ce petit périmètre, mais ses acteurs se disent irréductibles. Pourtant, Sergueï Tarouta vante les vertus de la négociation, tout en écartant l'idée d'un référendum régional d'autodétermination. Plus tôt dans l'après-midi, il a rencontré douze représentants « des différents groupes de la société » occupant le bâtiment, dont il ne peut citer un seul nom. Après deux jours de flottement, une sorte de « conseil de coordination » a émergé. Le gouverneur dit avoir croisé deux de ses membres « il y a très longtemps dans les affaires. »

A Donetsk, devant le siège de l’administration régionale, mercredi 9 avril.

« TOUT IRA BIEN »

L'oligarque a un plan, que ses interlocuteurs doivent examiner d'ici à jeudi matin. Il prévoit la libération du bâtiment et la remise des armes ; une amnistie pour leurs actes, que le Parlement à Kiev devra voter ; la tenue d'une session du conseil régional sans pression physique sur les élus. Le gouverneur rejette l'ultimatum posé par le ministre de l'intérieur, Arsen Avakov, qui envisageait le matin même un assaut dans les quarante-huit heures si le bâtiment n'était pas libéré. « Tout recours à la force conduirait à une aggravation de la situation politique dans le Donbass », avertit M. Tarouta. En partant, l'homme d'affaires lance aux journalistes : « Tout ira bien, ne vous inquiétez pas. Mais surtout, pas de feux d'artifice et de victimes ! »

Même le puissant et discret Rinat Akhmetov, considéré comme le maître de Donetsk, est allé à la rencontre des militants, lundi soir. Leur dialogue, aux mots crus, a été retranscrit dans la presse. Le milliardaire a promis qu'il sera « aux côtés du peuple » si l'assaut est donné. Mais ses appels à la négociation se heurtent au vertige identitaire des militants, auprès desquels il est impossible demesurer l'influence de conseillers russes. L'un des lieutenants de Rinat Akhmetov est le député Nikolaï Levtchenko, du Parti des régions (PR), formation frappée par une hémorragie de défections depuis la fuite de l'ex-président Viktor Ianoukovitch. Mercredi, le député a lancé un appel aux séparatistes pour qu'ils déposent les armes, estimant qu'ils « représentent un danger pour la majorité des habitants de la région ».

M. Levtchenko, chef de file local du PR, n'a pas écarté l'hypothèse d'un référendum, pour « défendre les intérêts du Donbass » dans le cadre unitaire ukrainien. Mais il a reconnu que les négociations étaient difficiles : « Il n'y a pas uncentre unique de prise de décision » chez les militants. Sans parler du fait que la crédibilité du PR est proche du néant, alors que le parti prospérait sous M. Ianoukovitch. Tout un système de clientélisme et d'enrichissement est compromis. A Lougansk, mercredi, son candidat à la présidentielle, Mikhaïlo Dobkine, a dû s'enfuir en courant après avoir été refoulé par les militants devant le bâtiment des services spéciaux (SBU) qu'ils tiennent toujours.

KIEV PLAIDE LA RETENUE TACTIQUE

Nouveau pouvoir affaibli, opposition décrédibilisée, Russes aux aguets de l'autre côté de la frontière : le mélange est explosif. Les réseaux sociaux bruissent de rumeurs sur des infiltrations russes. Les services ukrainiens multiplient les annonces fracassantes et invérifiables sur les arrestations d'agents envoyés par Moscou. Mais la facilité avec laquelle quelques centaines de manifestants ont pu s'emparer de bâtiments de l'administration régionale ou du SBU, à Kharkiv, Donetsk et Lougansk, sans résistance, trahit le pouls erratique de l'Etat ukrainien.

Kiev a plaidé la retenue tactique, pour ne pas envenimer la situation. Mais le mal est fait : d'une certaine façon, Moscou a déjà gagné. Une opération militaire dans l'Est n'est pas indispensable, même si cette option demeure possible, malgré ses risques extravagants. Si l'objectif russe, après l'annexion de la Crimée, consistait à faire saigner Kiev de toutes ses artères – le gaz, les crédits, la légitimité électorale –, il est atteint.

La verticale du pouvoir que le clan Ianoukovitch avait bâtie pour s'enrichir s'est effondrée. A présent, les oligarques alliés à Kiev tentent de compenser les faiblesses d'un Etat anémique. L'autorité centrale est exceptionnellement affaiblie, alors qu'elle est confrontée à des défis sans équivalent depuis la chute de l'Union soviétique et l'indépendance acquise en 1991 : la crise budgétaire inouïe, la corruption métastasée, l'intégrité territoriale menacée, la tenue incertaine de l'élection présidentielle le 25 mai. Sans parler du fossé qui se creuse entre Ukrainiens au sujet de leur vie commune, passée et future.