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    Élections en Lettonie : crise politique et absence d’alternative

    Par Gaston Lefranc ( 9 octobre 2018)
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    Lors des élections législatives qui se sont tenues samedi 6 octobre, la coalition majoritaire sortante (droite pro-Union européenne) a pris une grosse claque, passant de 58% en 2014 à 28% aujourd'hui. La population exprime ainsi son mécontentement, ce qui profite à des organisations « populistes » qui n'offrent pas une alternative progressiste aux partis en place. Néanmoins, la crise politique est bien là et elle pourrait ouvrir une période d'instabilité et d'amplification des contestations.

    Lettonie : oppression de la minorité russe et population vieillissante

    La Lettonie est un petit pays de moins de 2 millions d'habitants. Il comporte une minorité russe qui est opprimée. Depuis la déclaration d'indépendance en 1991, une grande partie de la population est devenu des « non citoyens ». En effet, pour avoir la citoyenneté lettone, il fallait l'avoir avant 1940 (avant l'incorporation dans l'URSS) ou avoir des descendants qui l'avaient. De nombreux Russes ont alors fui la Lettonie. La communauté russe est passée de 905.515 personnes en 1989 à 520.136 en 2014. Pour les Russes et autres minorités, il fallait passer des examens d'histoire et de langue lettonnes pour sortir du statut de « non citoyen » et devenir citoyen. 12% de la population a encore aujourd'hui ce statut de « non citoyen » et donc privé du droit de vote.

    Depuis l'indépendance en 1991, le letton est la seule langue officielle. En 1998 la réforme de l’éducation a obligé les écoles russes (et d’autres minorités) à accroître le nombre de cours donnés en letton (70 % en terminale). En 2004, obligation est faite à toutes les écoles de dispenser les cours en letton.

    La Lettonie est un pays qui ne cesse de perde des habitants depuis 1990, en raison de l'émigration des minorités, mais aussi du vieillissement de la population. La population est passée de 2,7 millions d'habitants en 1990 à moins de 2 millions aujourd'hui. Avec la crise, l'émigration s'est amplifiée. Si la tendance se poursuit, Eurostat estime qu'il y aura à peine 1,5 millions d'habitants en 2050. Aujourd'hui, environ 60% de la population est « lettonne », 25% est russe, et le reste est composé des autres minorités.

    Lettonie : un pays frappé de plein fouet par la crise économique

    Après avoir vu son niveau de vie chuter à la fin de l'URSS, la Lettonie a renoué avec des taux de croissance importants à la fin des années 1990. Puis la crise de 2008-2010 a été très brutale. Entre 2007 et 2010, le PIB a chuté de 20%. Entre 2008 et 2011, le niveau de vie (revenu disponible corrigé de l'inflation) a chuté de 25%. Le taux de chômage a explosé passant de 6% en 2007 à 20% en 2010.

    Le gouvernement de l'époque a mis en place un « choc d'austérité » très brutal. Il a refusé de dévaluer la monnaie pour amortir le choc de la crise et satisfaire les critères d'adhésion à l'euro. Il a baissé drastiquement les salaires et les dépenses publiques. L'Union européenne a récompensé ces efforts en acceptant l'entrée de la Lettonie dans la zone euro le 1er janvier 2014. Cette cure d'austérité a permis une restauration du taux de marge et du taux de profit, et donc un retour de la croissance, basée notamment sur un rebond des exportations et un retour à l'équilibre extérieur.

    Ce retour de la croissance (bien plus faible néanmoins qu'avant crise) a permis une baisse du taux de chômage, qui s'explique aussi par une forte émigration. Mais les contradictions s'accumulent dangereusement. Les profits baissent depuis 2012, ce qui entraîne une baisse de l'investissement, ce qui affaiblit le potentiel productif du pays. Le prochaine crise mondiale pourrait avoir une grande ampleur en Lettonie, et conduire à une nouvelle cure d'austérité et à une nouvelle chute du niveau de vie (qui est aujourd'hui toujours inférieur à son niveau d'avant crise).

    Montée des partis « populistes »

    La colère de la population se résume à deux chiffres : celui de l'abstention qui augmente de 5 points, et celui du score de la majorité sortante qui s'effondre de 30 points (passant de 58% à 28%).

    La majorité sortante était constituée de trois partis :

    • l'Union des verts et des paysans : un regroupement éclectique pro-UE et libéral, mais dont l'eurodéputée (Iveta Grigule) a siégé dans le groupe « Europe de la liberté et de la démocratie directe » avec l'UKIP et M5S, avant de rejoindre ensuite « Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe » (libéraux)

    • Unité : le parti qui a les faveurs des institutions européennes... et qui s'effondre totalement, passant de 21,9% à 6,7%

    • Alliance nationale : un parti nationaliste violemment anti-russe qui lui aussi baisse sensiblement malgré sa démagogie populiste

    L'effondrement de la majorité sortante ne profite pas réellement aux partis de la minorité russophone... dont l'électorat reste limité aux Russes ! « Harmonie » reste le premier parti du pays, mais il est en légère baisse. Outre la lutte contre les discriminations à l'encontre des Russes, il défend un programme social et écologiste, en promettant d'augmenter les dépenses environnementales, sociales, de retraite, et d'éducation mais sans ce ne sont que des promesses qui ne s'appuient sur aucune velléité de changer les règles du jeu. Proche de Poutine, il ne remet pas en cause l'appartenance du pays à l'UE et à l'OTAN. Sa baisse profite à un petit parti russophone à sa gauche (Union lettonne russe), qui ne remet pas en cause non plus le cadre capitaliste, et qui échoue à accéder au parlement.

    Les partis « pro-russes » ont toujours été exclus des coalitions gouvernementales. Mais le jeu semble cette fois-ci plus ouvert, avec l'émergence, comme deuxième force politique, d'un nouveau parti intitulé « Qui contrôle l’État ? » qui totalise 14,1% des voix. Son programme est axé sur la lutte anti-corruption, la dénonciation de la bureaucratie, et la réduction du nombre de ministres. Il est assez hostile à l'UE et se dit ouvert à discuter avec « Harmonie ». Néanmoins, cela ne suffirait pas à constituer une majorité, et il est peu probable que d'autres formations acceptent de gouverner avec un parti pro-russe.

    Des formations de droite (pro-UE) profitent de l'usure du pouvoir de la majorité sortante, avec un discours macronien sur la « nouveauté » : cela a fonctionné, et il est possible qu'une grande coalition réunissant tous les partis de droite pro-UE se constitue pour gouverner, face à « Harmonie » et à « Qui contrôle l’État ». Il est clair en tout cas que les institutions européennes vont pousser à cette grande coalition, qui devra mettre en place une nouvelle cure d'austérité dans les années à venir. Mais cette grande coalition sera très fragile et il est probable qu'elle devienne vite minoritaire.

    La nécessité de faire émerger une nouvelle force anticapitaliste

    Malheureusement, aucune force politique anticapitaliste (ou même antilibérale) n'émerge dans le champ politique. Il faut dire que le contexte est difficile. La Lettonie est une « démocratie ethnique » où la minorité russe est opprimée. Le parti communiste est interdit depuis 1991, et toute contestation de gauche est assimilée à une trahison nationale.

    Malgré les difficultés, la tâche politique des anticapitalistes est de construire un parti multi-ethnique luttant contre l'oppression des minorités et défendant un programme conséquent de rupture avec l'austérité, c'est-à-dire un programme communiste véritable.

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