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    Guerre en Ukraine: imposer une solution diplomatique

    Par Erasmus Spikher (17 septembre 2023)
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    Texte finalisé le 2 septembre 2023

    Depuis le début de la guerre, la Tendance CLAIRE a apporté son soutien à la résistance ukrainienne face à l’invasion illégitime de son territoire par les armées russes. Cette résistance a permis de mettre en échec le plan de Vladimir Poutine, qui estimait pouvoir rapidement prendre le contrôle du pays et imposer au monde cet état de fait. L’enjeu a toujours été de défendre le peuple ukrainien, qui est la première victime de cette guerre.

    Au lieu d’une guerre éclair, l’avancée des troupes russes a rapidement été arrêtée, et celles-ci ont été contraintes de reculer à l’est du pays. Cela a été possible du fait de l’allocation d’armes et de la préparation de l’armée ukrainienne avant le déclenchement de la guerre. Depuis avril 2022, la situation militaire tend pourtant à s’enliser, alors même que les aides dont bénéficient l’Ukraine ont été de plus en plus importantes. La ligne de front s’est à peu près sédimentée, mais l’effort de guerre est toujours aussi intense. Le prix à payer pour ce statu quo représente plus de 800 morts par jour en moyenne.

     Dans ce contexte, le premier intérêt du peuple ukrainien, c’est la fin de la guerre. De ce point de vue, deux stratégies se font face : la première, proprement militaire, est celle de l’intensification de l’effort de guerre en vue de mettre en déroute les armées russes ; la seconde est celle de la négociation d’un accord de paix acceptable pour les deux partis, qui implique de rompre avec l’idée largement propagée par les relais de l’impérialisme occidental selon laquelle on ne négocie pas avec Poutine.

    L’alternative ici ne repose pas sur une question de principes abstraits, mais de realpolitik. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre l’Ukraine, pour ou contre Poutine, mais de décider par quelle voie sortir à moindre frais de la situation meurtrière qui existe aujourd’hui.  Or, de ce point de vue, il apparaît que la prolongation – et l’intensification – de la guerre en Ukraine ne saurait représenter la voie de la paix. C’est pourtant l’option qui a jusqu’ici la faveur de l’impérialisme occidental. Dans un premier temps, la voie diplomatique avait été privilégiée par Zelensky lui-même : un accord était proche d’être conclu entre l’Ukraine et la Russie en avril 2022 (https://www.foreignaffairs.com/russian-federation/world-putin-wants-fiona-hill-angela-stent), avant que B. Johnson n’intervienne et demande à Zelensky d’écarter un tel accord en échange d’un soutien militaire massif. La voie militaire, qui implique la prolongation de la guerre, est dorénavant ardemment défendue par le président ukrainien, qui réclame toujours plus de soutien de la part de ses alliés, au point d’avoir pu leur reprocher publiquement d’être trop conciliants avec la Russie en contournant la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN : « It seems there is no readiness neither to invite Ukraine to NATO nor to make it a member of the Alliance. This means that a window of opportunity is being left to bargain Ukraine's membership in NATO in negotiations with Russia. And for Russia, this means motivation to continue its terror. Uncertainty is weakness. » (tweet du 11 juillet 2023). Que les membres de l’OTAN fassent encore preuve d’un minimum de prudence en évitant de précipiter l’entrée de l’Ukraine dans l’alliance, c’est encore heureux, dans la mesure où l’engagement militaire direct de l’OTAN entraînerait les différentes puissances sur la voie de la guerre mondiale. Il faut plutôt s’inquiéter qu’on puisse considérer comme une « faiblesse » la position de l’impérialisme occidental, qui a pourtant jusqu’à aujourd’hui été fermé à toute stratégie de résolution du conflit par la voie diplomatique. L’intensification de la guerre, alors même qu’elle semble n’être jamais assez importante, est la seule voie retenue. Elle est ardemment relayée et promue par tous les relais médiatico-politiques de l’impérialisme occidental. Cette position suspend le destin de la région aux perspectives de victoire de la fameuse contre-offensive ukrainienne entamée début juin 2023, dont le grand récit a été abondamment propagé par les puissances impérialistes. Pourtant, tout indique qu’il n’y a rien à attendre d’une telle prolongation de la guerre – ce qui est d’ailleurs de plus en plus admis par des représentant-e-s des appareils d’État occidentaux, et même par certains médias bourgeois. De plus en plus de travailleurs dans les pays occidentaux remettent en question la doxa qu’on leur a imposée depuis le début de la guerre : quel sens cela a-t-il de prolonger la guerre et de déverser toujours plus d’armes (et donc de milliards) en Ukraine, alors que la ligne de front reste figée ? Les intérêts impérialistes ne se superposent-ils pas ici à ceux du peuple ukrainien lui-même ?

    Alors qu’on n’a cessé de prédire l’effondrement de l’économie russe sous l’effet des multiples sanctions décidées par les puissances impérialistes, les prévisions des institutions internationales ont été totalement invalidées. La Russie a connu en avril, en glissement annuel, une croissance de +3%. Elle a très rapidement restructuré son économie, en réussissant à compenser la chute du commerce extérieur avec les puissances impérialistes occidentales par une hausse du commerce avec le reste du monde. Hors de l’impérialisme occidental, le reste du monde ne boycotte pas la Russie. Bien sûr, le pays connaît certaines pénuries sectorielles, mais l’économie russe apparaît dans l’ensemble solide. Le maintien de son effort de guerre est parfaitement viable à moyen terme, tandis que l’Ukraine est au contraire complètement tributaire du soutien de puissances étrangères. Sans la hausse constante de l’aide occidentale, l’Ukraine s'effondrerait très rapidement sur le plan militaire.

    Les tensions apparues fin juin au sein du camp russe entre Prigojine, dirigeant du groupe Wagner, et Choïgu, le ministre de la défense, ne peuvent pas être trop vite interprétées comme un symptôme d’affaiblissement de l’armée russe. Prigojine a été le principal perdant de cette crise, et comme on pouvait s’y attendre il n’a pas survécu longtemps après sa tentative désespérée de coup d’Etat, ou plutôt sa tentative plus prosaïque (et tout aussi désespérée) de garder le contrôle de son entreprise commerciale Wagner. Le commandement militaire russe a immédiatement récupéré le contrôle de la majorité des troupes Wagner, qui ont été réintégrées à l’armée. Avec du recul, il apparaît que cet épisode n’a jamais été la manifestation d’une hostilité croissante à la guerre au sein du camp russe, mais qu’il a plutôt opposé à la ligne poutinienne une ligne plus dure, partisane d’une intensification de l’effort de guerre. Si les retombées de cette crise sont encore difficiles à apercevoir clairement, le plus probable est que ce soit le camp des généraux favorables au durcissement de la guerre qui en ressorte renforcé, le pouvoir politique devant lui concéder une autonomie plus importante dans la conduite future de la guerre.

    Dans ce contexte, la contre-offensive de l’armée ukrainienne n’ouvre pas de nouvelles perspectives. Au contraire, alors qu’elle a été lancée depuis plus de deux mois, ses résultats restent extrêmement faibles. Les quelques journées de trouble qui ont accompagné la marche vers Moscou de Prigojine n’ont eu pour ainsi dire aucune incidence sur le front. La prise du village de Robotyne, à l’heure où nous écrivons volontiers décrite dans les médias comme une immense victoire, reste encore incertaine – plusieurs petites avancées au niveau de la ligne de front ayant ensuite été repoussées – et dans les faits rien ne permet encore aujourd’hui d’y reconnaître une véritable percée décisive plutôt qu’un soubresaut autour de la ligne de front, qui dans l’ensemble n’a pour l’instant presque pas bougé depuis le début de la contre-offensive. S’il faut encore rester prudents et attentifs à la façon dont évoluera la situation militaire ces prochaines semaines, la contre-offensive semble plutôt, à l’heure où nous écrivons ces lignes, témoigner des difficultés de l’armée ukrainienne à déplacer significativement la ligne de front, et la situation invite au moins à douter du caractère réaliste de l’hypothèse d’une déroute de l’armée russe à court voire moyen terme. Plus au nord, c’est l’armée russe qui est en situation de reconquête, du côté de Koupiansk où le gouvernement ukrainien a fait évacuer la population et où l’armée russe s’est emparée de positions clés à proximité immédiate de la ville. Pour envisager que l’Ukraine l’emporte militairement dans les prochains mois, il faudrait, à ce qu’il semble aujourd’hui, que le soutien des puissances impérialistes occidentales change de nature, au risque d’une escalade belliciste qu’il faut à tout prix éviter : le caractère inter-impérialiste du conflit rend bien réel le danger de la guerre mondiale et nucléaire. Dans ce contexte, le grand récit construit autour de la contre-offensive ukrainienne peut hélas tendre à apparaître comme un obstacle à la perspective concrète d’une fin de la guerre.

    La voie belliciste, soutenue à bout de bras par l’impérialisme occidental, risque donc bien de mener à une impasse. Il est aujourd’hui nécessaire de faire entendre une autre voix. À continuer la guerre, on n’œuvre pas pour la paix, mais pour la guerre elle-même. Il serait désastreux d’attendre une éventuelle déroute des armées russes pour négocier la paix. Comme nous l’écrivions déjà en mars 2022, « les positions les plus bellicistes qui parcourent aujourd’hui largement les cercles médiatiques occidentaux, et selon lesquelles il n’y aurait rien à négocier ni à céder à un État terroriste comme le serait celui de Poutine, selon lesquelles il s’agirait de défaire l’ennemi russe, jusqu’au bout et sans compromis – ces positions doivent être dénoncées. Elles visent à interdire de penser un règlement concret de la situation, acceptable politiquement et économe en vies, en faisant passer toute solution diplomatique pour une capitulation ‘munichoise’ » (https://tendanceclaire.org/article.php?id=1780).

    Les négociations de paix ne sont pas impossibles, en particulier parce que le pouvoir russe a des revendications qui sont connues, et qui mettent notamment en jeu le contrôle de la Crimée, du Donbass, la neutralité de l’Ukraine, etc. Une partie de ces intérêts concerne des enjeux spécifiquement territoriaux, qui pourraient être réglés par des perspectives de référendums. Il n’est pas certain que la Russie soit la plus hostile à une telle perspective. L’autre partie de ces intérêts concerne l’influence que cherche à acquérir l’impérialisme occidental dans la région, en particulier via l’OTAN et, dans une moindre mesure, l’UE. Or, de ce point de vue, il est légitime de se battre pour un affaiblissement de notre propre impérialisme, qui n’a cessé d’être une source de déstabilisation de la région depuis la chute de l’Union soviétique et d’aviver les tensions avec l’impérialisme russe. Notre article de mars, « Penser concrètement les conditions de la paix en Ukraine » (https://tendanceclaire.org/article.php?id=1780), où l’on envisageait plus en détail les contours d’un plan de paix possible, reste dans l’ensemble pertinent aujourd’hui, alors même que les négociations, qui avaient bel et bien lieu à l’époque, ont été complètement rompues depuis l’implication massive des puissances occidentales dans le conflit (voir à ce sujet, par exemple : https://lavamedia.be/fr/loccident-doit-cesser-de-bloquer-les-negociations-entre-lukraine-et-la-russie/).

    Dès lors, il est clair que la perspective d’une paix négociée ne devra pas seulement être imposée à Poutine, mais aussi bien à notre propre impérialisme, qui recherche avant tout l’affaiblissement de la Russie et, corollairement, le renforcement ses positions dans la région. L’imposition de la déroute militaire russe comme seul scénario possible et acceptable est largement une construction de notre impérialisme, pour son propre intérêt. On ne compte plus les déclarations de ses principaux représentants en ce sens, ce qui montre bien que la prolongation de la guerre fait aujourd’hui partie intégrante de son agenda. Cet agenda n’a pas à être le nôtre.  

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