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    Chronique du Kurdistan [2] : les larmes et la colère des Yézidis

    Point sur la semaine du 02/08/2015 au 08/08/2015

    Précédente chronique : http://tendanceclaire.npa.free.fr/article.php?id=788

    Voir le lexique dédié à ces chroniques pour les acronymes, noms de partis, etc.
    http://tendanceclaire.npa.free.fr/article.php?id=794 

    Cela fait un an maintenant que les forces de Daech débarquaient dans le Shengal massacrant, violant et pillant à tout va. C'était le premier génocide de Daech à cette échelle avec l'enlèvement massif de femmes pour en faire des esclaves sexuelles. Mais cela fait aussi un an que les guérilleros du PKK épaulés par les YPG/YPJ ont pris position sur le mont Shengal et sauvé des dizaines de milliers de Yézidis de la mort et de l'esclavage. Qu'en est-il aujourd’hui ?

    La situation au Shengal (Irak)

    Aux côtés des drapeaux du HPG/YJA (branche armée du PKK / branche armée des femmes) et des YPG/YPJ (milices de défense du peuple / milices des femmes) flottent de nouveaux venus sur le mont Sinjar. Cette chaîne de montagne au cœur du Shengal abrite maintenant plusieurs guérillas kurdes luttant avec acharnement contre Daech. Les YBS, les unités de résistance du Sinjar, veillent au grain. Ces milices composées de Yézidis n'ont cessé de prendre leur essor en Irak dans la lutte contre Daech. Armées et entraînées par les Kurdes du PKK et des YPG/YPJ, elles ont été en pointe des combats contre Daech et pour la reconquête des zones Yézidis. Ces milices compteraient plusieurs centaines de membres et tendraient à s'agrandir notamment avec le renfort de femmes Yézidis dans une communauté qui est réputée réticente à laisser les femmes combattre. Le PDK de Barzani, parti politique qui dirige le Kurdistan autonome irakien, corrompu et clanique, a d’ailleurs bien compris la menace et a appelé les autres forces armées du Kurdistan irakien à déposer les armes au profit des Peshmergas. Ces mêmes Peshmergas qui avait abandonné les Yézidis au génocide après s'être repliés devant une escarmouche de Daech qui avait fait moins de 10 morts. Près de Duhok, la police du PDK s'en est pris récemment aux Yézidis lors d'une manifestation pour dénoncer le génocide qu'ils ont subi il y a un an. Le bilan fut de 8 blessés parmi les Yézidis.

    Qui peut mieux défendre les Yézidis que les Yézidis eux-mêmes ? Comment pourraient-ils laisser le relais à ceux qui les ont abandonné aux massacres et qui aujourd'hui les répriment ? Le droit a l'auto-défense ne serait-il pas un droit fondamental ?

    D'un point plus civil, une forme d'auto-gouvernement s'est mise en place : l'assemblée des Yézidis. Le 14 janvier dernier, 200 délégués du KCK (lié au PKK), l'UPK (Union Patriotique du Kurdistan, membre de l'Internationale socialiste), le parti communiste, le mouvement démocratique des Yézidis (TEVDA équivalent du TEV-DEM syrien, mouvement d'auto-organisation des masses impulsé par le PYD lié au PKK), le mouvement démocratique Yézidis et Parti progressiste Yézidis se sont réunis et ont fondé un début d'administration autonome dans le Shengal.

    L'assemblée a organisé les besoins de base de la population du Shengal, majoritairement Yézidis, comme l'eau ou l'électricité. L'assemblée a également ouvert des écoles dont la sauvegarde de la culture yézidie est une des marques de fabrique à travers l'histoire, la langue mais aussi la religion. Des académies ont été ouvertes qui œuvrent idéologiquement pour l'auto-organisation des femmes et des jeunes. Un partenariat historique a été ouvert avec le canton du Rojava de Cizîre en Syrie dans le cadre d'une aide médicale accrue. Cette assemblée œuvre également à faire connaître la culture yézidie à travers le monde et envoie des missions diplomatiques en Europe.

    A leur rythme et échelle, les Yézidis relèvent la tête.

    La situation dans le reste de l'Irak

    Le mont Qandil, sanctuaire du PKK, est soumis à un déluge de bombes de la part de l'artillerie et de l'aviation turques. L'armée turque s'est vantée d'avoir effectuée plus de 400 frappes en une seule nuit. L'utilisation massive d'armes chimiques par les turcs dans le but de détruire par le feu les forêts du mont Qandil menace l’écosystème des montagnes ainsi que les population civiles. Cela n'est pas sans rappeler les méthodes de l'armée américaine au Vietnam qui, pour chasser la guérilla de la jungle tropicale, n’hésitait pas à détruire des pans entier de flore à coups d'« agent orange » (un défoliant terrible). Cela est d'autant plus marquant que l'utilisation de drones, armes robotiques semi-autonomes, pour les vols de reconnaissance et les frappes, se fait de plus en plus systématique en Irak et en Turquie contre la guérilla.

    Cela réveille de vieilles douleurs chez les Kurdes et leur rappelle à juste titre les heures sombres du nettoyage ethnique pratiqué massivement par la Turquie dans les années 1990. On estime qu'il y a eu entre 1 500 à 2 000 villages purement et simplement rayés de la carte pendant cette période.

    La situation en Syrie

    Les YPG/YPJ consolident leurs positions dans le nord syrien et l'heure du bilan des victoires de Hassaké et de Sarrin à sonné. Les YPG/YPJ ont publié le rapport de bataille mensuel du mois de juillet. Daech aurait perdu 831 combattants dont 679 corps saisis par les milices kurdes et leurs alliés. Les forces kurdes et leur alliés auraient perdu 71 hommes et femmes. En terme de matériels, les Kurdes et leurs alliés ont saisi 6 chars à Hassaké, pour une saisie totale de 28 véhicules. Plus de 700 kalachnikovs, 110 000 balles de ces dernières, 70 PKMs (mitrailleuses lourdes portatives), plus de 50 RPG (lance-roquettes), près de 400 grenades à main, des dizaines de mortiers et des pièces d'artilleries lourdes auraient également été saisis (pour un bilan plus complet, voir les liens à la fin de la chronique).

    A Hassaké, l'ambiance entre les Kurdes et le régime est électrique. D'après des sources locales, les populations arabes de Hassaké se sont senties abandonnées par les troupes du régime qui détalent face à Daech. Quand les YPG/YPJ sont arrivés dans les zones autrefois contrôlées par le régime, ils ont été accueillis en libérateurs et largement acclamé par les foules d'autant plus qu'ils se sont alliés avec des tribus arabes incarnées par l'armée Al-Sanadid qui affronte depuis le début les troupes de Daech aux côtés des YPG/YPJ. Pire encore pour le régime, beaucoup de ses troupes régulières ont déserté pour rejoindre... des milices kurdes. Résultat : le régime est réduit à peau de chagrin dans la ville de Hassaké et les tensions sont vives. Un colonel de l'armée syrienne aurait demandé s'il pouvait revenir sur les positions qu'ils occupaient avant l'assaut de Daech, et un commandant du YPG lui aurait répondu : « tu as une minute pour te casser ou on vous tue tous ».

    Les YPG/YPJ ont par ailleurs appelé le régime à déposer les armes dans le nord syrien. En parallèle à Kobani, une nouvelle ligne de véhicules blindés a vu le jour. Ce type d'engins est depuis presque le début de la prise de pouvoir du PYD (Parti de l'Union Démocratique majoritaire au Rojava et lié au PKK) fabriqué au Rojava. Ces véhicules, souvent des transports de troupes blindés, de fabrication 100% kurde, ont donné un avantage tactique aux troupes kurdes. Celles-ci les ont utilisé pour pilonner l’ennemi tout se protégeant des tirs d'armes légères, et pour amener des troupes directement sur le front. Le Rojava est ainsi en train de s’affirmer comme la principale force militaire du nord syrien.

    A Efrin, dernier canton kurde isolé des autres, les combats se poursuivent entre les forces kurdes et le front Al-Nosra (Al Qaïda en Syrie). Ce dernier s'en est pris aux rebelles formés par les États-Unis et affiliés à l'Armée syrienne libre. Les rebelles en question se sont littéralement fait écrasés par les djihadistes, leurs commandants jetés dans les geôles d'Al-Nosra et leurs troupes exécutées. Les rares survivants se sont réfugiés dans les zones kurdes sous le regard des autres groupes rebelles syriens restés passifs. Avec toujours en arrière fond le soutien turc qui se fait sentir pour ce groupe djihadiste qu'est Al Nosra.

    Le problème pour les États-Unis est qu'ils comptaient sur ces rebelles pour établir la zone tampon que la Turquie demande dans les zones kurdes du nord de la Syrie. Aux dernières nouvelles, l'accord entre la Turquie et les États-Unis sur la zone tampon, aussi appelé « ligne mare », prévoit le soutien à une grande offensive rebelle contre Daech dans cette zone. Le but de la Turquie étant de bloquer l'extension du Rojava, et sans rebelles syriens dits « modérés » pour le faire, on se demande bien qui va s'en charger ! Les djihadistes de Al-Nosra peut-être... ?

    Dans le même temps, dans le canton de Cizîre, des chaînes de télévision proches du gouvernement de PDK irakien ont été interdites. Elles l'ont été parce qu'elles pratiquaient selon les autorités de Cizîre un travail de désinformation systématique en relayant des pseudo-informations comme le prétendu nettoyage ethnique contre les turkmènes au Rojava. Les autorités de Cizîre ont justifié cette décision par la propagande « chauvine » et « raciste » que diffusait ces chaînes de TV. Il est intéressant de rappeler que le Rojava subit un blocus accru au niveau international et ces mêmes chaînes de télé liées au PDK et à ses alliés ne dénoncent pas avec vigueur ce blocus. Ironie de l'histoire : quand le poste-frontière de Rabia entre l'Irak et le Rojava était contrôlé par les forces du gouvernement central irakien, le ravitaillement était plus facile que depuis qu'il est passé sous contrôle du PDK.

    La situation en Turquie

    Dans une logique de guerre intérieure, la Turquie multiplie les frappes sur les positions désertées de Daech et sur les positions civiles kurdes. Le KCK, Union des communautés kurdes, qui rassemble la mouvance kurde au-delà du PKK, appelle à une résistance totale face à l’État turc. De nombreux axes routiers ont été coupés par les guérilleros et des combats urbains ont commencé à éclater entre les troupes turques et des milices kurdes.

    Les fantômes du passé refont surface avec la mise en place de zones militaires au Kurdistan Nord (ou Kurdistan de Turquie). Ces zones militaires avaient permis dans le passé à l'armée turque de liquider complètement des communautés rurales kurdes en évacuant les populations de leurs terres ancestrales pour que celles-ci ne reviennent jamais. Cela avait jeté des dizaines de milliers de paysans kurdes déracinés dans des usines aux conditions de travail horribles et dans des camps de réfugiés insalubres.

    Mais les Kurdes résistent les armes à la main. Les combats gagnent les villes comme à Silopi où des milices urbaines affiliées au PKK résistent aux assauts des forces de l'ordre qui cherchent à faire un nouveau coup de filet dans les quartiers de la ville. Les affrontements ont déjà fait plusieurs morts et se poursuivent.

    La répression se poursuit dans l'ensemble de la Turquie avec la fermeture de centaines de sites internet et de blogs. Les arrestations de révolutionnaires sont de plus en plus violentes, et la pratique de la torture est revenue sur le devant de la table. A Silopi, la police turque a mis un pistolet dans la bouche et l'anus d'un jeune civil blessé dans les affrontements, et ils l'ont ensuite battu et traité de « semence arménienne ».

    Dans la même veine, six combattants des YPG en convalescence en Turquie ont été expulsés. Mais au lieu de les remettre à un poste-frontière contrôlé par les Kurdes, la Turquie les a remis aux djihadistes du front Al-Nosra, les livrant ainsi à une mort certaine.

    A la tête de l'armée turque, un remaniement a eu lieu. Le chef d’État major a été remplacé par un général considéré comme un béni oui-oui du pouvoir. Issu de l'armée de terre, il serait également lié aux États-Unis et très atlantiste. C'est aussi un signe de réconciliation avec les États-Unis qui en avaient marre de la trop grande promiscuité entre le gouvernement turc et Daech.

    Erdogan cherche à marquer des point d'ici fin août, moment où il cherche à provoquer des élection anticipées pour obtenir la majorité absolue. A ce petit jeu, Erdogan risque de plus en plus une véritable insurrection généralisée au-delà du Kurdistan turc.

    La situation à l’international

    Bah oui ! La diaspora kurde fait partie du Kurdistan à sa manière. Notamment en France où elle compte environ 300 000 individus. Il y a de nombreux appels à manifester en Europe comme samedi 8 août à Paris (place de la république) pour dénoncer la répression de l’État Turc. Il est important que les révolutionnaires soient solidaires de la cause kurde et les soutiennent dans la réalité terrible qu'ils subissent.

    Un financement participatif (crowdfunding) a été lancé pour la reconstruction de Kobani, l’objectif étant de récolter 140 000 dollars. C'est à voir ici : https://www.firefund.net/

    Raphaël Lebrujah

    Pour en savoir plus :

    Sur les Yézidis, un an après le génocide :

    http://anfenglish.com/kurdistan/shengal-is-reborn-with-the-ezidi-assembly-for-construction

    Actu Rojava 03/08/2015 :

    http://tendanceclaire.npa.free.fr/breve.php?id=14182

    Sur les méthode de nettoyage ethnique par la Turquie :

    http://anfenglish.com/kurdistan/turkish-state-aims-to-clear-qandil-of-people

    Sur les attaques de Yézédis par la police du PDK (Parti démocratique du Kurdistan s'appuyant sur le système clanique pour se maintenir au pouvoir)

    http://anfenglish.com/kurdistan/kdp-asayesh-attack-people-condemning-shengal-genocide

    Article médiapart sur la politique intérieure turque :

    http://www.mediapart.fr/journal/international/040815/la-turquie-plongee-dans-une-logique-de-guerre-interieure

    A propos de la Russie qui cherche à créer un bloc kurdo-chiite-régime

    http://french.china.org.cn/foreign/txt/2015-08/05/content_36225094.htm

    Bilan des batailles des YPG/YPJ de juillet 2015 :

    http://ypgrojava.com/en/index.php/statements/785-july-2015-balance-sheet-of-the-war-in-rojava-syria

    Le mont Qandil brûle à cause de produits chimiques :

    http://anfenglish.com/kurdistan/fires-on-mount-bagok-and-cudi-continue

    Drone pilier des bombardements turcs :

    http://anfenglish.com/kurdistan/drone-activities-and-bombardments-by-turkish-military-continue

    Sur les chaînes de TV pro-PDK interdites à Cizîre :

    http://anfenglish.com/kurdistan/rudaw-and-orient-tv-s-work-permit-cancelled-in-cizir-canton

    Sur le changement de chef d’État major en Turquie :

    http://www.rfi.fr/europe/20150806-turquie-nomination-nouveau-chef-etat-major-lutte-etat-islamique-kurdes

    Déroute des rebelles pro-américain en Syrie :

    http://abonnes.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/08/07/la-deroute-de-la-division-30-syrienne-formee-par-washington_4715818_3218.html

    Sur les combats entre miliciens kurdes et turcs à Silopi :

    http://abonnes.lemonde.fr/europe/video/2015/08/07/deux-morts-dans-des-affrontements-dans-le-sud-est-de-la-turquie_4715906_3214.html

    Interview fleuve d'un membre du comité central du PKK :

    http://anfenglish.com/kurdistan/kalkan-pkk-has-not-attacked-yet-and-its-retaliations-are-limited

    Sur l'utilisation de la torture par les forces armées turques :

    http://anfenglish.com/kurdistan/police-torture-wounded-civilians-in-silopi

    Sur les 6 combattants kurdes blessés remis à Al-Nosra :

    http://anfenglish.com/kurdistan/how-did-turkey-hand-over-six-injured-ypg-fighters-to-al-nusra

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