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    Arrêtons le massacre de l’université !

    Par Lucas Battin (12 mars 2013)
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    Le projet de loi sur l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) a finalement été rendu public suite à une longue et inutile « concertation ». Les quelques mesures d’urgence que les syndicats et les collectifs de précaires ont fait remonter n’ont absolument pas été intégrées, entre autres :

    • la suppression des initiatives d’excellence (IDEX) qui font que les universités ne reçoivent plus d’argent en fonction de leurs besoins (en particulier le nombre d’étudiant-e-s) mais en fonction des projets d’excellence qu’elles doivent élaborer créant ainsi une super compétition entre universités ;
    • la création d’emplois pour résorber la précarité ;
    • la réaffectation des crédits ANR à des financements pérennes des laboratoires et des formations ;
    • la remise en cause du crédit impôt-recherche

    Cette loi, tout au contraire, s’inscrit directement dans la droite ligne des réformes jusque là menées par le gouvernement précédent : subordination de la recherche aux besoins socio-économiques, précarisation des travailleur-se-s, régionalisation, diminution des budgets etc. Enfin, lorsque l’on constate la teneur des réformes qui sont proposées dans le primaire pour les institutrices et instituteurs, on ne peut être que frappé par la cohérence des mesures que prend ce gouvernement « de gauche» pour sauver le capitalisme au détriment des travailleurs. Le gouvernement Hollande-Ayrault s’inscrit donc pleinement dans la logique capitaliste de marchandisation, et le savoir n’est pas épargné ! Il faut donc que tous ensemble, nous renversions ce système.

    Un état des lieux déjà catastrophique

    La mise sous tutelle de la recherche a commencé en 2005 avec le Pacte pour la recherche. Avec la création de l’Agence nationale pour la recherche (ANR) et de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES), l’État a marginalisé les organismes de recherche en s’assurant la maîtrise des programmes de recherche et en décidant de la vie et de la mort des laboratoires selon des critères non scientifiques et clairement centrés sur la rentabilité. Rappelons aussi que la loi sur les libertés et responsabilité des universités (loi LRU 2007), qui a établi l’autonomie financière des établissements, a mis un tiers d’entre eux en déficit conduisant à la détérioration des conditions de travail autant pour les enseignant-e-s, les chercheurs et les personnels que pour les étudiant-e-s (à Strasbourg, c’est par exemple 40 000 heures équivalent TD qui doivent être supprimées).

    Le changement promis et tant « attendu» n’est clairement pas là puisque dans ce nouveau projet de loi, la plupart des articles de la LRU sont prorogés sans modification et ceux qui sont modifiés le sont pour en accentuer les travers. La loi LRU mettait les premiers jalons vers une marchandisation de l’éducation, du savoir et de la recherche publique, telle qu’elle s’inscrit dans la stratégie de Lisbonne, le projet Fioraso continue pleinement !

    L’autonomie des universités a engendré une augmentation de la précarité dans la recherche. Le nombre de précaires dans la recherche et l’enseignement supérieur est estimé à 50 000. Exemple révélateur, 60 % des doctorant-e-s en sciences humaines ne sont pas financé-e-s. Ils/elles passent ainsi de 4 à 6 ans à travailler pour la recherche et doivent se trouver eux/elles même une autre source d’argent (donc un autre travail). Enfin la loi Sauvadet permettant la CDIsation des précaires (avec des conditions quelque fois spectaculairement compliquées), pourtant largement insuffisante, n’est que très peu appliquée. L’état de l’université est déjà déplorable et malheureusement, les mirages d’un soi-disant gouvernement de gauche se sont rapidement évaporés.

    La droite l’a fait, la gauche l’aggrave

    Comme introduit précédemment, le projet de loi Fioraso est, sans ambiguïté, une LRU bis : un approfondissement de la casse de la recherche et de l’enseignement supérieur. Voici, en quelques points comment se décline le projet de loi.

    Subordination de la recherche publique à la rentabilité patronale

    On voit dans ce projet que le transfert de la recherche publique vers l’économie devient une mission du service public. La valorisation économique est de plus le critère de l’excellence de la recherche en général, il est prévu d’évaluer les personnels sur l’ensemble des missions qui leur sont assignées et non plus uniquement sur leur production scientifique. La vie risque d’être encore plus difficile pour les filières « non rentables ».

    Ensuite, les mesures instaurées par le Pacte de la recherche ne se pas retirées et sont même consolidées. Le financement sur projet ANR, responsable de la mise en concurrence des entre chercheur-se-s ou universités et de l’augmentation du nombre de précaires, reste intouché dans ce projet de loi. L’évaluation des établissements, des unités de recherche, des formations et des enseignant-e-s par l’AERES est même consolidée en un dispositif colossal : le Haut conseil d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. Les membres de ce conseil, au nombre de 26, sont nommé-e-s par décret.

    Le crédit impôt recherche est élargi aux PME et doublé du crédit impôt compétitivité-innovation, qui va coûter 20 milliards de plus. Dans le même sens, l’injonction au « transfert » apparaît inlassablement dans tout le texte du projet de loi.

    Si l’on articule cela avec le désengagement qui s’opère dans la recherche privée (exemple de Sanofi avec les sites de Toulouse, Montpellier et les travailleurs en luttes de Vitry), on constate que ce projet de loi va dans le sens de la subordination et du contrôle patronal de la recherche. La société capitaliste attaque là encore de front, ainsi la riposte victorieuse ne peut se faire que conjointement avec les travailleurs du privé.

    Territorialisation et régionalisation

    Bien qu'attaqué depuis longtemps (projet de loi Devaquet en 1986) et mis à mal par la contre-réforme LMD en 2002, le cadre national de la formation dans les universités permet encore aux étudiant-e-s d’accéder à des formations globalement équivalentes dans tout le territoire français. Le projet de loi Fioraso prévoit une régionalisation très forte, un budget régional, la gestion de la masse salariale transférée aux régions, jusqu’à l’habilitation des formations. À l’heure actuelle, le contenu de chaque diplôme est validé au niveau national par le conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER). Le projet de loi vise à modifier ce fonctionnement pour l’« assouplir » par une procédure d’accréditation. La notion de diplômes nationaux serait alors encore davantage démantelée au profit de diplômes spécifiques à chaque fac répondant aux exigences patronales régionales.

    De plus, dans chaque région, l’ensemble des organismes de l’ESR sera fusionné dans des « communautés scientifiques » qui comprendront les acteurs économiques locaux. Les liens subordonnés entre privé et public seront par là renforcés, le transfert de connaissance sera accéléré et la disparité entre régions accentuée.

    Enfin, difficile de ne pas faire le rapport avec la préparation de l’acte III de la décentralisation et les déclarations récentes de M. Lebranchu, ministre de la Fonction publique, sur la nécessité de « moderniser le statut de fonctionnaire ». Le statut national de fonctionnaire d’État semble donc être menacé.

    Bac -3 / bac +3

    Sous couvert de faciliter la transition entre lycée et université, on observe qu’il est prévu un recul des enseignements d’approfondissement disciplinaire. L’idée est de « retarder » la spécialisation en licence. Cela reviendra à dévaloriser et déqualifier celles-ci. L’exemple des colleges à l’anglo-saxonne semble être le modèle. Ceci s’articule avec un enseignement qui sera fait par des professeurs agrégés plutôt que des enseignant-e-s et chercheu-r-se-s. Bien entendu, le décret sur la modulation de service qui vise à « alourdir » le service d’enseignement des « mauvais-es chercheur-se-s » n’est pas abrogé (dans le contexte de compétition exacerbée, les « mauvais-es » chercheur-se-s sont les moins « publiant-e-s » ou celles et ceux qui ne publient pas dans les supports valorisés par la norme concurrentielle imposée). La déconnexion entre recherche et enseignement s’accentue encore avec ce projet.

    La mobilisation se développe

    La sortie de ce projet de loi qui, répétons-le, continue le travail effectué jusque là par les précédents gouvernements de droite, fait réagir. Tout d’abord, on constate que les collectifs de précaires qui n’ont pas été écoutés lors des assises, se consolident et maintiennent leurs revendications, plus nécessaires que jamais. En effet, tout cela ne va faire qu’augmenter la précarité dans l’ESR. Il est déjà très difficile de pouvoir faire appliquer la loi Sauvadet, la marche que prend l’université ne va pas dans le bon sens.

    On voit aussi se réunir des AG dans les universités, des AG d’information, d’étudiants, de précaires ou bien unitaires. Le 18 février 2013, à l’appel d’une intersyndicale où ne figurait pas l’UNEF, une AG de plus de 300 personnes a eu lieu à l’université Paris Diderot. Le 2 mars, 150 personnes se sont réunies à l’INALCO venant d’une trentaine d’établissements. Des AG étudiantes émergent aussi, notamment à Nanterre. Il y a aussi des rencontres avec des boîtes en luttes avec par exemple une réunion publique à Jussieu avec des travailleur-se-s de Sanofi (1).

    Construisons ce mouvement

    Comme nous l’avons expliqué, ce projet de loi s’inscrit totalement dans le courant des précédentes : LMD, LRU, Pacte de la recherche, etc. Au moment de la LRU, nos craintes d’alors étaient prises à la légère. Maintenant, force est de constater qu’il ne fallait pas, nous avons maintenant l’expérience pour montrer que l’autonomie des universités est une impasse pour l’ESR. Ce projet de loi est une LRU extrêmisée, il faut donc réagir massivement et sans traîner !

    Il faut se battre :

    • bien entendu pour le retrait du projet de loi Fioraso ;
    • mais aussi pour l’abrogation de la LRU et du Pacte de la recherche ;
    • pour la titularisation de tous les précaires et des créations de postes en nombre suffisant pour supprimer la précarité à venir ;
    • pour une université uniquement publique pour une recherche indépendante et de qualité;
    • pour le rétablissement intégral du cadre national des diplômes, et donc l'abrogation du LMD

    Pour construire un mouvement victorieux, il va falloir multiplier les AG autant que faire se peut pour une lutte auto-organisée et ainsi s’étendre et devenir une mobilisation de masse. L’unité entre étudiant-e-s, enseignant-e-s, chercheur-se-s et personnels doit être une priorité avec pour perspective une coordination nationale composée de délégués des AG mandatés et révocables, tout en militant dans les intersyndicales pour mobiliser le secteur. Tout cela pour aboutir à une grève généralisée !

    Mais nous ne gagnerons pas seul-e-s, tout ceci s’inscrit dans un mode de fonctionnement du système capitaliste. Dans le public, le primaire est aussi touché de plein fouet par des réformes à venir. Là aussi par exemple, il y a une certaine territorialisation des moyens à l’échelle de la commune. Les institutrices et instituteurs se mobilisent aussi et en nombre. On voit que les mêmes problèmes se retrouvent de la maternelle à l’université, ce n’est qu’ensemble qu’on pourra peser dans le rapport de forces. Enfin, il ne faut pas oublier ce qui se passe dans le privé, et notamment dans la recherche privée, car là où les entreprises se désengagent de la recherche, c’est pour mieux la donner à faire à l’université.


    1) Pour en savoir plus : http://tendanceclaire.npa.free.fr/contenu/autre/artpdf-472.pdf

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