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    Zanon expropriée : une journée inoubliable

    Par Titin Moreira (15 septembre 2009)
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    « Huit ans ont passé, nous ne voulons plus de bluff, nous voulons l’expropriation », chantaient les ouvriers céramistes de Zanon, accompagnés d’un important soutien de fonctionnaires, d’enseignants, de travailleurs de la santé, d’organisations sociales et de partis de gauche, en marchant vers la Législature de Neuquén, où l’on allait traiter de la loi sur l’expropriation de l’usine.

    Le vent de Patagonie soufflait froid et fort, rendant insupportable l’attente devant le congrès de la province. Les céramistes, qui huit ans plus tôt ont osé et ont occupé l’usine, ont fait repartir sa production et ont fait en sorte que leur épopée reste imprimée dans les meilleures pages de l’histoire ouvrière de notre pays, chantaient avec fierté « aquí están, estos son, los obreros de Zanon » (1) jusqu’à en perdre la voix.

    Les jours précédents, à Neuquén, les passions bouillonnaient. Bien que le gouverneur se soit décidé pour l’expropriation, au sein de son propre parti, le MPN, de la part de l’opposition de droite et de la part de la CGT elle-même, on entendait des plaintes car on cédait l’usine aux « gauchistes », aux « délinquants ». Ils ont utilisé toutes les calomnies pour discréditer la lutte exemplaire des céramistes. La bureaucratie syndicale cégétiste et la chambre industrielle ont tenté d’intervenir pour éviter que l’expropriation soit votée. Ils ont échoué.

    Mobilisation à la législature

    Une grande colonne précédée d’un drapeau où était inscrit « Carlos Fuentealba est avec nous » (2) était le symbole de cette mobilisation, un front uni de ceux qui ont soutenu la lutte des céramistes pour l’expropriation, qui combattent aussi pour que soient punis ceux qui ont assassiné l’enseignant à Arroyito. Tous se souviennent que Carlos Fuentealba a été l’un des enseignants qui par centaines, le 8 avril 2003, sont allés défendre Zanon face à la tentative d’expulsion. En montant par l’Avenue Argentine les ouvriers céramistes faisaient entendre leur voix : « nous ne leur laissons pas de répit, qu’ils aillent se faire foutre… », au cas où quelqu’un imaginerait que, parce qu’on leur avait promis l’expropriation, ils allait arrêter de se battre et de soutenir chaque lutte.

    La longue et ennuyeuse session législative se déroulait. Une délégation de 50 camarades avait pu entrer à la Législature : une importante délégation des vétérans de Zanon accompagnés des « Madres de Plaza de Mayo » de Neuquén, de délégations de la CTA, de travailleurs de l’INDEC, du métro de Buenos Aires, du « Astillero Rios Santiago », de Brukman, entre autres. En même temps, à l’extérieur se tenait un meeting lors duquel ont pris la parole les représentants de toutes les organisations politiques solidaires. L’un des moments les plus émouvants a eu lieu quand les femmes, qui 9 ans plus tôt avaient organisé la première commission de femmes de Zanon, sont montées à la tribune. La mère d’Alejandro Lopez (secrétaire général du SOECN), en montrant la première chemise de lutte de son fils, a raconté avec fierté comment elle a commencé à soutenir les ouvriers de Zanon. Fut évoqué (comme aurait-il pu en être autrement) Daniel Ferrás, jeune ouvrier mort du fait de la négligence patronale et qui a été l’étendard unifiant la force des céramistes. Fut évoqué aussi « Boquita », Jorge Esperanza, membre de la direction du SOENC, récemment décédé. L’émotion était palpable. A minuit, à l’issue de cette longue journée du mercredi 12, par un froid que les feux ne réussissaient pas à affaiblir, on a voté l’expropriation. Place à la joie. « Enfin » criait-on, « et dire que certains pensaient qu’on ne réussirait jamais ». On chantait, on sautait de joie, on s’embrassait et quelques larmes coulaient sur les joues tannées. Les plus anciens se souvenaient de la fin de la longue grève de 2001, qui avait duré trente-quatre jours, de la célébration de cette victoire-là après la tension accumulée. Et la comparaison n’était pas fausse. Cette grande victoire a ouvert le chemin de ce qui, quelques mois plus tard, seraient l’occupation et la relance de la production de l’usine de carrelages et céramiques la plus importante du pays.

    Lolín, l’une des « Madres de Plaza de Mayo » (3) de la région les plus appréciées, est montée à la tribune et avec ses mots d’encouragement, comme tant des fois par le passé, elle a apporté de la chaleur dans cette nuit glaciale. Personne ne s’en allait, il était pourtant une heure du matin. On a entonné « la classe ouvrière est une et sans frontières ». Puis ce fut le moment de présenter le Brésilien Claudinor Brandão, dirigeant du SINTUSP, syndicat des travailleurs non-enseignants de l’Université de São Paulo, qui a revendiqué l’exemple de Zanon et de l’expropriation pour les milliers de personnes qui perdent leur emploi dans son pays. Ensuite ont parlé les dirigeants de Zanon, les plus connus et ceux qui ont pour tâche maintenir en fonctionnement une entreprise qui est la source du revenu de 470 familles, au milieu de la crise capitaliste actuelle. Et pour confirmer cette unité, sont montés à la tribune les futurs dirigeants du syndicat qui se présenteront aux élections dans deux semaines pour l’historique liste marron (liste lutte de classe antibureaucratique).

    Tous les orateurs ont remercié pour leur soutien tous ceux qui étaient là, non seulement ce jour-là, mais pendant ces dix dernières années, depuis qu’ils ont gagné la Commission Interne. On a salué aussi les camarades présents de l’usine céramique Stefani, aujourd’hui en conflit.

    Mais personne n’est dupe. Conscients que l’expropriation n’est pas la fin et qu’en outre dans le traitement législatif article par article on voudra les piéger (comme par exemple sur les questions de la « paix sociale » ou des indemnités), les travailleurs ont décidé par vote de se mobiliser pour la législature le lendemain.

    Un exemple national et international

    Cette journée marque la fin d’une longue période de l’histoire et le début d’une autre non moins combative et difficile. Comme le répète sans cesse Raul Godoy, « Zanon n’est pas une île », et quel exemple plus concret pour l’illustrer que celui de l’usine de céramiques Stefani de Cutral Có, qui est en grève depuis plus d’un mois pour une provocation patronale. La lutte de Zanon et de son syndicat continue.

    La gestion de Zanon est connue dans tout le pays et a eu une importante diffusion au niveau international. Avec le temps, sa renommée, loin de diminuer, n’a fait que croître, notamment lors de l’année qui vient de s’écouler. Le mérite n’en revient pas seulement aux céramistes et à leur direction. En effet, la crise capitaliste mondiale, avec ses millions de licenciés dans le monde entier et les milliers d’entreprises fermées, met à l’ordre du jour l’expérience des usines récupérées en Argentine qu’a provoquée la crise de 2001 et qui a eu une diffusion internationale. Depuis huit ans, l’étoile de Zanon brille avec plus de force encore, par sa politique de contrôle ouvrier, différente et supérieure à celle des coopératives normales qu’ont adoptées l’ensemble des entreprises occupées, son syndicat de classe, sa politique de coordination, sa méthode de démocratie ouvrière où c’est l’assemblée qui décide, le contrôle périodique permanent de la base sur la gestion de l’entreprise, sa solidarité militante avec des dizaines de conflits dans tout le pays… Par son soutien aux secteurs nécessiteux, stimulant toujours ce qu’ils appellent « le travail avec la communauté », les concerts avec des groupes comme La Renga, la Bersuit, Attaque, entre autres, pour que les jeunes de la région puissent, soit gratuitement soit en payant le minimum, profiter de concerts d’habitude inaccessibles. Bref, une usine de céramiques qui est une usine militante et qui a gagné l’expropriation. Personne ne la leur a offerte. Ils ne l’ont pas remportée tout seuls. Le soutien extraordinaire qu’ils ont reçu des travailleurs de la région et de tout le pays a été fondamental. « Unité des travailleurs ! Que ceux que ça dérange aillent se faire voir ! » : ils chantent encore et encore. Ils ont gagné l’expropriation. Ils l’ont arrachée à grand peine au régime de Neuquén. Ils quittent la Législature, heureux de la bataille gagnée. La nuit glacée garde l’écho de ce chant de guerre : « Vive la lutte de Zanon, vive le contrôle ouvrier, parce que cette usine appartient au peuple, chez Zanon No Pasarán ! »

    Manifestation Zanon
    Manifestation de soutien à Zanon, Neuquen

    1) « Ils sont ici, ce sont ceux-ci, les ouvriers de Zanon. »

    2) Carlos Fuentealba est un enseignant qui a été assassiné par la police de Neuquén lors d’une manifestation en 2007.

    3) Le mouvement des mères de la place de Mai (en espagnol : Asociación Madres de la Plaza de Mayo) est une association des mères argentines dont les enfants ont « disparu », assassinés sous la dictature militaire des années 1976-1983.

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