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    « Faisons front ! » : meeting de Jussieu contre l’islamophobie et les racismes d’État

    Ce vendredi 21 octobre avait lieu à l'université de Jussieu un important meeting organisé conjointement par le comité de mobilisation de la fac et l'association d'étudiant-e-s Averroès. Celui-ci s'inscrivait dans la continuité du meeting à Tolbiac du 6 octobre, mais aussi dans le contexte des meetings interdits plus récemment à l'université d'Évry et à Tolbiac. Avec une affluence d'environ 200 personnes, il constituait un véritable événement dans la vie de cette fac immense qui passe pour une des moins politisées de la capitale. Les cinq interventions depuis la tribune ont été saluées par de vifs applaudissements et des slogans politiques repris en chœur.

    Lyla, étudiante : « vous nous envahissez jusqu'ici ! »

    Les deux premièr-e-s intervenant-e-s ont témoigné de l'islamophobie, du racisme et du sexisme dans leur quotidien. Lyla, étudiante, a d'abord souligné le caractère spécifiquement français de l’islamophobie, qu'elle n'a pas rencontrée lors de ses voyages à l'étranger, puis elle a énuméré les discriminations, brimades et sanctions qu'elle a subies dans le milieu scolaire puis universitaire, à cause de son choix de porter un foulard sur la tête.

    Ce fut un récit calme qui donnait la rage au ventre, une kyrielle d'injustices dont seuls quelques exemples peuvent être donnés ici. Ainsi, des enseignant-e-s qui la pénalisent en l'envoyant de manière répétée chez le proviseur de son lycée, de manière à lui faire manquer les cours ; de celles/ceux qui, à l'Université, lui donnent des notes-sanctions sans fondement ; de celles/ceux qui la laissent tomber quand elle invite Tariq Ramadan au colloque qu'elle organise ; ou encore de cet autre qui, choqué de la rencontrer, portant le foulard, dans un haut lieu du savoir universitaire, lui reproche : « vous nous envahissez jusqu'ici ! » – et qui ne peut finalement être calmé que par l'intervention d'un homme blanc...

    Lyla a conclu son témoignage par une question légitime, adressée non aux racistes assumés, mais aux personnes qui, se revendiquant de gauche ou d'extrême-gauche, luttent pourtant pour l'interdiction de ce vêtement : pourquoi le foulard n’est-il pas vu comme le simple vêtement qu'il est ?

    Hamid, salarié : « Bonjour, petit pédé ! »

    Hamid, salarié à la cantine de l'École Normale supérieure, a retracé son expérience croisée de la précarité, du racisme et de l'homophobie sur son lieu de travail. Il a situé très exactement l'instant où il a pris conscience de ces formes d'exploitation et d'oppression : suite à une première assemblée générale de salarié-e-s contre la précarité, son chef l'a accueilli avec des mots glaçants – « bonjour, petit pédé », lui dit celui qui depuis des années utilisait le racisme, le sexisme et l'homophobie pour diviser les salarié-e-s.

    Mais par une grève reconductible de plusieurs mois, dirigée par les salarié-e-s eux-mêmes avec le soutien des étudiant-e-s, et émaillée d'actions coup de poing allant jusqu'à l'occupation des bureaux de la direction, Hamid et ses collègues ont obtenu en 2011 la victoire sur leurs revendications (notamment de titularisation ou de CDIsation), et la mutation du petit chef raciste.

    Hamid a souligné avec émotion que malgré la tentative de certains bureaucrates de la CGT de négocier derrière le dos des travailleur/se-s, et malgré le revanchisme de la direction de l'ENS, qui a voulu casser les meneur-se-s de la grève, cette expérience lui a ouvert les yeux sur la nécessité de lutter pour mettre un terme à l'exploitation et l'oppression de l'homme par l'homme. Son témoignage était poignant et son discours de classe, mettait en avant, et dans la plus touchante des sincérités, l’oppression du système et des dominants.

    Yasser Louati : les organisations du mouvement ouvrier doivent faire le ménage idéologique dans leurs propres rangs

    Les trois autres intervenant-e-s ont dressé un tableau plus large de l'islamophobie et des racismes d'État en France.

    Yasser Louati, empêché de parler à l'université d'Évry, a pu rappeler cette fois la définition de l'islamophobie comme l'ensemble des attaques contre les personnes ou institutions en raison de leur appartenance, réelle ou supposée, à la religion musulmane. Il a montré que cette forme d'oppression constitue aujourd'hui l'intersection du racisme, du sexisme, et de l'oppression de classe. Ainsi, 80% des actes islamophobes visent des femmes, et les femmes portant le foulard sont de loin la catégorie la plus touchée par la discrimination à l'embauche.

    Si la première manifestation institutionnelle de l'islamophobie remonte, selon lui, à la commission Marceau Long de 1987, c'est surtout l'année 2004 qui marque la victoire idéologique du camp islamophobe avec la loi sur le voile, qui a ouvert la voie à une banalisation du racisme contre les musulman-e-s ou présumé-e-s telles. L’État exclut les femmes voilées des lieux de travail et d’étude, et ce sont des ministres (comme la secrétaire d'État Laurence Rossignol), des sénateurs ou des députés qui expriment cette volonté politique d'exclusion. Le premier ministre Manuel Valls cherche ouvertement à opposer les travailleur-e-s en fonction de leur identité.

    Dans ce contexte, pour Yasser Louati, les organisations du mouvement ouvrier doivent faire le ménage idéologique dans leurs rangs : elles ne peuvent pas se battre contre un État islamophobe en comptant dans leurs propres rangs des militant-e-s qui rejettent les femmes voilées et les barbus.

    Nacira Guénif : la convergence nécessite de se rappeler que de larges couches des classes populaires ont été systématiquement opprimées, invisibilisées et privées même de leur droit d'exister

    Nacira Guénif a montré que l'islamophobie constituait l'héritage d'une représentation coloniale, dans laquelle l'islam est considéré par la classe dominante comme un moyen d'apprivoiser une partie des classes populaires. Les femmes qui refusent de se laisser dire comment s’habiller, les hommes qui refusent de se laisser dire comment se raser ou tailler sa barbe, gênent parce qu’ils/elles refusent les règles de la laïcité imposées d’en haut. Quand les colonisé-e-s ne se laissent pas coloniser, le fantasme réactionnaire pousse jusqu’à les dépeindre en colonisateurs.

    Dans cette vision, a-t-elle continué, les musulman-e-s (ou présumé-e-s tel-le-s) sont confiné-e-s à un statut de subalternes et d’ennemis intérieurs. L’islamophobie, un « racisme vertueux » dans la mesure où être islamophobe c’est manifester son patriotisme et son adhésion à la République, permet de cristalliser toutes sortes de haines : l’homophobie, le sexisme, l’antisémitisme… À partir du moment où tou-te-s les musulman-e-s n’en ont pas l’apparence,  et ne se revendiquent pas forcément comme tel-le-s, tout le monde ou presque peut être soupçonné d’être musulman.

    C'est pourquoi, comme l'a dit Nacira Guénif, tou-te-s les exploité-e-s et les opprimé-e-s ont intérêt à combattre l'islamophobie. Toutefois, la convergence entre les personnes opprimées pour ce qu'elles sont et les militant-e-s qui sont réprimé-e-s à cause de leurs convictions et de ce qu'ils/elles font n’est possible qu’à condition de se souvenir que de larges couches des classes populaires ont été systématiquement opprimées, invisibilisées et privées même de leur droit d'exister. C'est une condition nécessaire pour que le mouvement ouvrier converge avec les luttes décoloniales, dans des zones marginales qui sont comme autant de colonies intérieures, et avec les luttes contre la suprématie blanche, un système qui opprime l’ensemble de la population et en particulier celle qu’il racise impunément.

    Omar Slaouti : le processus de fascisation en cours rend nécessaire la convergence des luttes ouvrières et antiracistes

    Omar Slaouti a rappelé les idées foncièrement racistes qui dominent dans la Police Nationale (où sept électeurs sur dix ont voté FN aux régionales de décembre 2015), et l'empathie dont font preuve les politiciens racistes à l'égard des manifestations nocturnes de policiers – y compris des dirigeants de « gauche de la gauche » comme Jean-Luc Mélenchon ou Alexis Corbière. La police, a-t-il ajouté, est historiquement et structurellement raciste, et donc islamophobe dans la période ; certes, il y a eu des violences policières contre les militant-e-s opposé-e-s à la loi Travail, et il faut les condamner, mais il ne faut pas les mettre sur le même plan que les violences structurelles des flics qui tuent impunément dans les quartiers populaires.

    Il a rappelé aussi que la première cause de mortalité dans la police était constituée par les accidents survenus en allant au travail, suivie par les accidents survenus au travail (notamment avec les armes à feu), ce qui permet de déconstruire certaines idées reçues, véhiculées par les médias, sur la comparaison entre les décès dans la police et ceux causés par les violences policières.

    Aujourd'hui, a-t-il poursuivi, les policièr-e-s les plus réactionnaires se mobilisent pour avoir plus de moyens de blesser et de tuer sans rendre de comptes. Les manifestations actuelles visent à pouvoir blesser et tuer davantage, notamment dans les quartiers populaires et en ciblant les personnes racisées. Et les idées racistes sont évidemment présentes dans l'ensemble de la population, comme le montrent le soutien aux arrêtés anti-burkini, ou plus récemment l'affaire des habitant-e-s de Lourdes qui donnent à la police les adresses d'immigré-e-s. Or ce climat est entretenu par les politiciens racistes, non seulement pour détourner l’attention de la crise du capitalisme, mais aussi pour mener à bien un projet idéologique de construction sociale, de fascisation, de banalisation du mal, dans lequel les musulman-e-s jouent un rôle analogue aux Juif-ve-s autrefois.

    Selon Omar Slaouti, le processus de fascisation en cours rend nécessaire la convergence des luttes ouvrières et antiracistes, parce que les pogroms sont à l’ordre du jour. Ainsi, il a donné raison à Amal Bentounsi, qui s'est rendue à Amiens le 19 octobre, au meeting de soutien aux Goodyear, pour parler des violences policières, sans taire le fait que Mélenchon en 2012 a traité de larbins du capitalisme les jeunes de la banlieue d'Amiens qui se sont affrontés à la police quand celle-ci a voulu faire des contrôles d’identité pendant un enterrement. Il a appelé les étudiant-e-s et leurs syndicats à se solidariser des luttes antiracistes et contre les violences policières, comme ils l’ont fait avec la lutte contre la loi Travail.

    Discussions et perspectives

    Malgré un ton parfois très académique, ces trois interventions faisaient ressortir des perspectives de lutte enthousiasmantes et précisaient utilement les conditions auxquelles la convergence des luttes pouvait s'effectuer entre le mouvement syndical au sens large, tel qu'il s'est manifesté contre la loi Travail, et les personnes racisé-e-s des quartiers populaires. Plus qu'au meeting de Tolbiac, le rôle déterminant des luttes de classe était mis en avant, permettant de développer une analyse de la centralité de l'islamophobie d'État et des violences policières dans la surexploitation des travailleur-e-s et la division de la classe ouvrière.

    Les interventions de la salle ont ensuite permis d'ouvrir le débat sur des aspects qui n'avaient pas été développés par les cinq intervenant-e-s de la tribune. Ainsi, la discussion a permis d'aborder la question du racisme des racisé-e-s eux/elles-mêmes, qui fait obstacle à la création d'une totale unité des racisé-e-s en introduisant des divisions entre « arabes », « noir-e-s », « asiatiques », etc. – un obstacle qui peut être surmonté par les expériences collectives de lutte et l'élaboration d'une politique antiraciste inclusive, prenant en compte le fait que certains groupes sont attaqués plus vivement que d'autres. Il a aussi été questions des divisions du mouvement féministe, les intervenant-e-s de la tribune rejetant toute possibilité d'alliance avec les organisations qui, comme le Collectif National des Droits des Femmes, excluent les femmes voilées de leurs manifestations. Le rôle des universités dans la lutte contre l'islamophobie, les racismes et les violences policières a également été évoqué : malgré le corporatisme des enseignants-chercheurs, souvent trop attachés à distinguer les problèmes, ce qui revient à cloisonner les luttes, une mobilisation inter-catégorielle des personnels de l'enseignement supérieur et de la recherche serait possible en liant les conditions de travail et le racisme et le sexisme structurels dans ce milieu, comme l'a démontré le témoignage de Hamid.

    Le meeting s'est clos sur les prises de parole de la famille d'Adama Traoré, qui ont rappelé les circonstances de sa mort dans la cour de la brigade de gendarmerie de Persan. Avec une émotion communicative, son frère et sa sœur ont dit l'importance du soutien large qu'ils reçoivent dans leur combat pour faire la vérité et la justice autour de son meurtre, ont invité les participant-e-s au meeting à « ne pas être spectateurs », et sa sœur Assa a conclu sur cette formule capitale : « la révolution, on la fera tous ensemble ! »

    Ce meeting a été une grande réussite, qui nourrit la dynamique de rapprochement entre les militant-e-s du mouvement ouvrier et celles/ceux l'antiracisme politique. Des groupuscules fascistes avaient menacé de perturber son déroulement, mais la vigilance de l'AFA Paris-Banlieue et du service d'ordre auto-organisé du meeting ont empêché toute intrusion de ce genre. Rendez-vous est donc pris pour continuer la lutte côte à côte :

    • Vérité et justice pour Adama Traoré et toutes les victimes de violences policières !
    • Arrêt des poursuites contre les militant-e-s opposé-e-s à la loi Travail !
    • Abrogation de toutes les lois racistes ! Désarmement de la police !
    • Convergence des luttes antiracistes, anti-sexistes et anticapitalistes !
    • Vive la révolution communiste !

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