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    Sur l’assassinat de Samuel Paty et sa récupération politique

    Par Tonio Álvarez ( 8 novembre 2020)
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    Les enseignant.es ont rendu hommage, ce lundi 2 novembre, à Samuel Paty, dont nous condamnons l’assassinat. 

    Si rien ne peux justifier ce crime horrible, nous rejetons la récupération qui en est faite par le gouvernement, les chefs du PS, la droite et l’extrême-droite pour essayer de légitimer une offensive à la fois liberticide et islamophobe. 

    Si nous sommes radicalement opposé.e.s au fondamentalisme religieux, qu’il soit catholique, juif ou musulman, en tant qu’il implique toujours une remise en cause de libertés et de l’égalité que nous défendons, si nous sommes radicalement opposé.e.s à tout projet visant à organiser la société selon des principes religieux, nous affirmons que, aujourd’hui, en France, les principales attaques et les principales menaces contre les libertés, l’égalité, la laïcité, viennent de ceux qui dominent aujourd’hui en France, du gouvernement et du patronat dont il est le serviteur. 

    Il n’est pas possible de croire qu’on pourrait défendre la liberté d’expression et les libertés démocratiques en général avec Macron, les chefs du PS et de LR, et Le Pen. En effet, ce sont eux qui depuis déjà bien des années frappent la République « en son cœur » pour reprendre leur expression, en réduisant de plus en plus drastiquement les libertés démocratiques. 

    En effet, depuis, 2015, les lois sécuritaires ont fait entrer dans le droit commun des mesures autrefois limitées à l’état d’urgence, lequel a permis la suspension régulière des libertés. Bien que déjà largement utilisées dans les quartiers populaires et cela bien avant l’état d’urgence, ces mesures ont notamment été flagrantes pendant le mouvement des gilets jaunes (procédures de garde-à-vue abusives, utilisation de la loi pour empêcher des milliers de personnes d’aller manifester…), mais se lisent aussi dans la multiplication des actes de répression contre les militant.e.s syndicalistes, écologistes, etc. (licenciement de Gaël Quirante à la Poste, mutation d’office d’Anthony Smith inspecteur du travail, attaque contre deux dirigeantes de Sud-Ministère du Travail, etc.).

    Cette restriction des libertés a aussi touché la liberté de la presse, avec de nombreuses arrestations arbitraires ou violences contre des journalistes, notamment des journalistes indépendants, couvrant des manifestations ; mais aussi pression pour lever le secret des sources des journalistes, ou encore le renforcement du « secret des affaires »  (on se rappelle par exemple des attaques contre Médiapart via les questions fiscales notamment), etc. Tout ceci accompagné de discours envisageant de sortir des lois sur la liberté de la presse certains délits de presse pour les faire rentrer dans le droit commun et les pénaliser ainsi beaucoup plus lourdement (une logique typique des régimes autoritaires, par ailleurs).

    C’est dans ce contexte aussi qu’a émergé le projet de loi Avia, qui voulait permettre à l’autorité administrative seule de décider si un contenu devait ou non être retiré d’internet, projet de loi si clairement attentatoire aux libertés qu’elle a été massivement censuré par le Conseil Constitutionnel, qui n’est pourtant pas un repère de gauchistes !

    Le milieu enseignant, qu’on somme aujourd’hui de rappeler les valeurs de la République et parmi elles la liberté d’expression, n’a pas été épargné par les mesures liberticides. L’article 1 de la loi “Pour une école de la confiance” est à ce titre édifiant, et remet en cause la liberté d’expression des enseignant.es, comme en témoignent les poursuites disciplinaires menées contre des collègues pour avoir critiqué Macron (comme, par exemple un billet de Sophie Carrouge, incriminé parce qu’il était signé « SC, enseignante ») ou pour avoir manifesté contre la politique de Blanquer (notamment les 4 de Melle, aujourd’hui lourdement sanctionné.e.s). Et que dire, de l’absence de liberté d’expression et de réunion pour les jeunes eux et elles-mêmes, ainsi que pour leurs syndicats,  dans les lycées notamment ? Ou bien des injonctions concernant leur façon de s’habiller ?

    Les récents événements ont permis d’aller un cran plus loin dans les mesures liberticides, avec une remise en cause de la liberté d’association, comme notamment la volonté affichée de dissoudre le CCIF, organisation antiraciste, qui lutte contre l’islamophobie, quoiqu’on puisse penser de ses accointances politiques réelles ou supposées, ou encore une association caritative comme BarakaCity. Mais aussi une remise en cause de la liberté de culte, avec la fermeture de la mosquée de Pantin sous prétexte que le responsable de l’association cultuelle a reposté la vidéo d’un parent d’élève critiquant avec véhémence Samuel Paty ; à supposer que le fait d’avoir reposté cette vidéo soit pénalement répréhensible (ce qui reste à démontrer), cela ne saurait justifier que des poursuites contre l’auteur du repost et non la fermeture d’un lieu de culte et les fidèles ne sont pour rien dans ce repost.

    Dans le même sens, on peut affirmer qu’il n’est pas vrai qu’il y ait en France de problème pour critiquer l’islam comme religion, puisqu’au contraire les médias sont remplis d’éditorialistes qui, loin de se borner à critiquer l’islam comme religion et d’ailleurs à ne critiquer que cette religion à l’exclusion des autres, déversent des discours qui stigmatisent les musulman.e.s comme tel.le.s, c’est-à-dire tiennent des discours islamophobes.

    Et d’ailleurs, on ne peut pas défendre une véritable laïcité de façon efficace avec Macron, Castex et Blanquer : l’État finance massivement les établissements privés, en majorité religieux, et à 95% catholiques. La loi sur l’école de la confiance de Blanquer a encore accru ces financements, en rendant l’école maternelle obligatoire à partir de 3 ans — ce qui en soi est plutôt progressiste —, mais  ce qui, dans le cadre des lois actuelles, a pour effet presque exclusif de permettre aux écoles maternelles privées de bénéficier des subventions publiques, auxquelles elles n’avaient pas le droit jusque-là.

    On peut enfin – quoique cette liste ne soit pas exhaustive – nommer les discours évoquant une refonte du droit pour pouvoir pénaliser de simples suspects et pour étendre la notion de complicité de crime ou faciliter la dissolution de certaines associations. En effet, une telle extension supposerait une révision de la Constitution, toutefois incompatible avec les traités européens, ce qui a conduit à des discours envisageant de sortir de la CEDH (Convention Européenne des Droits de l’Homme). C’est notamment un axe développé par Manuel Valls qui, répondant à la question d’un journaliste de BFMTV lui demandant si pour pouvoir dissoudre le CCIF ou Barakacity, il fallait le faire « y compris en ne tenant plus compte du droit européen sur les libertés », a affirmé : « S’il nous faut, dans un moment exceptionnel, s’éloigner du droit européen, faire évoluer notre Constitution, il faut le faire. ». Ces idées sont bien sûr aussi portées par Marine Le Pen, qui revendique que la France déroge à « quelques articles » de la CEDH !

    L’offensive islamophobe : la manœuvre classique d’un gouvernement affaibli et rejeté pour diviser notre classe 

    L’offensive islamophobe du gouvernement et de la bourgeoisie vise à diviser les travailleur.se.s, alors que le mécontentement est grand parmi elles et eux contre la politique du gouvernement, entièrement au service du patronat et des riches, et plus encore depuis la crise sanitaire, qui a été géré d’une façon calamiteuse en général, et tout particulièrement pour les franges les plus opprimé.e.s de la population. 

    Nous refusons toute tentative de diviser la société sur des critères « ethniques » ou religieux. 

    Nous défendons la liberté de chacun.e à pratiquer la religion de son choix. Nous défendons aussi la perspective de l’auto-organisation des opprimé.e.s, elles et eux-mêmes.

    Nous combattons tous les discours et les actes racistes, à commencer par ceux qui dominent aujourd’hui, les discours et actes islamophobes. Cela comprend la lutte pour faire condamner tous les auteurs de tels discours et actes. 

    En même temps, nous défendons aussi la liberté d’expression la plus large, contre les restrictions que le gouvernement essaye de lui imposer, pour empêcher la critique de son action et de celles des patrons. 

    Nous pensons qu’il est du devoir des organisations du mouvement ouvrier, féministe, écologiste, antiraciste de prendre en charge ces combats et nous intervenons dans les structures larges en ce sens. 

    Pour la préparation de la manifestation du 5 décembre 

    Le combat contre l’offensive islamophobe passe par le combat contre la loi sur le « séparatisme » qu vise explicitement ce que Macron appelle le « séparatisme islamiste ».

    Il a présenté les principales mesures prévues dans un discours (02/10/2020) ayant une tonalité particulièrement guerrière. Parmi les mesures prévues, on peut relever notamment :

    • l’extension considérable des motifs pour légalement justifier la dissolution d’une association par décision du Conseil des ministres, Macron évoquant des motifs aussi vagues que les «atteintes à la dignité de la personne et aux menaces physiques et psychiques», ce qui donnerait un pouvoir discrétionnaire au gouvernement pour choisir les associations qu’il veut tolérer et celles qu’il veut interdire; c’est évidemment une remise en cause d’une liberté fondamentale, la liberté d’association, dont il serait en outre bien naïf de croire qu’elle se limiterait aux seules organisations supposées, à tort ou à raison, avoir des liens, plus ou moins lâches, plus ou moins étroits, avec des structures politiques d’islamisme radical ; 
    • cette première disposition serait complétée par des mesures visant à assécher financièrement toutes les associations qui déplairaient au pouvoir par l’intermédiaire d’un « contrat de respect des valeurs de la République »; en cas de non respect de ce contrat, les associations devraient rembourser les subventions publiques perçues ;
    • l’extension de l’obligation de neutralité, qui s’applique pour le moment aux seul.e.s fonctionnaires, aux « entreprises délégataires », qui sont appelées à être de plus en plus nombreuses avec la privatisation continue de services publics ; ces travailleur.se.s ne bénéficieraient pas des garanties du statut de fonctionnaires, mais verraient peser sur elles et eux le poids des obligations qui en sont, pour ainsi dire, la contrepartie ;
    • la suppression des ELCO (Enseignement des Langues et Cultures d’Origine), mesure qui porterait atteinte à la liberté pour les enfants issu.e.s de familles immigrées de pouvoir étudier la langue et la culture du pays dont leurs parents sont originaires, mesure qui vise de fait principalement les enfants d’immigré.e.s venant du Maghreb,
    • un ensemble de mesures visant à former et à contrôler les responsables religieux musulmans et même le contenu doctrinal de la religion, en violation flagrante du principe de séparation des Églises et l’État, Macron évoquant « L’ambition de former et promouvoir en France une génération d’imams et d’intellectuels qui défendent un islam pleinement compatible avec les valeurs de la République ». 

    Nous proposons à nos collègues d’organiser le combat contre cette loi et préparer avec nous la manifestation du 5 décembre, pour défendre la liberté d’association, la liberté de culte, la séparation des Églises et de l’État, le droit à étudier la culture de son pays d’origine, l’égalité des droits entre toutes et tous. Il nous faut nous organiser pour combattre la stigmatisation des musulman.e.s et contre les discriminations odieuses qu’ils et elles subissent quotidiennement, le plus souvent en toute impunité.  

    Nous proposons dans nos syndicats à tous les niveaux d’appeler et construire la manifestation du 5 décembre. 

    Nous proposons au NPA d’interpeller l’ensemble des organisations politiques et syndicales du mouvement ouvrier, féministe, antiraciste pour qu’elles appellent à la manifestation du 5 décembre et fassent le nécessaire pour mobiliser massivement. 

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