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    Sur le combat aux côtés des YPG au Rojava

    Nous publions ce texte écrit par un camarade communiste combattant au Rojava. Sans partager l’ensemble de ses positions, nous estimons qu’il apporte des arguments de fond aux débats qui agitent l’extrême gauche sur le Rojava.


    Photographie de couverture : Un combattant de l'International Freedom Battalion exhibant un pansement hémostatique CELOX envoyé par le Secours rouge international.


    Comparer le conflit syrien à la Guerre d’Espagne est depuis longtemps un lieu commun. Grandes puissances impliquées, guerre par procuration, conflit local en préfigurant un autre, généralisé et global... Les points de comparaison ne manquent pas. Même, depuis quelques années, l’engagement de volontaires internationaux dans les milices de gauche kurde1 a apporté une ressemblance supplémentaire... et son lot de comparaisons hâtives, d'aucuns y voyant la renaissance des Brigades internationales. Si, selon la formule fameuse de Marx, l’histoire se répète toujours deux fois, face à la tragédie des Brigades internationales et leurs milliers de combattants, l’engagement de quelques poignées de volontaires dans les rangs des YPG peut au premier abord sembler une farce. Rien n’est pourtant moins vrai. Pour la première fois depuis des décennies, des militants de gauche, anarchistes, communistes, socialistes, venus des quatre coins du monde, se sont engagés dans un conflit armé pour la défense d'un projet politique progressiste novateur. Les organisations révolutionnaires européennes ont souvent dépeint ces volontaires, faute d'informations fiables, selon leurs propres fantasmes: "brigadistes" héroïques pour certains, romantiques, petits-bourgeois en quête d'aventures individuelles voire paumés désireux de donner un sens à leurs vies pour les autres... Qu'en est-il réellement?

    Bref historique

    Les premiers volontaires internationalistes à combattre dans les rangs des YPG, littéralement une poignée, étaient des Européens depuis longtemps engagés dans la cause kurde, notamment des membres “du Parti” qui avaient leurs entrées. La bataille de Kobanê et les manifestations de solidarité qu'elle a suscitées a attiré plus largement l'attention, des militants de gauche non familiers de la question kurde notamment, sur les YPG/YPJ, leurs desseins et idéologie. Cela quelquefois de façon simplificatrice, le "totem" médiatique un brin orientaliste de "la" combattante YPJ résistant à Daesh éclipsant, dans les grands médias, tous les aspects progressistes, civils notamment, des transformations politiques alors en cours au Rojava.

    Le martyre de Kobanê a également incité quelques individus aux motivations diverses (dont des anciens militaires pour qui la défense de la Révolution n'était pas la première motivation) à se rendre au Rojava pour "combattre Daesh". De cette première poignée de volontaires, couplée a la bienveillance de commandants YPG, est né un premier projet structuré pour recruter plus massivement des volontaires internationaux. Le recrutement, assuré à partir de début 2015 par la page facebook des "Lions de Rojava", visait un public très (trop?) large et ne posait que peu de critères politiques. Les volontaires recrutés par ce biais étaient ainsi extrêmement divers: anciens militaires forts de leur expérience du combat, humanistes aux convictions floues, militants d'extrême-gauche... Si l'immense majorité des volontaires, y compris les anciens militaires, ont eu un comportement respectueux et convenable vis-a-vis des combattants kurdes, quelques "brebis galeuses" posèrent problème aux YPG.

    La propagande, notamment, était laissée à la discrétion des volontaires qui, pour certains, inondaient les réseaux sociaux de photos ou films accompagnés de commentaires déplacés, en complet décalage avec les idéaux des YPG. Ces quelques cas, pour minoritaires qu'ils furent, eurent un effet déplorable pour l'image des YPG, certains militants d'extrême gauche les utilisant comme "preuve" d'une collusion YPG/extrême-droite. En Europe, ces attaques furent encore alimentées par la confusion entre volontaires YPG et volontaires Peshmergas. Ces derniers, avec qui les YPG n'ont jamais eu aucun lien, ont effectivement ouvert grand leur portes aux militants "nationalistes" ou "croisés" venus défendre les "chrétiens d'Orient", comme le militant néo-nazi français Guillaume Lenormand qui avait précédemment "combattu" en Ukraine, dans le Donbass. Mentionnons aussi l'existence furtive d'une "Unité 732" (référence à Charles Martel). L'unité "Lafayette", qui s'était fait connaître en lançant un appel aux dons sur le Grand Journal de Canal+ juste après les attentats de Paris, n'a quant à elle jamais existé ailleurs que sur Facebook. Les volontaires européens dans les Peshmergas, pour sur-représentés qu'ils soient dans les médias et réseaux sociaux, sont par ailleurs affectés à des tâches loin de la ligne de front et, à de très rares exceptions près, ne combattent jamais (à la différence des volontaires YPG). Il est significatif que le nombre de volontaires Peshmergas tués au combat s'élève à... zéro, quand plusieurs dizaines de volontaires occidentaux YPG ont trouvé la mort dans le même temps. Il importe donc, à moins d'être mal intentionné, de bien distinguer les volontaires occidentaux Peshmergas et YPG.


    Ryan Lock et Michael Israel, volontaires internationalistes martyrs. Le premier s'est tiré une balle dans la tête pour éviter d'etre capturé par Daesh, le second a été tué par une frappe aérienne turque dans la région de Manbij

    A l'été 2016, un nouveau site internet de recrutement fut mis en place et les "Lions de Rojava" furent fermés. Le nouveau site, "YPG International", se distingue du précédent par sa mise en avant des idéaux politiques des YPG. Le nouveau système de recrutement, sans entrer dans le détail, contient un certain nombre de critères politiques visant à écarter les "brebis galeuses" qui avaient pu s'égarer au Rojava par le passé. Ces nouveaux critères ont d'ailleurs porté leurs fruits et on observe, depuis, une relative homogénéisation des volontaires internationaux et une part toujours croissante (désormais majoritaire) des militants politiques.

    Une Révolution au Rojava ?

    La révolution du Rojava a, hélas, fait couler plus d'encre dans l'extrême gauche qu'elle n'a attiré de volontaires sur place.

    L’une des questions les plus récurrentes dans les discussions qui ont traversé la gauche révolutionnaire européenne est de savoir si, oui ou non, les transformations politiques en cours au Rojava, pour radicales qu’elles fussent, devaient être qualifiées de révolution. Les marxistes, entre autres, s'interrogent légitimement sur la politique économique du PYD qui garantit la propriété privée (y compris des moyens de production) et laisse les portes du pays entrouvertes au Capital international dans le cadre d'une "économie éthique" aux contours flous. Les capitalistes étrangers peuvent ainsi s'implanter librement dans le pays s'ils s'engagent à respecter une charte éthique et un code de bonne conduite garantissant un certain nombre de droits aux travailleurs et à l'administration locale. Il s'agit toutefois largement d'une fiction juridique dans la mesure où, a l'heure actuelle, bien peu de capitalistes sont prêts à s'aventurer au Kurdistan syrien.


    La commune "Şehîd Roken" à Qamishlo. Les communes sont des instances de decision locale regroupant quelques centaines de personnes. Chacun et chacune peut participer aux assemblées dont les co-présidents (homme et femme) sont régulièrement élus et révocables

    Au-dela des arguties purement doctrinales, nos camarades du PYD cherchent avant tout à sortir l'économie locale d'une situation catastrophique qui menace les acquis de la révolution. Il s'agit de décisions pragmatiques et circonstancielles de camarades révolutionnaires engagés dans un processus politique vivant, en perpétuelle évolution. Chaque semaine amène une nouvelle situation inédite à laquelle les révolutionnaires doivent répondre et s'adapter, parfois à tâtons, et sans "recette" miracle préétablie. Prendre en compte et répondre aux besoins du moment de la population, des travailleurs, y compris lorsque ceux-ci entrent en contradiction avec les objectifs de la révolution est sans doute l'une des tâches les plus ardues auxquelles les révolutionnaires sont confrontés. Plus concrètement, le TEV-DEM fait face a un désintérêt croissant pour les questions politiques dans une partie de la jeunesse qui tend à ne voir d'échappatoire que dans l'émigration. Les discussions menées par le PYD avec certains groupes étrangers (Total, Lafarge entre autres) avaient ainsi pour but de rapatrier des ingénieurs, techniciens et cadres qui ont massivement quitté le pays et sans lesquels il est impossible de redémarrer certains secteurs (comme l'industrie pétrolière dans la région de Derik), le PYD étant conscient des complications à venir qu'entraîneraient ces accords. Ces discussions, qui n'ont pour la plupart pas abouti, ne sont d'ailleurs que l'un des aspects de la politique économique du TEV-DEM, à coté du développement du secteur coopératif et de la création d'emploi dans l'administration.


    Une usine de biscuits à Qamishlo. Le TEV-DEM encourage la création d'industries, notamment mais non exclusivement sur un mode cooperatif. Les régions kurdes étaient marginalisées sous Assad et le Rojava reste peu industrialisé.

    Pour toutes ces raisons, je ne souhaite pas me livrer ici à une critique vaine sur la justesse des choix économiques du PYD. Bornons-nous à relever qu'effectivement, si la doctrine apoïste2 prône une société égalitaire, sans classe et sans Etat, le PKK et le PYD ne sont pas des organisations marxistes et que nos objectifs politiques, ainsi que notre analyse de la situation présente, divergent. Ce qui pour eux est "la" Révolution est pour nous "une" révolution. Ce qui est pour eux un processus politique achevé (ou en passe de l'être) est pour nous une étape, capitale, vers la révolution mondiale et le socialisme. Dont acte.

    Il est cependant absurde de refuser obstinément de parler de révolution au Rojava. Car comment qualifier autrement la destruction par les armes d'un appareil d'Etat totalitaire, ultra-répressif et ne souffrant aucune forme d'opposition organisée, par une organisation révolutionnaire de gauche engagée dans un mouvement de guérilla depuis quarante ans et classée comme "terroriste" par tous les gouvernements occidentaux ? La révolution du Rojava n'en serait pas une car la prise du pouvoir politique a d'abord été l'oeuvre d'une organisation politico-militaire aux effectifs limités et non le fait spontané des "masses"? C'est l'argument favori des historiens réactionnaires et anticommunistes post 1991 qui ont rebaptisé la révolution d'Octobre "coup d’État bolchévique" pour les mêmes raisons. Si l'on doit juger du caractère révolutionnaire d'un processus politique par la profondeur des transformations sociales qu'il entraîne, si par "révolution" on entend le renversement par la violence d'un groupe social (pas forcément d'une classe) par un autre, alors, incontestablement, la Révolution du Rojava en est une.

    Certains camarades se refusent à parler de "la" révolution au motif que le PYD n'aspirerait ni à la révolution mondiale ni au communisme. Ceux-ci devraient sortir du cadre étroit de l'histoire européenne du siècle dernier. Toute révolution n'est pas socialiste, au sens où les marxistes révolutionnaires entendent ce terme, sans quoi la Révolution francaise n'en serait pas une. Ne pas qualifier de "révolutionnaires" ceux qui n'oeuvrent pas à la prise du pouvoir par le proletariat est une tradition issue de l'après Première Guerre mondiale, en réaction à la trahison des sociaux-démocrates réformistes. La dichotomie Réforme/Révolution, tant prisée par les marxistes jusqu'à nos jours, faisait certes sens dans l'Europe de 1918, mais qui songerait sérieusement à l'appliquer au Kurdistan syrien de 2017 ? Croire que des concepts tirés de la seule histoire européenne ("réformisme", "fascisme", etc.) suffisent à appréhender et comprendre la totalité des relations sociales et politiques dans toutes les régions du monde procède d'un européocentrisme borné dont il serait salutaire de se départir. Les menchéviques étaient révolutionnaires en Février ; ils ne l'étaient plus en Octobre. Le PYD joue aujourd'hui incontestablement un rôle révolutionnaire progressiste en Syrie; ce ne sera plus le cas demain s'il réprime un mouvement communiste, prolétarien et de masse qui, pour l'heure, n'existe pas. Les organisations communistes, qui sont bel et bien présentes au Rojava3, sont actuellement toutes engagées dans un soutien plus ou moins critique au processus révolutionnaire. Elles restent, toutes tendances confondues, très minoritaires et ne sauraient représenter, le voudraient-elles, aucune concurrence vis-a-vis du PYD. Le choix n'est donc pas à ce jour entre un PYD "réformiste", prêt à s'accomoder d'un capitalisme "éthique", et un parti "révolutionnaire" marxiste imaginaire, mais entre le PYD démocrate et progressiste et le régime totalitaire et pourri d'Assad, les mercenaires d'Erdogan travestis en ASL, Daesh ou encore le PDK corrumpu et clientéliste de Mesud Barzani4. Pour des révolutionnaires marxistes, le choix va évidemment de soi.


    Destan Temmuz, martyre du MLKP tombée sur le front de Raqqa au printemps 2017. Des centaines de communistes, de toutes tendances et principalement turcs, combattent actuellement dans les YPG.

    Arguties doctrinales ou praxis revolutionnaire

    La doctrine politique du PKK et du PYD a aussi suscité beaucoup de réticences de la part des marxistes révolutionnaires et d'admiration de la part des anarchistes européens. Les affinités de ces derniers avec le PYD sont d'ailleurs purement "idéologiques" et théoriques, le système politique en place au Rojava, pour progressiste et anti-autoritaire qu'il soit, n'a que peu à voir avec la "libre confédération de communes autogerées" pronée par Murray Boochkin dont certains camarades pro-Rojava, experts improvisés et mal informés, s'atellent à entretenir le mythe. L'erreur, tant des camarades anarchistes que communistes, est sans doute d'identifier, de conditionner leur soutien au processus révolutionnaire en cours à une adhésion béate à la doctrine du "confédéralisme démocratique". Cette position est d'ailleurs plus le fait de nos apologètes locaux que duet qu'i PYD ou du PKK qui acceptent tout soutien et critique. Plus que la théorie pure, les écrits d'Abdullah Ocalan sur le Néolithique, l'oppression des femmes ou l'Etat-Nation, ce sont les réalisations politiques concrètes du PYD et leur pratique qui devraient dicter aux révolutionnaires européens leur attitude vis-a-vis de cette organisation.


    "Le 8 mars : la fête des femmes". Peinture murale dans une rue de Qamishlo. Le 8 mars est férié et très largement célébré au Rojava.

    Les communistes révolutionnaires ont-ils, en tant que tels et sans rien renier de leurs objectifs propres, intérêt à soutenir concrètement le processus révolutionnaire en cours au Rojava ? La réponse, une fois de plus, va de soi. Il ya d'abord remplacement d'un appareil totalitaire et oligarchique par une forme très avancée de démocratie, avec prises de décision effectives au niveau local (dans les communes, les maisons du peuple, etc.), et un féminisme "enragé" et intransigeant du PYD, ce qui représente en soi un progrès colossal dans une société très patriarcale et atomisée. Ensuite, parce que la victoire des YPG et le maintien du système politique actuel est une condition à l'organisation des communistes révolutionnaires sur place, et donc à l'avènement futur d'une société socialiste. Il n'est que de comparer le foisonnement d'organisations de gauche au Rojava avec les difficultés rencontrées par celles-ci dans les zones tenues par le régime (la repression féroce les condamnant aux géoles et à la marginalité) pour s'en convaincre. Enfin, parce que le processus révolutionnaire en cours dépasse de loin les frontières étroites du Kurdistan syrien. Le Rojava est actuellement le seul havre du Moyen-Orient où les organisations revolutionnaires de gauche peuvent librement s’organiser. Déja des communistes syriens, iraqiens, iraniens ou turcs ont trouvé refuge dans le Nord de la Syrie, non pour s’y reposer ou renoncer à leurs activités, mais pour s’y organiser, dans l’idee de répandre la révolution dans la région. Une mention spéciale doit ici être faite aux organisations communistes turques qui ont soutenu le processus révolutionnaire dès ses debuts et ont payé un lourd tribu humain dans la défense du Rojava. Le Rojava est ainsi en train de devenir un foyer de révolution pour tout le Moyen-Orient, et potentiellement au-delà. Il ne faut pas oublier la dimension stratégique, dans le système capitaliste mondial, de cette région aux ressources convoitées. L’établissement d’une authentique démocratie au Moyen-Orient représente ainsi un potentiel de déstabilisation de l’ordre établi colossal, étant donné les sentiments farouchement anti-imperialistes de la population, qui pourraient ainsi se structurer politiquement. Ce n’est pas sans raison que les impérialistes de tout poil se sont systématiquement opposés à tout véritable mouvement démocratique dans la région, ceux-ci ne pouvant affermir leur influence qu’à travers des structures politiques verrouillées et dictatoriales (ladite Armée syrienne libre pour les Américains et Turcs, Assad pour la Russie...) quand les impérialistes savent très bien s’accomoder de régimes “démocratiques” soumis dans d’autres régions du monde. L’acharnement des puissances impérialistes à soutenir tel ou tel camp, sans lesquels le conflit syrien aurait pris fin, est révélateur de l’importance de la région pour les capitalistes. Que les impérialistes américains, coutumiers de la myopie politique, soutiennent momentanément les YPG, qu’ils considèrent comme la seule force militaire capable de porter le coup de grâce au “caliphat” « califa »? moribond, ne change rien à la donne. Il ne s’agit que d’un soutien provisoire strictement militaire et pragmatique, en aucun cas politique, sur lequel les YPG ne se font aucune illusion5.


    "La femme libre est le pillier de la fédération démocratique." L'emancipation des femmes est un élément central de la politique du TEV-DEM.

    Que les intérêts conjoncturels d’impérialistes se recoupent momentanément avec ceux de révolutionnaires n’a, au passage, rien de nouveau. Que l’on se souvienne qui a permis à Lénine de regagner la Russie en 1917 et, indirectement, permis à la révolution d’Octobre d’avoir lieu. Que l’on relise les Mémoires de Léon Trotsky où il relate comment, en tant que commandant de l’Armée rouge, il recevait les conseillers militaires de l’Entente après l’attaque allemande contre la Russie soviétique. Considérer, pour des révolutionnaires, qu’un modus vivendi durable puisse être trouvé avec les capitalistes serait suicidaire. Mais jouer sur les contradictions entre impérialismes, entre les differentes fractions de la classe capitaliste pour, in fine, affaiblir celle-ci dans son ensemble et se renforcer a toujours fait partie de la stratégie des révolutionnaires conséquents. Refuser les “alliances” et pactes de non-aggression circonstanciels et stratégiques au nom d’une pureté morale ou “révolutionnaire” illusoire est le luxe de ceux qui se complaisent dans la marginalité et n’aspirent pas sérieusement à la prise du pouvoir, au renversement de l’ordre établi.

    En cela, les perspectives anti-impérialistes et anticapitalistes ouvertes par la révolution du Rojava sont énormes. Et en cela, les communistes révolutionnaires doivent soutenir, sans se convertir à l’apoïsme et en conservant leur liberté de critique, le processus révolutionnaire du Rojava.

    Quel soutien?

    Soutenir le Rojava est donc capital. Il existe différents moyens de s’engager concrètement et efficacement, même à l’échelle modeste des organisations révolutionnaires européennes. Il y a d’abord, en Europe, un combat idéologique à mener pour la révolution du Rojava. Il est indispensable de mener ici un travail de réinformation bienveillante à l’égard de nos camarades kurdes et des organisations révolutionnaires présentes sur place, de combattre les attaques malhonnètes et malveillantes (le PYD “laquais des Americains”, les YPG “infanterie des Etats-Unis”, les organisations “nationalistes petites-bourgeoises”), en particulier lorsqu’elles émanent de notre camp politique. Des camarades du NPA, notamment, observent la plus grande réserve envers les YPG, accusés de toutes les tares imaginables, pour s’entêter dans un soutien décidément trop peu critique envers ladite Armée syrienne libre, qu’ils perçoivent à tort comme la continuation et l’héritière de la révolution syrienne initiée en 2011. S’il peut être légitime de s’interroger sur le moindre écart commis par les Forces de la Syrie démocratique, on ne saurait, dans le même temps, fermer les yeux complaisamment sur les crimes de ladite Armée syrienne libre, ou plutôt sur les différents groupes armés qui combattent sous ce label. Les révolutionnaires engagés sur place sont prêts à entendre vos réserves envers les YPG, vos interrogations et critiques et à y répondre, camarades, d’où le présent article. Mais souhaitez-vous vraiment soutenir les mercenaires, les transfuges de Daesh et d’Ahrar Al-Cham et la kyrielle de milices religieuses plus ou moins réactionnaires qui combattent actuellement, sous le commandemant de l’armée turque, dans le nord de la Syrie sous le nom d’Armée syrienne libre? Souhaitez-vous vraiment la victoire des bandes armées rivales sponsorisées par Erdogan pour interdire aux Forces de la Syrie démocratique d’effectuer leur jonction dans la région d’Al-Bab? Si tel est le cas, sachez que, à moins de reconsidérer complètement vos convictions et idéaux, votre soutien n’ira jamais au-delà de l’incantation creuse, les militants révolutionnaires de gauche, féministes et anticapitalistes n’etant pas les bienvenus dans les zones tenues par ladite ASL. Le NPA s’honorerait à prendre ses distances avec ce qu’est devenue ladite ASL (que ne sauraient occulter les derniers laics du Front du Sud), car soutenir activement les YPG en Syrie et le PKK dans l’Etat turc devrait aller de soi pour une organisation révolutionnaire de gauche cohérente6.

    Le Secours rouge international, qui regroupe différentes organisations anarchistes et communistes européennes, s’est lancé depuis plusieurs années dans des campagnes de solidarité, notamment avec l’IFB7, pour financer du matériel médical qui fait cruellement défaut sur le front. Nous ne saurions trop recommander à nos camarades en Europe de soutenir voire de participer à ces campagnes de solidarité révolutionnaire dont les résultats sur le terrain sont tangibles8. Les pansements hémostatiques CELOX, envoyés à l’IFB par le Secours rouge international, ont ainsi permis de traiter un camarade blessé au ventre lors d’une attaque de Daesh fin janvier 2017.

    Il existe enfin, pour les camarades dont la situation personnelle le permet, la possibilité de rejoindre les YPG comme volontaire international et de combattre à leurs cotés9. Il n’est en effet pas trop tard pour s’engager. Les jours de l’Etat islamique ont beau être comptés, l’Administration autonome du Rojava fait face à une menace existentielle toujours plus grande. Fin du soutien militaire occidental après Raqqa, carte blanche donnée à Erdogan dans ses appétits en Syrie et son obsession anti-YPG, anti-PKK et anti-kurde, conflit avec Assad quand celui-ci en aura fini avec l’ASL (et qui n’a, contrairement à une croyance répandue, jamais “accordé”, “negocié” ni même reconnu l’autonomie kurde obtenue de haute lutte)... Dieu sait ce que l’avenir nous réserve. Une chose est certaine : bien des combats, plus durs que ceux menés jusque-là, seront nécessaires pour défendre l’Admnistration autonome contre ses ennemis. Plus qu’une fin, la fin de l’Etat islamique, la liberation de Raqqa sera un commencement. Le commencement d’une nouvelle ère pleine d’incertitudes pour le Rojava. Il nous incombera donc, en tant que révolutionnaires, de ne pas déserter, malgré les dangers, la place que nos convictions et nos objectifs nous assignent. Car, in fine, c’est par nos actes que nous sommes des révolutionnaires, et non par la radicalité des propos tenus dans le confort des cafés parisiens.


    1 Incomparablement plus nombreux et médiatisés furent les volontaires à rejoindre Daesh. Nous refusons catégoriquement les comparaisons insultantes, mais fréquentes dans les médias occidentaux, entre volontaires internationalistes de la Guerre d’Espagne et volontaires chez Daesh, ces derniers s’étant engagés en toute connaissance de cause dans une entreprise politique innommable. Autre manie journalistique détestable, mettre volontaires chez Daesh et volontaires YPG dans un même sac, s’agissant selon certains de déclassés ou de “paumés” que le hasard aurait amenés de tel ou tel coté du front, minimise voire excuse les premiers de leurs crimes et insulte l’engagement des seconds.

    2 Ce terme, derivé d'Apo (le nom donné à Abdullah Ocalan par ses partisans), semble plus approprié pour désigner la doctrine politique du PKK que "confédéralisme démocratique" dans la mesure où la fidélité à la personne d'Ocalan fait figure de constante dans les aléas et évolutions doctrinales de cette organisation.

    3 On distingue trois types d'organisations communistes implantées au Rojava. D'abord, les organisations communistes kurdes, comme le Parti des ouvriers du Kurdistan (PKK) ou le Parti communiste kurde (KKP). Ensuite, les organisations communistes pan-syriennes, comme le Parti communiste syrien ou le Parti communiste du travail de Syrie. Enfin, les organisations communistes internationalistes, principalement d'origine turque, comme le MLKP, TKP-ML, BOG ou MLSPB.

    4 Actuellement président du Gouvernement regional kurde en Iraq. Le PDK dispose au Kurdistan syrien d'un executif fictif (ENKS: Conseil national kurde en Syrie), théoriquement concurrent du TEV-DEM et ne reconnaissant pas l'autorité de ce dernier, en pratique sans pouvoir et méprisé par la population. Le PDK dispose également d'une force armée "syrienne", les "Roj-Peshmergas", entrainés et armés en Iraq auxquels les YPG refusent naturellement l'accès au Kurdistan syrien.

    5 Voir notamment l’entretien de Cihan Kendal, commandant YPG, sur le soutien occidental : . Les YPG du rang ne sont guère plus dupes des manigances occidentales et il est commun d’entendre « Ils nous soutiennent aujourd’hui et nous bombarderons demain ».

    6 Comme le NPA l’a justement fait au printemps 2016, lors de la répression sanglante par l’armée turque du soulèvement populaire kurde.

    7 L’“International Freedom Battalion”, créé à l’été 2015 à l’initiative de différentes organisations communistes turques, regroupe des combattants volontaires internationalistes de divers pays.

    8 Pour plus d’infos: www.rojava.xyz

    9 Pour s’engager, contacter directement les YPG via leur site internet ypg-international.com Les citoyens français ne risquent, à la difference d’autres pays européens, aucune poursuite judiciaire à leur retour. L’entrainement est assuré sur place et aucune expérience militaire préalable n’est requise.

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