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    L’Union Européenne prend le chemin d’une censure automatisée du web

    À l’initiative de la France, l’Union Européenne vient d’approuver, dans un rapport, les lignes d’un règlement sur le contrôle des contenus publiés auxquels soumettre les acteurs du web. Sous le vocable de « lutte contre le terrorisme » et tout comme sous le quinquennat de Hollande, c’est la contestation du système, des institutions, les luttes sociales, qui sont concernées par ces mesures. Dans un temps de crise du capitalisme, où ses institutions politiques et économiques sont en perte de crédit, et dans l’impossibilité d’acheter cette confiance, le bâton ou le bâillon ne sont jamais de trop.

    Cinq ans après les révélations d’Edward Snowden et par démonstration de son exploit démontrant la capacité des outils cryptographiques à protéger les échanges et données, les pouvoirs politiques comprennent enfin qu’ils ne s’agit pas de vociférer contre le chiffrement, de vouloir l’affaiblir ou de foutre des « portes dérobés » n’importe où. Après un long travail de conscientisation de l’ANSSI1 et des entreprises soucieuses de leurs données, ressources précieuses et centrales dans la concurrence mondiale au XXIe siècle, les gouvernements en ont tiré deux conclusions : affaiblir les outils de sécurité est dangereux pour les entreprises. Simple. Le contrôle social se fera dans une démarche collaboratrice. Basique. Ces bases acquises, la stratégie a changé. Unie sous l’initiative Française, l’Union Européenne est en passe de se doter d’un nouveau règlement. Les grands axes lancés après la victoire de Macron à l’élection présidentielle en 2017 ont, le 12 décembre, été votés dans le cadre d’un rapport par le Parlement Européen. S‘il ne s’agit pas encore d’une loi, le texte invite déjà les différents États à se pourvoir d’une telle réglementation. Pour une fois la France est à la tête du « progrès européen ».

    Un vote au milieu de l’émotion sécuritaire

    Adopté par la commission européenne, ce rapport est ensuite parti pour le parlement européen afin d’être débattu à partir du 6 décembre et d’être validé à une large majorité le 12. Entre temps le terrorisme est venu frapper à l’heure et dans la même ville de Strasbourg, la veille du vote. Une aubaine pour ses promoteurs. Tout autant que le gouvernement français nous a appelé à l’ordre et à l’arrêt de la mobilisation des Gilets jaunes, au Parlement Européen, une scène usant des mêmes ressorts émotionnels se jouait. Bien que la logique eut voulu qu’en politique on ne réagisse pas sous le coup d’une impulsion, d’un sentiment immédiat, d’une tragédie qui n’est pas encore sortie du fait divers, la date et l’heure du vote ont été maintenues et certain.e.s député.e.s se sont ouvertement servis du drame pour défendre ce texte qui en est ressorti sous la forme la plus dure à la vue des amendements rejetés. Ainsi, il est demandé aux plates-formes d’hébergement, réseaux sociaux, forums, etc. d’avoir une attitude proactive dans le contrôle des contenus publiés par des internautes. Une détection est exigée suivie d’une suppression complète, systématique et rapide. Tout cela automatiquement (c’est à dire sans lien avec un juge).

    Tout comme les lois anti-terroristes adoptées sous l’ère Hollande et approfondies par Macron, les lois européennes jouent tout autant sur une forme de flou et ne se contentent pas de s’en prendre aux « terrorismes » mais balayent plus largement les motifs et expressions de contestations des institutions politiques et économiques. Citons pour exemple : « gravement déstabiliser […] les structures politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales fondamentales d’un pays » ; « contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque » ; « causer des destructions massives […] à un lieu public ou une propriété privée, susceptible […] de produire des pertes économiques considérables ». Il y a «faire», «appeler à le faire», et «approuver le faire». Toutes ces dimensions sont des motifs de condamnation dans ce projet. Combien ces quelques expressions ne trouvent-elles pas son applications dans un mouvement social d’ampleur ? Oui les mouvements sociaux impliquent de la casse dans les lieux publics ; parfois provoquée par des flics infiltrés, parfois par des groupes radicaux, parfois par la masse des manifestant.e.s elle même ! Oui un mouvement social, populaire, ou simplement syndical cherche très souvent à « contraindre […] des pouvoirs publics […] à s’abstenir » de la mise en place d’une nouvelle réglementation du travail ou d’une réforme des retraites ! Ce respect demandé à la lettre des institutions pourraient même empêcher la dénonciation des violences policières !2 Nous voilà sous le coup de la législation apparentés « terroristes » !

    Centraliser et truster pour contrôler

    Le texte pose aussi les sanctions encourues et les modalités d’actions dans un temps impartis. À savoir que tout contenu identifiée comme « terroriste » (et « apparenté ») devra être retiré sous un délai d’une heure. Cette exigence est valable 24h/24, 7j/7. Tout non respect entraînera des sanctions financières (plusieurs milliers d’euros pour chaque contenu).

    À l’heure actuelle, un discours « anti-GAFA » est profondément ancré, popularisé même dans les médias dominants. Posture d’autant plus simple et facile à adopter y compris pour nos politiques qu’il s’agit avant tout d’entreprises étasuniennes et qu’il en faut peu pour s’appuyer sur un sentiment anti-impérialiste contre l’autre coté de l’Atlantique. Pourtant, la logique juridique adoptée, les principes techniques dessinés, ainsi que les peines économiques encourues sont tout à fait taillées pour ces « géants du net », pas parce qu’elles sont les plus populaires et donc les plus soumises à cette pression : mais parce qu’elles sont les seules à pouvoir faire face. C’est la redéfinition d’Internet que l’on voit se profiler à l’horizon, via la responsabilisation de ces plates-formes d’hébergement, de partages, de « réseautages », d’échanges et de discussions.

    Et que ce soit pour Google et Facebook par exemple, les outils existent déjà et sont déjà utilisés. Ils se basent sur l’Intelligence Artificielle (IA). Évidemment, le travail humain pour une telle tâche de contrôle est trop coûteux et loin d’être aussi efficace. D’où la volonté d’un délai de réponse qui paraît au premier abord « absurde » de la part des gouvernements européens mais qui est en fait une promesse : le texte semble être très lourd, vous pouvez perdre beaucoup par accumulation d’infraction, mais vous êtes les seuls à avoir la technologie pour tenir ces engagements. C’est une garantie de continuité et d’accroissement futur. Car si les plus petites structures ou médias se montreront responsables pour « tenir la ligne » par leurs publications gérées « à taille humaine », ce sont tous les services placés entre ces petits et ces grands qui se verront menacés. Au choix : ils se retireront du jeu volontairement par crainte du pire ; ils feront appel à des prestataires pouvant modérer leurs contenus (et qui de mieux que ces entreprises aux savoir-faire technologiques immenses ?) ; ou ils subiront le sort de la justice par l’asphyxie des sanctions.

    À l’instar de la Chine ou de la Russie qui, pour le premier, autorise les entreprises extérieures à accéder à son marché intérieur quand elles remplissent les conditions gouvernementales, pour le second, émet des pressions énormes, dans le but l’un et l’autre de maintenir leur contrôle politique et social via ces plates-formes numériques, l’Union Européenne a trouvé son levier en réservant des parts de marchés à ces entités que la « sélection virtuelle » a déjà éprouvé et qui ont les capacités adaptatives et accommodatrices pour tenir leur place dominante dans les changements en cours.

    C’est néanmoins un saut dangereux et inédit à plus d’un titre : non seulement on délègue à des entreprises privées, sans décision d’un juge ou d’une instance juridique, le pouvoir d’une censure de contenus quasiment a priori, mais en plus la partie centrale et technique sera jouée par une IA dont la fiabilité est discutable (souvenons nous d’un filtrage importante de contenus LGBT sur Youtube)3. Un contrôle humain a posteriori pose encore d’autres questions (qualification du personnel?)

    Les « tiers de confiance » provoquent notre insécurité numérique

    Cet approfondissement des relations avec ces entreprises rendant dorénavant justice et contrôle social selon les attentes et volontés des gouvernements peut impliquer une facilitation des communications, non plus seulement un affichage « public » mais également via messageries, y compris chiffrées. Patrick Pailloux, patron de la DGSE (et ex-ANSSI) plaidait cet été4 pour qu’un tel mécanisme d’accès aux discussions privées – même chiffrés – soient rendu possible avec la collaboration des entités promouvant ce type de services. Ce qu’il appelle des « tiers de confiance ». Dans le lancement de ce chantier vers un projet de loi européen, le 13 juin 2017, Emmanuel Macron et Theresa May esquissaient conjointement, sans aucune précision et sans solution définie, la nécessité pour les services de sécurités et de renseignements d’avoir accès aux contenus des messageries. Les autres grandes lignes exposées plus précisément ci-dessus avaient également été évoquées à cette même occasion.

    On peut d’ailleurs considérer que la messagerie chiffrée WhatsApp, dont Facebook est propriétaire, est prête – et peut-être même déjà à l’œuvre – pour répondre aux demandes et requêtes des gouvernements. Le chiffrement de bout en bout ne suffit pas à assurer une confidentialité complète. Pour s’en rendre compte, il suffit de changer de smartphone (on peut même y ajouter une coupure de plusieurs jours ou semaines, d’inutilisation complète). Nous parlons de matériel et non du numéro qui sert d’identifiant unique. La clé de déchiffrement, dite « clé privée » - son usage étant réservé au strict et unique destinataire - ne devrait être présente que sur le terminal de destination (d’où l’appellation « bout en bout »). Or comme toute clé privée est reliée à sa clé publique (pour chiffrement), l’usage d’un nouvel appareil devrait donner lieu à la génération d’une nouvelle clé privée (surtout dans le cas où cette clé n’a pas été importé volontairement vers ce dernier). Or vous récupérerez en toute clarté les messages manqués, signifiant ainsi que votre clé de déchiffrement (privée) n’a pas changé… et que vous l’avez récupérée, non par magie, mais parce que le service WhatsApp, alias Facebook, la stockait. Moyennant d’en obtenir les pouvoirs, une entité pourrait donc s’en saisir et l’utiliser pour voir et écouter des messages par ce biais, voire – qui sait ? - de parcourir un historique d’échange qui pourrait lui aussi être stocké quelque part.

    Déchaîner le mouvement social, déchaîner le mouvement ouvrier, balayer Macron et l’Union Européenne !

    Il ne s’agit pas d’un point anodin, ici et maintenant, une décision opportune sur le moment. C’est une lame de fond qui se déploie année après année, qui gagne en puissance et en profondeur. Les différentes lois anti-terroristes sous Hollande, l’intégration dans le droit commun des mesures d’exception par Macron, la LPM de 2019 qui fait entrer en usage les technologies d’écoutes sur le réseau Internet sur l’ensemble du territoire national, la révision constitutionnelle qui « révisait » et faisait sortir de la constitution certains aspects du respect de la vie privée, de la correspondance personnelle, pour le glisser dans le droit civil, susceptible d’être modifié du jour au lendemain par caprice politique des députés ou de son exécutif. Aujourd’hui c’est à une échelle européenne que les outils de répression numérique s’organisent.

    Et tandis que les libertés publiques de manifestation et d’expression sont année après année, mois après mois, de plus en plus remises en cause, ceux qui devraient pouvoir exprimer facilement et faire respecter un tant soit peu de cadre démocratique, les sommets syndicaux, Martinez et consort, demeurent silencieux. Les représentants des seules forces organisées et de masses de ce pays se terrent dans l’inaction et dans l’absence de dénonciation. Si les lignes étaient clairement délimitées, si ces dirigeants se montraient plus offensifs et plus proches de leurs représenté.e.s, la résistance à l’air du temps serait beaucoup plus simple et ces dispositifs retirés.

    Et s’il y avait ce mouvement ouvrier organisé en marche, ce mouvement social plus radical, c’est la fin de Macron, de ses contre-réformes libérales et pro-patronales qu’il serait plus simple d’envisager  ; et qui sait, avec une mobilisation collective suffisante, on pourrait alors penser la destruction des institutions ploutocratiques et leur remplacement par de nouveaux organes contrôlés par des travailleuses et des travailleurs, un gouvernement socialisant à la place d’un gouvernement privatisant, et la rupture avec l’Union Européenne pensée pour les capitalistes pour laisser place à une nouvelle organisation communiste internationale.

    1Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information

    2On trouvera une analyse plus détaillée et des exemples concrets inspirés de l’actuel mouvement des Gilets Jaunes sur l’article de la Quadrature du Net : https://www.laquadrature.net/2018/12/07/une-loi-europeenne-pour-censurer-les-mouvements-sociaux-sur-internet/

    3 https://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/03/20/sur-youtube-des-videos-lgbt-absentes-du-mode-restreint-qui-filtre-les-contenus-potentiellement-inappropries_5097560_4408996.html

    4 https://www.sstic.org/2018/presentation/2018_cloture/

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