Entretien avec un syndicaliste paysan du MODEF

Tendance
Claire (TC) :
Paysan depuis toujours, tu as été pendant des années un des
responsables tant national que départemental de ce syndicat paysan.
De par ces fonctions, tu as vécu au cœur de la lente agonie de la
petite et moyenne paysannerie, sous le joug du capitalisme
agro-alimentaire et de l’Union européenne, quels regards en as-tu,
aujourd’hui ? Questions d’autant plus importantes que vous
allez tenir votre congrès national les 7 et 8 février prochains
dans les Landes.
Georges
Reynaud (syndicaliste) : Tout
d’abord deux mots pour nous présenter, le Modef est un syndicat
fondé en 1959 par des syndicalistes de gauche et d’extrême-gauche.
C’est une scission d’avec la FNSEA qui déjà à l’époque
oubliait les intérêts des petits paysans frappés de plein fouet
par l’exode rural organisé pour fournir une main-d’œuvre à la
grande industrie (automobile, aciéries, mines…) plus souple et
plus docile que la classe ouvrière avec une culture et un passé de
luttes de classes que n’avait pas le paysan-ouvrier.
C’est
exact, on peut parler de mort lente car en plus d’une chute libre
du nombre d’exploitations, on constate une mutation du monde
agricole qui voit une concentration importante des exploitations
axées sur les céréales et les protéagineux. La course aux
hectares ne connait pas de limites, favorisée par la puissance de la
haute technicité du matériel et par la rapacité des
agro-financiers qui captent près de 80% des aides européennes.
TC :
Que représente le monde agricole, aujourd’hui ?
G.R :
En 2010, on ne recense plus que 490 000 exploitations et 970 000
exploitants, salariés, saisonniers… Depuis 10 ans, on assiste à
une baisse du nombre des petites et moyennes exploitations de l’ordre
de 21% et dans le même temps à une augmentation de la superficie
moyenne qui peut atteindre 55 voire 80 ha pour les plus grosses.
Cette restructuration au pas de charge entraîne des dégâts
considérables car bien implantées dans le monde rural, ces petites
exploitations étaient un véritable atout économique mais aussi
écologique grâce à la diversité des cultures. On assiste à une
véritable désertification où les services publics, les commerces,
les écoles, disparaissent. Il ne reste plus que les « vieux »
qui survivent avec des pensions de misère avoisinant les 680€
mensuels. Il faut savoir que les retraites sont calculées sur
l’ensemble de leur carrière alors que celles des salariés sont
basées sur les 25 meilleures années. C’est pourquoi, une grande
majorité des retraités agricoles vit sous le seuil de pauvreté et
que près de 800 agriculteurs en deux ans se sont suicidés.
TC :
Mais tous les syndicats font ce même constat ?
G.R :
Certes, mais au-delà de ce constat que propose l’ultra-libérale
FNSEA ?
- de
mettre à contribution les industries agroalimentaires ?
Sûrement pas !!! Les hauts responsables sont aussi membres
des conseils d’administration de ces sociétés
- de
faire payer les gros exploitants ? Sûrement pas !!! ce
sont leurs adhérents et leurs amis
- de
taxer les importations abusives, les grandes surfaces, les banques ?
Sûrement pas !!! ce serait nuire à la concurrence libre et
non faussée, à la compétitivité des entreprises.
Au
Modef, nous disons : il faut prendre l’argent là où il est,
cela permettrait notamment de satisfaire notre revendication en
matière de retraite à savoir : un minimum de retraite de
1 000€ mensuel pour une durée de cotisation de 37,5 annuités
pour tous les exploitants agricoles et leur famille. Nous reprenons
le principe révolutionnaire « Chacun
paye selon ses moyens et reçoit selon ses besoins »
Nous ne voulons pas l’aumône, mais vivre de notre travail et jouir
à notre retraite d’une vie décente.
Nous ne demandons pas la lune. Nous voulons vivre de notre
travail, pour cela il faut fixer un prix plancher garanti et
rémunérateur, mettre un calendrier d’import – export entre les pays
européen [le Modef n’est pas contre les exportations ou les
importations, mais il revendique, par exemple, que lorsque la saison
des tomates bat son plein en France, l’importation de celles-ci soit
interdite], fixer un coefficient multiplicateur pour encadrer les
marges de la grande distribution, mettre au pas les banques sous le
contrôle des agriculteurs et des consommateurs, refuser de payer la
dette, la TVA sociale. Nous ne voulons pas payer pour les banquiers.
TC :
Tu as été arboriculteur toute ta vie et de plus en plus, vivre de
son travail relève du tour de force.
R.G :
Il est paradoxal que la France qui est l’un des plus gros
producteurs européens de fruits et de légumes ne produise plus que
60% de sa consommation. En 12 ans, la moitié de notre profession a
disparu et dans les 5 ans qui viennent une autre moitié aura encore
disparu.
TC :
Comment
expliques-tu cette invraisemblance ?
R.G :
La réponse est simple : la grande distribution fait pression
sur les prix en se basant sur les importations et impose sa loi sur
les prix agricoles à la production. Ceci sans pour autant que les
consommateurs n’en profitent, car si la baisse à la production est
évidente elle ne l’est pas à la consommation. Je dirai même que
l’on assiste à une flambée des prix des fruits et légumes et
qu’ainsi bon nombre de travailleurs ne peuvent se les payer. C’est
l"exemple qui témoigne combien les intérêts des consommateurs et
de producteurs sont bien identiques. Ensemble condamnons ces
pratiques mafieuses sous la houlette des divers gouvernements de
droite ou de gauche. D’ailleurs, je suis persuadé que les
élections qui se profilent ne changeront rien, bien au contraire
sauf si enfin tous ensemble nous en décidons autrement.
TC :
Dans le même temps les médias nous rebattent les oreilles sur les
famines dans le monde, notamment dans la Corne de l’Afrique, comme
si c’était une fatalité.
R.G :
Le scandale de la famine qui ravage la Corne de l’Afrique,
véritable génocide, suscite bien des commentaires mais peu de
décisions sont prises pour y remédier. Bien sûr, il y a la
sécheresse, mais pas seulement. La famine a aussi des racines plus
pernicieuses qui sont parfaitement connues mais que l’on nous
cache. Les rapports de la FAO, branche alimentaire de l’ONU tirait
la sonnette d’alarme en démontrant que les produits de première
nécessité de ces pays ont connu des hausse de l’ordre de 106 à
180% (maïs, sorgho) dans ces conditions comment s’étonner qu’en
2008 et 2011, les émeutes de la faim n’éclatent aux quatre coins
de la planète.
La
bourse de Chicago est devenue le terrain de jeu de tous les [manque
un mot ?] agro-alimentaires et des gros producteurs céréaliers y
compris français qui boursicotent, spéculent sur la misère du
monde. Le prix des céréales a augmenté de 57% entre juin et
décembre 2010. Dans cette bataille spéculative, la Chine (la
pseudo-communiste) n’est pas en reste puisqu’elle détient depuis
1990 le contrôle de 75% des stocks mondiaux de maïs, 50% du blé,
78% du riz (source FAO) Pour satisfaire les ventres du Nord il faut
affamer ceux du Sud. La cause principale provient de la demande
accrue des agro-carburants. Les agro-carburants absorbent 40% du maïs
aux USA et les 2/3 des huiles végétales de l’UE. On défriche, on
exproprie, on empêche les cultures vivrières au profit des
oléagineux qui serviront à la fabrication de carburants. Là est la
source du génocide qui sévit en Somalie notamment. Tant que ce
monopole de modèle industriel survivra au mépris de l’homme et de
son environnement, tant que l’on jettera dans des camps ces pauvres
hères déracinés et ruinés, on assistera à ce scandale de la
famine auto-organisée.
Nous
ne sommes pas nés pour produire et consommer indéfiniment pour le
PIB et le PNB, nous militons pour une agriculture paysanne, vivante
qui respecte l’environnement, crée des emplois et nourrisse le
monde.
TC :
On
ne peut pas conclure notre entretien sans parler de la PAC
R.G :
Encore un projet de réforme présenté par la commission européenne
dont les propositions pour la PAC 2014-2020 sont dans la droite ligne
des réformes précédentes qui ont conduites l’agriculture à la
faillite, dont le maître mot était compétitivité, le tout
englué dans une politique de libre marché mondialisé. Ces
propositions nourrissent colère et déception puisqu’une nouvelle
fois, elles vont frapper de plein fouet les exploitants familiaux
(éleveurs, maraîchers, arboriculteurs) qui subissent déjà
lourdement une grave crise avec une hausse des prix des fournitures
et la baisse des prix de leur production. Les prix rémunérateurs,
des revenus décents du travail, un encadrement des marges de la
grande distribution, des crédits à faible taux pour alimenter une
agriculture solidaire, responsable et durable….Rien de tout cela
n’est à l’ordre du jour. Certes, quelques mesures d’une
redistribution plus juste, plus équitable des aides directes ont été
actées mais pas avant 2019, encore faudra-t-il que les futurs
bénéficiaires soient encore en activité à cette date. Au rythme
où vont les choses au moins 100 000 exploitations auront
disparu.
Pour
nous, la PAC n’est pas une fin en soi (voir nos revendications)
mais pour l’heure il y a nécessité de la réformer pour réguler
les marchés et les prix qui assurent des stocks de sécurité, qui
garantisse la sécurité alimentaire donc les 2 300 calories par
jour pour toute l’humanité, qui interdise la spéculation, qui
favorise la coopération entre les peuples et entre les paysans
plutôt que de les pousser à la compétition.
Nous
avons conscience que sans une lutte convergente des paysans et des
travailleurs pour abolir ce système pourri qui s’engraisse sur la
misère humaine nous ne formulerons que des vœux pieux. Nous voulons
édifier un monde où la vie ne sera plus une angoisse, un cauchemar
mais un rêve vivant, conscient, réel. Ensemble, faisons vivre cette
utopie révolutionnaire et osons affirmer :
« A
ça ira, ça ira, ça ira
les
spéculateurs à la lanterne
A
ça ira, ça ira, ça ira
les
spéculateurs on les pendra....... »
TC :
Merci de nous avoir accordé cette interview et vous souhaitons plein
succès pour votre congrès.
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