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Mobilisation très mouvementée sur la Palestine à l’université Paris Dauphine
Suite aux attaques terroristes du 7 octobre par le Hamas et à la soi disant «riposte» de l'État d'Israël, s'est constitué un Comité Palestine à l'université Paris Dauphine composé d'étudiant-e-s et de personnels avec notamment l'implication des collectifs des Mutines, de Solidaires étudiant-e-s, de Sud éducation et de la CGT Dauphine (l’UNEF aussi, mais qui en est sortie ensuite sur le désaccord de l’appel au boycott). La liste de discussion (whatsapp) regroupe tout de même quelques centaines de personnes et il y a une bonne trentaine de militant-e-s actifs/ves.
Les revendications principales du comité Palestine de l’université Paris-Dauphine sont les suivantes (sur la base des revendications de la Coordination universitaire contre la colonisation en Palestine (CUCCP)) :
-
un cessez-le-feu immédiat, inconditionnel et permanent ;
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la levée permanente du blocus de Gaza ;
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la défense du droit palestinien à l’éducation ;
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pousser nos universités à agir activement contre le régime d’apartheid israélien ;
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établir des liens académiques avec des universités et des universitaires palestinien-ne-s ;
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soutenir et participer au Boycott universitaire visant les institutions académiques israéliennes complices de la violation des droits des palestinien-ne-s ;
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défendre la liberté d’expression et la liberté académique autour de la Palestine, ici et hors de France.
Alors que de nombreux collectifs militants se montent régulièrement à l'université (mouvement sur les retraites, la loi travail, la LPR, etc.), et que ces derniers n'ont jamais eu trop d'entraves à l'organisation d'AG, de réunions, de conférences, sur ce sujet, ce fut différent. La direction de l'université présidée par El Mouhoub Mouhoud n'a pas vu d'un bon œil la création du comité Palestine.
Ainsi, la direction a refusé l'organisation d'assemblées générales sur le sujet de la Palestine arguant de la peur remontée d'étudiant-e-s et du risque de trouble à l'ordre public. Suite à des négociations difficiles, elle a accepté que le collectif puisse se réunir à condition que les organisations se « déclarent » membres de ce collectif, et ainsi, en endossent une certaine responsabilité. Cela a instauré de fait un certain paternalisme : les organisations syndicales de personnels devenaient responsables des actions du comité, alors que Sud Éducation et la CGT dauphine ne le souhaitaient pas et militent activement pour dépasser le cadre syndical. La direction a imposé aussi de déclarer trois semaines en avance toute action du Comité, rendant ainsi très difficile toute activité sur le sujet.
Des actions malgré toute cette répression
Malgré toute la répression de la direction de l'université, le collectif a réussi à s'organiser et à faire régulièrement des réunions.
Le 12 mars, à l'appel de la Coordination universitaire contre la colonisation en Palestine (CUCCP), une minute de silence a été organisée en Europe dans les universités. La temporalité de l'appel n'a pas permis de respecter les conditions hallucinantes exigées par la direction de l'université Paris-Dauphine (pour empêcher la mobilisation en soutien au peuple palestinien). Cependant, le comité Palestine a tout de même organisé la minute de silence.
Les collectifs UEJD (Union des Étudiants Juifs de Dauphine https://www.linkedin.com/company/uejd/) et UEJF (Union des Étudiants Juifs de France) ont essayé de perturber la minute en venant avec des affiches d'otages détunu-e-s par le Hamas. Pourtant, ils et elles furent minoritaires et la minute de silence fut, malgré tout, une réussite.
Une deuxième minute de silence a été organisée le 15 mai (en informant simplement la direction de l’université qui a laissé faire tacitement), dans le cadre de la journée de commémoration de la Nakba pour l'ensemble des victimes et déplacés de cette guerre.
Aller au tribunal pour organiser une conférence à Dauphine
Le comité a décidé d’organiser une conférence le 6 mai sur la Palestine à l’université. Quoi de plus classique qu’une conférence dans une université ? Et bien, pourtant, cela ne s’est pas fait sans difficulté. Le comité a donc prévenu, dans les temps, de sa volonté d’organiser cette conférence sur le thème de la Palestine et du droit international avec pour invité-e-s :
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Ivar Ekeland, professeur émérite et ancien président de l’Université Paris Dauphine (1989-1994), à propos de la destruction des universités à Gaza et de la coopération entre les universités israéliennes et françaises ;
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ainsi que Rima Hassan, juriste française d'origine palestinienne candidate aux européennes sur la liste LFI, sur l'action et la portée de la justice internationale.
Toutefois, la gouvernance de l’établissement, à travers son comité exécutif (Comex), a décidé de ne pas autoriser cette manifestation invoquant le «renforcement au niveau le plus élevé de Vigipirate Urgence Attentat», «le contexte international et national actuel particulièrement tendu», ainsi qu'un «risque de troubles à l'ordre public», alors même que l'évènement n'était ouvert qu'aux étudiant-e-s et personnels de l'Université.
Le Comité Palestine Dauphine a dénoncé fermement cette décision qui a porté une nouvelle fois atteinte à la liberté d'expression ainsi qu'aux libertés universitaires. La direction de l’université s’est inscrite dans la campagne de censure et de criminalisation de la défense de la cause palestinienne, entretenant aussi le mouvement de fond d’attaque à la démocratie élémentaire en France.
Le Comité Palestine, via les syndicats Sud éducation Paris et la CGT-Dauphine, a alors déposé un référé liberté au tribunal administratif de Paris pour entrave à la liberté d'expression et de réunion. Le tribunal administratif a jugé illégale l'interdiction par le comité exécutif de Dauphine de la conférence sur la Palestine. Dans son ordonnance du 4 mai 2024, le juge des référés a suspendu cette décision du Comex de l'université.
Selon les juges des référés du tribunal administratif de Paris, « en refusant d’autoriser la conférence projetée, le président de l’université Paris-Dauphine a assuré une conciliation manifestement illégale des contraintes inhérentes à ses pouvoirs, d’une part, de veiller au respect des libertés dans l’établissement et, d’autre part, d’assurer l’indépendance de celui-ci de toute emprise politique ou idéologique et de maintenir l’ordre dans ses locaux. Par conséquent, les requérants sont fondés à soutenir que ce refus porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de réunion. »
Comme l'a rappelé le Conseil d’État, l'objectif de la juridiction administrative était de statuer sur la proportionnalité de la décision prise par la direction de l'établissement : ne pas autoriser la tenue de la conférence dans l'établissement, à la date prévue. Entre l'obligation de respecter les libertés fondamentales — et notamment la liberté d'expression et de réunion — et la prise en compte des risques de « troubles à l'ordre public », la direction de l'établissement n'a pas, selon l'ordonnance rendue par le Conseil d’État, proportionné sa décision. C'est au titre du « contexte international et national particulièrement tendu » et des risques de « troubles à l'ordre public » que la direction avait justifié son interdiction, s'inscrivant ainsi pleinement dans une dynamique de restrictions disproportionnées des libertés publiques dès lors qu'il s'agit de la guerre menée par Israël en Palestine. Le Tribunal Administratif puis le Conseil d’État en ont donc décidé autrement.
Cette victoire est symboliquement importante. Cependant, tout cela participe à un climat de répression à l'encontre du mouvement de solidarité avec le peuple palestinien qui se manifeste non seulement par l'interdiction d’événements publics sur la Palestine mais aussi par la convocation pour «apologie du terrorisme» de près de 400 militant-e-s et personnalités politiques et par la répression policière des mouvements estudiantins. La méthode de la direction de l’université est efficace : elle empêche, ralentit, bloque les activités en soutient au peuple palestinien. Et malgré la décision du tribunal d’exiger une compensation pour les frais de justice, l’aventure a tout de même coûté des centaines d’euros aux deux organisations syndicales, ce qui n’est pas négligeable pour des petites structures.
C’est ainsi que, à la suite de nouvelles négociations avec la direction de l’université, il a été convenu d’organiser cette conférence le 27 mai.
Le président de l’université, E. M. Mouhoud, a communiqué de façon honteuse sur cette décision, tentant de se justifier : c’était « la question de la modération et celle de la sécurisation par les organisateurs qui motivaient la décision initiale ». Sa communication continuait par un grand paragraphe sur les «liberté d’expression, liberté académique, liberté de pensée et de conscience».
Une conférence attaquée physiquement
Après de nombreuses heures de travail du Comité Palestine, la conférence fut organisée le 27 mai à 19h dans un contexte très tendu. Alors que pour la date du 6 mai, les deux intervenant-e-s pouvaient être physiquement présent-e-s, ce ne fut plus le cas pour le 27 mai, où Ivar Ekeland a du faire son intervention en visio conférence. La conférence a été restreinte, comme décidé depuis le début, aux seul-e-s membres (étudiant-e-s ou personnels) de l’université, et malgré cela, en trois jours, il y eut près de 500 inscriptions, obligeant la conférence à se tenir dans le plus gros amphithéâtre de Dauphine. Le prétexte de trouble à l’ordre public étant auto-réalisateur, suite à l’annonce de la tenue de la conférence, les réseaux sociaux se sont emballés et des personnes (Frank Tapiro, https://x.com/ftapiro/status/1794823931309781267, Meyer Habib https://x.com/Meyer_Habib/status/1795106195285381154 ...), des organisations réactionnaires (messianistes juifs, UEJF,...) ont appelé à faire un rassemblement devant l’université pour empêcher la tenue de la conférence (voir https://www.instagram.com/reel/C7jZDT7ioty/?igsh=MXNlMmkwbnAyaHF0Ng%3D%3D). Des appels anonymes ont même été lancés pour « casser du bougnoule » et «du musulman». La chaîne Cnews a relayé cet appel.
Parmi les participant-e-s ayant rejoint cette contre-manifestation, aux côtés de membres de l'UEJD et de l'UEJF, se trouvaient une trentaine d'individus masqués revendiquant leur appartenance à l'Unité Juive, groupuscule violent pro-israélien scandant «Isralël vivra, Israël vaincra», ainsi que des membres du Mouvement des Étudiants Juifs Français (MEJF), arborant une banderole raciste et suprémaciste sur laquelle était inscrit le slogan « La France aux Français, La Judée aux Judéens ». Plusieurs étudiant.e.s ont été molesté-e-s et insulté-e-s à l'extérieur de l'université par les participants à ce rassemblement non-autorisé.
Tout ceci est extrêmement grave et préoccupant et montre le poids de l’extrême droite et des mouvements réactionnaires en France.
Malgré un important déploiement des forces de l’ordre (8 cars de CRS devant la fac), qui contenait une manifestation non autorisée organisée devant Dauphine, des individus cagoulés et casqués ont réussi à s’introduire dans l’université et ont tenté de pénétrer par la force dans l’amphithéâtre où la conférence se tenait. Les agents de sécurité et l’organisation du service d’ordre militant du Comité Palestine ont résisté. Une porte vitrée a été cassée par un individu ultra-violent muni d’une barre de métal pris sur les lieux et un agent de sécurité a été blessé. Malgré cela, et malgré les interventions internes de la dizaine étudiant-e·s de l’UEJD lors de la session de questions (interventions pénibles visant à signifier leur désaccord avec la tenue de cette conférence et essayant de confisquer le débat), la conférence s’est tenus devant plus de 300 personnes. L’université et le quartier n’étant plus sûrs, la sortie de l’amphithéâtre et de l’université a été organisée par les militant·e·s du Comité Palestine ainsi que les agents de sécurité. À l’extérieur, les CRS ont créé un passage pour que les personnes présentes puissent attendre les transports en commun sans danger.
(photo Lola, comité Palestine Dauphine)
Une motion au conseil d’administration
Sur proposition de la CGT-Dauphine, la même journée, une motion sur la Palestine a été proposée en conseil d’administration pour que l’université prenne position sur la situation, en demandant de suspendre les relations institutionnelles de formation et de recherche avec les universités et organismes de recherche israéliens (comme cela a été fait pour les institutions russes depuis 2022). En effet, plusieurs universités israéliennes avec qui l'Université Paris Dauphine a des accords d'échange, notamment la Technion University et l'Université de Tel Aviv, ont des liens institutionnels avec l'armée établis notamment par les récents travaux de l'anthropologue israélienne Maya Wind. La motion invite aussi l'université Paris Dauphine à répondre à l'appel de l'université de Birzeit à contribuer au maintien des enseignements universitaires à Gaza et à la reconstruction des écoles et des universités en Palestine. Elle invite aussi l'université à mettre en place un programme d'accueil pour les universitaires et les étudiants réfugiés.
Le président a écourté le conseil à 17h30 à cause de la conférence, empêchant ainsi le débat sur la motion et reportant son vote au prochain CA. De nouveau, il a fait ce qu’il fallait pour retarder, ralentir et empêcher la mobilisation en soutien au peuple palestinien. Affaire à suivre donc...
La lutte en soutien au peuple palestinien est fondamentale
Ce récit sur l’organisation pour la lutte en soutien au peuple palestinien est un exemple parmi beaucoup d’autre sur les difficultés rencontrées dans ce combat. Il nous faut se battre bec et ongle pour organiser ce qu’il y a de plus simple dans une université : une conférence.
À la fois, l’état et les institutions répriment, bloquent, empêchent. La parole est souvent confisquée, et les droits démocratiques élémentaires et fondamentaux sont de plus en plus bafoués par un État et des institutions au service d’un ordre capitaliste. Les intérêts impérialistes l’emportent toujours sur les droits aux peuples à simplement vivre. Le peuple palestinien décimé doit être soutenu par l’ensemble de notre classe, l’horreur de ce qui se déroule tous les jours ne suffira pas à faire réagir un monde capitaliste sans morale ni valeur.
À cela s’ajoute la violence des mouvements réactionnaires et fascistes, nourris par un gouvernement qui mène une politique néo-libérale ultra-violente contre notre classe. Ces groupes violent, racistes et islamophobes sont de plus en plus dangereux, se sentent de plus en plus libres d’agir. Le gouvernement et la police les nourrissent et les laissent, la plupart du temps, agir sans trop de difficulté.
Tout le mouvement ouvrir de se saisir pleinement de la question palestinienne, c’est un enjeu crucial de la période.