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Chroniques de la blanchisserie IV : Des nœuds dans les draps
La BIH travaille avec les hôpitaux de la région (cf. « Chroniques de la blanchisserie I », http://tendanceclaire.npa.free.fr/article.php?id=818). Mais à cause de la division capitaliste du travail, cette collaboration est vécue comme une aliénation... Jusqu'à quand ?
Comment le linge sale arrive-t-il depuis les hôpitaux de la région dans la BIH ?
Une aide soignante, pour gagner du temps, se facilite la tâche lorsqu'elle change le lit d'un patient dans une chambre d'hôpital, fait une sorte de baluchon avec le drap ou l’alèse, dans lequel elle fourre serviettes de table,gant de toilettes, taie d'oreiller et qu'elle ferme par plusieurs noeuds. Cela semble logique. Elle est pressée et elle doit s'occuper de nombreux lits. Elle jette son baluchon dans le sac dédié. Le rouge. Et elle pousse son chariot sur lequel sont accrochés les sacs de linge sale jusqu'à la chambre suivante. Les sacs sont ensuite chargés en navette dans des camions. Direction la blanchisserie pour y être traités. Lavés, séchés, pliés puis redistribués.
Ça a l'air simple...
Sauf qu'il existe plusieurs couleurs de sacs. Chaque couleur correspondant à un type de linge. Chaque sac devant être rempli par un seul type de linge. Mais l'aide soignante ne prend pas le temps de trier le linge. Bien sûr, ça n'est pas systématique et de nombreuses aides soignantes trient rigoureusement le linge. Bien sûr. Mais ce que l'aide soignante ne sait pas, ou sait mais n'en tient pas compte, c'est que si ces ces couleurs existent, si ce tri est important c'est pour les ouvrier-e-s de la BIH qui doivent trier le linge quand il arrive sur les tapis, pour pouvoir l'engager dans les différentes machines. Le trier et défaire les nœuds... Et des nœuds dans des draps ou des alèses mouillés, c'est pénible à défaire, difficile et ça fait perdre du temps. Trier le linge est difficile aussi et fait aussi perdre du temps.
Du coup, qu'est-ce que tu ressens par rapport à ca ?
Tout cela peut paraître anecdotique, sauf que cela montre l'absence de conscience du travail de l'autre. L'autre, c'est l'ouvrier à l'autre bout du processus du lavage du linge dans un hôpital ou maison de retraite. L'ouvrier auquel les agents hospitaliers ne pensent pas. Pourtant, ils appartiennent au même dispositif, au même monde professionnel, celui de l'hôpital, au service du patient. Mais l'ouvrier ne semble pas beaucoup compter dans ce processus.
Est-ce que les ouvrier-e-s ont parfaitement conscience du travail fait dans les hôpitaux ? Est-ce qu'il ne leur arrive jamais de bâcler leur travail, quitte à créer des risques sanitaires (les fameuses maladies nosocomiales par exemple) ?
Globalement, non. Les ouvriers de la BIH ont une réelle conscience professionnelle. Ils râlent souvent contre la direction qui, elle, mise tout sur la production, le rendement, la quantité au détriment de la qualité. Quotidiennement, les ouvriers se plaignent que les conditions d'hygiènes de traitement du linge soient limites... Le linge est lavé trop rapidement et repart dans les établissements tâché. La direction fait remonter régulièrement ce problème quand les établissements hospitaliers renvoient du linge sale. Elle réprimande les ouvriers. Et il revient donc aux ouvriers de surveiller davantage la propreté du linge tout en maintenant des rendements de production toujours plus élevés ! C'est infernal ! Les ouvriers dans les ateliers travaillent sans charlotte sur les cheveux, sans gants (c'est à la fois dangereux pour eux et pas très hygiénique pour le linge). Les ouvriers savent qu'ils travaillent pour le patient, pour leur bien-être et ils sont souvent écœurés de voir comment la direction peut, elle, s'en foutre. Tant que la production est assurée.
Qu'est-ce qui pourrait remédier à ce problème ?
Régulièrement, des visites sont organisées par la BIH pour les personnels hospitaliers, afin qu'ils aient une vision du travail qui y est effectué. Une sorte de prise de conscience de ce travail, de ce maillon de la chaîne. Mais, dans l'urgence, dans le rythme effréné qui leur est imposé les aides soignantes n'ont peut-être tout simplement pas le temps de penser à tout ça.
D'accord, mais pendant ces visites, les personnels hospitaliers ont-ils l'occasion de discuter, d'échanger avec les ouvrier-e-s de la BIH ? Est-ce que ça aussi dans les deux sens, c'est-à-dire que les ouvrier-e-s visitent à leur tour des hôpitaux et des maisons de retraite ?
Il ya très peu d'échanges entre les agents hospitaliers et les ouvriers de la BIH. Le comble, c'est que ce sont des membres de la direction qui font faire les visites. C'est à dire les personnes qui connaissent le moins le travail ! On ne demande pas leur avis aux ouvriers. J'ai eu l'occasion à quelques reprises, lors de ces visites, de discuter avec des agents. Profitant que le responsable de la visite parlait à un petit groupe, je me suis adressé à l'autre groupe. J'ai échangé sur cette question des nœuds dans les draps... les agents étaient étonnés que cela se passe ainsi. J'ai fait passer le message, mais ça ne servira sans doute à rien. On continue tous les jours à défaire les nœuds et trier le linge...
Donc c'est à cause des patrons qu'il y a du ressentiment qui s'accumule entre les ouvrier-e-s de la BIH et les personnels hospitaliers. Pourtant, il y a bien des moments un peu spéciaux où ce genre de divisions s'effacent. Si on rêve un peu, si on imagine qu'il y a une grève générale dans tout le pays, est-ce que tu crois que ces divisions pourraient s'effacer, que tes collègues et les personnels hospitaliers pourraient se tendre la main pour réorganiser ensemble leur secteur économique ?
S'il y a de véritables rencontres, de véritables discussions entre les services, oui, peut-être qu'une prise de conscience pourrait avoir lieu. En prenant conscience que c'est à cause des rendements infernaux que leur direction leur impose, les agents hospitaliers comprendront peut-être qu'il vaut mieux demander plus de personnel, plus de temps pour mieux travailler et donc ne pas avoir à faire de nœuds dans les draps et donc... faciliter un peu le travail des collègues de la BIH. Il faudrait, dès maintenant, sensibiliser les différents personnels à ces questions. Ce devrait être le travail des organisations de salariés , les syndicats. Travailler à cette prise de conscience devrait même, je pense, pousser les salariés à remettre en cause, dès maintenant, le mode de fonctionnement de leurs directions. Les établissements hospitaliers semblent gérer, comme la BIH, comme des entreprises qui doivent faire de la production, du rendement, du chiffre avant tout ! Les employés le savent bien et savent bien que leur travail de service public est salopé. Ils en souffrent, c'est évident...