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49e congrès de la CGT : la direction veut continuer d’envoyer la classe ouvrière dans l’impasse
La CGT s’apprête à tenir son 49e congrès, du 7 au 11 décembre, à Nantes. Cet événement intervient dans le contexte d’une crise historique du capitalisme. La classe ouvrière dans son sens le plus strict est la première victime des attaques de la bourgeoisie : augmentation des cadences, baisse des salaires et surtout licenciements massifs. Dans ce contexte, la CGT s’obstine à demeurer un « syndicat de proposition » et refuse de mettre son poids dans la construction du rapport de force nécessaire face au gouvernement.
Le bilan d’une direction qui pratique et assume la collaboration de classe
Le rapport d’activité présenté par la commission exécutive (CE) revient sur le contexte du mandat de Sarkozy et de la crise et prétend faire le bilan de son action au cours des trois dernières années. Mais la véritable activité de la direction depuis son dernier mandat ne fut autre que de contenir la colère grandissante de la classe ouvrière pour aider le gouvernement à imposer ses « réformes » aux travailleurs.
Le contexte du mandat de Sarkozy
Pour prendre la mesure du rôle qu’a joué la CGT aux côtés de Sarkozy, il nous faut revenir ici sur le mandat que la bourgeoisie avait confié à son président en le faisant élire. La concurrence mondiale imposait à la bourgeoisie française de revenir sur tous les acquis que la classe ouvrière lui avait arrachés. Les bourgeoisies européennes étaient depuis longtemps revenues sur les acquis en termes de protection sociale, de « charges » patronales et de coût de la main-d’œuvre en général. Il fallait « moderniser » la France en accroissant la productivité du travail (travail le dimanche, augmentation des heures supplémentaires, manière de ronger les 35h, aggravation de la flexibilité du travail, etc.), en augmentant la concurrence entre les travailleurs (en opérant une chasse aux immigrés éhontée, en exacerbant le discours xénophobe…). Il fallait faire de la précarité l’exemple même de la modernité, banaliser le travailleur qui multiplie les emplois, réduire l’enseignement aux simples besoins du patronat. Du point de vue de la bourgeoisie française, ces contre-réformes devenaient urgentes et, pour les mettre en place, il lui fallait faire le pari d’un président fort, qui centralise beaucoup de pouvoirs et qui assume ce rôle bonapartiste de paraître au-dessus des classes.
Sarkozy a choisi de débuter son mandat en s’en prenant directement aux secteurs les plus combatifs des dernières années : cheminots (avec la remise en cause de leur régime de retraite et une grave attaque contre leur droit de grève), étudiants (loi LRU), etc. Il était à redouter que la réaction de la classe ouvrière pousse à une réponse violente de la bourgeoisie, un peu à la Thatcher. Mais c’était sans compter sur nos dirigeants syndicaux. Ils se sont prêtés au jeu de la négociation avec Sarkozy sans la moindre gêne. Sur tous les dossiers ouverts par le gouvernement, ils sont allés discuter, négocier, feignant d’avoir obtenu des contreparties à l’abandon de tous nos acquis.
C’est que la CGT a désormais la conception arrêtée que son rôle consiste dans la négociation à froid permanente qui définit le « dialogue social » avec le patronat et le gouvernement. Or force est de constater que cette politique ne fait pas progresser le nombre de syndiqués. Au précédent congrès, la CGT revendiquait 700 000 cartes contre seulement 654 000 aujourd’hui. La direction a beau brandir triomphalement son résultat aux prud’homales, il ne contribue pas à faire oublier que l’objectif du dernier congrès n’a pas été atteint : on demeure loin du million de syndiqués promis !
Novembre 2007 : la direction de la CGT trahit la grève des cheminots
La CE de la CGT rappelle dans son document d’orientation que « le gouvernement a cherché à remettre en cause le droit de grève en introduisant une loi sur le service minimum dans les transports ». Elle oublie de rappeler qu’elle a accepté de s’asseoir aux tables des négociations qui avaient pour cadre un accord sur la nécessité de remettre en cause ce droit de grève, sous prétexte de diminuer la gêne occasionnée aux usagers. Elle oublie également de préciser que les cheminots, concernés par la réforme ainsi que par celle des régimes spéciaux de retraite ont mené une grève en novembre 2007 contre ces attaques. À l’époque, la direction de la CGT et des autres syndicats avait fini par être contrainte de déposer un préavis de grève illimitée chez les cheminots (mais pas chez EDF-GDF, rappelons-le). Mais le mot d’ordre de maintien des 37,5 annuités n’apparaissait même pas dans la plate-forme ! Et la veille même du premier jour de la grève, Thibault avait proposé au gouvernement l’ouverture de « cycles de négociations sur chacun des régimes spéciaux » et affirmé qu’« une négociation, c’est l’ensemble des acteurs autour d’une même table, chacun défend ses points de vue et on voit s’il y a des points communs qui peuvent être dégagés ». Au moment de démarrer une grève pour le maintien des régimes spéciaux de retraite (qui aurait pu servir de base de revendication à tous les travailleurs : retour aux 37,5 annuités !), la direction de la CGT annonce qu’elle entend les négocier secteur par secteur, c’est-à-dire qu’elle divise les travailleurs, en même temps qu’elle leur explique qu’ils ont des « points communs » avec le patronat et le régime de Sarkozy.
C’est ça, la réalité de la politique traître de la direction de la CGT. Mais la logique de la négociation et celle de la lutte ne sont pas conciliables. Penser qu’il y a des cadres de discussion communs avec la bourgeoisie, s’imaginer que l’on peut s’asseoir avec une représentante du MEDEF et avoir des « points communs » avec elle, c’est antinomique avec la logique de la grève. La classe ouvrière a des intérêts antagoniques à ceux la bourgeoisie. Et la direction de la CGT propose de continuer dans cette voie visant à réconcilier l’irréconciliable : « La Cgt veut construire les rapports de forces permettant de gagner de nouveaux droits pour intervenir dans la gestion de l’entreprise, créer de nouveaux lieux de dialogue social et de négociations pour que vivent démocratie et progrès social. »
Il est symptomatique à cet égard que le rapport d’activité ne comporte pas une seule fois le mot grève, contre treize fois celui de « négociation »…
Février-mars 2009 : la direction laisse isolée la grève générale en Guadeloupe et renforce ainsi l’État colonisateur français
Mais c’est sur la Guadeloupe que la position de la direction est la plus écœurante. Dans le rapport d’activité, la direction réussit le tour de force incroyable de mentionner la mobilisation en Guadeloupe sans prononcer le mot grève... « Les salariés et la population de ces territoires se sont mis en mouvement pour leurs droits à la dignité et à la justice sociale », écrit-elle avec la mollesse caractéristique des bureaucrates blasés. Dans le document d’orientation, elle mentionne la grève générale, mais en prenant soin de préciser qu’elle « [relève] de réalités propres aux départements d’outre-mer ». Sur les deux textes réunis, la Guadeloupe occupe en tout trois paragraphes. C’est à l’image de l’importance que les directions syndicales lui ont donnée en France. La Commission exécutive de la CGT a beau jeu de prétendre avoir « apporté son soutien actif en popularisant leurs luttes, en intervenant auprès du président de la République et du gouvernement, en appelant et en participant aux manifestations de soutien en France ». Elle n’a strictement rien fait de tout cela, c’est encore un mensonge éhonté. Car « apporter son soutien actif », ce n’est pas écrire des communiqués timorés. Le seul moyen pour les travailleurs français d’apporter leur soutien à la grève générale en Guadeloupe, c’était d’affaiblir leur propre État et son gouvernement en combattant pour son extension en France. Les laisser isolés dans leur lutte, c’était criminel ! D’autant qu’en France, outre la puissante journée de grève et de manifestations du 19 janvier et plusieurs grèves reconductibles, il y avait une véritable grève illimitée des universités, n’en déplaise à la direction de la CGT, et pas simplement de « multiples actions et manifestations », comme elle l’affirme là encore de manière mensongère.
Sans-papiers : de la logique du cas par cas à la violence envers des dizaines de travailleurs
Sur les sans-papiers, la direction ose affirmer que « la Cgt a joué un rôle décisif dans la lutte pour la régularisation des travailleurs sans-papiers » et essaie de faire croire qu’elle exige la régularisation de tous les travailleurs sans-papiers (« On estime entre 300 000 et 400 000 le nombre de travailleurs sans-papiers. Leur régularisation est une exigence. ») Elle va jusqu’à parler de « l’action opiniâtre menée par la Cgt pour la régularisation administrative des "sans-papiers" et particulièrement des salarié(e)s ». En fait, comme elle le reconnaît elle-même, « la Cgt a mis à profit les dispositions de la loi Hortefeux faites pour le patronat autorisant la régularisation des travailleurs sans-papiers des filières dites "en tension" ». Autrement dit, loin d’avoir combattu pour la régularisation de tous les sans-papiers (combat qui impliquait d’affronter centralement le gouvernement), elle reconnaît s’être tenue au cadre imposé par le patronat et elle ne voit aucun inconvénient à « utiliser » la loi raciste d’Hortefeux et la logique de régularisation au cas par cas (aboutissant à moins de 2 000 régularisations effectives, la plupart pour des durées brèves).
Enfin, les textes évoquent la mise en place de « solidarité avec les autres salariés ». Il doit s’agir de la même « solidarité » qu’avec les travailleurs de Guadeloupe... Pendant toute la durée des grèves que les militants de base ont menée avec les sans-papiers, la direction de la CGT a refusé d’appeler tous les travailleurs à se mettre en grève ou même à manifester massivement pour les soutenir : elle a délibérément isolé et affaibli les sans-papiers en grève.
Le texte évoque « certaines tentatives d’instrumentalisation politique des luttes [des sans-papiers] » qui auraient « parfois compliqué l’action revendicative de la Cgt ». S’agirait-il là de l’occupation de la Bourse du travail de Paris ? C’est que, face à la défaillance de la politique confédérale, beaucoup de travailleurs sans-papiers, dont certains syndiqués à la CGT, qui refusaient cette logique de régularisation au cas par cas, ont décidé de faire pression sur les directions syndicales pour qu’elles prennent réellement en charge le combat pour la régularisation de tous et contre les lois anti-immigrés de la bourgeoisie. Une logique réformiste, chauvine et de collaboration de classe a mené la direction de la CGT à renouer avec les méthodes du stalinisme : les sans-papiers qui occupaient la Bourse du travail de Paris ont été évacués par le service d’ordre de la CGT avec une violence qui fait honte au mouvement ouvrier, et avec des méthodes qui sont les mêmes que celles de l’État bourgeois ; un renfort des CRS envoyés par la ville de Paris est d’ailleurs venu aider le SO de la CGT dans sa besogne. (Cf. ci-dessous la déclaration de la Tendance CLAIRE du 26 juin.)
Tous ces éléments du bilan de la CGT ne sont absolument pas abordés. La ligne désastreuse qu’a suivie la direction se confirme. La seule perspective proposée aux travailleurs est « l’unité syndicale » — c’est-à-dire l’alignement sur la CFDT, l’orientation du « syndicalisme rassemblé » opposée à celle du syndicalisme de lutte de classe et la stratégie consistant à appeler à des journées d’action sans lendemain qui épuisent les travailleurs.
La CGT abandonne toute perspective de combat
Dans son rapport d’orientation, la direction ne propose aucune perspective aux travailleurs qui se mobilisent. Elle a par contre le culot de regretter que « la réponse revendicative aux restructurations se focalise encore trop souvent et trop vite sur le niveau d’indemnisation des licenciements » (1). À qui la faute ? Que propose la CGT comme autre perspective face aux licenciements que de meilleures indemnisations ? Sa réponse phare aux licenciements est... la « sécurité sociale professionnelle » ! On croit rêver. Car la « sécurité sociale professionnelle » n’est rien d’autre que la capitulation syndicale devant le système capitaliste : la CGT considère le capitalisme comme une système insurmontable, comme la seule réalité possible ici-bas, et elle en accepte les règles du jeu sans broncher. Les règles du jeu du capitalisme, ce sont des licenciements massifs, l’extension de la précarité. Ce que propose la CGT comme « compensation » à la misère que nous offre cette société, c’est un système qui permettrait d’assurer une formation continue tout au long de la carrière, de meilleurs droits pour les chômeurs et dans lequel les syndicats auraient un rôle central à jouer. Non seulement la « revendication » d’une « sécurité sociale professionnelle » suppose qu’il est normal qu’un travailleur se retrouve plusieurs fois au chômage dans sa vie, mais en outre elle propose de donner aux syndicats le rôle d’accompagner les travailleurs dans leur précarité, abandonnant celui de les organiser pour la combattre.
Tout ce que la direction sait réclamer, ce sont de « nouveaux espaces de dialogue » et autres foutaises. On ne dialogue pas avec un patron. On est plus fort que lui ou pas. Et pour être plus fort qu’un patron, il faut arrêter de travailler, lui faire comprendre qu’il n’est rien sans les travailleurs et qu’il a intérêt à céder s’il ne veut pas perdre trop d’argent. Il n’y a pas de miracle : l’arme des travailleurs, c’est la grève, ce n’est pas une direction syndicale inerte qui va dîner avec Sarkozy ! Il n’y a pas la moindre trace d’un calendrier de mobilisation dans les textes proposés par la direction. Rien n’est dit sur la manière dont elle entend mobiliser les travailleurs. Rien n’est dit non plus sur les grèves ouvrières qui se sont multipliées. Silence radio. Ça évite de leur proposer des perspectives, de les aider à converger, à se financer... bref, à gagner.
Les révolutionnaires doivent combattre cette ligne de collaboration de classe et mettre toutes leurs forces dans la construction d’un courant lutte de classe
Face aux attaques du patronat redoublées depuis la crise, les travailleurs se mobilisent, souvent usine par usine, contre les licenciements qui se multiplient. Et en même temps qu’augmente la radicalité, la critique de la bureaucratie gagne les esprits (appel des Goodyear et autres prises de position contestataires de syndicats CGT de base, figure montante de Xavier Mathieu…). C’est un climat favorable aux révolutionnaires, à ceux qui depuis des années combattent de l’intérieur les directions traîtres.
Parce que malgré les bureaucrates qui les dirigent, les syndicats ne sont pas une coquille vide. Certes, le nombre d’adhérents est en baisse, mais les syndicats sont capables de faire descendre 3 millions de travailleurs dans la rue. Dans les usines qui se mobilisent en ce moment, presque toutes ont une section CGT forte. La responsabilité de la direction de la CGT est donc énorme. Et on ne saurait balayer d’un revers de main une organisation dont l’implantation dans la classe ouvrière reste importante malgré son recul. C’est aussi un combat pour les révolutionnaires que les syndicats se remplissent de travailleurs combatifs, prêts à arracher leur syndicat aux mains des bureaucrates. C’est de l’intérieur que l’on peut combattre efficacement. Construire de petits syndicats « rouges » n’est pas une solution, refuser de se syndiquer non plus. Mais la priorité est de combattre à l’intérieur des grandes centrales syndicales et d’œuvrer à la constitution d’un courant intersyndical de lutte de classe.
1) Voir aussi, ci-dessous, notre article sur l’interview de M. Dumas à L’Humanité.