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Le management de la qualité totale : un projet totalitaire de réduction du cerveau de l’être humain à une simple « ressource » au service du capital
La « monstruosité anodine » du management de la qualité totale
Le « nouveau management » dit de la « qualité totale », introduit au Japon dans les années 1960 comme une composante du « toyotisme », inaugure une nouvelle étape dans l’histoire de « l’art » capitaliste qui consiste à maximiser l’exploitation et à minimiser les résistances. Alors que l’insubordination ouvrière constituait dans les années 1970 un réel souci pour les capitalistes, le « nouveau management » arrivait à point pour permettre la reproduction des rapports capitalistes dans des conditions plus apaisées.
Dès le milieu des années 1980, les constructeurs automobiles français d’abord, et le reste de l’industrie par la suite, ont commencé à introduire dans leurs usines les principales composantes de ce système : la production en flux tendu, le travail en équipe, la qualité totale, l’organisation en juste-à-temps, etc. Alors que le taylorisme codifiait les gestes des travailleurs et les soumettait au rythme de la machine, le toyotisme vise à coloniser les cerveaux pour tuer à la racine toute velléité de résistance. Il s’agit de fixer (ou mieux : de faire en sorte que les travailleurs se fixent eux-mêmes) des objectifs de plus en plus ambitieux tout en octroyant une marge d’autonomie aux travailleurs pour qu’ils les atteignent, avec un management moins bêtement autoritaire… du moins pour les travailleurs qui « jouent le jeu ».
L’enjeu central est donc de mobiliser l’esprit des travailleurs pour les transformer en capitaux humains mettant toutes leurs ressources disponibles (au travail mais aussi si possible en dehors) au service de la valorisation du capital. La réussite de ce système « dépend de façon déterminante de l’implication de la main-d’œuvre dans la réduction des coûts » (1). Autrement dit, à la possibilité de pousser les travailleurs à œuvrer patiemment et « volontairement » à la destruction de leur propre humanité et à celle de leurs collègues. Tout l’art du management est d’instiller la barbarie au cœur des relations de travail, sans que les travailleurs puissent prendre conscience de l’origine de leur souffrance et s’organiser collectivement pour y faire face.
S’appuyer sur la pression des « clients » ou des « collègues » pour transformer les comportements et faire adhérer les travailleurs aux objectifs du capital
Pour obtenir l’implication des travailleurs, le capital se cache derrière une logique de concurrence présentée comme « naturelle ». Il s’agit de mettre en concurrence, de façon continuelle, les salariés entre eux. Chaque service (collectif de travail) étant mis en compétition avec les autres sur la base de ses performances productives, les salariés sont soumis à la pression qui provient de l’intérieur du groupe, de la part de leurs propres collègues. Chacun est poussé à travailler toujours plus pour ne pas pénaliser l’ensemble du groupe et pour ne pas être mis à l’index. L’adversaire n’est plus le patron mais le collègue qui n’arrive pas à suivre le rythme.
En outre, il s’agit de passer d’une logique de la qualification (qui protège, dans une certaine mesure, le salarié de l’arbitraire patronal) à une logique de l’employabilité où le salarié doit constamment se remettre en cause et se former pour simplement continuer à avoir sa place dans l’entreprise.
Enfin, l’impératif absolu de satisfaire à tout prix le client (c’est-à-dire, la plupart du temps, un autre travailleur) est le moyen pour le patronat de légitimer la dégradation des conditions de travail et, dans la fonction publique, de transformer radicalement la nature du bien ou du service qui est produit.
Après France Telecom, une nouvelle preuve des dégâts dramatiques du management de la qualité totale : l’exemple de La Poste
Le syndicat professionnel des médecins de La Poste a adressé au président du groupe, Jean-Claude Bailly, un courrier (2) dans lequel il s’alarme d’une forte « dégradation de la vie au travail » dans la société, suicides à la clé. « Les agents de distribution sont confrontés à des situations d’épuisement physique et psychique », « les accidents du travail et les maladies professionnelles sont en très forte augmentation » relèvent les médecins du travail, en soulignant que « cela est lié aux nouvelles organisations du travail ». Ils tirent une nouvelle fois la sonnette d’alarme en exigeant « des actions concrètes pour enrayer ce qui pourrait vite devenir un processus morbide connu aujourd’hui par d’autres entreprises » (comme à France Telecom). Ils font face à l’autisme de la direction : « Nous avons loyalement alerté nos directions et notre filière de cette situation alarmante et sommes déçus par le peu de considération apportée, voire, plus grave, par le déni manifeste. » Un syndicaliste de SUD résume les choses crûment : « Le but, c’est de casser toute résistance, de rendre les gens serviles. Qu’ils se raccrochent à la première bouée qu’on leur tend et qu’ils acceptent n’importe quoi. » (3)
La responsabilité écrasante de la bureaucratie syndicale et la nécessité de s’organiser collectivement pour bloquer la mise en place du management de la qualité totale
Dans la plupart des entreprises, les réorganisations des conditions de travail sont passées sans que les syndicats cherchent à organiser ou même à simplement alerter les travailleurs. Enfermés dans une routine syndicale qui laisse tout le pouvoir au patronat d’organiser à sa guise le procès de travail, les syndicats tendent à réagir seulement quand les conséquences dramatiques se manifestent au grand jour.
Il est essentiel de se battre à l’intérieur des syndicats pour qu’ils organisent la résistance face à la dégradation des conditions de travail. Cela pose directement la question du contrôle des travailleur sur l’organisation de la production, à l’opposé d’une logique de cogestion qui accompagne et légitime les stratégies patronales. Parvenir à bloquer tel ou tel dispositif de contrôle ou de flicage, aussi minime en apparence soit-il, est une immense victoire qui fait prendre conscience aux travailleurs de leur force, quand ils parviennent à ne pas se laisser atomiser par le patronat. Cela pose aussi la question, à une échelle au départ réduite, de qui doit décider dans l’entreprise, et cela permet aussi de poser la question centrale de qui doit diriger à l’échelle de la société. C’est la tâche des révolutionnaires de faire le lien entre les résistances quotidiennes à la barbarie capitaliste, et la perspective du gouvernement des travailleurs. Et de convaincre sur la nécessité de s’organiser en conséquence, sur le lieu de travail, et au sein d’un parti qui se bat ouvertement pour la perspective du pouvoir des travailleurs à tous les niveaux.
L’exemple de l’INSEE : quand le management de la qualité totale débarque dans les administrations...
Depuis plusieurs mois, la direction de l’INSEE prépare son projet de moyen terme pour les cinq ans qui viennent. Depuis plusieurs mois, la direction de l’INSEE ne cache pas sa volonté de copier le type de management mis en place à La Poste ou à EDF. Depuis plusieurs mois, la direction de l’INSEE ose affirmer que les personnels de ces établissements sont « satisfaits » des changements… et depuis plusieurs mois, les directions syndicales ne prennent pas la véritable mesure de cette menace : ils jugent la démarche qualité totale comme un simple hochet que la direction brandit bêtement sans réfléchir. Leur analyse est que la direction n’a pas vraiment de plan et qu’elle applique ainsi le management de la qualité totale par suivisme. C’est la raison pour laquelle aucune analyse sérieuse, aucune campagne de mobilisation contre cette offensive n’ont été faites.
Pourtant, des militants CGT bataillent pour qu’enfin le combat soit lancé et commencent à marquer quelques points. Le texte ci-dessous (légèrement remanié), distribué au sein de l’INSEE, présente une analyse précise du projet de la direction de l’INSEE. Si nous le publions, c’est parce que le processus en cours à l’INSEE a valeur d’illustration de ce qui se passe aujourd’hui dans la fonction publique en général. Et partout, la question est posée de décortiquer la stratégie de nos adversaires de classe, de convaincre les camarades de s’organiser de manière autonome et de construire une riposte de classe.
1) « Travailler chez Toyota : de l'emploi à vie à la course à la survie », Revue de l'IRES, n° 62, 2009.
2) Le rapport de la médecine du travail à la poste est consultable sur : http://www.letelegramme.com/complements/2010/06/03/943190_lettrecorrigee.pdf
3) http://www.letelegramme.com/ig/generales/france-monde/france/la-poste-sud-ptt-a-force-de-tirer-sur-l-elastique-il-finit-par-lacher-02-06-2010-941887.php