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L’impasse antilibérale de Mélenchon. L’avenir hypothéqué d’une France soumise au système capitaliste
Le programme de Mélenchon, « L’Avenir en commun », est désormais connu depuis quelques mois. Il a été édité en livre, mais il est aussi disponible sur le site de la Tendance Claire du NPA1.
Une critique de ce programme a déjà été publiée dans l’hebdomadaire du NPA2, et également dans le mensuel du NPA3.
Ces critiques nous semblent insuffisantes et beaucoup trop superficielles. Elles sont axées sur l’insuffisante radicalité des mesures d’urgence et la critique du chauvinisme (bien réel) de Mélenchon. Mais elles font l’impasse sur ce qui nous différencie fondamentalement de Mélenchon : notre anticapitalisme versus son antilibéralisme. Faute de remettre en cause la propriété et les institutions capitalistes, Mélenchon se condamne à l’impuissance et donc à trahir très rapidement son programme, comme Mitterrand en 1981. L’antilibéralisme est une escroquerie, d’autant plus dans un capitalisme en crise où les marges de manœuvre sont quasi-nulles pour des réformes progressistes.
Il faut bien reconnaître que La France Insoumise de Mélenchon a le mérite de proposer un programme avec des mesures détaillées (dont un certain nombre sont progressistes), un projet, une direction. Mais ce programme et cette direction que Mélenchon veut faire prendre à la France ne visent en aucun cas la destruction du capitalisme, alors que celui-ci est construit sur l’exploitation d’une majorité par une minorité, sur l’oppression et la division. C’est cela que nous voulons attaquer.
Nous avons donc décidé de faire une critique substantielle de ce programme, en plusieurs parties, pour en critiquer sa logique fondamentale (l’antilibéralisme) et ses différentes déclinaisons thématiques, tout en dessinant en creux un programme anticapitaliste révolutionnaire en rupture avec le système en place.
Sur l’introduction du candidat
Le livre du programme (non disponible en format PDF accessible à toutes et tous) débute par une introduction de Mélenchon. Il s’agit d’un chapeau synthétique mais dans lequel on voit déjà très clairement son projet politique.
Il commence par un état des lieux de la dégradation de la si «puissante» France, avec la crise climatique, le chômage, la pauvreté, le productivisme, les oppressions, les préjugés de classes (comme quoi, les classes elles sont normales, il suffit de ne pas avoir de préjugés), les conditions de vie, la dégradation des services publiques, etc., Mélenchon affirme que cette dégradation est du à « trente ans de gâteries aux puissants jamais rassasiés ». Cette analyse nous semble problématique car l’accumulation capitaliste n’a pas attendu l’arrivée de Chirac au gouvernement ! C’est le système économique qui implique cette accumulation et cette folle accumulation nous condamnant à être exploité-e-s est bien plus vieille.
L’analyse de Mélenchon est pourtant claire : «À nos yeux, l’urgence écologique, le désastre social et le délabrement de la démocratie sont les trois visages d’une même réalité. Nous étouffons sous le règne de la finance.» Si on ne peut pas nier l’influence désastreuse de la sphère financière, il est illusoire de penser que sans elle, tout irait pour le mieux ! Il faut aussi et principalement s’attaquer au fondement de ce système injuste et cruel, l’exploitation !
Mélenchon décline ensuite les points clés du programme qui suit son introduction, et les différentes mesure pour réaliser «la transition vers une société plus douce et donc plus égalitaire dans ses rapports sociaux». C’est là l’objectif de Mélenchon : rendre plus doux le système capitaliste, mais pourquoi donc s’en satisfaire quand on peut lutter et œuvrer à la construction d’un nouveau monde qui n’est pas construit sur l’exploitation ?
Une nouvelle constitution bourgeoise pour réformer le capitalisme
Critique du chapitre 1 « Face à la crise démocratique, convoquer l’assemblée constituante de la 6 e République »
S'il est élu, Mélenchon, tout en commençant à appliquer son programme, veut convoquer une assemblée constituante pour fonder une « 6è République », et une fois celle-ci adoptée, il démissionnera nous dit-il (en ne disant rien quant aux délais et échéances). Mais il a déjà quelques idées sur les contours de cette nouvelle république. Il s'agirait d'une république parlementaire classique qui garantirait le droit de propriété, qui serait simplement « soumis à l'intérêt général ». Qui dirait le contraire ? D'ailleurs, soulignons que la constitution actuelle intègre le préambule de la constitution de 1946 qui dit que : « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». Mélenchon n'est même pas capable d'aller aussi loin. Il veut simplement développer les services publics (ce qui est une bonne chose) et protéger quelques « biens communs ». Cette thématique est à la mode puisque Hamon a repris cette idée de « constitutionnaliser les biens communs » et le PCF en fait également son miel. C’est au fond une logique social-libérale : on prétend protéger quelques « biens communs » tout en laissant la plupart des biens être produits selon les critères de rentabilité. Il n’y a même plus l’objectif lointain de collectivisation des moyens de production, qui était présent dans le socialisme réformiste classique (même si jamais appliqué). Notons au passage qu’il est pour le maintient de postes de hauts fonctionnaires, de l’ENA, pour faire perdurer cette machinerie bien huilée (même s’il veut limiter quelques abus).
Mélenchon est resté bloqué sur le modèle de la révolution de 1789. C’est assez clair connaissant la ligne de son Parti de gauche (PG), ou encore avec le logo « Phi » symbole de la « Raison ». Il voit sa Constituante comme une réédition du combat de la bourgeoisie contre Louis XVI, plus que comme un prolongement des deux siècles de luttes du mouvement ouvrier qui ont suivi… Avec des références aussi déconnectées, le candidat de la « France Insoumise » ne peut pas apporter de réelles solutions.
En 37 pages de programme, il n'y a pas une seule occurrence des mots « capitaliste », « capitalisme », « socialisme », et bien sur pas de « communisme ». Pour Mélenchon, le clivage fondamental n'est pas entre les travailleurs/ses et les capitalistes (seuls les préjugés de classes sont condamnables), mais entre le « peuple » et « l'oligarchie ». La nouvelle constitution devra « balayer l'oligarchie » dans un cadre qui restera capitaliste : autant dire que cela n'est pas possible ! Les gros actionnaires (comme Xavier Niel pour Free ou Liliane Bétencourt pour l'Oréal) et les PDG (comme Carlos Ghosn, patron de Renault ou Eric Olsen patron de Lafarge) ne céderont pas face à de prétendues menaces constitutionnelles. Il n'est pas possible de contraindre des patrons par la négociation mais seulement par l'expropriation !
Sa constitution donnera-t-elle de véritables droits aux travailleurs face aux capitalistes ? C'est ce qu'il prétend, mais c'est du flanc. Les salariés auront le droit à un « vote de défiance » à l'égard de leur patron, sans qu'on sache ce qu'il entraînerait ! Les comités d'entreprise auront un « droit de véto suspensif » sur les seuls licenciements économiques. Autrement dit ils pourront suspendre (combien de temps ?) les licenciements économiques mais pas les empêcher.
Pour faire régner l'ordre, et notamment le respect du droit de propriété, Mélenchon veut « renforcer les moyens humains et matériels des forces de sécurité, en quantité et qualité » et « créer une garde nationale ». Il prétend refuser la « logique de l'exception » mais il ne veut pas abolir l'état d'urgence (seulement combattre ses abus). Il encourage la délation (« signalement ») des personnes « suspectées » de pouvoir glisser sur la pente du terrorisme. Il veut embrigader les jeunes dans un « service citoyen obligatoire » de 9 mois, pour leur apprendre l'amour de la patrie et de l’État. Dans sa logique de nation forte et universelle, il souhaite aussi sortir «des guerres déstabilisatrices et des alliances hypocrites avec les pétro-monarchies du Golfe», mais quelles guerres sont celles déstabilisatrices ? Vu les positions qu’à eu Jean-Luc Mélenchon concernant les interventions militaires de la France, on peut douter de son anti-impérialisme, combat qui doit être central. Par ailleurs, est-ce que le commerce d’avion du «fleuron Dassault» avec ces pétro-monarchies lui pose aussi problème ?
Mélenchon veut une « république universelle » et prétend « abolir les ségrégations ». Autrement dit, la nouvelle constitution va proclamer l’abolition du patriarcat et du racisme ! C’est beau, sauf que Mélenchon, en 37 pages de programme, ne dit pas un mot contre la racisme d’État, et en particulier l’islamophobie d’État. Il ne suffit pas de proclamer la république universelle et de combattre tous les replis communautaires pour faire disparaître les oppressions raciales et sexistes. Faute de s’attaquer aux racines de ces oppressions (en impulsant des cadres d’auto-organisation à toutes les échelles de la société, par exemple), et donc aux fondements même du système capitaliste, celles-ci se perpétueront et les grandes déclarations universalistes ne serviront qu’à jeter un écran de fumée pour les nier. Il faut s’attaquer aux bases matérielles qui permettent et entretiennent les oppressions et l’exploitation.
Il existe des nuances entre les formes de « démocraties bourgeoises », et la 5e République est une des moins démocratiques. Mais l’expérience des précédentes républiques françaises parlementaires ou des autres pays montre que ces différences ont peu d’impact sur la vie concrète des travailleur.se.s et l’exploitation capitaliste. Bien sûr, les mesures proposées telles que le droit de vote à 16 ans, la révocation des élu-e-s, le droit de vote pour résident-e-s étranger-e-s aux élections locales (seulement !) sont des mesures progressistes, de même que le changement d’état civil libre et gratuit. Mais même si un éventuel processus constituant pour une 6e République soulèverait certainement un enthousiasme idéaliste dans certaines couches de la population, il ne mobiliserait pas les couches les plus exploitées, qui ne ressentent que dégoût ou désintérêt pour des institutions détachées d’eux. Et pour cause : difficile de s’intéresser aux modalités d’élection de députés parmi des avocats, des patrons, des haut-fonctionnaires… mais presque aucun.e ouvrier.ère ou employé.e, surtout depuis l’effondrement du PCF4.
Dans la même dynamique, les mesures proposées pour le contrôle des médias sont des mesures «par le haut» : élection des président de France Télévision et Radio France, loi anti-concentration des médias, etc., alors que le problème central est l’asservissement des médias à la classe dominante : sans lutte de classe, alors pas d’espoir du côté des médias, là encore, l’espoir viendra du développement de l’auto-organisation sur ces lieux de travail.
Dans ces conditions, la politique de Mélenchon et le républicanisme du PG ne peuvent avoir que pour effet de canaliser les énergies militantes dans une impasse. Nous défendons bien évidemment les droits les plus étendus possibles, mais cela fait bien longtemps que le capitalisme a montré que « les droits formels » ne seront jamais pleinement des « droits réels » pour les exploité.e.s. Si nous voulons une « démocratie réelle », une « République sociale » si l’on veut5, il nous faut des institutions révolutionnaires. La démocratie ne doit plus s’arrêter aux portes des entreprises, et ne doit plus être une vague représentation élue tous les 5 ans. Les entreprises comme les quartiers doivent être gérés par des conseils de travailleur.se.s, qui ont le temps de se réunir et d’élire des délégué.e.s mandatés et révocables parmi elles.eux. Il n’y aurait plus de politiciens professionnels, comme Mélenchon qui l’est depuis 40 ans.
1 http://tendanceclaire.org/breve.php?id=22078
2 http://npa2009.org/arguments/politique/melenchon-lavenir-en-commun-le-decalage-droite
3 https://npa2009.org/idees/politique/melenchon-de-lhumain-dabord-lavenir-en-commun
4 https://www.youtube.com/watch?v=bhcQzkEjeCQ
5 Nous ne fétichisons pas les mots, leur sens et leur impact politique dépend de l’époque et de qui les emploie. Mais la revendication de « République sociale » n’est plus du tout portée par notre classe, et aujourd’hui, les grands mots des politiciens sur « la République » servent avant tout à entretenir des illusions sur l’État français. Mélenchon est un de ces politiciens.