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Les luttes restent dispersées, mais nombreuses… et chacune porte le germe d’un affrontement d’ensemble avec le patronat et le gouvernement
En ce début d’année 2010, la situation en France reste dominée par les traits qui l’ont marquée depuis la rentrée de septembre. Contrairement à ce que prétend le gouvernement, la crise se poursuit, puisque la croissance reste très faible en France comme en Europe, où plusieurs pays surendettés restent même en récession (Espagne, Grèce…) — la situation de la Grèce en particulier pouvant conduire à une pure et simple faillite qui ébranlerait profondément la zone euro. La crise n’est cependant pas la même pour tout le monde : les gros capitalistes réussissent pour le moment à la faire payer aux travailleurs, comme le montrent leurs profits repartis à la hausse, tandis que le chômage explose, les plans de licenciement continuent de pleuvoir et les salaires restent bloqués…
Dans cette situation, l’impopularité du gouvernement s’accroît (Sarkozy est au plus bas dans les sondages) et en son sein les tendances à la crise s’expriment régulièrement (concernant la réforme des collectivités territoriales et de la taxe professionnelle, la poursuite ou l’arrêt du prétendu « débat sur l’identité nationale », la campagne de vaccination contre la grippe A…). Mais ces éléments de crise restent jugulés par l’absence de toute alternative crédible sur l’échiquier politique institutionnel, notamment en raison de l’incapacité du PS à proposer un projet politique aux travailleurs, fût-il illusoire. C’est pourquoi le gouvernement peut continuer ses attaques à un rythme soutenu : offensive xénophobe et sécuritaire pour diviser les travailleurs ; suppression massive de postes de fonctionnaires ; refus de revaloriser le SMIC ; aggravation du pillage de la Sécurité sociale ; marche à la privatisation de la poste ; casse de l’enseignement public ; projet de nouvel allongement de la durée de cotisation pour une retraite à taux plein…
Face à cela, il n’y a pas de grande mobilisation des travailleurs à l’échelle nationale (l’automne a au contraire été marqué par l’échec de la grève reconductible à la poste, due principalement au refus de combattre des principales directions syndicales), mais la lutte de classe n’en est pas moins assez vive, avec de nombreux conflits. Cependant, en raison de leur isolement, la plupart de ces luttes se soldent par des défaites et même les plus déterminées se heurtent à des limites qu’il ne sera pas possible de faire sauter sans avancer vers un affrontement d’ensemble avec le patronat et le gouvernement.
• La principale lutte, par son ampleur et sa durée, est sans doute la grève de 6 000 travailleurs sans-papiers de la région parisienne pour leur régularisation, qui a commencé le 12 octobre, mais reste isolée par le silence médiatique et la politique de la direction CGT ; celle-ci, en effet, refuse d’étendre la grève en province et de mobiliser les autres travailleurs sur cette question, préparant une nouvelle défaite (la CGT remplit de nouveau les dossiers individuels dans le but de les déposer au ministère du travail, alors que cette méthode ne peut aboutir au mieux qu’à quelques centaines de régularisations).
- La grève massive, reconductible et auto-organisée des travailleurs du centre Pompidou à Paris, rejoints par une partie des agents du ministère de la culture, contre les suppressions de postes, a marqué la fin de l’année, mais les fédérations de fonctionnaires ont refusé de répondre à leur demande que soit lancée une grande mobilisation contre la RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques). L’isolement a finalement eu raison du courage de ces travailleurs, qui ont repris le travail sans victoire, mais cette grève n’en a pas moins contribué à mettre une pression sur les directions des fédérations de fonctionnaires, qui appellent à une journée d’action nationale le 21 janvier contre les suppressions de postes et pour l’augmentation des salaires. En elle-même, cette journée est sans perspective sinon celle d’aider la gauche institutionnelle à remobiliser son électorat avant les régionales. Cependant, elle peut servir de point d’appui aux travailleurs de la Fonction publique qui ne se sont pas mobilisés depuis le printemps 2009 et qui, s’ils se réunissent en Assemblée générale pour définir eux-mêmes leurs revendications, leurs objectifs et leurs moyens de lutte, pourront déborder les directions syndicales.
- La grève des conducteurs du RER A, suivie à 97% pendant deux semaines, mal dirigée par les syndicats en raison d’une orientation corporatiste (revendication de primes variables, refus du combat pour une vraie augmentation des salaires et par conséquent de l’appel à une lutte de tous les agents de la RATP), a été brisée par la direction de l’entreprise, avec l’intervention directe du gouvernement qui voulait faire un exemple pour dissuader les cheminots en général de reprendre le chemin de la lutte au moment où se met en place la privatisation du fret. Pourtant, quelques jours avant, le gouvernement a dû reculer face à la menace de grève et de blocage des camionneurs salariés en concédant une augmentation salariale, même s’il l’a accompagnée d’exonérations sociales pour les patrons, qui reviennent à la faire payer par les contribuables. Cela montre qu’il est possible d’emporter des victoires revendicatives partielles par l’arme ou la menace de la grève et du blocage dans les secteurs clés de l’économie.
- De nombreuses grèves ont lieu dans les usines, que ce soit pour les salaires ou contre des plans de licenciements. Elles prennent souvent des formes avancées, voire radicales. C’est le cas des 190 travailleurs d’Hymer qui fabriquent des caravanes à Cernay (Haut-Rhin) et occupent leur usine placée en redressement judiciaire depuis le 25 novembre. Ils multiplient les actions (ils ont notamment brûlé l’intérieur de plusieurs véhicules) pour briser le silence médiatique et faire pression sur le patron.
- C’est plus vrai encore des travailleurs de Sanofi-Pasteur qui ont quant à eux repris le 6 janvier la grève commencée avant les vacances pour une augmentation de 150 euros et contre le plan de restructuration du groupe, qui détruirait des milliers d’emplois : il s’agit d’une grève reconductible avec piquets jour et nuit, qui bloquent notamment les deux principaux sites production de vaccins, à Marcy-l’Étoile (Rhône, 3000 salariés) et Val de Reuil (Eure, 1800 salariés).
- Soulignons enfin et surtout l’apparition à l’usine Philips de Dreux (qui produit des téléviseurs) d’une nouvelle forme d’action, que l’on n’avait plus vue depuis des années en France : le 6 janvier, dans le cadre de la lutte contre la fermeture de l’usine, le contrôle ouvrier sur la production a été décidé par 147 salariés réunis en Assemblée générale (sur un effectif de 213) et mis en œuvre pendant plusieurs jours, avant que la répression patronale et la trahison, du syndicat majoritaire FO y mettent fin. Cette expérience, même brève, confirme que les travailleurs sont prêts à se battre pour défendre leur emploi et qu’ils commencent à envisager d’autres formes de lutte que les éternelles « journées d’action » sans perspective et les négociations avec le patron pour de meilleures indemnités de licenciements.
Même si c’est sous une forme encore embryonnaire, cette initiative des travailleurs de Philips-Dreux montre la voie, en prouvant qu’il est possible de sauvegarder l’emploi si l’on produit sans patrons : elle doit être popularisée à une échelle de masse et soumise à la réflexion des travailleurs qui luttent contre les licenciements. Il faut tout faire pour qu’elle devienne une méthode de lutte généralisée, tout en la mettant en relation avec un programme d’expropriation et de nationalisation sans indemnités ni rachat des entreprises qui licencient. Car un programme de lutte de classe anticapitaliste révolutionnaire combine nécessairement des revendications anticapitalistes globales, posant la question du pouvoir politique, et des actions concrètes prouvant aux travailleurs qu’il est possible de remettre en cause le pouvoir patronal et la logique capitaliste à tous les niveaux.