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Solidarité avec la République catalane contre le putsch de Rajoy ! Seule la mobilisation des travailleurs/ses peut imposer l’indépendance ! Pour une république socialiste catalane !
Toute la bourgeoisie internationale s'est déchaînée contre la déclaration d'indépendance votée par le parlement catalan le 27 octobre. De façon hallucinante, les médias bourgeois nous font prendre des vessies pour des lanternes. L'incroyable éditorial du Monde du 28 octobre (https://tendanceclaire.org/breve.php?id=25791) nous fait penser au roman d'Orwell, 1984, et sa dénonciation de la novlangue totalitaire : « La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force ». Pour parodier Orwell, on pourrait écrire : « la dictature, c'est l'organisation d'un référendum pour permettre l'auto-détermination ; la démocratie, c'est envoyer la police pour empêcher les gens de s'exprimer, c'est dissoudre un parlement élu ». Alors que le chef du gouvernement espagnol Rajoy a actionné l'article 155, emprisonne et poursuit les dirigeants indépendantistes, ordonne à chacun de lui obéir (fonctionnaire, policier, etc.) sous peine d'être licencié ou emprisonné, Le Monde exulte : « place à la démocratie » ! Alors que les élections de 2015 et le référendum du 1er octobre sont déclarées comme nulles et non avenues, les élections convoquées par Rajoy le 21 décembre pour légitimer son coup d'état sont célébrées. De quoi nous faire réfléchir sur la conception de la démocratie promue par les grands médias de notre bourgeoisie !
Dans cet article, nous proposons de revenir sur les événements de ces dernières semaines, très riches en enseignements, pour en tirer des conclusions sur les tâches des révolutionnaires.
La marche vers l'indépendance
La Catalogne a longtemps été dirigée par la Convergence démocratique de Catalogne1, parti de centre droit autonomiste dont le leader a été Jordi Pujol dans les années 1980 et 1990. Ce parti rebaptisé PDeCAT (parti démocrate européen catalan) est aujourd'hui indépendantiste. Mais il s'est « radicalisé » sous la pression du mouvement citoyen qui s'est développé depuis quelques années. C'est le rejet par le tribunal constitutionnel en 2010 du statut d'autonomie de 2006 qui a donné un coup de fouet à la mobilisation indépendantiste. Le 10 juillet 2010, environ un million de personnes ont manifesté à Barcelone sous le slogan « nous sommes une nation, nous décidons ». Le 11 septembre 2012, une gigantesque manifestation se déroula à Barcelone, rassemblant 1,5 million de personnes selon la police catalane. Le 11 septembre 2013, une chaîne humaine de 400 km a été constituée. Ce mouvement populaire a été portée principalement par deux associations : l'Assemblée nationale catalane (ANC) et l'Omnium Cultural, qui regroupent aujourd'hui plus de 100 000 membres.
Le 9 novembre 2014, la Généralité de Catalogne (présidé par Artur Mas) a organisé une consultation : la participation a été d'environ 40% (2,3 millions de votants) et 80,7% se sont prononcés pour la création d'un État indépendant.
Le 27 septembre 2015, les élections au parlement de Catalogne portent une majorité indépendantiste au pouvoir. La coalition « Ensemble pour le oui » (Junts pel Sí) constituée par le PdeCAT et l'ERC (centre gauche indépendantiste) réunit 40% des vois alors que la CUP (gauche anticapitaliste et indépendantiste, cf. ci-dessous) réunit 8% des voix. De façon explicite, l'ensemble de ces partis se sont engagés à défendre l'indépendance et à organiser un référendum. Le gouvernement central de Madrid s'y opposera avec constance, s'appuyant sur la constitution postfranquiste de 1978 qui nie tout droit à l'autodétermination des peuples.
La CUP : l'émergence d'une gauche anticapitaliste et indépendantiste ayant désormais une influence de masse
La CUP (candidatures d’unité populaire) est un regroupement indépendantiste et anticapitaliste fondé en 1986 qui a véritablement émergé lors des élections de 2012 à l’occasion des élections locales en Catalogne. Elle a obtenu 3,47 % et 3 sièges de députés au parlement régional.
La CUP se revendique2 « municipaliste » et « assembléiste ». Il s’agit de recouvrer la souveraineté populaire, en premier lieu au niveau municipal, et sur la base de la démocratie directe d’assemblée. On peut y voir sur ce point une proximité théorique avec le « municipalisme libertaire »3 de Bookchin ou le « confédéralisme démocratique »4 théorisé et pratiqué par les Kurdes du PKK/PYD.
La CUP veut rompre avec le capitalisme, construire le socialisme, défend la planification de l’économie et la nationalisation des secteurs clé de l’économie. Une Catalogne indépendante devrait rompre selon eux avec l’UE et l’OTAN5. Ils expliquent lucidement : « Le problème est que la bataille pour détruire l’UE réellement existante est actuellement gagnée par l’extrême droite qui interprète mieux que la gauche les sentiments des travailleurs sur cette question. ‘Mieux’ d’une façon très populiste mais ils mettent ce débat fondamental sur la table alors que la gauche se révèle incapable de le faire en Europe »6. Ils tirent également les leçons de l’expérience grecque. Le positionnement de la CUP confirme que quand une organisation anticapitaliste se pose concrètement la question du pouvoir, elle ne peut esquiver la nécessité d’intégrer la rupture avec l’UE à son programme. Soulignons en outre que l'attitude actuelle de l'UE contribue à dissiper les illusions que certains indépendantistes pouvaient avoir.
A la fois anticapitaliste et indépendantiste, la CUP cherche à articuler ces deux niveaux en prônant à la fois une « mobilisation transversale » en faveur du processus d’indépendance et, en même temps, la lutte de classes au sein même du processus indépendantiste. Pour la CUP, l'indépendance est avant tout considérée comme un moyen pour construire une société socialiste. Un militant de la CUP explique ainsi : « L’indépendance est un moyen pour la majorité de la CUP (…) ce qui nous uni, c’est l’idée que l’indépendance est un stade indispensable pour aboutir au socialisme et au féminisme. Car nous ne voyons pas de possibilité d’atteindre ces objectifs au sein de cet État espagnol, eu égard au rapport de force et de la façon dont cet État s’est constitué au cours de l’histoire »7.
Aux élections catalanes de novembre 2015, convoquées par le président de la Généralité Artur Mas afin d’obtenir un plébiscite en faveur de l’indépendance, la CUP a progressé et a obtenu 10 sièges de députés, avec plus de 8% des voix. La coalition indépendantiste « Ensemble pour le oui » (Junts pel Sí) ayant obtenu 62 sièges sur 135, aucun gouvernement indépendantiste ne pouvait voir le jour sans la tolérance de la CUP. La CUP a alors profité de sa position charnière au parlement pour obtenir des concessions des indépendantistes bourgeois8. A chaque fois, des débats intenses ont lieu à l’intérieur de la CUP pour affiner la tactique à adopter. Dans un premier temps, la CUP a empêché l’investiture d’Artur Mas. La coalition « Ensemble pour le oui » a alors proposé un « plan de choc » de 20 mesures sociales pour tenir compte des exigences de la CUP. Les militants de la CUP se sont réunis le 27 décembre 2015 pour se prononcer sur le contenu de l’accord : 1 515 se sont prononcés pour… et 1 515 contre. Finalement, le conseil politique de la CUP a rejeté (36 voix contre 30) l’accord et a donc refusé à nouveau l’investiture à Artur Mas. Celui-ci se retira et la CUP a permis l’investiture de Carles Puigdemont, le maire de Gerone. Mais la suite n’a pas été un long fleuve tranquille. En juin 2016, la CUP vote contre le projet de budget, ce qui entraîne la rupture du pacte. Mais la réconciliation s’opère autour du projet de référendum. Un projet de budget est voté en mars 2017 grâce à l’abstention de la CUP, et un amendement prévoit notamment une ligne budgétaire pour « garantir les ressources nécessaires à l'organisation et la gestion, afin de faire face au processus référendaire sur l'avenir politique de la Catalogne ».
La CUP est traitée avec mépris par une partie de l’extrême-gauche française. Puisqu’ils sont « indépendantistes », ils ne peuvent pas vraiment être anticapitalistes, ni même des défenseurs de la classe ouvrière. Ce serait en fait des petits bourgeois exaltés qui dévient les masses laborieuses du chemin de la lutte des classes. Dans la mauvaise foi, LO fait particulièrement fort en affirmant que la CUP est un « conglomérat » dont « le plus petit commun dénominateur, et donc leur seul drapeau commun, était la Catalogne indépendante »9. Quand on ne veut rien comprendre, on ne comprend rien et on reste enfermé dans ses dogmes en attendant que le communisme tombe du ciel.
L'indépendantisme catalan : un nationalisme réactionnaire ? Un projet de la bourgeoisie ?
Dans les médias français, on nous répète en boucle que le nationalisme catalan est un nationalisme de riches, à l'instar du nationalisme flamand ou lombard. Les motivations des indépendantistes seraient limpides : ils sont égoïstes et ils ne voudraient pas payer pour les régions pauvres d'Espagne. Il est cocasse de noter que nos chers éditorialistes qui stigmatisent l'égoïsme catalan et célèbrent les vertus de la solidarité entre pauvres et riches en Espagne... sont les mêmes que ceux qui célèbrent Macron et sa politique en faveur des riches ! Que d'hypocrisie...
Il est vrai que la Catalogne a un PIB par habitant supérieur à la moyenne nationale (28 600 € contre 24 000 €). Mais le différentiel n'est pas si grand, et il faut souligner que Madrid, le Pays Basque et la Navarre ont un PIB/hab supérieur à celui de la Catalogne. Mais surtout, il faut être particulièrement malhonnête pour assimiler le nationalisme catalan au nationalisme flamand ou lombard. Ces derniers sont portés par des forces de droite et d'extrême droite réactionnaires et xénophobes (le NVA en Belgique10 et la Ligue du nord en Italie11). En revanche, en Catalogne, ce sont les forces indépendantistes et Podemos qui ont organisé la plus importante manifestation en soutien aux migrants en Europe : le 18 février 2017, entre 160 000 et 500 000 ont déferlé à Barcelone en faveur de l'accueil des réfugiés.
En outre, les indépendantistes catalans veulent rompre avec la monarchie et le régime postfranquiste de 1978 pour instaurer une république où les droits sociaux auraient une plus grande place. Les deux grands mouvements indépendantistes (Assemblée nationale catalane et Omnium) mettent en avant des revendications sociales. Et c'est sous leur pression (ainsi que celle de la CUP) que le gouvernement catalan a mis en œuvre certaines mesures sociales, en décalage avec la politique du gouvernement central de Madrid. Et c’est aussi sous leur pression que le PDeCAT a mis en sourdine ses positions les plus droitières.
La revendication d'indépendance n'est pas portée par la grande bourgeoisie catalane. C'est d'ailleurs pourquoi le PdeCAT, lié aux milieux patronaux, a repris le mot d'ordre d'indépendance à contre-coeur, sous la pression des masses. Comme l'a reconnu Artus Mas devant un collège d'économistes bourgeois avant la consultation du 9 novembre 2014 : « Les élites du pays ne doivent prétendre changer le cours de l’histoire, mais elles doivent canaliser ce mouvement de base. Il ne s’agit pas de freiner ou d’arrêter, mais de faire en sorte que son résultat soit bon »12. Autrement dit, il vaut mieux prendre le train de l'indépendance en route pour mieux le canaliser et éviter qu'il déraille vers une trop grande radicalité qui menacerait les intérêts patronaux. En effet, le vrai projet du PdeCAT n'est pas celui de l'indépendance : il vise à utiliser le mouvement de masse pour négocier avec Madrid une autonomie accrue de la Catalogne.
Suites du référendum du 1er octobre : la mobilisation populaire et l'intransigeance de Rajoy ont contraint Pugdemont à déclarer l'indépendance
Rajoy a cherché par tous les moyens à empêcher la tenue du référendum du 1er octobre. En septembre, il a procédé à plusieurs arrestations qui ont mis le feu aux poudres. Le 11 septembre, environ 1 million de personnes ont manifesté à Barcelone contre la répression et pour la tenue du référendum. Rajoy a échoué à empêcher le référendum en raison de la formidable mobilisation de la population. Les Comités de défense du référendum (CDR, clin d’œil aux comités de défense de la révolution cubaine13), où les militants de la CUP jouent un rôle important, ont mobilisé des milliers de Catalans pour empêcher au maximum la police d'empêcher la tenue du vote. Malgré les violences policières, 2,3 millions bulletins de vote ont pu être dépouillés, soit une participation officielle de 42%. Le score pour l'indépendance est sans appel : 90%. On estime à environ 700 000 le nombre de gens qui n'ont pas pu voter (soit parce que leurs bureaux de vote ont été fermés par la police, soit parce que la police a saisi les urnes). On peut donc estimer la participation potentielle à environ 55%, ce qui donne une forte légitimité au référendum.
La défaite était cinglante pour Rajoy. Le 3 octobre, une grève générale a été appelée initialement par l'union nationaliste (IAC) et par la CGT (anarcho-syndicaliste) contre la répression, pour les droits démocratiques et pour l'abrogation des réformes du travail. Les grandes centrales syndicales (CCOO et UGT) ont pris le train en marche et ont organisé avec les employeurs des arrêts de travail concertés pour limiter la portée subversive de la grève. Il n'en demeure pas moins que les travailleurs catalans se sont massivement mobilisés, avec 700 000 manifestants à Barcelone (selon la police municipale). On notera notamment une forte implication des paysans (qui étaient venus avec leur tracteur à Barcelone pour gêner les mouvements de la police) et des dockers. Mais Puigdemont, tétanisé par les résultats du référendum, a temporisé, laissant la main aux anti-indépendantistes. Le 8 octobre, environ 350 000 manifestants (selon la police municipale) venus de toute l'Espagne défilaient à Barcelone contre l'indépendance. Les annonces de déménagement des sièges sociaux des entreprises se multipliaient. Le 10 octobre, Puigdemont suspendait la déclaration d'indépendance, suscitant une immense déception dans la population. Immédiatement, Arran, la branche jeunesse de la CUP, dénonça une « trahison inadmissible » alors que la branche adultes était moins virulente. Rajoy profita des hésitations de Pugdemont pour accentuer la pression et le somma de dire clairement qu'il renonçait à l'indépendance. Il fit arrêter les dirigeants de l'ANC et d'Omnium, ce qui remobilisa le camp indépendantiste. Le 21 octobre, 450 000 personnes manifestaient à Barcelone (toujours selon la police municipale) pour la libération des deux « Jordi » (Jordi Sánchez président de l’ANC et Jordi Cuixart président d’Omnium). Mais Puigdemont n'était toujours pas prêt à déclarer l'indépendance. Rajoy a indiqué clairement qu'il allait enclencher l'article 155 pour mettre la Catalogne sous tutelle et pour démettre l'exécutif catalan. Puigdemont était prêt à ne pas déclarer l'indépendance et à convoquer de nouvelles élections en échange d'un renoncement de Rajoy à enclencher l'article 155. Mais Rajoy ne lui a fait aucune ouverture. Jusqu'au bout, les secteurs du gouvernement catalan les plus liés au patronat, notamment son ministre des entreprises (Santi Vila Vicente) ont fait pression sur Puigdemont pour qu’il renonce.
Contraint et forcé, sous peine de passer pour un traître complet, Puigdemont s'est donc résigné à faire voter la déclaration d'indépendance par le parlement catalan le 27 octobre (par 70 voix pour, 10 contre, 2 abstentions, la plus part des élus anti-indépendantistes ayant quitté le parlement), ce qui a entraîné la démission quelques heures auparavant de son ministre des entreprises. Le parlement a également voté une loi de transition juridique, invitant le gouvernement régional à agir vite pour intégrer les fonctionnaires de l’État central au service public catalan, pour créer une banque centrale catalane, une banque publique d'investissement, et pour lancer le processus constituant. Mais Pugdemont n'avait pas envisagé une seule seconde de traduire l'indépendance dans des actes concrets. Le samedi 28 octobre, il s'est contenté d'une courte allocution sans donner la moindre perspective concrète, appelant à une «opposition démocratique » à l'article 155 et au « calme ». La résolution votée par le parlement n'a même pas été publiée...
Pendant ce temps, le camp unioniste préparait la manifestation du 29 octobre : environ 300 000 personnes ont défilé à Barcelone (des « socialistes » aux néo-nazis) pour exiger l'arrestation de Puigdemont.
L'article 155 a donc été activé : la Catalogne est dirigé depuis le 27 octobre par Madrid, plus précisément par Soraya Sáenz de Santamaría, numéro deux du gouvernement espagnol. Des poursuites sont engagées contre les chefs indépendantistes destitués. Environ 150 fonctionnaires haut placés, directeurs des administrations et des services publics, sont ou vont être remplacés (notamment la direction des chaînes de télévision). Les fonctionnaires catalans sont sommés d'obéir à Madrid sous peine d'être licenciés et poursuivis. C'est dans ce contexte d'état d’exception et de putsch que Rajoy a convoqué des élections le 21 décembre prochain, espérant obtenir une validation démocratique de son putsch. Au lieu d'organiser la résistance, la première décision des deux principaux partis indépendantistes a été d'accepter (lundi 30 octobre) de participer à ces élections... et donc de reconnaître que le cadre légal restait celui de la monarchie !
Ni Rajoy, ni indépendance : la faillite politique du réformisme et d'une certaine extrême gauche
La direction de Podemos et « Catalogne en commun » (mouvement de la maire de Barcelone Ada Colau) ont cherché à incarner une troisième voie entre les indépendantistes et Rajoy. Ils ont condamné Rajoy pour son refus d’un référendum d’auto-détermination, puis pour sa politique répressive. Mais ils ont aussi condamné les indépendantistes pour leur volonté de passer outre le refus de Rajoy et de maintenir leur référendum à tout prix. Face au refus de Madrid, le référendum ne pouvait avoir selon eux qu’une valeur symbolique, mais ne pouvait en aucun cas justifier une déclaration d’indépendance. Concernant le référendum, le dirigeant de Podemos Pablo Iglesias s’est prononcé clairement pour le NON alors qu’Ada Colau a voté blanc. Ils ont refusé de reconnaître la république catalane, estimant que seul un référendum légal (c’est-à-dire autorisé par Madrid) ne pouvait être légitime. Ada Colau s’est exprimée sur twitter sur le thème « pas en mon nom ; ni le 155, ni l’indépendance unilatérale ». Mais la dénonciation de l'article 155 reste purement verbale : ils n'ont pris aucune initiative pour mobiliser les travailleurs d'Espagne contre le putsch conduit par Rajoy. Iglesias et Colau ont en outre salué l'organisation de nouvelles élections en Catalogne le 21 décembre ! Du côté des directions syndicales (CCOO et UGT), c'est le même positionnement : aucune initiative n'est prise pour mobiliser les travailleurs... et elles demandent aux fonctionnaires catalans d'obéir aux nouvelles autorités putschistes !
Leur positionnement « consensuel » exprime en fait leur lâcheté politique, car elle revient, derrière de belles phrases, à subordonner le droit à l’auto-détermination au bon vouloir du gouvernement central espagnol. Elle revient à dire que les Catalans doivent convaincre une majorité d’espagnols de leur laisser le droit de s’auto-déterminer. En attendant, ils doivent prendre leur mal en patience, et attendre des jours meilleurs.
Au sein de Podemos, le dirigeant de Podem (déclinaison de Podemos en Catalogne) a reconnu l’indépendance de la Catalogne et envisage une alliance avec les indépendantistes lors des élections. La réaction d’Iglesias ne s’est pas fait attendre : il l’a invité à dégager et à rejoindre les mouvements indépendantistes14. Le courant de gauche de Podemos, Anticapitalistas (section de la Ivème International, secrétariat unifié), a reconnu la légitimité du référendum du 1er octobre et a salué l’avènement de la république catalane15. Néanmoins, on observera que l’élue emblématique d’Anticapitalistas (Teresa Rodriguez) s’est démarquée clairement de son courant et a refusé de reconnaître la république catalane16, s’alignant sur la direction de Podemos. Et depuis que Iglesias s’est fâché contre eux, Anticapitalistas a mis de l’eau dans son vin, en précisant qu’ils soutenaient le droit à l’autodétermination mais que ce n’était pas eux de reconnaître la république catalane17.
En France, Mélenchon est exactement sur la même position que Podemos. Le jour de la déclaration d’indépendance, il faisait une tête d’enterrement. Il montrait ainsi qu’il était avant tout un politicien soucieux du maintien de l’ordre et des grands équilibres. Pas question de s’enthousiasmer pour un processus déstabilisateur qui pourrait faire tache d’huile ! Non, les Catalans doivent respecter la constitution postfranquiste de 1978. Et tant pis si celle-ci ne prévoit pas leur droit à l’autodétermination…
Une certaine extrême gauche est aussi sur une position « ni/ni ». LO renvoie dos à dos les deux nationalismes (catalan et espagnol) et affirme que les travailleurs ne sont pas concernés par cette querelle entre secteurs de la bourgeoisie18. Avant le référendum, LO expliquait que les travailleurs sortiraient perdants quoi qu'il arrive19, ignorant les dynamiques rendues possibles par l'auto-organisation dans les quartiers. Dans un long article écrit juste avant la déclaration d'indépendance du 27 octobre20, LO nous fait croire que le moteur de l'indépendantisme est l'égoïsme fiscal. Elle affirme que le « Cecot, une organisation patronale à la pointe du combat pour l’indépendance ». Pourtant, l'ensemble des organisations patronales (CECOT compris) a fait pression jusqu'au bout sur Puigdemont pour qu'il ne déclare pas l'indépendance21. Mais cela n'empêche pas LO de dire que les grandes mobilisations indépendantistes se font « derrière le patronat catalan » ! Pour LO, « les révolutionnaires devraient au contraire expliquer que le sort des travailleurs ne s’améliorera pas dans un pays indépendant, même devenu république » et doit « dire ce qu’est ce mouvement indépendantiste : une façon de détourner les colères populaires vers une voie de garage ».
La Fraction l'Etincelle (courant du NPA) est aussi sur cette position de « ni/ni » même si de façon moins caricaturale. Elle stigmatise et méprise la mobilisation populaire et le sentiment national, pointant du doigt « l’agitation d’un petit drapeau catalan qui isole, ou les laisse dans un face à face triste avec leurs patrons catalans »22. Pour la Fraction comme pour LO, il faut en revenir aux canons de la lutte des classes et tout ce qui s'en démarque est une diversion de laquelle les travailleurs doivent se détourner.
Dans le même sens, Démocratie révolutionnaire (courant du NPA)23 nous explique également que le projet indépendantiste est porté par le patronat pour s’en mettre plein les poches, et que c’est donc une diversion. Néanmoins, DR ne nie pas le potentiel de la « crise catalane » mais elle ne comprend pas que c’est en articulant le combat indépendantiste et le combat socialiste (et non en dénigrant les aspirations nationales) que les forces révolutionnaires pourront conquérir l’hégémonie dans le mouvement de masse. Il ne suffit pas de répéter abstraitement qu’on est pour « le droit à l’auto-détermination ». Quand le peuple s’est mobilisé et prononcé clairement pour la rupture avec Madrid et la mise en place d’une république catalane, le devoir des révolutionnaires est de se faire les défenseurs conséquents de cette aspiration, alors que la bourgeoisie soi-disant indépendantiste est incapable de mener ce combat.
Construire la mobilisation pour la république socialiste catalane !
Les Catalans peuvent constater que la direction indépendantiste bourgeoise est incapable de mener à bien le projet indépendantiste. Pendant un mois, le pusillanime Puigdemont a multiplié les gesticulations pour ne pas à avoir à déclarer l’indépendance. Depuis la déclaration d’indépendance, il n’a pris aucune initiative, si ce n’est courir se réfugier en Belgique avec quelques ministres.. avant que certains d'entre eux ne reviennent à Barcelone. Quant à Puigdemont, il se dit prêt à revenir s'il peut bénéficier d'un « procès équitable » ! Tout ce cinéma vire à la farce et leur comportement ridiculise le combat de tout un peuple. Cette nullité politique est soulignée par Ada Colau (« C’est comme s’ils n’avaient aucun plan »24) ou encore par un député de la CUP (qui jugea que le gouvernement catalan « ne s'était pas préparé à l'indépendance »25). De la même manière, les directions de l’ANC et d’Omnium n’appellent pas non plus à la mobilisation pour combattre le coup institutionnel et pour défendre la nouvelle République. Après les manifestations de vendredi, ils ont appelé à se reposer et reprendre des forces… ! Dans une conférence de presse mardi 31 octobre, le pitoyable Puigdemont a déclaré avoir été « obligé » de déclarer l’indépendance. A genoux devant Rajoy, il s’est engagé à « reconnaître les résultats du scrutin du 21 décembre ». La place de Puigdemont est dans les poubelles de l’histoire !
Les travailleurs ne peuvent compter que sur leurs propres forces pour imposer l’indépendance de la Catalogne et pour mettre en œuvre le processus constituant de la nouvelle république. Les Comités de défense du référendum (CDR) sont un outil précieux pour organiser la résistance. Ce sont grâce à eux que le référendum a pu avoir lieu, à la grande surprise des autorités catalanes. Dans toute la Catalogne, 130 CDR maillent le territoire, avec une implantation importante dans les quartiers populaires. Dans ces cadres, on discute des modalités possibles de la résistance aux autorités putschistes : insoumission fiscale, caisses de solidarité, etc. La responsabilité des révolutionnaires est de construire les CDR et de mettre en avant des objectifs de classe. Il faut chercher à coordonner les CDR pour avancer vers la constitution d’une direction populaire à la lutte. C’est en donnant un contenu de classe à la future république catalane que des travailleurs pas encore convaincus par l’objectif de l’indépendance pourront se greffer au mouvement indépendantiste. Il faut chercher à transformer les CDR en nouvelles structures de représentation, embryons d’un pouvoir alternatif à celui de l’État espagnol. Et il faut chercher à donner un contenu politique à la république catalane que nous cherchons à construire : alors que les patrons n’ont pas hésité à faire du chantage à la délocalisation, il faut poser la question du contrôle des entreprises par les travailleurs eux-mêmes, de la nationalisation des secteurs clé de l’économie, de l’émission d’une nouvelle monnaie sous le contrôle des structures d’auto-organisation. Nous nous battons pour une République catalane ouvrière et socialiste, seule alternative viable à la monarchie postfranquiste. La troisième voie, celle d’une république catalane bourgeoise, a fait faillite avec la désertion de Puigdemont.
Il faut aussi organiser la résistance sur les lieux de travail : les travailleurs de la télévision et de la radio catalanes montrent la voie à suivre en affichant leur refus collectif d’obéir à leur nouvelle direction. Le principal syndicat des enseignants de Catalogne a également affiché sa volonté de résister. Le principal syndicat des fonctionnaires catalans (CASAC) a rejeté l’article 155 mais il refuse pour le moment d’appeler et d’organiser la désobéissance. Il faut aujourd’hui mener un combat dans les syndicats (en Catalogne et en Espagne) pour organiser la résistance à l’application de l’article 155. L’objectif doit être de réunir les conditions d’une grève générale : seuls les travailleurs mobilisés ont la capacité d’infliger une défaite à Rajoy.
Les responsabilités de la CUP sont énormes. Ils doivent cesser tout suivisme à l’égard des forces indépendantistes bourgeoises et mettre toute leurs forces dans la construction des structures de résistance, en y proposant un contenu de classe. La CUP doit aujourd’hui se comporter en direction potentielle du mouvement de masse contre le putsch. La question de la participation aux élections du 21 décembre est une question tactique qui devra être débattue et tranchée le moment venu dans les structures d’auto-organisation.
Gaston Lefranc
1Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Convergence_d%C3%A9mocratique_de_Catalogne
2Cf. http://cup.cat/what-is-the-cup
3Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Municipalisme_libertaire
4Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Conf%C3%A9d%C3%A9ralisme_d%C3%A9mocratique
5Cf. http://progressivespain.com/politifile-candidatura-dunitat-popular-cup-popular-unity-candidacy/ ou http://politica.e-noticies.cat/la-cup-defensa-la-sortida-de-la-unio-europea-i-de-lotan-96796.html
6Cf. http://cup.cat/noticia/struggle-catalan-independence-interview-peoples-unity-list-cup-joint-national-spokesperson
7Cf. https://tendanceclaire.org/breve.php?id=25813
8Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Pacte_entre_Junts_pel_S%C3%AD_et_la_CUP
9Cf. https://mensuel.lutte-ouvriere.org/2017/10/28/bras-de-fer-entre-les-nationalistes-catalans-et-letat-espagnol_97956.html
10Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Nieuw-Vlaamse_Alliantie#Rapports_avec_l.27extr.C3.AAme_droite
11Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Ligue_du_Nord
12Cf. https://tendanceclaire.org/breve.php?id=25396
13Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Comit%C3%A9s_de_d%C3%A9fense_de_la_r%C3%A9volution
14Cf. http://www.publico.es/politica/iglesias-invita-fachin-dejar-podem-seguir-propio-camino.html
15Cf. https://tendanceclaire.org/breve.php?id=25812
16Cf. http://www.lavanguardia.com/politica/20171029/432472029928/sector-anticapitalistas-podemos-reconoce-republica-catalana.html?utm_source=Twitter&utm_medium=Social
17Cf. http://www.publico.es/politica/iglesias-invita-fachin-dejar-podem-seguir-propio-camino.html
18« les intérêts des travailleurs sont étrangers aux deux camps qui s’affrontent » (https://www.lutte-ouvriere.org/breves/catalogne-deux-camps-etrangers-aux-interets-des-travailleurs-96714.html) ; « en aucune façon le monde du travail ne doit se sentir concerné, ni solidaire d’affrontements entre politiciens qui se disputent les postes pour mieux se vendre à telle ou telle fraction de la bourgeoisie, locale, régionale, nationale, voire internationale »(https://journal.lutte-ouvriere.org/2017/09/27/catalogne-lheure-des-affrontements-politiciens_96865.html)
19Cf. https://journal.lutte-ouvriere.org/2017/09/27/catalogne-lheure-des-affrontements-politiciens_96865.html
20Cf. https://mensuel.lutte-ouvriere.org/2017/10/28/bras-de-fer-entre-les-nationalistes-catalans-et-letat-espagnol_97956.html
21Cf. http://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/catalogne-les-banques-et-grands-groupes-craignent-une-declaration-d-independance_1949918.html
22Cf. https://www.convergencesrevolutionnaires.org/Catalogne-De-la-repression-contre-un-referendum-a-la-colere-sociale?navthem=1
23Cf. http://npa-dr.org/index.php/9-article-lettre/121-pour-que-la-crise-catalane-ouvre-la-voie-a-la-classe-ouvriere
24Cf. https://www.mediapart.fr/journal/international/301017/les-independantistes-catalans-pieges-par-les-elections-du-21-decembre?onglet=full
25Cf. https://www.mediapart.fr/journal/international/301017/les-independantistes-catalans-pieges-par-les-elections-du-21-decembre?onglet=full