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Mélenchon: un sauveur pour les travailleurs?
Mélenchon : un représentant de la « gauche radicale » ?
Depuis que la crise a éclaté les capitalistes redoublent de coups contre les travailleurs : plan d’austérité, blocage des salaires, chômage partiel, licenciements, travail forcé pour les Rmistes, chasse aux sans-papiers, etc. Et tout à coup, depuis janvier 2009 environ, un vieux politicien bourgeois, membre du cabinet du maire PS de Massy dès 1978, devenu sénateur du PS dès 1986, soutien enthousiaste de Mitterrand même après le fameux tournant de la rigueur, ex-ministre de Jospin le privatiseur-flexibilisateur, se met à tenir un discours virulent contre les banquiers. Certes, ce tournant avait été préparé par son courant « de gauche » au sein du PS, puis par son combat pour le non au TCE malgré l’oukase de la direction du PS. Cependant, il avait soutenu sans sourciller Royal à la présidentielle de 2007, dont le programme était pleinement capitaliste et n’a jamais renié son passé, notamment sa participation active au gouvernement Jospin. Pourtant, peu à peu, alors que la crise s’aggrave, les médias au service du patronat et de Sarkozy, ont tout à coup intronisé ce vieux politicien bourgeois, habitué des salons dorés de la République, représentant de la « gauche radicale » et le porte-parole des travailleurs en colère. Mais qu’en est-il en réalité ?
Mélenchon aux Échos : « Les investisseurs n’ont aucune raison d’avoir peur de mon programme »
Mélenchon explique que les capitalistes n’ont pas à avoir peur de son programme. Alors, de deux choses l’une : soit cela veut dire que les revendications des travailleurs et les besoins du capital peuvent être conciliés, soit cela signifie que le programme de Mélenchon est prêt à renoncer à la satisfaction de leurs revendications si elles s’avèrent incompatible avec le capitalisme. Et, en effet, il ne répond pas à des revendications essentielles des travailleurs (retour au 37,5 annuités de cotisation pour la retraite, fin du travail précaire dans le privé, interdiction des licenciements, etc). Pourquoi ? Pour ne pas faire « peur aux investisseurs »…
Cependant, Mélenchon défend en tous les cas en paroles de nombreuses mesures favorables aux ouvriers et aux employés (hausse des salaires, blocage des loyers, suppression de la précarité dans la Fonction Publique, taxation importante du capital, etc.). Mais il prétend appliquer ces mesures dans le cadre du capitalisme et des institutions actuelles quelque peu réformées. C’est illusoire ou trompeur : la simple taxation sérieuse du capital et des riches pose le problème de la fuite des capitaux, sur laquelle Mélenchon reste muet. Pourquoi ? S’agirait-il de promesses électorales nullement destinées à être appliquées. De façon particulièrement significative, alors qu’il a été capable de mobiliser des dizaines de milliers de personnes son défilé à la Bastille le 18 mars, c’est-à-dire pour les élections, le Front de Gauche, tout comme les directions syndicales et le PS, ont refusé, lorsque le NPA le lui a proposé, de mobiliser les travailleurs contre le plan d’austérité Sarkozy-Fillon en novembre 2011. Pourquoi ? Parce qu’ils craignent que la mobilisation indépendante des travailleurs contre la politique d’austérité menée aujourd’hui par Sarkozy ne se retourne immédiatement contre celle de son successeur, très probablement Hollande.
Enfin, il y a une contradiction criante entre les paroles et les actes. Partout où le Front de Gauche ou des forces comparables sont ou ont été au pouvoir, ils ont gouverné contre les travailleurs : dès 1982, Mitterrand, modèle de Mélenchon, après quelques mesures sociales, a dû passer très vite au tournant de la rigueur, parce qu’il refusait de rompre avec le capitalisme ; là où Die Linke (La Gauche) a été au pouvoir dans les régions en Allemagne, il a aidé le SPD (parti socialiste) à mener sa politique de casse sociale ; dans les régions, les départements et les mairies en France, le Front de Gauche, qu’il participe ou non aux exécutifs, soutient et vote la politique capitaliste du PS. Et quand le mouvement des masses déferle posant la question de la grève générale, comme en 2010 dans la lutte sur les retraites, le Front de Gauche en appelle au référendum. Cette discordance entre la parole et les actes prépare une terrible désillusion pour les travailleurs et la jeunesse. Afin qu’elle ne se traduise pas par un nouveau dégoût de la politique ou un renforcement de l’extrême droite, il faut dès aujourd’hui, à contre-courant, dire la vérité aux travailleurs sur les tromperies du Front de Gauche. En même temps, il faudra se battre pour mettre en place dès les premières mesures d’austérité du vainqueur des élections des comités pour les combattre, regroupant tous les partis et syndicats qui s’y opposeront, mais surtout largement ouvert aux travailleurs et à la jeunesse.
I) Les limites du programme du Front de Gauche
A) Sur quelques revendications vitales pour les travailleurs
1) Contre le retour au 37,5, Mélenchon se prononce pour les 40 annuités de cotisation !
Les « réformes » des retraites se sont succédées à un rythme accéléré. En 1993, Balladur imposait aux travailleurs du privé 40 ans de cotisation pour avoir une retraite à taux plein et faisait passer la base de calcul des 10 meilleures années au 25 meilleures années, amputant à terme les retraites de 25% à 30%. Le gouvernement de gauche plurielle de 1997 à 2002, PS-PCF-Verts-Radicaux-MRC, dont Mélenchon a été ministre, n’est pas revenu sur cette réforme inique. En 2003, Fillon a imposé le passage à 40 annuités de cotisation pour les fonctionnaires et supprimé les mesures compensant pour les femmes le poids de la maternité. En 2007, c’était au tour des régimes spéciaux. Enfin, en 2010, Sarkozy et Fillon ont fait passer le nombre d’annuités à 42 annuités et ont mis en place un régime de décote particulièrement brutal, qui va faire baisser lourdement les pensions.
Que propose le Front de Gauche sur le sujet ? Dans son programme on lit : « Droit à la retraite à taux plein à 60 ans (75% du salaire de référence) » (Programme populaire et partagé du Front de gauche – PPPFG, p. 3) (2). Formule trompeuse, car elle suggère et est souvent comprise par les travailleurs comme signifiant : retraite à taux plein à 60 ans. Mais non ! « Droit à », cela veut dire : pourront partir en retraite à 60 ans (sans décote) tous ceux qui auront cotisé le nombre d’annuités nécessaires. Quel nombre d’années de cotisations le Front de Gauche défend-il ? Il n’y en a pas trace dans son programme. Mais Mélenchon a avoué le pot aux roses dans un débat télévisé (« Mots croisés », le 06/12/2010) avec son vieil ami Michel Sapin, expert financier du PS[1] : « Est-ce que ce sera pour la retraite à 60 ans, si vous avez le pouvoir, 40 ans ou 42 ans ? Avec moi, c’est 40 ans, vous c’est 42. Et les électeurs tranchent. (…) ». Sapin lui rétorque amusé : « Ah bon, c’est pas 37 annuités et demi ? » N’obtenant pas de réponse, Sapin insiste ironique : « Je croyais que c’était 37 annuités et demi ». Mélenchon finit par lâcher : « Eh bien tu vois tu as mal écouté ».
Plus encore qu’en 2003, en septembre-octobre et novembre 2010, des millions de travailleurs ont défilé et fait grève contre la réforme des retraites de Sarkozy-Fillon, bien souvent sous les mots d’ordre : 37,5 pour tous, public-privé… ! Mélenchon, soi-disant de la gauche radicale, corrige ces irresponsables : ce sera 40 annuités ! Bref, Mélenchon entérine finalement la mesure phare des réformes de Balladur 1993 et de Fillon 2003.
Mais, au fait, pourquoi 40 annuités ? Pourquoi cet homme qui se targue d’être si radical mégote à 2,5 années près ici ? Aurait-il peur des réactions que pourrait déclencher au sein de la « finance internationale » (sic) qu’il dit combattre le retour au 37,5 ?
2) Supprimer très progressivement la précarité dans le public et la laisser subsister dans le privé
Le FdG dit : « Nous titulariserons les 800 000 précaires de la Fonction publique »
C’est évidemment une excellente position, si elle signifie bien la titularisation immédiate et sans condition des 800 000 précaires concernés. Or, premier problème, le programme du FdG n’apporte pas de précisions sur ces points.
Ensuite, ce qui est étonnant, c’est que les collectivités locales gérées par le Front de Gauche sont loin de n’employer aucun précaire : pourtant, si c’est vraiment sa position de fond, qu’est-ce qui l’empêche de la mettre en pratique là où il est déjà au pouvoir (mairies) ? Qu’est-ce qui l’empêche de le proposer là où il fait partie de la majorité avec le PS, comme à la mairie de Paris, qui emploie environ 20 000 précaires ? Qu’est-ce qui l’empêche de refuser de voter le budget PS de la mairie de Paris qui implique ces 20 000 précaires au lieu de fonctionnaires ? Rien, sinon, la volonté politique.
D’ailleurs, Mélenchon a été membre du gouvernement Jospin qui n’a pas fait reculer la précarité dans la Fonction Publique, bien au contraire… : non seulement, il n’a pas titularisé, mais il a crée des emplois précaires nouveaux, les emplois jeunes.
Enfin, dans la pratique, que fait le Front de Gauche pour obtenir cette titularisation ? Dans les syndicats qu’il dirige ou influence, comme la CGT et la FSU, le mot d’ordre pour une titularisation sans condition n’est pas adopté[2]. Et les dirigeants syndicaux font encore moins pour lancer une vaste campagne de mobilisation sur le mot d’ordre de titularisation. Malgré les combats locaux courageux, comme celui des travailleurs de l’ENS, qui prouve que l’on peut faire grève pour la titularisation, les dirigeants nationaux restent inertes. S’ils ont finalement soutenu après trois mois d’attentisme la lutte de l’ENS, ils ont souvent critiqué auprès des travailleurs la revendication de titularisation comme une dangereuse utopie des gauchistes du NPA…
Dans le privé, « limitation drastique des contrats précaires » dit le FdG, c’est-à-dire jusqu’à 10% de CDD et intérimaires dans le PME, 5% ailleurs : autant qu’aujourd’hui !
Derrière le bel emballage de la « limitation drastique des contrats précaires » (petit dépliant de 4 pages au format A5 du Front de Gauche, intitulé « Prenez le pouvoir!», p. 2) se cache un contenu moins alléchant : « Un quota maximal d’intérimaires et de contrats à durée déterminée égal à 5 % des effectifs dans les grandes entreprises et 10 % dans les PME sera instauré sauf dérogation justifiée » (Programme populaire et partagé du Front de gauche – PPPFG - p. 5). C’est clair : dans l’hypothétique VIe République mélenchonienne, il y aurait encore des intérimaires et des CDD. Les intérimaires sont des travailleurs presque sans possibilité de se défendre car, s’ils osent protester contre l’exploitation patronale, leur entreprise d’interim ne leur donne plus de missions. En outre, ils sont virés du jour au lendemain dès que le patron n’en a plus besoin, ce qui arrive souvent en temps de crise… Quant aux CDD, ils sont eux aussi obligés de faire profil bas, s’ils veulent un jour se faire embaucher en CDI. Mais, alors, où est la différence ? Alors que la part des CDD et de l’intérim dans l'emploi privé est de 15% environ aujourd'hui, il serait de près de 10% (car la plupart des salariés travaillent dans des PME) si Mélenchon appliquait son programme. Une limitation pas si « drastique » que cela de la précarité...
En un sens, du point de vue des revendications, cette différence de traitement entre public et privé est illogique. Si la précarité est insupportable dans le public, elle l’est tout autant dans le privé. S’il faut la supprimer dans le public, alors il faut faire de même dans le privé. Mais ce recul devant une mesure élémentaire pour les travailleurs est parfaitement logique du point de vue de Mélenchon, car il ne veut pas rompre avec le capitalisme : or, aujourd’hui la compétition capitaliste mondiale exige qu’il y ait des emplois précaires. Pour ne pas effrayer les investisseurs, Mélenchon choisit donc de sacrifier les précaires. Voilà la réalité du programme du Front de Gauche…
3) Mélenchon veut encadrer les licenciements, non les empêcher, encore moins les interdire
« Nous rétablirons l’autorisation administrative de licenciement. Nous interdirons les licenciements boursiers ainsi que la distribution de dividendes pour les entreprises qui licencient » (PPPFG, p. 5). On le voit, dans l’hypothétique VIe République mélenchonienne, il y aurait encore des licenciements, quoiqu’un peu plus encadrés qu’aujourd’hui.
L’autorisation administrative de licenciement, une épée sans tranchant
L’autorisation administrative de licenciement a existé en France jusqu’en 1986. On sait qu’elle n’a pas empêché des centaines de milliers de licenciements, puisque le chômage est passé en France de 1 million en 1977 à plus de 2 millions en 1986, malgré l’autorisation administrative de licenciement. Pourquoi ? Parce que la crise capitaliste commençait à faire ses effets, parce que la politique keynésienne de l’idole de Mélenchon, Mitterrand, produisait ses « miracles », parce que le tournant de la rigueur inévitable vu qu’ils refusaient rompre avec le capitalisme ne pouvait rester sans conséquences. Prétendre combattre les licenciements provoqués par la crise capitaliste de l’ampleur actuelle avec l’autorisation administrative de licenciement, c’est un peu comme vouloir vider l'eau du Titanic avec un gobelet….
Le tour de passe-passe du prétendu « licenciement boursier »
Mélenchon ne veut pas se prononcer pour l’interdiction pure et simple des licenciements. Mais, comme les travailleurs sont frappés de plein fouet par ce fléau capitaliste, il ne peut pas non plus ne rien dire. Alors il parle d’interdire les « licenciements boursiers ». De quoi s’agit-il ? Mélenchon répond : des licenciements seulement faits pour faire monter le cours de bourse… Mais, d’un côté, la plupart des entreprises en France ne sont pas cotées en bourse ! Et, de l’autre, tout licenciement fait par le patronat, est au bout du compte déterminé par les exigences des actionnaires, qui veulent que leur entreprise produise des profits, verse des dividendes et reste compétitive ; cela doit donc être aussi le cas de leurs filiales, sous-traitants, etc., bref de la plupart des entreprises. Si Mélenchon ne cherchait pas à nous entourlouper, il pourrait, même si ce serait insuffisant, dire par exemple clairement qu’il serait pour interdire aux entreprises qui font du profit de licencier. Mais il ne le dit même pas cela… ! D’ailleurs, le travailleur licencié se moque bien de savoir pour quelle raison exactement il l’a été : ce qu’il veut, c’est garder son travail. Point.
Là encore, son refus de rompre avec le capitalisme le conduit inévitablement à accepter ce qui est inséparable du capitalisme, le droit des patrons à licencier les salariés quand ils ne leur sont plus utiles. Mais c’est justement cela que les travailleurs ne peuvent pas accepter. Là encore, le programme du Front de Gauche est conçu pour ne pas effrayer les investisseurs, pas pour satisfaire les revendications des travailleurs.
4) Et le chômage ?
Il y a aujourd’hui en France plus de 2,8 millions de travailleurs privés d’emploi de catégorie A et près de 5 millions, si on comptabilise aussi ceux qui ont pu travailler au moins quelques heures dans le mois, souvent dans des boulots précaires. Le chômage est le premier problème pour l’ensemble des prolétaires.
Le Front de Gauche déclare : « Nous voulons éradiquer le chômage » (PPPFG, p. 4). C’est une louable intention, partagée en paroles par tout le monde. Pourtant, depuis des années que les politiciens bourgeois promettent à chaque élection qu’avec eux, on va aller vers le plein emploi, on a des raisons d’être méfiants. La question, c’est donc de savoir comment le Front de Gauche compte s’y prendre pour atteindre un tel objectif. Il propose en gros deux axes.
Premièrement, Mélenchon prétend qu’il va relancer l’économie grâce à sa politique keynésienne : selon lui, la hausse des salaires et des minima sociaux provoquerait la hausse de la demande qui, à son tour, entraînerait les entreprises à embauche et à mieux payer leurs salariés. C’est, dans le meilleur des cas, une illusion. En effet, si aujourd’hui les entreprises investissent insuffisamment pour employer tout le monde, c’est que leur taux de profit n’est pas assez élevé. La hausse des salaires ne pourrait que faire baisser davantage leur taux de profit et donc déprimer un peu plus l’activité. En outre, dans le cadre de la concurrence internationale, une telle politique se traduirait par la baisse des exportations et la hausse des importations : elle aurait pour conséquence de conduire un nombre plus grand de patrons français à la faillite[3].
Le second axe consiste en la mise en place d’une Sécurité Sociale Professionnelle (SSP) : « Loin de toute « flexicurité » nous sécuriserons les parcours de chacune et chacun dans l’emploi et la formation avec continuité de revenu tout au long de la vie. Une sécurité sociale professionnelle sera instituée, prenant en charge les périodes de non-emploi, de formation et de retrait d’activité notamment pour les femmes ou les hommes élevant leurs enfants. Ainsi nous empêcherons que la force de travail du pays soit détruite par le chômage de masse » (PPPFG, p. 19). Il ne s’agirait pas, comme le dit le texte à la fin, d’empêcher les salariés de se retrouver au chômage, mais de leur assurer un revenu, qu’ils aient un emploi ou soient au chômage. On peut également supposer, même si le texte ne le précise pas, qu’il s’agirait de faire financer à 100% cette caisse par le patronat. Le Front de Gauche reste flou sur le montant de ce revenu, se bornant à affirmer : « nous voulons réévaluer l'ensemble des salaires et des traitements, des indemnisations du chômage et des retraites et les indexer sur l’évolution du coût de la vie » (PPPFG, p. 4). Sur le papier, c’est alléchant, à condition que le revenu garanti soit suffisant pour vivre décemment. Mais si c’est le cas, cela reviendrait à imposer aux patrons de payer les travailleurs privés d’emploi pour une durée indéterminé au même niveau que la plupart des salariés disposant d’un emploi. Ce serait bien sûr merveilleux… si ce n’était pas irréaliste… sous le capitalisme ! Pour les raisons indiquées plus haut, dans le cadre du capitalisme, un tel dispositif aggraverait la crise au lieu de la résoudre.
Enfin et surtout, on voit que le programme du Front de Gauche, sur cette question du chômage comme sur beaucoup d’autres, est totalement déconnecté des luttes réelles des travailleurs. Un tel projet de SSP revient, au pire, à inviter les salariés à renoncer au combat réel pour défendre leurs emplois contre un plan de licenciements et, au mieux, est insaisissable pour eux.
À cette impasse, nous opposons le combat pour empêcher la fermeture de l’entreprise et toute suppression d’emploi. Nous invitons les travailleurs à ne compter que sur leurs propres forces. C’est par la lutte et la grève qu’ils peuvent faire reculer leur patron. Si nécessaire, il ne faut pas hésiter à aller jusqu’à l’occupation de l’usine et la relance de la production, tout en exigeant l’expropriation sous contrôle des travailleurs. Comme l’État (loi, gouvernement, tribunaux, police,…) va tout faire pour l’empêcher, il faut s’efforcer de créer une grande solidarité des salariés de la région, de se regrouper avec d’autres travailleurs d’entreprises en lutte et d’obtenir le soutien le plus large possible des syndicats. C’est le sens de la proposition du NPA d’une marche nationale, organisé autour des boîtes en lutte, pour stopper les licenciements et poser l’objectif de leur interdiction. Mais cette situation à l’échelle d’une entreprise ou de quelques entreprises ne peut être que provisoire. En effet, soumise à la concurrence, l’entreprise relancée par ses travailleurs risque de les conduire à s’exploiter eux-mêmes, mais aussi à nouveau de couler. Il n’y a pas de solution durable à ce problème dans le cadre du capitalisme. Pour sauvegarder l’emploi et le niveau de vie, il faut une mobilisation de masses des travailleurs balayant les gouvernements qui veulent nous faire payer la crise, instaurant un gouvernement composé à tous les niveaux des salariés (de l’industrie, des hôpitaux, des services, etc.) et exproprier les grands groupes capitalistes ». Comme une telle perspective est totalement étrangère au Front de Gauche, il ne peut rien proposer de sérieux pour véritablement « éradiquer le chômage ».
5) Immigration : Mélenchon veut revenir seulement sur les lois de la droite depuis 2002 et ne se prononce pas clairement pour la régularisation de tous les sans-papiers
Là encore, par delà des mesures indiscutablement progressistes par rapport à la législation actuelle (fermeture des centres de rétention administratif, droit de demander la naturalisation au bout de cinq ans de résidence, par exemple), le programme du Front de Gauche contient deux énormes limites : d’une part, il ne veut abroger que « les lois successives sur l’immigration adoptées par la droite depuis 2002 » (PPPFG, p. 25) et annonce une simple et vague « refonte de CESEDA » (Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile) ; de l’autre, il parle de régulariser « les sans-papiers dont le nombre a augmenté du seul fait des réformes de la droite ». Autrement dit, le Front de Gauche ne veut pas revenir sur les lois Pasqua, Chevènement, etc, qui avaient déjà, bien avant 2002, réduit les travailleurs étrangers à une sous-catégorie, surexploitée, désignée comme responsable de tous les maux et traquée par les flics, que le gouvernement soit de gauche ou de droite. Dans la même logique, le choix de ne pas dire qu’ils régulariseront tous les sans-papiers signifie-t-il que le Front de Gauche ne voudrait en régulariser qu’une partie seulement, par exemple ceux qui le sont devenus en vertu des seules lois adoptées depuis 2002 ? Faut-il comprendre que dans la continuité de ce qu’avait Jospin-Buffet-Mélenchon-Voynet entre 1997 et 2002 il n’y aura pas de régularisation généralisée ?
Si, comme le proclame le Front de Gauche à juste titre, « l’immigration n’est pas un problème » (PPPFG, p. 25, c’est le titre du paragraphe), pourquoi ne pas accorder les mêmes droits aux étrangers qu’aux Français ? Pourquoi se borner, comme le PS, à la revendication du « droit de vote aux élections locales » ? (PPPFG, p. 28) Pourquoi ne pas accorder à tous le droit de vote à toutes les élections ? Pourquoi une partie de la population vivant en France devrait-elle subir les lois sans avoir voix au chapitre quand il s’agit de les décider ? N’est-ce pas une atteinte élémentaire à la démocratie ?
En fait, si nous sommes des militants conséquent du mouvement ouvrier, nous devons simplement défendre que soit appliqué au niveau de l’État la pratique normale du mouvement ouvrier : pour qu’un travailleur puisse devenir membre d’un syndicat ou d’un parti ouvrier dans le pays où il réside, on ne lui pose aucune condition de nationalité ou de durée de résidence. Pourquoi faudrait-il en poser au niveau de l'État ? La logique du mouvement ouvrier révolutionnaire, c’est de rassembler tous les travailleurs, quelle que soit leur nationalité, contre les patrons, quelle que soit la leur. La Commune de Paris, premier gouvernement des travailleurs de l’histoire, avait ainsi parmi ses membres des étrangers, en particulier des Allemands, à l’heure même où une bonne partie du pays était toujours occupé par les armées de Bismarck. Voilà la tradition que nous devons défendre, bien loin des propos germanophobes répétés de Mélenchon.
6) Sortir du nucléaire ou y rester ?
« Nous proposerons un débat public national immédiat sur la politique énergétique en France. Ce grand débat devra permettre la remise à plat des choix énergétiques et du nucléaire et penser l’alternative aux énergies fossiles et carbonée. Il devra être conduit de l’information jusqu’à la prise de décision par les citoyens avec une ratification référendaire. Dans le domaine du nucléaire civil, l’ensemble des possibilités - dont la sortie du nucléaire ou le maintien d’un nucléaire sécurisé et public - sera alors tranché » (PPPFG, p. 15). Bref, le Front de Gauche comme telle n’a aucune position sur cette question d’une grande importance pour les travailleurs.
Le PCF est pour le maintien de la production d’énergie nucléaire. Ses arguments ne sont guère différents de ceux de l’UMP : le nucléaire ne serait pas dangereux, il s’agirait de garantir l’indépendance énergétique de la France, la fin du nucléaire mettrait les travailleurs de la filière au chômage. Ces arguments ne tiennent pas la route. L’énergie nucléaire est très dangereuse, comme vient de le rappeler tragiquement la catastrophe de Fukushima. La production d’énergie nucléaire n’assure pas l’indépendance énergétique de la France, puisqu’elle suppose de l’uranium, extrait dans d’autres pays, comme le Nigéria, au mépris de la santé des travailleurs. Enfin, l’argument sur l’emploi est inepte pour deux raisons. Dans l’immédiat, dans le cadre du capitalisme, qui est manifestement l’horizon du programme du FdG, non seulement le démantèlement des centrales existantes serait source de beaucoup de travail, mais surtout la production d’énergie renouvelables, même dans le cadre du capitalisme, crée proportionnellement beaucoup plus d’emplois (pour le développement de tous ces arguments, cf. l’excellent 8 pages de la commission écologie du NPA sur le sujet, http://www.npa2009.org/sites/default/files/Sortir%20du%20nucléaire-BAT_0.pdf). Dans le cadre d’une économie de transition, où les moyens de production seraient propriété sociale, il n’y aurait pas à se navrer, mais à se réjouir qu’il y ait moins de travail : la réduction du temps de travail nécessaire à la production de la richesse est source de chômage sous le capitalisme, mais elle est source de temps libre et donc de bien-être dans un régime économique de transition et plus encore sous le socialisme et le communisme.
Quant au PG, il est pour la sortie du nucléaire, mais… en 30 ans. On a bien le temps de crever d’ici là alors que des scénarios de sortie existent sur 5 ou 10 ans !
Là encore, le Front de Gauche s’arrête devant les groupes industriels français, ceux qui vivent du nucléaire, à commencer par Areva et EDF. Et on comprend bien sûr que si le Front de Gauche capitule sur une question écologique aussi élémentaire devant la dictature du capital, cela sera encore plus catastrophique sur des questions plus complexes…
7) Le Front de Gauche et l’école : des mesures justes, mais aussi des silences inquiétants…
Le Front de Gauche affirme vouloir construire une « école émancipatrice qui permette l’élévation pour tous du niveau de l'acquisition des savoirs et des qualifications reconnues » et pour cela allonger « le temps scolaire : droit à la scolarité dès 2 ans, scolarité obligatoire de 3 à 18 ans ». Il se prononce pour des « pédagogies différenciées ». Il soutient également vouloir redéfinir « les programmes, et plus globalement l’école, sur le modèle de l’élève qui n’a que l’école pour apprendre ». Pour s’en donner les moyens, il annonce vouloir revenir « sur toutes les mesures qui visent sous couvert d’autonomie à instituer un marché de l’éducation ». Il annonce vouloir « agir concrètement » (mais sans préciser comment) « pour que la production de connaissances et la formation soient libérées de la logique du marché et de la rentabilité financière et permettent l'établissement d'une culture scolaire commune pour tous par l’appropriation de savoirs ambitieux ». Il explique également avoir pour projet de rétablir tous les postes supprimés dans le cadre du statut, de recruter des conseillères d’orientation – psychologues en nombre suffisant, de rétablir les RASED (réseau d’aide spécialisée pour les élèves en difficultés), donner plus de moyen aux établissements les plus en difficultés, défendre le cadre national des diplômes et leur reconnaissance dans les conventions collectives. Toutes ces mesures sont justes.
Cependant, alors que sur la plupart des sujets (comme l’immigration, la sécurité, etc) et encore à propos de l’enseignement supérieur (où il annonce l’abrogation de la LRU), le Front de Gauche explique vouloir abroger les principales mesures prises par la droite depuis 2002, on ne trouve rien de tel à propos du premier et du second degré.
En particulier, le Front de Gauche abrogerait-il la suppression de la formation des enseignants et l’année de stage à temps complet pour les enseignants du secondaire ? La réforme du lycée générale et technologique ? Celle du lycée et du bac professionnel ? Supprimerait-il le Livret Personnel de Compétences qui sert à un véritable traçage de l’élève sur support informatique et la politique de fichage qui va de pair ? Rétablirait-il l’enseignement d’histoire en Terminale S, supprimé par Châtel ? Combien d’élèves y aurait-il par classes ? Y aurait-il un collège et un lycée unique ou toujours des filières qui reflètent et préparent la division sociale du travail et la division de la société en classes ? Sur tous ces points pourtant essentiels, le programme du Front de Gauche reste muet…
B) Par delà quelques phrases démocratiques et pacifistes, Mélenchon défend « l’intérêt national », l’impérialisme français, les marchands de canons et la police républicaine
1) Mélenchon pour l’intervention impérialiste en Libye au nom de la coïncidence entre l’intérêt « de son pays » et de la révolution !
Le programme du FdG comporte bien quelques phrases pour laisser croire qu’il mènerait, s’il pouvait arriver au pouvoir, une politique en rupture avec celle des gouvernements de gauche et de droite : « Nous mettrons un terme à une politique étrangère de la France basée sur les relations néo-coloniales et la Françafrique (…) La France rompra avec cet alignement libéral et atlantiste, avec la politique de force et d'intervention militaire, avec les logiques de puissance, pour agir en faveur de la paix, du règlement des conflits, du rétablissement du droit international ». Soit. Mais qu’en est-il en pratique ?
Mélenchon a approuvé l’intervention impérialiste contre la Libye. Il a voté, comme l’ensemble de son groupe, où l’on retrouve les députés de Die Linke, la résolution présentée au Parlement européen par les partis socialistes, les Verts et une partie de la droite en faveur d’une telle intervention. Dans une interview donnée à Libération et publiée en espagnol sur son blog (en date du 24/03/2011), il s’en explique en ces termes : « Si le Front de Gauche gouvernait le pays, aurait-il regardé les bras croisés la révolution libyenne mourir comme nos prédécesseurs avec les révolutionnaires espagnols ? Non. Serions-nous intervenus directement nous-mêmes ? Non plus. Nous aurions demandé un mandat à l’ONU. C’est exactement ce qui vient de se passer. Je peux soutenir une démarche quand l’intérêt de mon pays coïncide avec celui de la révolution » (http://www.jean-luc-melenchon.fr/2011/03/page/2/). On le voit, Mélenchon donne un satisfecit plein et entier à Sarkozy sur la Libye. Comment s’en justifie-t-il ? Selon lui, l’intervention aurait eu pour fonction de défendre le soulèvement révolutionnaire contre la dictature de Kadhafi. Mais est-ce le cas ? Depuis quand les Sarkozy, Merkel, Obama et consorts agissent-ils pour faire triompher les révolutions contre les dictatures ? Voilà une bien curieuse idée ! Mélenchon explique également qu’il aurait pris une position différente, si la Chine ou la Russie avait mis leur veto lors du vote à l’ONU : on est heureux d’apprendre que Mélenchon trouve sa boussole révolutionnaire en Poutine et Hu Jintao. Enfin, on est assez sidéré de lire que l’intérêt de la France pourrait coïncider aujourd’hui avec l’intérêt d’une quelconque révolution véritablement populaire. Car, qu’est-ce que la France aujourd’hui, sinon la cinquième puissance impérialiste mondiale ? Le gouvernement français ne peut intervenir qu’au service des intérêts des patrons français (Total, Bouygues, etc), en particulier dans son arrière-cour qu’est l’Afrique. Les révolutionnaires n’ont pas les mêmes intérêts que « la France », ce qui signifie concrètement les capitalistes français, mais les mêmes intérêts que ceux des peuples luttant contre la domination néocoloniale française. Et, comme nous l’avons longuement expliqué dans un article spécialement consacré à cette question (http://tendanceclaire.npa.free.fr/article.php?id=289), l’objectif de l’intervention était tout au contraire pour les impérialistes d’essayer de redorer leur image auprès des peuples du monde arabe en se présentant comme des défenseurs de la démocratie alors qu’ils soutiennent les dictateurs, de mettre un coup d’arrêt au processus révolutionnaire dans le monde arabe et de recoloniser intégralement le pays, pourtant déjà largement ouvert par Kadhafi.
Mais, bon, il ne s’agissait peut-être qu’une petite bévue, une erreur d’appréciation ponctuelle, comme tout le monde peut en faire. Regardons les prises de positions de Mélenchon sur d’autres sujets comparables pour avoir les moyens de savoir s’il s’agit d’une simple erreur isolée ou d’une orientation de capitulation devant son propre impérialisme, l’impérialisme français.
2) Mélenchon se réjouit des succès commerciaux de son ami le marchand de canon Dassault et vante la France et son armée pacifique
Interrogé sur France Inter (le 01/02/2012, 8h20), Mélenchon a fait des déclarations assez étranges pour l’homme de « gauche radicale » qu'on nous présente. Extraits :
Le journaliste : « Dassault qui (…) parviendrait à exporter son rafale en Inde, c’est une bonne nouvelle ? »
Mélenchon : « Evidemment que c’est une bonne nouvelle parce que le Rafale est un avion tout à fait extraordinaire, puisque vingt ans après il est en avance technique sur tous les autres. C’est bien pour la France d’être capable de produire toute seule un avion de cette nature ».
Si les armes sont vendues par des marchands de canons français, alors, selon Mélenchon, il faut s’en réjouir. Les travailleurs et les patrons français auraient-ils les mêmes intérêts ? Mais le candidat du Front de Gauche ne s’arrête pas en si bon chemin.
Poussé dans ses retranchements par le journaliste qui lui demande si « donc on peut à la fois se battre pour le désarmement et applaudir à la vente d’avions de chasse ? », Mélenchon réplique : « Ah oui, absolument, on peut le faire, en considérant que le désarmement est un travail qui se planifie (…) Ceux qui devront d’abord désarmer, c’est les autres, pour la raison que les Américains, les Russes sont infiniment plus armés que nous et ils sont plus menaçants et plus dangereux ; nous les Français nous ne menaçons personne et n’agressons personne». Les peuples de l’ensemble des pays d’Afrique où l’armée française possède des bases et fait la police selon les intérêts des entreprises françaises, soutenant ou débarquant les dictateurs au gré de leur docilité vis-à-vis du gouvernement français seront sans ravis de l’apprendre ! Du rôle de l’État français dans le génocide rwandais, à l’époque où Mitterrand, l’idole de Mélenchon était président de la République, au renversement sanglant du dictateur Gbagbo, devenu insuffisamment docile aux yeux de Sarkozy, remplacé par le non moins sanglant mais plus docile Ouattara, en passant par l’occupation de l’Afghanistan[4], la réalité est assez différente de celle que dépeint Mélenchon. Pour défendre les intérêts des peuples opprimés, il faut s’opposer aux patrons français et à leur État. Mais visiblement Mélenchon est de l’autre bord, celui des gentils patrons français, de la gentille armée français, bref du gentil impérialisme français… Tout un programme, franchement pas révolutionnaire !
3) Mélenchon et la police : abroger les lois sécuritaires seulement depuis 2002, mais renforcer les effectifs de la police
Le Front de Gauche propose un certain nombre de mesures correctes : « Nous abrogerons la loi Loppsi 2 et les lois sécuritaires attentatoires à nos libertés (…) Les dispositifs de lois anti-jeunes et criminalisant les familles en difficulté seront abrogés. Une loi contre la corruption et les conflits d’intérêt sera adoptée pour sanctionner la « délinquance en col blanc ». En revanche, il ne mettra pas un terme au fichage de la population ni à la vidéo-surveillance qui sont une atteinte sans précédent aux libertés, indiquant qu’il se bornera à les réguler.
Plus étonnant encore, il dénonce Sarkozy pour avoir fait baisser les effectifs de la police et annonce leur hausse : « Nous devrons impérativement stopper la baisse des effectifs de la police et recruter » (p. 26). Certes, conscients de l’émotion que suscitent la violence de la police contre les jeunes, contre les travailleurs, contre les étrangers, le Front de Gauche précise : « Les forces de police devront conduire leur action dans le cadre d’une déontologie fondée sur le respect des personnes, elles bénéficieront d’une formation en ce sens et de meilleures conditions de travail ».
Mais les nombreuses « bavures » policières ne sont pas des déviations malheureuses que l’on pourrait guérir avec de la potion « éthique ». Et il serait bien naïf de compter sur une police des polices réformée pour arranger les choses. Car ces « bavures » sont en fait la traduction pratique inévitable de la fonction de la police dans la société capitaliste, fonction qui n’est nullement remise en cause par Mélenchon et consorts : faire appliquer les lois, dont le but essentiel est de protéger les capitalistes et leurs profits.
La police, parce qu’elle est le bras armée de l’État capitaliste, ne peut donc pas protéger les travailleurs ni les jeunes, mais au contraire les réprimer dès qu’ils menacent, sous une forme ou sous une autres, les intérêts des capitalistes. On envoie les flics aux travailleurs en grève pour essayer de les intimider, pour aider le patron à faire plier les travailleurs. Cela a été fait tout récemment en les envoyant aux raffineries pendant la lutte contre la réforme des retraites en 2010, mais aussi aux marins de la SNCM en 2005, aux lycéens et aux étudiants pendant le CPE en 2006, aux travailleurs en lutte contre les licenciements en 2009 et dans tous les conflits où les travailleurs et les jeunes luttent suffisamment fort pour ébranler les plans du patronat et de son État. De même, la police sert à intimider, à montrer du doigt et à réprimer la jeunesse des banlieues, déjà frappée par le chômage et la discrimination, pour essayer de dresser les travailleurs contre cette jeunesse, alors qu’ils sont victimes les uns comme les autres de la barbarie capitaliste, en le détournant leur regard de leurs vrais ennemis, les patrons et leurs valets.
II) De belles promesses, mais pas les moyens de les appliquer, car le Front de Gauche prétend les réaliser dans le cadre du capitalisme et des institutions actuelles, au lieu de s’appuyer sur la lutte des classes pour rompre ce carcan
1) Comment Mélenchon peut-il réaliser ses belles promesses s’il ne veut pas annuler la dette ?
Au delà des nombreuses limites, son programme contient d’ailleurs plein de belles promesses : un SMIC à 1700 euros brut, puis 1700 euros net par mois, l’arrêt de la RGPP, le remboursement à 100% des dépenses de santé, le blocage des loyers, hausse des impôts sur les entreprises et les riches, etc. Mais comment va-t-il faire pour les réaliser ? Aujourd’hui, le gouvernement explique qu’il n’a pas d’autre choix que de faire des plans d’austérité, car il faut payer la dette. Face à cela, Mélenchon fait de grandes envolées contre la rapacité des marchés, le cynisme de agences de notation et le dogme de l’austérité. Mais concrètement, que propose-t-il ?
Mélenchon veut réaménager, échelonner, baisser les taux… mais continuer à payer les banquiers !
« Nous agirons pour le réaménagement négocié des dettes publiques, l’échelonnement des remboursements, la baisse des taux d’intérêts les concernant et leur annulation partielle. Nous exigerons des moratoires et des audits sous contrôle citoyen » (p. 31). On le voit, pour Mélenchon, pas question de refuser de payer la totalité de la dette, il s’agit seulement de payer un peu moins. Cette année, l’État français a payé 140 milliards pour rembourser la dette (intérêt et capital). Mélenchon voudrait payer un peu moins. Combien ? Il ne le dit pas… Notons d’ailleurs que le réaménagement ou la restructuration de la dette n’est pas du tout synonyme de fin de l’austérité. Les travailleurs de Grèce, dont la dette a été largement restructurée (annulation de 50% de la dette détenue par les créanciers privés, soit 30% de la dette totale) sont toujours les victimes de monstrueuses attaques pulvérisant leur niveau de vie.
Négocier les progrès sociaux avec les requins de la finance ?
Et il ne peut pas le dire, car il entend obtenir cela des créanciers par la négociation (« réaménagement négocié »). Oui, vous avez bien lu : Mélenchon nous explique bien gentiment qu’il ira voir les requins de la finance qu’il dénonce avec violence pour leur demander de se contenter des jambes et des bras, au lieu de vouloir dévorer aussi le ventre et la tête. C’est sûr, en voyant arriver Mélenchon, les requins vont se transformer en doux agneaux… Si on compte sur la bonté des grandes banques, des grands fonds de pensions et autres aimables patrons pour avoir l’autorisation de faire passer le SMIC à 1700 euros, on risque d’attendre longtemps ! Quel travailleur croirait son délégué syndical qui lui dirait qu’il va lui obtenir un 13e mois en allant gentiment parler avec le patron ? Tout le monde sait que, pour obtenir de pareille chose, il faut lutter, il faut réussir à convaincre la majorité des travailleurs de faire grève, il faut étrangler financièrement le patron, pour le forcer à cracher le fric. Et ce serait différent à l’échelle du pays ?
Pourquoi Mélenchon ne veut pas refuser de payer la dette ?
Pourtant, la dette dans sa totalité est illégitime, car elle est un transfert d’argent de la poche des travailleurs dans celles du patronat. En effet, la dette a pour origine la crise capitaliste des années soixante-dix due à une chute du taux de profit. Pour y répondre, les gouvernements au service de la bourgeoisie ont non seulement attaqué les conquêtes sociales, mais aussi abaissé les taux d’imposition sur le patronat. Il était d’environ 50% à la fin des années 70 et il est tombé sous les 25% aujourd’hui, sans compter les multiples astuces pour échapper à l’impôt. Il ne peut pas y avoir de politique favorable aux travailleurs sans refus total de payer la dette.
Cela va effrayer les capitalistes ? Sans doute. Et alors ? Notre problème à nous, c’est de satisfaire les revendications des travailleurs, bref d’utiliser l’immense richesse sociale produite par les travailleurs pour qu’ils puissent vivre correctement (se nourrir, se loger, se soigner, éduquer leurs enfants, partir en vacances, etc), au lieu que ces richesses soient accaparées par une infime minorité. Mais visiblement, pour Mélenchon, il est plus important de ne pas effrayer les capitalistes que de satisfaire les revendications des travailleurs. Chacun ses priorités.
2) Des mesures fiscales alléchantes, mais comment les appliquer en se refusant à exproprier les grandes banques et les groupes du CAC 40 ?
Là encore, le Front de Gauche avance une série de mesures tout à fait alléchantes : suppression du bouclier fiscal, augmentation de l’ISF et de l’impôt sur les revenus du capital, taxation des revenus financiers des entreprises, etc.
On remarque cependant que rien n’est chiffré, sauf la fin des exonérations de cotisations sociales à payer pour les patrons (30 milliards actuellement).
Or, deux choses l’une. Soit, il s’agit de simples déclarations d’intention pour donner au Front de Gauche un profil un peu anticapitaliste, mais qui n’a nullement vocation à être sérieusement et immédiatement mise en œuvre : parfois le Front de Gauche parle de mettre ces mesures en place seulement au niveau de l’UE, ce qui, vu les gouvernements en place, revient à les remettre aux calendes grecques ! Soit, il s’agit de mesures sérieuses et alors il y a un manque énorme dans le programme du Front de Gauche : que ferait-il face à la fuite de capitaux que de telles mesures ne manquerait pas de provoquer ?
Mélenchon ne se pose pas la question de la fuite des capitaux, puisque, comme il l’explique lui-même, « les investisseurs n’ont aucun raison d’avoir peur de mon programme » (interview donné aux Échos, 18/03/2012). Autrement dit, ces augmentations d’impôt non chiffrées seraient en fait suffisamment modérées pour ne pas nuire aux capitalistes : elles seraient donc bien insuffisantes pour permettre de financer les besoins sociaux.
3) Pôle public bancaire et réforme de la BCE, une illusoire solution à la crise
Par delà ses rodomontades contre les banques et les agences de notation, Mélenchon propose simplement des mesures de régulation, mais pas de s’attaquer un tant soit peu sérieusement au pouvoir des banques.
Le pôle public bancaire : un regroupement des institutions financières publiques existantes
En particulier, la « création d’un pôle public financier transformant notamment la politique et les critères du crédit » ne signifie pas du tout l’expropriation sans indemnité ni rachat, ni même la nationalisation bourgeoise par le moyen du rachat de l’ensemble du secteur bancaire, à commencer par les grandes banques, comme la BNP-Paribas ou la Société Générale, même s’il n’exclut pas la nationalisation « de banques » sans préciser lesquelles et encore moins à quel prix. En effet, le Front de Gauche précise que cela se fera « par la mise en réseau des institutions financières publiques existantes (Caisse des dépôts, Crédit foncier, OSEO, CNP, Banque postale), les banques et assurances mutualistes dans le respect de leurs statuts et la nationalisation de banques et compagnies d’assurances ». Le Front de Gauche ne brandit aucune menace concrète contre les banques privées qui ne respecteraient pas ses mesures de régulation, se contentant de parler d’un vague « placement sous contrôle social des banques privées qui ne respecteraient pas la nouvelle réglementation en matière de lutte contre la spéculation et la financiarisation de notre économie ».
La réforme de la BCE
Il est assez évident que le projet de réforme de la BCE et de la création d’un Fonds européen de développement social, présenté comme la clé de la solution à la crise est plutôt lointaine, puisqu’elle supposerait non seulement l’arrivée du Front de Gauche au pouvoir en France, mais aussi de ses homologues en Allemagne, Italie, Espagne, etc. Mais, peu importe, supposons un instant que cela soit le cas. Cela permettrait-il de résoudre la crise ?
Le Front de Gauche explique que « la France proposera une refonte des missions et des statuts de la Banque centrale européenne (BCE) qui doit être mise sous contrôle démocratique pour lui permettre de pouvoir prêter à taux faibles, voire nuls, directement aux États ». Cela reviendrait à donner à la BCE et à ce fonds une possibilité dont dispose déjà la FED (Réserve Fédérale, c’est-à-dire la banque centrale des États-Unis) et la Banque d’Angleterre. Comme chacun le sait, les travailleurs du Royaume-Uni et des États-Unis ne sont pas moins touchés par la crise que les autres.
Enfin, fixer verbalement d’autres missions à la BCE que de veiller à maintenir l’inflation à un bas niveau ne changerait rien de fondamental. Le recours à la création monétaire qui serait ainsi permis ne créerait en lui-même aucune richesse nouvelle, car la richesse, ce ne sont pas des billets, ni des écritures électroniques sur un compte, mais ce sont les objets utiles produits par le travail des hommes à partir des ressources naturelles (chaise, blé, acier, ordinateur, etc.). En revanche, il risquerait de conduire à une hausse de l’inflation, qui rogne les salaires des travailleurs. L’inflation ne vaut pas mieux que la déflation : elle n’est qu’un autre moyen de faire payer la crise aux travailleurs.
4) Ne pas exproprier le capital, mais le défendre, renforcer les associations capital public-capital privé, soutenir les PME-PMI et, secondairement, « encourager les nouvelles formes de propriété » sous la domination de la propriété capitaliste
Un modèle capitaliste réactionnaire et utopique
Le Front de Gauche prévoit bien de nationaliser, c’est-à-dire vu qu’il n’y a aucune précision sur le sujet, de racheter à prix d’or, comme en 1981, EDF, GDF et Total pour créer un grand pôle énergétique public. Plus généralement, il veut accroître le poids et le rôle de l’État capitaliste dans l’économie : « Nous renforcerons la présence de l'État dans le capital d'entreprises stratégiques pour leur sauvegarde et leur développement ». Mais, comme on le voit même dans les entreprises 100% publiques et plus encore dans les entreprises où l’État un actionnaire partielle ou minoritaire, comme Renault, la gestion de ces entreprises est ou tend à être une gestion capitaliste normale. D’ores et déjà, dans les entreprises publiques comme la SNCF, les nouveaux embauchés sont de plus en plus précaire, les prix sont fixés selon les normes du marché capitaliste, etc. De même, le système des sous-traitants, la dureté des conditions de travail, les licenciements ne sont pas fondamentalement différents à Renault qu’à PSA.
Parallèlement, le Front de Gauche prétend utiliser l’État et l’argent public pour aider les PME et le PMI : « Le soutien de l'État et des pouvoirs publics aux PME-PMI, lesquelles sont aujourd'hui les plus créatrices d'emplois, sera renforcé ». Tout d’abord, cela consiste à soutenir les patrons, fusse-t-il de petits et moyens patrons, avec l’argent des travailleurs. Ensuite, c’est du point de vue capitaliste où se place le Front de Gauche, à la fois utopique, réactionnaire et illusoire. En effet, d’une part, c’est vouloir contre la logique même du capitalisme qui tend à rendre dominantes les grandes entreprises par rapport aux plus petites, vouloir maintenir artificiellement les petites et moyennes entreprises contre les grandes. En outre, c’est ne pas voir que, loin d’être indépendantes des grandes, les PME et PMI, sont de plus en plus des sous-traitantes des grandes entreprises : ainsi subventionner les PME et PMI, c’est aussi indirectement subventionner les plus grandes.
C’est dans la même logique que Mélenchon se prononce pour : « Nous modulerons l’impôt sur les sociétés et le taux des cotisations sociales pour pénaliser les entreprises qui délocalisent, qui développent leurs placements financiers, ou qui se servent des nouvelles technologies pour supprimer des emplois et dégrader les conditions de travail afin d’inciter les entreprises à développer la valeur ajoutée, les formations, les salaires et l’emploi ». Là encore, soit il s’agira de mesures à doses homéopathiques, parfaitement inoffensives, soit il s’agit de mesures sérieuses et le Front de Gauche devrait dire comment faire face à la fuite de capitaux que cela provoquerait.
De nouvelles formes de propriétés sous la domination de la propriété capitaliste
« A l’inverse des idéologues du marché qui font de l’entreprise capitaliste privée le modèle unique, nous encouragerons la diversité des formes de propriété indispensable à une politique efficace de création d’emplois » (p. 20). « Le soutien public à l’économie sociale et solidaire, et notamment aux coopératives, sera fortement augmenté. Une aide financière sera accordée aux salariés qui reprennent ou créent leurs entreprises sous forme coopérative. Nous favoriserons la création de sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC) permettant d'associer salariés, usagers et collectivités territoriales dans des projets de développement local » (p. 20)
Bien sûr, nous ne sommes pas opposés aux coopératives qui peuvent, dans certaines conditions, et de façon provisoire, jouer un rôle progressiste. Mais nous l’envisageons dans une perspective radicalement différente de celle du Front de Gauche. En effet, nous partons des luttes des travailleurs eux-mêmes.
C’est pourquoi nous sommes pour favoriser dans les luttes, en particulier contre les licenciements et les fermetures d’entreprises, l’auto-organisation des travailleurs par la mise en place d’AG, au lieu de laisser les syndicats diriger la lutte, se contentant sous couvert d’AG, de tenir les salariés informés des décisions des syndicats, des résultats des démarches et de les convoquer à des actions. Sur tous ces points concrets, le programme du Front de Gauche reste muet. C’est une manifestation très claire de la logique générale de ce programme, qui n’est pas de s’appuyer sur le mouvement des travailleurs eux-mêmes, mais d’investir les institutions et de les réformer en utilisant pour cela la pression des luttes sociales.
5) La VIe République mélenchonienne : prendre le pouvoir… ou demander au patronat le droit de participer un peu plus au sien ?
Là encore, il y a un grand écart entre les slogans du Front de Gauche, comme le « Prenez le pouvoir… ! » et la réalité de son programme.
De très modestes mesures de démocratisation de la république bourgeoise
Ce sera une république bourgeoise, un tout petit peu moins antidémocratique que l’actuelle, mais pas du tout une république gouvernée par les travailleurs eux-mêmes.
Parmi les mesures démocratiques, qui constitueraient un progrès dans le cadre de la république bourgeoise, on peut citer : l’instauration de la proportionnelle à toutes les élections, la possibilité de délégués syndicaux interentreprises pour les TPE, l’abrogation de la réforme territoriale de 2010 et c’est à peu près tout pour ce qui est concret. Le programme ajoute encore quelques promesses purement verbales : l’indépendance de la justice par rapport à l’exécutif, l’inscription dans la constitution des droits sociaux, etc.
En effet, prudent, le Front de Gauche ne s’engage même pas à supprimer la fonction de Président de la République, mais seulement de réduire ses pouvoirs, sans plus de précision. Il ne s’engage pas non plus à supprimer le Sénat, où les campagnes sont sur représentées par rapport aux villes, dont la fonction aujourd’hui se réduit à nourrir grassement des centaines de serviteurs du patronat ou de patron, comme Dassault, l’ami de Mélenchon.
Quant à la mise en place de référendum d’initiative populaire, on peut légitimement douter que ce soit un véritable progrès démocratique. Certes, dans certaines circonstances, l’organisation d’un référendum, avec la campagne politique qui va avec, peut faciliter le travail pour diffuser certaines positions et infliger des défaites à la bourgeoisie, comme cela a pu être le cas en 2005 sur le TCE. Mais cela reste fondamentalement un des mécanismes de la démocratie bourgeoise, où les travailleurs sont atomisés, chacun allant séparément à isoloir, ce qui constitue un obstacle considérable pour qu’ils puissent y imposer ses propres intérêts de classe[5]. En outre, dans des situations de fortes tensions sociales, comme celles qui se préparent, le référendum fait partie de l’arsenal du bonapartisme, dont l’homme providentiel prétendant représenter l’intérêt général cherche à créer un rapport direct au peuple pour diviser le prolétariat.
Quant à la prétendue « démocratie participative », elle ne donne aucun réel pouvoir aux travailleurs : elle vise simplement à leur en donner l’illusion. En faisant semblant d’associer les prolétaires aux décisions, il s’agit d’essayer de freiner l’opposition des travailleurs à des mesures d’austérité. En effet, comment s’opposer à ce que l’on a contribué à approuver ?
Non pas lutter pour le pouvoir des travailleurs, mais prier les capitalistes de laisser les salariés un peu participer au leur
Pour le Front de Gauche, malgré son beau slogan « Prenez le pouvoir… ! », il n’est pas question d’arracher le pouvoir aux capitalistes, mais seulement d’exiger des actionnaires qu’ils fassent mine d’en concéder une parcelle aux travailleurs : « le pouvoir économique ne sera plus entre les mains des seuls actionnaires, les salariés et leurs représentants seront appelés à participer aux choix d’investissement des entreprises en tenant compte des priorités sociales écologiques et économiques démocratiquement débattues » (p. 27). Bref, les actionnaires continueront de décider, mais ils associeront plus étroitement les travailleurs aux décisions. C’est le modèle utilisé pendant 50 ans par le capitalisme allemand pour contenir son puissant prolétariat.
Or, une telle participation est toujours une arnaque pour les travailleurs : d’une part, le poids des salariés est toujours minoritaire dans les mécanismes concrets de décision, d’autre part et surtout, on impose aux représentants des salariés de faire des choix dans le cadre et la logique du système. Et face aux entreprises concurrentes, le chantage à l’emploi en cas de refus des décisions les plus rationnels d’un point de vue capitaliste restera donc une constante. Pour maintenir l’entreprise, il faut l’aider à accroître ses profits, ce qui suppose d’augmenter sa compétitivité. En système capitaliste, cela ne peut pas se faire sans baisser les salaires, accroître la spoliation des peuples dominés, aggraver les conditions de travail, détruire l’environnement, etc. Il ne faut pas se laisser bercer d’illusions : il n’y a pas de gestion d’une entreprise capitaliste favorable aux travailleurs. Quant au fameux « droit de veto » sur les licenciements, il n’est que suspensif et le patron n’est obligé qu’à une chose : examiner les propositions alternatives des syndicats. Il est hors de question pour Mélenchon de porter sérieusement atteinte au sacro-saint droit du capitaliste à virer ses employés à sa guise pour maximiser ses profits.
De même, le Front de Gauche, comme on l’a vu, ne prévoit pas même de réformer de façon radicale les forces de répression, pilier des institutions bourgeoises. Il veut même en accroître les effectifs et les rendre plus efficaces.
Bref, le but de Mélenchon n’est donc pas de mettre en place des institutions nées des luttes des travailleurs eux-mêmes pour abattre le capitalisme, mais seulement d’essayer de redonner une nouvelle jeunesse aux institutions décrépites de la République patronale et coloniale, séparées du peuple et opposées à lui, instrument de domination du capital sur le travail.
6) Le Front de Gauche veut réformer l’UE, comme il veut réformer la République bourgeoise
La logique de réforme avec l’UE s’exprime dans le fait que le Front de Gauche demande l’abrogation du traité de Lisbonne, mais pas des autres. Pourtant du traité de Rome à ceux de Maastricht et Amsterdam, en passant par l’Acte Unique européen, s’inscrivent exactement dans la même logique, celle de la défense de la propriété privée, de concurrence libre et non faussée, de la privatisation des services publics et de la défense des intérêts des principales puissances impérialistes qui dominent l’UE, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l’Italie. Sans abroger ces traités, il est impossible de faire ce que prétend vouloir le Front de Gauche sans vouloir abroger Maastricht, Acte Unique, traité de Rome, le Front de Gauche prétend : « Nous refusons tous les pactes et plans d’austérité qui concourent à amplifier la récession économique et la régression sociale au nom de la même logique libérale de soumission aux marchés financiers. Nous voulons mettre un terme à la libéralisation des services publics » ; « Une Europe qui agisse pour mettre fin aux ingérences impérialistes et néocolonialistes. Une Europe qui s'engage pour le respect des droits des peuples, en particulier ceux du peuple Palestinien ». On a vu avec la position de Mélenchon sur la Libye, mais aussi sur les ventes de Rafale ce que valaient ces professions de foi anti-impérialistes.
Le Front de Gauche reconnaît implicitement cette contradiction, puisqu’il propose pour la surmonter de façon transitoire « de « ne pas appliquer les directives contradictoires à nos engagements ». Mais le non-respect des traités est puni par des sanctions financières. Que ferait le gouvernement de Mélenchon face à ces mesures ? Là encore, pas de réponse.
De même, le maintien dans le cadre de l’euro empêcherait dans la pratique le FdG de mettre en œuvre ses recommandations d’avoir recours à la planche à billet pour faire face aux déficits et à la dette. En effet, même si les euros sont imprimés par chaque banque nationale, ils n’ont de valeur que par la BCE, qui pourrait décider de refuser la monnaie en excès imprimée par un pays récalcitrant. Que ferait-il face à cette difficulté ? Le FdG reste muet sur le sujet.
7) Une « planification écologique »… sans expropriation du capital et sans pouvoir des travailleurs ?
Le Front de Gauche propose des mesures de renationalisation à 100% de Total, Areva, EDF, GDF-Suez pour créer un pôle énergétique public. « Nous mettrons en place un plan national de remise aux normes énergétiques des logements et de l’ensemble des bâtiments publics ». Il affirme également : « c’est la sobriété énergétique que nous visons : moins de consommation pour des usages identiques.
Ce sont les gaspillages ostentatoires des très riches qu’il faut combattre ». Il se prononce pour le développement des transports publics collectifs. Il annonce vouloir favoriser le transport fluvial et le rail. Pour le reste, il envisage en gros une fiscalité pénalisant financièrement les pollueurs.
Ces mesures amélioreraient sans doute un peu les choses, mais on serait loin, très loin, d’une « planification écologique ». En effet, il est impossible de planifier tant que les moyens de production restent dans les mains des patrons : c’est la logique du profit qui dicte les investissements, les marchandises à produire, la manière de les produire, la politique du gouvernement ne pouvant que les infléchir à la marge. Une fiscalité incitative revient à accepter le principe même de la pollution ; en outre, la pratique montre que les pollueurs préfèrent en général payer (un peu) pour pouvoir continuer à faire des profits (beaucoup). Pour pouvoir commencer réellement planifier de façon écologique, supprimer les gaspillages, il faut exproprier toutes les grandes entreprises capitalistes et instaurer le contrôle des travailleurs sur l’ensemble de la production.
III) Le Front de Gauche : les paroles et les actes
1) L’expérience de 1981 et le tournant de la rigueur : rompre avec le capitalisme ou faire la politique des capitalistes, il n’y a pas de troisième voie
L’actuelle campagne du Front de Gauche ressemble à celle de Mitterrand pour l’élection présidentielle de 1981. Mais elle la répète comme une farce. Le programme de Mélenchon est, comme il le reconnaît lui-même dans les Échos, très modéré en comparaison de celui de Mitterrand en 1981. Dans le même temps, le Front de Gauche ne peut avoir d’autre ambition que d’améliorer un peu sa situation institutionnelle, tandis que l’Union de la Gauche, qui mobilisait de millions de personne, s’apprêtait à arriver au pouvoir. Enfin et surtout, la crise sans cesse repoussée par la politique des capitalistes depuis les années soixante-dix vient d’éclater.
L’expérience de 1981 a montré au moins une chose. Dans le cadre du capitalisme, une politique keynésienne de relance ne peut pas résoudre la crise, elle ne peut que l’aggraver. C’est pourtant la même fable que Mélenchon nous ressert aujourd’hui. A la question du journaliste des Échos « Ne craignez-vous pas que vos propositions se traduisent par une fuite des entrepreneurs et au final une hausse du chômage ? » il répond : « Pourquoi les entrepreneurs fuiraient-ils? (…) Mon programme va relancer l'activité et redynamiser tout le tissu industriel. Où les entrepreneurs iraient-ils quand toute l'Europe rentre en récession avec la généralisation de la politique de contraction des activités et de la dépense publique. (…) Dans mon programme, qui combine l'action de l'Etat et de forts amortisseurs sociaux, les entreprises y trouvent leur compte car il repose sur un élément de nature à les rassurer : la planification écologique qui donne une vision à long terme, permet d'organiser la production et l'investissement. (…) Les investisseurs n'ont aucune raison d'avoir peur » (18/03/2012).
Lors de leur arrivée au pouvoir le PS et le PCF ont pris des mesures sociales et démocratiques comparables à celle prônées par Mélenchon : abolition de la peine de mort, abolition du délit d’homosexualité, régularisation des sans-papiers, droit à la retraite à 60 ans, cinquième semaine de congés payés, réduction de la durée hebdomadaire du travail de 40h à 39h, hausse du SMIC de 10%, hausse des allocations sociales et logement de 25%, hausse de l’allocation handicapé de 20%, etc. Mais, très vite, la situation économique du pays s’est dégradée : le pays a du faire face à une importante fuite de capitaux, le déficit commercial s'est creusé, le déficit budgétaire également, l’inflation est restée élevée, le franc a du être dévalué trois fois pour faire face à la perte de compétitivité face à l’Allemagne, le chômage a augmenté fortement passant de 1,5 million à 2 millions entre 1981 et 1984, soit de 6,1% à 8,4 % de la population active. Le gouvernement PS-PCF est passé à une politique de rigueur, puis d’austérité, dite de « désinflation compétitive » : blocage des salaires, licenciements massifs dans les grandes concentrations industrielles des mines et de la sidérurgie, libéralisation du secteur financier, fin du contrôle des changes, etc.
2) Qu’a fait Mélenchon, ministre de l’enseignement professionnel, dans le gouvernement Jospin entre 2000 et 2002 ?
Tout d’abord, en acceptant un poste ministériel, Mélenchon s’est fait solidaire, comme ses amis du PCF, qui avaient aussi des ministres à l’époque, de la politique d’ensemble du gouvernement Jospin. Faut-il rappeler que Jospin a plus privatisé que Juppé, que la réduction du temps de travail à 35h a servi principalement à faire passer des mesures de flexibilisation régressive pour les salariés, mais avantageuse pour le patronat, d’autant plus qu’elle s’accompagnait de grasses exonérations de cotisations sociales, a refusé de régulariser tous les sans-papiers, comme il l’avait annoncé pendant sa campagne, a fermé l’usine Renault de Vilvorde malgré un engagement contraire pris pendant la campagne, a signé le traité d’Amsterdam sans le renégocier contrairement à ses promesses électorales. Depuis, Mélenchon n’a pas exprimé le moindre regret d’avoir été solidaire d’une telle politique.
Mais qu’a t-il fait exactement lui-même ? En tant que ministre délégué à la formation professionnelle, sous le ministre de l’Éducation, Jack Lang, il a lancé la réforme du bac professionnel. Cela s’est fait dans le cadre d’une convention avec l’UIMM (fédération du patronat de la métallurgie, membre du MEDEF) et l’OPCAIM. Les axes sont : passage à un bac pro en 3 ans (au lieu de 2 ans de BEP, puis 2 ans de bac pro), formation individualisée, mise à disposition des PME des plateformes technologiques des lycées pour la réalisation de projets industriels, etc. Ce type de convention sera renouvelé par De Robien, ministre de l’Éducation de Chirac. C’est sur ces projets que Darcos, ministre de l’Éducation de Sarkozy, s’est appuyé pour imposer sa réforme-casse du BEP-Bac Pro au service du patronat à partir de 2007. L’UIMM dit : merci Monsieur Mélenchon ! Après, on comprend que le même Mélenchon puisse dire que « les investisseurs n’ont aucune raison d’avoir peur de mon programme ».
3) Qu’ont fait récemment les amis de Mélenchon au pouvoir ? À propos de Die Linke
D’ailleurs, la meilleure façon de vérifier ce que donne en pratique les beaux-parleurs réformistes à la Mélenchon une fois qu’ils arrivent au pouvoir, c’est de regarder ce qu’on fait ses modèles allemands. Au lendemain des législatives allemandes de septembre 2009, Mélenchon s’enthousiasmait pour Die Linke (La Gauche), parti allemand regroupant des ex-du SPD (équivalent d’ex du PS en France) et de ex du PDS (l’ancien parti stalinien est-allemand), qui venait d’obtenir près de 12% des suffrages : "Je forme le voeu que toute la gauche française médite cet enseignement, en particulier le Parti socialiste qui doit renoncer une bonne fois pour toute à ses projets d'alliance à droite", a-t-il annoncé. "L'échec misérable du SPD et la victoire de la droite de Mme Merkel condamnent la stratégie lamentable des sociaux libéraux européens" (Le Monde, du 27/09/2009).
Pourtant Mélenchon savait très bien que cela faisait des années (depuis 2001) que Die Linke gouvernait avec le SPD notamment dans le Land (région) de Berlin, en appliquant une politique d’austérité digne de ses compères « sociaux-libéraux » des autres pays… Et en bonne logique, alors que le PDS faisait encore 22,6% des voix en 2001, le PDS-Die Linke n’en fait plus que 11,7% en 2011. Autrement dit, là où les travailleurs ont pu expérimenter en pratique ce que fait Die Linke, ils n’ont pas eu l’air d’être séduits outre mesure… Et il ne fait pas de doute que Mélenchon ferait demain la même chose, s’il choisissait d’aller au gouvernement.
4) Que font les élus du Front de Gauche là où ils sont déjà au pouvoir (régions, conseils généraux, mairies) ?
Même s’ils ne participent pas toujours à l’exécutif, les élus du Front de Gauche participent aux majorités dominées par le PS dirigeant les conseils régionaux, les conseils généraux, les mairies, ce qui s’incarnent dans la quasi-totalité des cas par le vote du budget, c’est-à-dire le résumé chiffré de la politique de la majorité. Le PS mène dans les régions une même politique capitaliste : subventions aux entreprises privées sous diverses formes, partenariats public-privé, subventions extra-légales aux écoles privées, maintien de personnel dans la précarité. Le Conseil régional d’Ile-de-France a même été jusqu’à allonger le temps de travail et réduire les vacances des personnels des lycées qui dépendent désormais des régions, ce qui a ouvert un conflit toujours en cours à l’heure actuelle.
5) Mélenchon, les luttes, les bureaucraties syndicales : le referendum contre la grève générale
Si Mélenchon n’a généralement pas de mots assez durs pour fustiger les réformes de Sarkozy, il s’est montré beaucoup moins radical dans les méthodes à mettre en œuvre pour les combattre réellement.
Quand à l’automne 2010, l’écrasante majorité des salariés de ce pays ont rejeté le plan de casse des retraites de Sarkozy, manifesté par millions, que les raffineurs se sont mis en grève totale, que les cheminots ont lancé la grève reconductible, etc., les dirigeants syndicaux ont refusé d’exiger le retrait du projet de loi et d’appeler tous les salariés tous ensemble à faire grève jusqu’à satisfaction. Thibault a prétendu que la grève générale était absurde. Qu’a fait Mélenchon ?
Il a refusé de critiquer les dirigeants syndicaux, disant qu’il ne voulait pas se mêler de la direction des luttes sociales. Mais à quoi sert un dirigeant politique s’il ne se prononce pas sur les questions les plus importantes pour les travailleurs ? En fait, Mélenchon craignait la grève générale, tout autant que Thibault, Chérèque, Mailly, Groison et Sarkozy[1]. Car quand les travailleurs se mettent en mouvement et s’organisent eux-mêmes, les vieux politiciens bourgeois de son genre sont mis à la retraite…
Là encore, défendre les revendications des travailleurs jusqu’au bout implique de combattre pour briser les institutions qui servent à la domination des patrons et par là le capitalisme lui-même. Mais il n’est pas question de cela pour Mélenchon. Mélenchon, tout à l’opposé de la grève générale, a appelé à la tenue d’un referendum sur le sujet. Comment dire plus clairement que le Front de Gauche a pour fonction de canaliser les luttes dans le cadre des institutions actuelles.
En guise de conclusion : pseudo-révolution citoyenne ou vraie révolution socialiste
Interrogé lundi 17 octobre sur France Info, Jean-Luc Mélenchon affirmait : « C’est quand même incroyable de voir qu’on passe pour un révolutionnaire quand on est simplement keynésien ; où on dit il faut partager, c’est ça qui va faire respirer l’économie ». Le sens de toutes les formules « radicales » de Mélenchon consiste à essayer de capter la radicalisation des travailleurs pour la reconduire dans le cadre du système.
« Révolution par les urnes » ?
Nulle part les élections n’ont accompli une quelconque révolution, ni même permis de véritables réformes progressistes. Ce ne sont pas les élections qui ont imposé la journée de 8h après la première guerre mondiale, où la Chambre des députés était dominé par la droite, mais la révolution russe et les mobilisations ouvrières d’après-guerre. Ce n’est pas la victoire électorale du Front Populaire qui a conduit à instauration des congés payés et de la semaine des 40 h : c’est la grève générale de 1936, avec occupation d’usines, finalement trahie par la SFIO (PS de l’époque) et le PCF. Au Chili, Allende a beau eu gagné les élections : il n’a pas pu appliquer son programme, pourtant relativement modéré, parce que le haut commandement militaire, en connexion avec le grand patronat et les impérialistes américains ont organisé un coup d’État contre lui. Plus récemment, et malgré le caractère très modéré de ses réformes, Chavez, bien qu’il ait gagné largement les élections, a dû faire face lui aussi à un coup d’État, stoppé par la mobilisation des masses et par le contre-soulèvement d’une partie de l’armée face aux putschistes. En Tunisie, en Égypte, en Syrie, ce n’est pas par les urnes que les processus révolutionnaires se développent, c’est par la lutte des classes et dans la rue.
« Révolution citoyenne » ? « Insurrection civique » ? « Assemblée constituante » ?
C’est là une constante du discours de Mélenchon : aux travailleurs, aux prolétaires, aux ouvriers, il oppose les citoyens, le peuple, son pays. Bien sûr, le candidat du Front de Gauche se veut le défenseur des pauvres, des petits, des méprisés, contre les riches, les gros, les puissants. Mais il refuse fondamentalement un vocabulaire qui ferait référence à la lutte des classes. Dans son discours de la Bastille, il est frappant de voir qu’en ce jour d’anniversaire de la Commune, il n’ait fait aucune allusion à un autre moment de l’histoire des luttes ouvrières que le glorieux épisode de la Commune, dont il n’a d’ailleurs pas rappelé le sens ni la portée : rien sur la grève contre la réforme des retraites de 2010, rien sur la vague de bagarres contre les fermetures d’usines en 2009, rien sur la lutte à demi-victorieuse contre le CPE, rien sur le grand mouvement de novembre-décembre 1995, rien sur mai 68, rien sur mai-juin 1936,… Et en toute logique, pour changer le monde, il appelle de ses vœux une simple Assemblée Constituante, non la grève générale insurrectionnelle, non le gouvernement des travailleurs eux-mêmes. Pourtant, la Commune de Paris, ce n’était justement que cela : le premier gouvernement des travailleurs.
Ne nous laissons pas duper par Mélenchon aujourd’hui, comme par Mitterrand hier :
Il n’y a de politique favorable aux travailleurs sans rupture avec le capitalisme, c’est-à-dire sans prise de pouvoir par les travailleurs auto-organisés !
Post-scriptum
Cet article a suscité l’intérêt de nombreux camarades, confrontés quotidiennement dans les discussions avec les travailleurs, les travailleuses et les jeunes aux questions portant sur la légitimité politique d’une candidature propre du NPA.
Des reproches contradictoires ?
L’un d’entre eux se demande si nous n’adressons pas à Mélenchon des critiques contradictoires. D’un côté, nous lui reprochons de défendre un programme incompatible avec le capitalisme alors même qu’il ne veut pas en sortir et expliquons que la mise en oeuvre de son programme de relance keynésienne dans le cadre du capitalisme, loin d’améliorer la situation des travailleurs, conduirait très vite à une aggravation de la crise économique et donc sociale, puis à un tournant de la rigueur. De l’autre, nous lui reprochons de renoncer à des revendications essentielles pour les travailleurs (retour au 37,5 pour tous, abolition du travail précaire, refus de se prononcer pour l’interdiction des licenciements, renoncement à
l’annulation de la dette, refus du combat contre l’impérialisme français, etc.) et nous expliquons ces renoncements par le refus de rompre avec le cadre du capitalisme. Ce camarade nous demande donc s’il ne faudrait pas au moins accorder à Mélenchon le mérite d’une certaine cohérence : celle de proposer un programme suffisamment tiède pour, tout en améliorant un peu le sort des travailleurs, rester compatible avec le capitalisme. On pourrait ici proposer deux éléments de réponse.
La contradiction est du côté de Mélenchon
D’une part, la contradiction ne se trouve pas en réalité de notre côté, mais de celui de Mélenchon. En effet, il cherche à accorder ce qui ne peut pas l’être : une politique favorable aux travailleurs et travailleuses et le maintien dans le cadre du capitalisme. C’est pourquoi Mélenchon doit se livrer à des zigzags brutaux et incohérents : tantôt faire une sortie « radicale » contre « les requins de la finance », puis renoncer à annuler la dette ; tantôt exiger l’augmentation du SMIC à 1700 euros brut puis expliquer que cette augmentation serait appliquée d’une façon telle qu’elle ne menacerait pas la compétitivité des entreprises ; tantôt dénoncer vigoureusement le PS et ensuite voter avec lui des budgets capitalistes dans les régions, etc. Quand il parle aux travailleurs, Mélenchon met bien sûr l’accent sur le côté social de son programme ; quand il s’adresse aux capitalistes il met l’accent sur la compatibilité de son programme avec le capitalisme. C’est un peu comme Hollande qui, dans ses discours de meeting prétend combattre le « monde de la finance », mais qui, à Londres, devant les journalistes des quotidiens de la bourgeoisie, rappelle que la « gauche » au pouvoir a libéralisé et privatisé à tour de bras...
Aujourd’hui il n’y a pas de marges de manoeuvre pour une politique de relance keynésienne. D’autre part, la remarque du camarade soulève la question de fond suivante : aujourd’hui, y a-t-il, oui ou non, une marge de manoeuvre pour une politique de relance keynésienne ? Une petite hausse des salaires ne serait-elle pas supportable pour le capitalisme français ? Il nous semble que la réalité elle-même montre que ce n’est pas le cas. En effet, malgré les contreréformes et la politique de rigueur menée tambour battant par Sarkozy pendant 5 ans, la France vient de perdre la note AAA pour sa dette. Cela signifie que, du point de vue de la bourgeoisie, Sarkozy n’est pas encore allé assez vite et n’a pas frappé assez fort. La meilleure situation économique relative du capitalisme allemand s’explique en ce moment, comme nous l’avons souligné dans un précédent article, par la baisse des coûts salariaux unitaires dans ce pays relativement à ceux de ses principaux concurrents européens, notamment d’Europe du Sud, mais aussi la France. (http://tendanceclaire.npa.free.fr/article.php?id=223).
Si déjà en 1981, la politique de relance keynésienne de Mitterrand a conduit rapidement à une détérioration de la situation économique et sociale, puis au tournant de la rigueur, cela serait encore infiniment plus vrai de la politique de Mélenchon aujourd’hui. Entre temps, l’économie a été considérablement libéralisée, les mouvements de capitaux sont encore infiniment plus faciles, la délocalisation de la production peut se faire dans le cadre même de l’UE et surtout la crise économique capitaliste est bien plus profonde et étendue.
[1] Cf. l’article détaillé sur le sujet publié sur Bellaciao, à l’adresse http://bellaciao.org/fr/spip.php?article124492
[2] On vient encore d’en avoir tout récemment la preuve lors du congrès de mars 2012 du SNES Créteil, syndicat notoirement dirigé par le Front de Gauche. Certes, le congrès s’est prononcé pour la titularisation de « tous » les précaires, mais il a rejeté la motion défendue par la tendance oppositionnelle Émancipation précisant « titularisation immédiate, sans conditions restrictives de concours, ni de nationalité ». On comprend donc que pour le Front de Gauche, ces titularisations ne seront pas immédiates. Deuxièmement, on voit qu’il est hors de question pour lui de titulariser les précaires qui ne sont pas ressortissant de l’UE, ce qui est vraiment honteux. Enfin, la condition pour pouvoir être titularisé sera de réussir un concours, ce qui est aléatoire. Bref, avec le Front de Gauche, le calvaire des précaires de la Fonction Publique est loin d’être fini…
[3] Malheureusement, de façon répétée, la direction du NPA de notre propre parti s'écharne à s’efforce elle aussi de démontrer cette idée parfaitement fausse qu'il n'y aurait aucun lien entre le coût du travail et la compétitivité, comme si on pouvait augmenter les salaires sans nuire à la compétitivité des entreprises : cf. l'article de Gaston Lefranc « Dans un contexte de suraccumulation structurelle du capital dans les pays impérialistes, les pays qui subissent le plus la crise sont les pays où les attaques contre les travailleurs ont été les moins fortes » pour plus de détails : http://tendanceclaire.npa.free.fr/article.php?id=223
[4] Soit dit en passant, dans la même interview, Mélenchon prétend que le Front de Gauche aurait été la première force politique à dénoncer l’occupation de l’Afghanistan par l’armée française. C’est tout de même comique, vu que l’intervention a commencé en 2001, sous le gouvernement Jospin, dont un certain Jean-Luc M… était le ministre délégué à l’enseignement professionnel. A l’époque, seuls les partis d’extrême-gauche s’étaient opposés à cette intervention. Il aura fallu attendre presque dix ans pour que Mélenchon se rende compte que cette intervention était problématique….
[5] La Suisse donne un excellent exemple de la manière concrète dont fonctionnent en général les referendums en démocratie bourgeoise : c’est un instrument utilisé par les franges les plus réactionnaires de la bourgeoisie pour faire adopter des lois anti-immigrés, anti-manifestations, etc.
[6] On peut aussi relever avec intérêt que c’est G. Aschieri, ancien secrétaire général de la FSU (jusqu’en 2010) qui a rédigé le programme du Front de Gauche sur l’école, avec l’aide de N. Sergent, ex responsable nationale et parisienne du SNES. De même, c’est Didier Le Reste, l’ancien secrétaire général de la fédération CGT des Cheminots (jusqu’en 2010) qui est le candidat du Front de Gauche dans la 7e circonscription de Paris pour les législatives. On trouve aussi, parmi les responsables syndicaux soutenant Mélenchon, Claude Debons, l’ex-chef des cheminots CFDT, Pierre Khalfa, dirigeant national de Solidaires, Thierry Dumez, l’un des secrétaires de l’Urif-CGT, Anne Le Loarer, présidente CGT de la CPAM (Caisse Primaire d’Assurrance Maladie), etc. Bref, le Front de Gauche a l’air de bien s’entendre avec les bureaucrates syndicaux… !