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Le ParcourSup du combattant
Interview publiée sur le site du NPA : https://npa2009.org/idees/jeunesse/le-parcoursup-du-combattant
Quelques semaines après la fin du dépôt des vœux dans le mécanisme de ParcourSup, petit retour d’expérience sous forme d’une interview d’une professeure en sciences économiques et sociales et professeure principale de terminale dans un lycée en Seine-Saint-Denis.
Ça y est alors, les vœux pour ParcourSup sont terminés. Que devait faire chaque élève ?
La procédure a été très tâtonnante. Les élèves se sont d’abord inscrit·e·s sur la plateforme alors même que nous ne savions rien de son fonctionnement ni des différences avec l’ancienne plate-forme APB (Admission Post Bac) dont les dysfonctionnements de l’année précédente leurs étaient pourtant bien connus. Ensuite, nous avons appris qu’ils et elles n’auraient plus que 10 vœux à faire, non hiérarchisés : on les a donc accompagné·e·s dans l’établissement de cette liste de vœux.
La grande différence avec la plateforme ParcourSup, c’est que chaque vœu a dû être « motivé ». Comprenez : pour chaque vœu, l’élève doit rédiger une lettre de motivation (de 1500 caractères maximum). Pour cela, il a fallu travailler avec elles et eux les « attendus » :officiellement, ce sont « les connaissances et compétences nécessaires pour réussir dans chaque filière de l’enseignement supérieur ». Ils ont été communiqués aux professeur·e·s via des « fiches descriptives » de chaque formation. L’élève doit alors montrer par exemple qu’il ou elle sait « mobiliser des compétences d’expression écrite et orale qui témoignent de qualités rédactionnelles », qu’il ou elle peut « travailler de façon autonome et savoir organiser son travail » ou qu’il ou elle est capable « de travailler en autonomie »et qu’enfin il ou elle est « ouvert·e au monde » !
En plus de ces lettres de motivation, chaque élève doit rédiger un CV.
En outre, certaines formations – droit par exemple – comportent un questionnaire d’une vingtaine de questions à l’issue duquel les élèves se voient attribuer une note, qui apparaîtra en face de chacun de ses vœux pour la formation.
Enfin, les profs principaux ont dû remplir la « fiche avenir » qui résume le « profil de l’élève ». Ils doivent rédiger une appréciation et se prononcer sur quatre compétences : méthode de travail, autonomie, capacité à s’investir dans le travail et engagement/esprit d’initiative (au lycée et extra-scolaire). Pour chacun et chacune d’entre elles, il fallait dire si cela était « très satisfaisant », « satisfaisant », « assez satisfaisant », « pas satisfaisant ».
C’est là ou le chef·fe d’établissement qui est ensuite appelé·e à donner un avis sur chacun des vœux. Cet avis se fait en deux temps. D’abord, il ou elle doit indiquer la « cohérence du vœu formulé avec le projet de formation motivé ». Il s’agit, selon le document explicatif fourni par le Ministère « d’apprécier à la fois la cohérence de la poursuite d’études souhaitée au regard du parcours scolaire de l’élève, la légitimité du choix d’orientation en lien avec la motivation exprimée et son degré d’intensité. »Le document précise également que « par défaut, l’onglet « cohérent » est coché » !
Ensuite, il ou elle doit rédiger « une appréciation sur la capacité de l’élève à réussir dans la formation visée ». Selon ces mêmes documents officiels, il s’agit « d’apprécier la pertinence des acquis au regard des attendus de la formation demandée, évaluer le potentiel de l’élève pour s’investir pleinement dans la voie souhaitée ».
Comment les collègues ont-ils/elles réagi ?
Nous avons décidé de suivre ce qu’avaient proposé un certain nombre de syndicats : à la fois refuser d’émettre un avis qui classerait ou discriminerait l’élève (positivement ou négativement) et dans le même temps signifier notre désaccord. Tout l’enjeu était de s’assurer que cela ne porterait pas atteinte au dossier de l’élève : évidemment, il fallait pour cela que tous les établissements décident de faire la même chose. La coordination entre établissements a donc constitué un enjeu important ; elle a été permise par les prises de positions syndicales ou de la part de collectifs tels que « Touche pas à ma Zep ». Une formulation commune a donc été suggérée : « par ce vœu, l’élève exprime sa motivation à réussir dans la filière ». Pour les trois items de la fiche-avenir sur lesquels devaient se prononcer les professeurs principaux, nous avons décidé d’indiquer : « je ne suis pas compétent·e pour me prononcer ». En effet, avec ParcourSup, on demande aux professeur·e·s principaux/ales de déterminer si l’« engagement/esprit d’initiative »de chacun de nos élèves est « très satisfaisant », « satisfaisant », « assez satisfaisant », « pas satisfaisant » ! On pourrait alors se demander quels critères doivent être pris en compte par le ou la professeur.e qui souhaiterait se prononcer ? Le document explicatif fourni par le Ministère nous précise qu’il s’agit de prendre en compte « la participation aux instances du lycée, délégué, tutorat, participation à la vie associative au lycée ou en dehors, activités bénévoles ou de volontaires, stage en entreprise, dans des administrations ou associations pendant les vacances, période de mobilité à l’étranger, etc. ». Jamais je n’aurais pensé, lorsqu’on m’a désignée professeure principale en début d’année, que j’allai devoir me prononcer sur les activités des élèves en dehors du lycée ! Évidemment, nous avons aussi beaucoup échangé entre collègues sur les postulats idéologiques cachés derrière ces critères : si on pousse la logique, attend-on de moi d’encourager mes élèves à « faire des stages en entreprise pendant les vacances ? ».
Avec ParcourSup, les élèves doivent fournir des lettres de motivation pour les filières pour lesquelles ils ou elles postulent. Comment cela s'est déroulé dans ta ou tes classes ? Est-ce que cet exercice est accessible aux élèves de terminales ?
Une des premières difficultés consiste à demander à un·e jeune qui n’a que 17 ou 18 ans de lister dans un CV ses différentes expériences autres que scolaires. Surtout, l’exercice demandé par la lettre de motivation est de valoriser les compétences acquises dans le cadre de ces différentes expériences et de les transposer en des compétences scolaires.
Ainsi, en accompagnant l’élève dans la rédaction de son CV ou de ses lettres de motivations, le ou la professeur.e se retrouve dans une posture qui consiste à l’aider à faire de chacune de ses expériences quelque chose de valorisable et donc… distinctif. « Tu as fait telle option ? Super, il faut absolument que tu l’indiques ! ». Cela se produit également avec la participation à des ateliers artistiques par exemple : « en participant à l’atelier photo, ou à l’atelier théâtre, ou cirque, quelles compétences as-tu acquis ? ». Ne pourrait-on pas imaginer qu’il n’y ait d’autres rétributions pour les élèves que le simple plaisir d’avoir participé à cet atelier artistique ? En faisant cela, l’enseignant·e concourt non seulement à individualiser les parcours mais aide l’élève à mettre en évidence ce qui le distingue de ses pairs.
C’est avec ce contexte en tête que l’on peut comprendre que les exercices de rédaction de CV et lettres de motivation conduisent à une mise en compétition des élèves entre eux au sein du groupe classe : « Mais non madame je ne vais pas l’aider à faire sa lettre de motivation pour STAPS, on est en concurrence ». Néanmoins, on a vu d’autres scènes de résistance à cette mise en compétition : dix élèves autour d’un ordinateur réfléchissant au questionnaire de droit que devait remplir l’un·e de leur camarade, des élèves qui font circuler leur lettre de motivation pour que les autres s’en servent comme modèle…
Aussi, l’exercice en tant que tel, est un sélecteur social important. En effet, les familles à fort capital culturel et financier, n’auront aucun mal à aider les enfants à prendre (déjà !) du recul sur leur parcours, et à mettre des éléments distinctifs dans les lettres. Pour les élèves issu·e·s de familles plus défavorisées par contre, cet exercice est violent car très difficile, et ils et elles n’ont pas d’autres aide que celle fournie par leurs enseignant·e·s, qui ne sont pas non plus formé·e·s à cet exercice.
As-tu des exemples montrant ce que permet ParcourSup en termes de sélection ?
Pour s’inscrire en STAPS, il est indiqué qu’avoir le brevet de secourisme constitue un avantage. L’établissement a dû organiser en dernière minute une formation, mais seulement 30 élèves ont pu y assister. Or, dans la seule classe de Terminale que j’ai en tant que professeure principale, huit élèves veulent s’inscrire en STAPS. Ils et elles doivent aussi témoigner d’une inscription dans un club de sport, et fournir leur licence.
Pour l’inscription au DUT information communication, les élèves doivent avoir lu un ouvrage de communication (encore faut-il savoir les identifier), réaliser un compte-rendu et le critiquer. Il faut aussi avoir réalisé un entretien avec un professionnel dans la communication et retranscrire cet entretien. Enfin, l’élève doit témoigner d’un projet de communication qu’il.elle aurait réalisé. Les DUT étaient déjà sélectifs avant la mise en place de Parcoursup, mais la sélection se faisait à partir du dossier scolaire de l’élève, c'est-à-dire ses bulletins. C’était déjà bien suffisant !
As-tu pu observer des mécanismes d'autocensure de la part des élèvesn des mécanismes d'oppressions suivant ce que vivent les élèves, et notamment les élèves les plus en difficulté ?
Effectivement. Et entre l’autocensure et l’auto-sélection, il n’y a qu’un pas : « Mais Madame je ne serai jamais pris·e, ça sert à rien que je candidate ».
Les élèves doivent aussi rédiger un texte qui permettra à une commission de les orienter vers une formation soi-disant proche de celles demandées dans le cas où ils ou elles n’obtiennent de réponses favorables à aucun de leurs vœux : cela a bien souvent constitué un moment particulièrement décourageant.
Dans un questionnaire pour candidater à un DUT « technique de commercialisation », un élève a eu à répondre à la question suivante : « Avez-vous déjà subi une injustice ? Comment avez-vous réagi ? ». Il m’interrogeait sur ce qu’il était censé répondre à cela et me signalait qu’il n’avait pas du tout envie d’évoquer un moment « compliqué » de sa vie, lorsqu’il a subi une discrimination à l’embauche. La question demeure entière : qu’était-il censé répondre à cette question ? Quels sont les attentes des personnes qui étudieront son dossier ? Qui a décidé, dans cet IUT, de poser cette question ? Ces questions sont d’une violence extrême pour les élèves les plus défavorisé·e·s, c’est inadmissible et intolérable.
Est-ce que tout cela te rajoute une charge de travail ? L'accompagnement des élèves dans ce système est-il enrichissant pour toi et pour eux et elles ?
Oui évidemment, c’est une charge de travail importante. Le Ministère a mis en place après l’annonce de la naissance de la plateforme « ParcourSup » un·e professeur·e principal·e supplémentaire pour chaque classe de Terminale. Néanmoins, nous n’avons aucune heure en commun dans notre emploi du temps pour échanger avec notre collègue. Nous avons aussi proposé aux élèves de corriger leurs lettres de motivation (10 fois 35 élèves !).
Nous sommes, en tant qu’enseignant·e·s, livré·e·s à nous même pour aider au mieux les élèves. Mais nous ne sommes pas conseiller/ère d’orientation. Comment bien connaître l’enseignement supérieur ? Comment prendre le temps d’échanger avec chacun de nos élèves ? C’est un travail à part entière, et cela doit être fait par des personnes dont c’est leur profession. Les conseillers/ères d’orientation ont un rôle fondamental à jouer dans les projections des élèves dans le Supérieur, et ce grâce aux entretiens qu’elles et ils peuvent mener individuellement et qui permettent de travailler la confiance en soi des élèves. Nous, professeur·e·s, pouvons conseiller sur quelques points que nous connaissons, mais l’offre de formation du supérieur est tellement énorme qu’il est impensable que nous puissions tout connaître. La sélection à l’université n’est pas une solution, le problème est bien plus profond que ça, nous manquons cruellement de moyens, de la maternelle à l’université, et plutôt que de les augmenter, avec plus de postes d’enseignant·e·s, d’AED, de conseillers/ères d’orientation, etc. Le gouvernement propose tout simplement d’amplifier la sélection sociale.
Maintenant que les vœux sont émis, il va falloir accompagner les élèves dans leurs réponses : quand ils recevront un avis favorable sur l’un des dix vœux, ils et elles doivent répondre très rapidement ; les dernières réponses peuvent arriver fin août, et ils et elles n’auront alors que 24 heures pour répondre favorablement, sous peine de voir leur acceptation annulée.
Ce processus d’inscription dans les filières du supérieur a donné lieu à des scènes qui témoignent du rôle important d’accompagnement que nous avons auprès des élèves. En effet, à la veille de la fermeture de la plate-forme, nous avons vu un certain nombre d’ancien·ne·s élèves frapper à la porte de l’établissement : ils et elles se réorientaient, et devaient donc remplir des vœux ParcourSup. Ils et elles nous demandaient de leur venir en aide pour corriger leurs lettres de motivations. J’ai aussi reçu un certain nombre de mails d’ancien·ne·s élèves me demandant de corriger leur lettre de motivation.
Enfin, est-ce que les enseignant·e·s de ton lycée se mobilisent contre la réforme du lycée ?
Nous avons fait des AG pour décider d’une position commune au sein de l’établissement, et puisque nous étions tou·te·s convaincu·e·s de l’intérêt d’une position commune avec les autres établissements du secteur et de l’académie, nous nous sommes appuyés sur les collectifs existants comme « Touche pas à ma Zep ».
Le lien avec la réforme du bac est évident : tout conduit désormais les élèves à réfléchir très tôt à la construction de leurprofil sur la base duquel ils et elles seront sélectionné.e.s (ou pas) après le bac. En effet, à la découverte des attendus pour chaque formation, beaucoup d’élèves ont réagi en culpabilisant sur les choix qu’ils et elles avaient pu effectuer : « je n’aurai pas dû choisir cette spécialité ». Cela les conduit à les rendre responsable de leur propre échec s’ils ou elles ne sont pas sélectionné·e·s. C’est donc la fin du droit au tâtonnement.
Plus largement, on demande désormais aux élèves de faire des choix (d’options, de spécialité) en fonction de la rentabilité individuelle qu’ils pourront en retirer. Et in fine, ce seront évidemment les élèves avec le plus fort capital culturel, et donc issu·e·s des familles les plus aisées, qui auront les connaissances pour construire un parcours efficace qui permettra de ne pas se fermer de portes. Pour les élèves des classes populaires, par contre, ça sera de plus en plus dur…
Est-ce que dans votre lycée vous parlez des mobilisations actuelles et réfléchissez aux moyens de rejoindre la bataille ?
Bien sûr, nous en discutons lors des heures syndicales, que nous organisons une fois par mois dans notre lycée. Une partie d’entre nous rejoignent les cheminot·e·s et des étudiant·e·s en manif. Certain·e·s participent aux différentes AG cheminotes et étudiantes qui rythment ce mouvement social. En effet, la mise en place de cette sélection à l’université se comprend aussi avec une lecture d’ensemble de la situation et du projet politique de Macron et de son gouvernement. C’est la raison pour laquelle les luttes doivent être menées ensemble, avec cheminot·e·s, zadistes, étudiant·e·s, précaires, travailleur·e·s des hopitaux, pour une réelle démonstration de force. La société que nourrit le gouvernement de Macron, est une société capitaliste fondée sur l’exploitation et nourrissant les oppressions de tout genre, tout ça pour le bénéfice d’une minorité de riches et cette société il faut la changer !
Le gouvernement semble bel et bien déterminé à passer en force. Je pense que l’attaque contre les cheminot·e·s est historique et que si le gouvernement gagne contre eux et elles, alors, il pourra s’attaquer bien plus facilement à tous les acquis sociaux qui protègent encore un peu les exploité·e·s et notamment les fonctionnaires avec le projet CAP2022 à venir. Qui plus est, si nous arrivons aussi, au lycée, à nous mobiliser nationalement contre la réforme du bac et du lycée, alors avec les cheminot·e·s nous seront bien plus fort·e·s si nous luttons ensemble. Il reste du boulot, mais nous y travaillons !