La MAP, une RGPP à la hauteur… des exigences de la bourgeoisie
Les travailleurs
de la fonction publique constituent une grande partie de l’électorat qui a
permis l’accession de Hollande au pouvoir en 2012. Même si la plupart ne
s’illusionnaient pas sur une amélioration extraordinaire de leur situation, ils
espéraient mettre un coup d’arrêt à la dégradation continue de leurs conditions
de travail et d’existence : réductions d’effectifs, démantèlement des
services, gel du point d’indice… Désabusés par cinq années de RGPP (Révision
générale des politiques publiques) sous Sarkozy, ils ne s’attendaient
certainement pas à pire. Le premier ministre Ayrault s’était d’ailleurs
empressé de les rassurer en paroles : « la période de RGPP est
close », annonçait-il fin juillet 2012. Quelques mois plus tard, il
dévoilait pourtant une nouvelle grande réforme de l’administration, la MAP
(Modernisation de l’action publique).
Cette RGPP
« de gauche » est un catalogue de 200 mesures plus ou moins concrètes
destinées à provoquer un « choc de simplification » de
l’administration. Parmi celles-ci, quelques mesures justes, par exemple la
suppression des demandes d’extrait d’acte civil pour les principales démarches.
Mais on comprend bien que ces mesures là ont été retenues précisément parce
qu’elles trouvent leur place dans la logique directrice de la MAP :
tailler le budget de la fonction publique. D’autres mesures qui paraissent
justes a priori sont également perverties par la même logique générale qui
motive leur mise en œuvre. Par exemple, la mutualisation de plusieurs services
réalisant à peu près les mêmes tâches paraît être une bonne chose, mais il
suffit de peu d’expérience pour savoir qu’en pratique, cela se fait toujours
avec une harmonisation par le bas pour aboutir à une structure unifiée mais
rachitique. En fait, les mesures les plus emblématiques marquent un
renforcement de l’accompagnement de l’État aux entreprises, en même temps
qu’elles poursuivent le désengagement de l’État dans ses missions d’intérêt
plus « général » (contrôle environnemental, soutien technique aux
petites collectivités…). Au final, trois grands axes se dégagent de la
MAP :
- le renforcement du soutien aux entreprises
- la dématérialisation des démarches administratives courantes
- le transfert insidieux des missions de l’État vers d’autres organismes parapublics
ou privés.
Le renforcement
de l’engagement de l’État aux côtés des patrons se traduit d’abord en espèces
sonnantes et trébuchantes : réduction de 50 % des coûts
d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés, abattement
forfaitaire de 500 000 € sur le montant de la plus-value lors de la
cession d’une entreprise (pour les chefs de petite entreprise qui partent à la
retraite)… Ce soutien appuyé s’affiche aussi de façon plus indirecte, via un
assouplissement des réglementations. Dans un document adressé à tous les
ministres, le chef du gouvernement donne l’orientation générale de cette
réforme : « À partir des attentes prioritaires des entreprises, [il
s’agit d’identifier] les chantiers qui permettront de faire baisser
significativement la complexité perçue et vécue dans leurs champs de
compétence ». Quelques mesures prennent déjà forme : réduire l’obligation
pour les entreprises d’établir et de publier leurs comptes, simplifier les formalités
douanières concernant les certificats d’exportation agricoles, les certificats
d’exportation relatifs aux espèces en danger… et les licences d’exportation
pour matériels de défense ! D’autres suivront certainement. En attendant,
les « pigeons » sont rassurés. Dans une instruction du 2 avril,
le premier ministre demandait aux ministres et préfets de veiller
personnellement à privilégier une interprétation facilitatrice du droit
existant, certes en indiquant avec précaution « à l’exception des normes
touchant à la sécurité »... Mieux, dorénavant, la non réponse dans les
délais de l’administration à une demande vaudra acceptation, alors que jusqu’à
présent elle signifiait un rejet ! Étant donné la difficulté croissante
des services administratifs à répondre aux demandes dans les temps, cette
mesure revient mécaniquement à élargir toutes les mailles du filet
réglementaire. Les champs concernés n’ont pas encore été dévoilés, mais compte
tenu de la logique du « choc de simplification », il devrait bénéficier
sans surprise aux patrons (par exemple dans le cadre d’une demande
d’autorisation d’exploitation). Dans la même veine, le gouvernement a adopté un
principe purement comptable dictant que pour une réglementation créée, un
volume équivalent d’une autre réglementation devra être supprimé. Il y a fort à
parier que les domaines juridiques relativement nouveaux ayant trait aux
exigences environnementales et sanitaires des populations seront dans le
collimateur.
Cachée derrière
l’appellation pompeuse de « transition numérique », la
dématérialisation généralisée des démarches administratives est avant tout un
bon moyen pour le gouvernement de planifier la réduction des effectifs employés
pour accompagner les usagers dans leurs démarches. Il est vrai que la dématérialisation
peut simplifier la vie de nombreux usagers, mais cette option ne dispense pas
des explications et conseils que peuvent apporter des agents correctement
formés. Or, étant donné l’esprit de la MAP, il serait illusoire de penser que
cette réforme n’entraînera pas une dégradation de l’accompagnement par les
agents. Les usagers se retrouveront face à un traitement opaque de leurs
demandes, sans interlocuteur pour rendre compte d’inévitables erreurs. De plus,
la généralisation de ce mode d’interaction pénalisera encore plus les couches
sociales les plus pauvres ou marginalisées qui connaissent mal les procédures
administratives, n’ont pas un accès facile à une connexion internet, ne
maîtrisent pas forcément les outils informatiques… La gestion des allocations
familiales et celle des prestations d’assurance maladie devraient faire partie
des premiers services touchés par la dématérialisation.
Enfin, le
déchargement progressif de l’État de ses missions fait partie des méthodes
classiques de l’État pour diminuer le nombre de ses fonctionnaires. Le
transfert insidieux des missions d’intérêt public vers d’autres organismes
permet d’embaucher davantage de travailleurs précaires (contractuels,
vacataires, stagiaires…) plutôt que de recruter des travailleurs sous le statut
plus protecteur de la fonction publique. Ce procédé contribue aussi à atomiser
les travailleurs de la fonction publique. La répartition entre plusieurs
opérateurs différents génère petit à petit une myriade de statuts « à la
carte » qui affaiblit le statut unique dans lequel tous les travailleurs
de la fonction public se reconnaissent encore, les rendant plus vulnérables aux
attaques séparées. Les vagues successives de décentralisation en 1982 et
2003-2004 sont un exemple connu de ce déchargement de l’État, dans ces cas
précis vers les collectivités territoriales. Au nom de l’adaptation à la
spécificité de chaque territoire, Hollande prépare maintenant l’acte III de la
décentralisation. Cette nouvelle vague ne devrait pas enrayer la baisse continue
des postes liés au droit des sols (permis de construire, de démolir…) et à
l’Atesat (Aide technique fournie par les services de l’État aux petites
communes) : la suppression de 3 000 postes est prévue dans les trois
prochaines années, sur les 5 000 restant aujourd’hui.
Ayrault présente
la MAP comme un programme de « modernisation », visant à
« rénover le modèle français », usant ainsi d’une rhétorique qui
n’est pas nouvelle chez les « socialistes ». En effet, en 1984,
Pierre Mauroy n’appelait-il pas déjà à « moderniser la
France » ? On s’en rend bien compte, la MAP n’est pourtant rien moins
que le prolongement accentué des principes conducteurs de la RGPP.
Prolongement,
car derrière les grandes formulations utilisées pour mieux faire passer la
pilule amère des réformes, ce sont, aujourd’hui comme hier, les intérêts de la
classe dominante qui continuent de déterminer les politiques. Il s’agit encore
de faire payer aux travailleurs du public le déficit creusé par les subventions
et autres cadeaux fiscaux accordés aux patrons. Il faut encore réduire les
dépenses pour les services publics qui bénéficient à la masse des travailleurs,
mais coûtent plus qu’ils ne rapportent aux capitalistes. Pour le PS, comme pour
tous les partis qui veulent préserver l’ordre capitaliste, un argent public
utile, c’est avant tout un argent utile aux profits de la bourgeoisie. Voilà
pourquoi la MAP fait partie intégrante du Pacte de compétitivité. Et voilà
pourquoi le gouvernement s’est tout naturellement engagé à poursuivre jusqu’à leur
terme les 311 mesures de la RGPP (sur 503 au total) qui n’étaient pas encore
achevées en mai 2012, mesures qu’il qualifie lui-même « de bon
sens » !
Accentuation,
car la crise capitaliste s’est elle-même approfondie depuis l’époque de la
RGPP : fermetures d’usines, flambée du chômage, installation de la
récession… Cette situation aggravée exige des sacrifices encore plus
considérables de l’ensemble de la classe ouvrière pour relancer la machine
capitaliste. En témoigne le cadre serré des coupes budgétaires
décidées par le gouvernement : ‑ 50 milliards d’ici 2017,
auxquels s’ajoutent au moins ‑ 10 milliards d’ici 2014 pour financer
deux nouveaux cadeaux au patronat, le CICE (crédit d’impôt pour la
compétitivité et l’emploi) et le contrat de génération. Au cabinet du
ministre du Budget, on ne s’en cache pas, la MAP sera « le support
principal de la réduction des dépenses » (Le Monde, 19 décembre
2012). Enfin, là où la RGPP touchait essentiellement la fonction publique
d’État, la MAP s’étend désormais aux deux autres versants de la fonction
publique (la territoriale et l’hospitalière).
Au final, le
seul changement par rapport à la RGPP serait dans la forme, la
« méthode » : il ne revient plus au ministère du Budget de
décider de couper tel ou tel budget, le choix est maintenant laissé à chaque
ministère de voir s’il préfère s’amputer d’une jambe ou d’un bras ! S’il
fallait encore le prouver, le limogeage de la ministre de l’écologie Delphine
Batho donne à voir que même au sein du gouvernement, la « concertation »
si chère aux « socialistes » n’est qu’une vaste mascarade.
Les exigences du
capitalisme ne sont pas freinées par un « parti socialiste ». La politique des
dirigeants n’épargne
aucun secteur du salariat. Après l’ANI qui frappe les travailleurs du privé,
c’est au tour des travailleurs du public de se serrer la ceinture pour le
maintien de la bourgeoisie. Mais le gouvernement n’est pas fou : l’attaque
est moins violente envers les fonctionnaires, plus syndiqués que la
moyenne et plus prompts à se mobiliser. MAP, poursuite du gel du point d’indice
(base de calcul du salaire des fonctionnaires), accélération de la diminution
des effectifs dans les ministères jugés non prioritaires (près de 2 retraités
sur 3 n’y seront pas remplacés, soit pire que le ratio de 1 sur 2 instauré sous
le précédent gouvernement), et plus largement, réforme des retraites : il
y a pourtant de quoi préparer une rentrée explosive ! Face à ce qui n’en
reste pas moins des attaques structurelles, que font concrètement les centrales
syndicales pour défendre les salarié-e-s et contrer effectivement cette
politique ? À part les plaintes et gesticulations habituelles devant les
médias, les dirigeants de FO, la CGT et la FSU se contentent d’appeler le
gouvernement à revoir ses plans. La question de la construction d’un véritable
rapport de force appuyé sur la mobilisation des premiers-ères concernés-ées est
soigneusement écartée. Une fois encore, le PS peut donc compter sur ses
« partenaires sociaux » pour tuer dans l’œuf la contestation. D’ailleurs,
étrangement, aucune réaction des dirigeants syndicaux n’a été entendue à propos
d’une autre mesure de la MAP instituant que les « modes de concertation
ouverts et informels » seraient désormais privilégiés…
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