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La guérilla en Colombie et le processus de paix
Contexte
La Colombie est située au Nord-Ouest de l’Amérique du Sud. Les 48 millions de colombien-ne-s, très mal reparti-e-s, occupent un territoire de 1 142 000 km², soit environ deux fois la superficie de la France.
La Colombie a un PIB de 7 831 $US par habitant (cinq fois moins environ que la France), mais 15% d’entre eux vivent avec moins de 2 $US/jour. Selon la Banque Mondiale. Le taux de chômage est de 12%. Son économie est considérée comme la 3e d’Amérique Latine, mais plus de 20 000 enfants meurent chaque année de malnutrition.
Le pays est considéré comme le 3e en termes de ressources hydriques et 2e en termes de biodiversité. Il se dispute avec le Pérou la première place dans la production de coca et domine 70% du marché mondial. La concentration foncière est très élevée, 77% du territoire est détenue par 13% de la population dont 30% par seulement 3,6%.
Au début du XXe siècle le mode de production capitaliste commence à s’implanter. Dans la division internationale du travail, la Colombie exporte des matières premières et importe des biens de consommation. Pendant la Première Guerre Mondiale, une industrie locale commence à se développer.
Dans les années suivant la Seconde Guerre Mondiale, il y a eu un saut du développement capitaliste. Les réserves cumulées pendant la crise des années 1930 sont investies dans l'acquisition de biens de production et l’activité industrielle, pendant la période 1945-1953, atteint un taux de croissance de 9,4%. La répression neutralise les luttes revendicatives dans les villes et campagnes et les mouvements progressistes sont réduits au silence.
En avril 1948, les masses se soulèvent suite à l'assassinat de Jorge Eliezer Gaitan, le très populaire dirigeant du parti libéral. Les milices des propriétaires terriens et le parti conservateur lancent une vague de persécutions. La défense armée s'organise dans les campagnes dans la continuité des luttes des années 1920 et 1930, autour du Parti communiste. Les dirigeants du parti libéral se rallient en 1957 au parti conservateur, même si des libéraux radicaux rejoignent la résistance.
Cette période de 1948 à 1962 fut appelée « La Violencia ». Elle causa 200 000 morts et 2 millions de déplacés ruraux, et conduisit à une concentration de la terre. Les États-Unis développent à ce moment leur programme « Alliance pour le progrès ».
La violence contemporaine (1962-2016) dans laquelle s’entremêlent l’organisation des guérillas, les paramilitaires, les cartels de la drogue, la police et l’armée avec l’appui économique et technique des EU, a fait jusqu’à' à maintenant 8 millions d’hectares volés, 260 000 morts (80% des victimes sont des civils), 45 000 disparus, 27 093 séquestrés, des enfants recrutés pour la guerre, des femmes abusées, 10 000 victimes des mines antipersonnel.
7 millions de colombiens se sont déplacés vers les zones urbaines (selon l'ONG Coalition colombienne contre la torture, 70% de ces déplacements seraient de la responsabilité des paramilitaires, 21% de celle de l’armée et 10% de la guérilla) et une femme déplacée sur 5 a fui la violence sexuelle.
La plupart de ces déplacements ont eu lieu de façon individuelle ou familiale, rarement d'exodes, mais certains endroits comme San Carlos en Antioquia ont vu 90% de leur population déplacée. Des milliers des victimes sont passées inaperçues, par des stratégies de dissimulation utilisées par les acteurs armés (conflits entre particuliers, règlement de comptes, délinquance commune etc.), par la routinisation de la violence et l’indifférence sociale et institutionnelle. Une grande partie de ces délits ont été perpétrés quotidiennement, de façon sélective, silencieuse, avec beaucoup de cruauté et dans des endroits éloignés des centres urbains. Même les massacres ont été relativement « silencieux », commis contre 5 ou 6 personnes, mais rarement de façon massive dans les villages. L’objectif est de terroriser la population.
Le problème agraire
La terre est au centre du conflit parce que la Colombie n’a jamais connu de vraie reforme agraire et parce que l’exploitation de la terre n’a pas pu être modernisée. Une tentative réalisée en 1936 par le président Lopez est resté inachevée et la première Violencia a augmenté le problème.
Vers la fin des années 1960, Lieras Restrepo a essayé une reforme pour finir avec le latifundio et a impulsé l’Association Nationale des Paysans (ANUC). Ce projet fut bloqué en 1972 par les grands agro‑industriels et leurs représentants au Congrès pour empêcher toute possibilité d'expropriation.
Toute tentative de réforme sociale agraire avec des prétentions redistributives a échoué face à la tendance historique à consolider la transformation capitaliste de la terre. On n'a pas modifié la structure de propriété de la terre qui, à l'époque, opposait 3% de propriétaires de plus de 100 hectares possédant entre le 55 et 60% de la propriété rurale aux 84% des paysans qui possèdent entre 16 et 17%. Cette situation a empiré à partir des années 1980 et 1990 avec l'appropriation des terres par les narcotrafiquants associés à des groupes paramilitaires.
Incapable de répartir les terres cultivables, l’État a promu la colonisation de zones forestières et a attribué des baldios (terres sans titre de propriété, appartenant de droit à l’État).
Des milliers des colons sont arrivés dans des zones forestières poussés par la crise du café, le développement de l'agro-industrie, les exploitations minières et la coca. Au début des années 1980, il y avait 4 000 hectares semés de coca et 20 ans après il y en avait 160 000 hectares. Dans les zones des colonisations la présence de la guérilla et des paramilitaires est sensible.
La libéralisation économique des années 1990 a mis les agriculteurs en concurrence avec le marché international, sans soutien important de l’État. De nombreux paysans moyens, par crainte du conflit (enlèvement, paiement des taxes aux groupes armés) ont désinvesti l’agriculture, d’autres se sont tournés vers la culture de la coca.
Le modèle néolibéral donne priorité aux cultures pour l'exportation comme la canne à sucre, les biocarburants, le caoutchouc, la palme africaine etc., qui demandent des grandes étendues, sacrifiant la petite production agricole. On est passé de l'importation de 700 000 tonnes d'aliments en 1990 à 10 millions de tonnes en 2015. Actuellement seulement 4 millions d'hectares sont dédiés à l'agriculture alimentaire.
La faiblesse institutionnelle a favorisé l’appropriation des terres par les narcotrafiquants, flagrante dans la fin des années 1980 et 1990.
Les FARC ont toujours été liées à la lutte pour la terre, depuis leur formation en 1964.
Dans leur VIIème conférence en 1982, sur la base du Programma de los Guérilleros (1957), ils promulguent la Loi Agraire ou Loi 001 par laquelle les paysans pouvaient accéder aux terres en possession des compagnies étrangères ou des grands propriétaires terrien détenteurs de 1 500 hectares dédiés à l'élevage intensif et aux terres des propriétaires qui paient les salaires en basuco (pâte de cocaïne), qui assassinent ceux qui réclament leurs salaires...
La loi prévoit aussi l'attribution des parcelles qui sont louées ou exploitées par des intermédiaires à ceux qui les exploitent, et promet le retour aux communautés indigènes des terres qui leur ont été usurpées.
Cette loi est reprise dans la VIIIème conférence des FARC (1993) pour renforcer son application dans la perspective de construction du contre-pouvoir. 3 ans plus tard, l'organisation informait que le plan agraire était développé en 10 zones du pays. Souvent dans les régions sous leur contrôle, les FARC ont imposés de cultures 3/4 pour la nourriture contre 1/4 de coca.
La coca
La culture et commercialisation de la coca ont inséré l'économie colombienne dans les relations internationales de l'économie illicite. Le narcotrafic a été un catalyseur de la guerre, de la concentration de la terre et du capital financier à travers le blanchiment d'argent. Parallèlement, il a été une alternative médiocre pour la subsistance d'innombrables pauvres des campagnes (un légume cultivé avec des subventions gouvernementales rapporte 1/3 de ce que rapporte un plant de coca). Les narcotrafiquants achètent 1 kg de coca 3 000 US$ et le vendent à 12 000 US$.
Selon une étude réalisée par l'Université des Andes en 2011, et reprise par le journal The Guardian, sur les 300 milliards provenant de la production de cocaïne, seulement 2,6% restent en Colombie et 97,4% sont partagés entre les narcotrafiquants et les banques européennes et américaines.
Le narcotrafic s'implique dans le conflit armé colombien au début des années 1980 comme allié, financeur et promoteur des groupes paramilitaires. Parallèlement, il est aussi une ressource indirecte pour la guérilla, en particulier des Farcs, par la paie du grammage (10-15%) sur chaque transaction réalisée de pâte de coca, pour la protection des cultures, laboratoires et aéroports clandestins.
Il n’y a pas de doute sur le rôle déterminant joué par les États-Unis dans le conflit, notamment avec la politique anti-insurrectionnelle de Reagan, l’identification du conflit à une affaire purement criminelle, et la qualification des FARC comme terroristes et non comme militants politiques.
Probablement, le plus grand impact du narcotrafic dans la guerre, est la juxtaposition de la lutte du gouvernement contre l’insurrection et contre le trafic de drogues. Le Plan Colombie (1998-2002) ayant comme objectif de lutter contre le narcotrafic a été orienté surtout contre les guérillas et a fortifié les forces militaires, qui ont reçu 60% des 10 milliards de $US octroyés par les États-Unis à la Colombie (Deuxième budget après celui d'Israël). Actuellement, il y a 7 bases militaires disponibles pour les États-Unis en Colombie.
Pendant les années du Plan Colombie, la guerre s'est modernisée, augmentant considérablement la souffrance de la population civile attrapée dans les feux croisés de la guérilla, des paramilitaires, et des agents de l’État. Le niveau de violence a augmenté, avec la banalisation des crimes de guerre.
Le trésor des FARC
Les estimations des revenus que les FARC tirent de la drogue sont très variables. Certains indiquent 20-30 millions de $US par an vers 1993, d’autres indiquent 783 millions. Certaines avancent qu’à leur apogée, les FARC ont pu percevoir entre 500 et 800 millions $US annuels.
Dans les années 1980, la gauche dénonçait la caractérisation de « narco-terrorisme » associée à la guérilla comme une expression de l'extrême droite. Dans les années 1990, elle reconnaît le financement des FARC par la culture de la coca. Selon les chiffres du Conseil de la défense Nationale, entre 1991 et 1995, 41% des ressources FARC proviennent de l'économie de la drogue. A partir de 2003 ce pourcentage monte à 50%. Le débat se centre alors sur leur degré de responsabilité dans la filière de la coca. Mais il s’est avéré que les FARC avaient aussi leurs propres cultures et laboratoires. De nombreux colombiens en viennent à se demander si les FARC ne se réduisent pas à du crime organisé.
La place grandissante de la guérilla dans ces activités a été une des causes d'affrontements avec les paramilitaires. Les deux groupes armés se disputent le contrôle des routes de sortie de la pâte de coca, et mènent des actions pour le maintien des prix.
Le contact avec les narcotrafiquants a eu des implications dans l’organisation (désertions avec de l'argent récolté, gaspillage, alliances avec des criminels etc.).
Le rythme de la guerre s'est intensifié en 1995. Le gouvernement du président Samper a été délégitimé par la découverte du financement de sa campagne par l’argent du narcotrafic. La guérilla, très forte militairement (62 fronts), était particulièrement active. Elle voulait utiliser la conjoncture pour accomplir les objectifs de son plan stratégique (modèle mixte de guerre prolongée et insurrectionnelle, les guérilleros comptant sur les miliciens dans les centres urbains) dans le but de prendre la capitale, Bogotá.
Entre 1996 et 1998, entre 500 et 1 200 guérilleros sont mobilisés dans plusieurs offensives qui surprennent l'armée et l'opinion publique. On parle alors d’une possible victoire de la guérilla. Entre 1995-1996, les FARC ont réalisé 42 attaques tout près de Bogotá.
La guérilla espérait passer d'une guerre de mouvements à une guerre des positions, dans un équilibre de forces. Pendant la présidence de Pastrana (1998-2002), ils ont réclamé un échange de prisonniers et ont obtenu satisfaction en juin 2001.
L'armée nationale reprend le dessus à partir de 1998-1999. Les paramilitaires sont renforcés avec l’appui du gouvernement et des propriétaires terriens. En 2002, ils sont présents sur presque tout le territoire et s'attaquent aux civils, bases du soutien à la guérilla.
Tentatives précédentes de paix
En mai 1984, avec les « accords de La Uribe » sous la présidence de Belisario Betancur s’est établie une trêve accompagnée de quelques réformes. Les FARC ne se sont pas démobilisées pendant la trêve, mais se sont restructurés militairement et ont approfondi les décisions adoptées lors de leur VIIème conférence de 1982 (Plan stratégique pour la prise du pouvoir).
Le processus a donné de la visibilité à la guérilla. Une bonne partie de la gauche insurrectionnelle a participé à la création de l'Union Patriotique.
L’Union Patriotique est un mouvement politique ample et démocratique qui prône :
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La nationalisation de la banque, des monopoles et des ressources naturelles,
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Le non-paiement de la dette extérieure,
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La réforme agraire,
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La démilitarisation des paramilitaires.
Cette tentative s’est soldée par l’assassinat de 5000 militants de l’UP, suite à leur succès aux élections municipales.
Après cette réponse du gouvernement et des paramilitaires, les FARC ont redoublé le combat. Pendant le gouvernement de Barco (1986-1990), la guérilla a insisté sur les réformes et proposé une Assemblée Nationale Constituante pour changer la constitution. Les FARC se sont retirées du processus de négociation, car le gouvernement exigeait son désarmement à la différence du M19 et du EPL (Ejercito Popular de Liberacion) qui se sont démobilisés en 1990 et ont participé à l'élaboration de la constitution de 1991.
Pendant ces négociations, les FARC estimaient qu'il existait une situation pré-révolutionnaire. Ils avaient un plan de guerre, une organisation militaire nationale et les ressources provenant de la coca avait permis leur réarmement. Ils rêvaient d'une issue similaire a celle de Sandinistes au Nicaragua.
El Caguan 1998 (zone de non agression de 1998-2002)
Pendant le gouvernement de Pastrana ont eu lieu des négociations de paix avec la démilitarisation de la région du CAGUAN de 42 000 km². Parallèlement, le Plan Colombie s’intensifiait et la confrontation continuait partout ailleurs.
Ces négociations ont permis une projection politique importante pour les FARC qui exigeaient la démobilisation des paramilitaires et l'élaboration d'une réforme constitutionnelle à travers une nouvelle Assemblée Nationale Constituante.
A l'époque, les FARC étaient en train de passer d'une guerre de mouvement à une guerre de position. Ils avaient plus de 20 000 guérilleros, et une présence sur tout le territoire national.
Le processus de négociation s'est concrétisé en mai 1999 avec un agenda de négociation en présence de délégués internationaux. Ses principaux points sont :
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Solution politique au conflit armé,
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Réforme agraire, exploitation et conservation des ressources naturelles
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Réforme de la structure économique et sociale
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Développement de la démocratie
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Réforme de la justice, lutte contre la corruption et le narcotrafic
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Application des droits de l'homme
Les secteurs conservateurs s’y opposent, en particulier sur les changements du système économique et la négociation avec la guérilla.
Les changements en politique internationale, suite aux attentats du 11 septembre, ont affaibli les possibilités d'aboutir à un accord et les FARC se sont retirés des négociations.
Suite à cette rupture, les FARC et l’ELN ont intensifié leurs attaques. Ils réalisaient, en moyenne, 7 actions par jour.
Sous le premier mandat d’Alvaro Uribe (2002-2006), les FARC comment à décliner.
L’application du Plan Colombie et du Plan Patriote (2005), destinés à récupérer les bases arrières de la guérilla et ses sources de revenus avec les cultures de coca, s’intensifie. 17 000 soldats sont intervenus avec le commando Sur des États-Unis dans les régions de Caqueta, Meta Guaviare y Putumayo pour détruire des cultures avec la fumigation aérienne au glyphosate (pesticide).
Les FARC abandonnent alors ces positions et se replient dans des régions plus lointaines, revenant à une guerre de guérillas. Le plan CABECILLAS de l’armée (2007) avec des technologies de pointe en localisation satellite et communications, a donné lieu à la mort de plusieurs membres du Commandement Central et des responsables de front des FARC ainsi que la libération d’Ingrid Betancourt en 2008. 11 députés sont morts retenus par la guérilla dans une confrontation par une erreur de communication entre 2 fronts de FARC. Selon le gouvernement, 10 000 guérilleros se sont démobilisés suite à la pression croissante de l'armée.
La perte des territoires dans la région de cultures de coca a signifié une baisse de ressources. En 2002 cette présence était à 70% de ces zones, en 2008 elle baisse à 50%. Dans les espaces de liberté octroyés par le commandement central, certains fronts ou individus ont tissé des relations avec des bandes de délinquants trafiquants de drogue. Cette situation peut ouvrir la possibilité que quelques guérilleros deviennent leurs mercenaires après le conflit.
En 2007 les FARC reconnaissent des pertes importantes mais persistent dans le projet de la prise du pouvoir. Elles se disent prêtes à entreprendre des négociations avec le gouvernement pour une solution politique du conflit avec une participation majoritaire du peuple.
En même temps, la IXème conférence des FARC (2007) cherche à construire un mouvement de masse par l’insertion dans les organisations syndicales et sociales.
Malgré la disparition de 20 fronts, en 2004 on estimait encore à 10 000 le nombre des guérilleros. Sous le deuxième mandat du président Uribe (2006-2010), la guérilla garde sa cohésion dans sa structure militaire. Mais elle adopte une position de plus en plus défensive avec l'utilisation des mines anti personnelles, de francs-tireurs et d’attaques pour préserver les couloirs de sortie de la coca. Leur image se dégrade dans l’opinion publique.
Entre 2008 et 2013, les FARC mènent une guerre de résistance orientée par leur « plan Renacer » (août 2008) dans lequel ils reconnaissent l'affaiblissement militaire et politique. Dans ce plan, ils cherchent à redonner la priorité au travail politique dans la campagne et les villes dans une perspective insurrectionnelle. Ils essayent de gagner de l'influence sur les syndicats, les organisations sociales et paysannes. Ils parlent de la construction de démocratie directe pour ériger le contre-pouvoir populaire. Cette conception s'approche de celle de l’ELN (guérilla d’orientation guévariste).
Les FARC considèrent que dans les négociations, elles représentent les classes populaires dans le cadre de la lutte des classes.
Ils revendiquent la rébellion face à la violence de l’État. Ils ne sont pas la cause, mais la réponse à la violence. C’est pour cette raison qu’ils sont prêts à accepter leur responsabilité, à dire la vérité et à satisfaire la demande des victimes. Par contre, ils ne sont pas disposés à aller en prison.
Depuis le début de la négociation les FARC et Marcha Patriotica (mouvement politique) demandent une assemblée constituante comme en 1990. Cette fois, ils la perçoivent comme un symbole de victoire pour faire avancer la constitution de 1991 et inclure des aspects fondamentaux des accords de la Havane. Mais certains analystes estiment que dans le rapport de forces actuel, une révision de la constitution pourrait faire reculer les droits. C’est ce qu’espérait l’ex président Uribe.
Le nouveau président, Juan Manuel Santos, depuis 2010, membre du Parti libéral, était le ministre de la défense de Uribe. Uribe et ses partisans fondent en 2013 le « Centre démocratique », très conservateur.
En 2013, la guérilla annonce être disposée à cesser le feu, mais non à rendre les armes. Malgré la signature dans l'accord final de rendre toutes les armes avec vérification de l’ONU, nombreux sont ceux que n’y croient pas; et craignent qu’une bonne partie d'entre elles resteront cachées.
Avec les expériences précédentes, à savoir, l’assassinat de guérilleros démobilisés en 1953, le massacre de l’Union Patriotique, l’assassinat de dirigeants communautaires, ou encore avec les 35 militants des droits de l’homme assassinés en 2016, les paroles de Marulanda Velez, paysan fondateur des FARC, continuent à résonner après sa mort. Il disait que dans un éventuel processus de paix, la guérilla ne devait pas se désarmer ni se démobiliser afin de pouvoir garantir la mise en œuvre des accords.
Les négociations 2012 – 2016
Déjà au début des négociations, l'opinion publique était polarisée, une des premières enquêtes en avril 2012 signalait que un 47% des enquêtés souhaitent une sortie politique au conflit pendant que 48% voulaient une sortie militaire.
La table des négociations s'est installée à Oslo le 18 octobre 2012.
Le gouvernement était représenté par un ex-ministre, un ex vice-président, De la Calle Lombana, chef de négociation, un délégué des propriétaires industriels et agro-industriels, un ex-ministre de l'environnement, un Haut commissionnaire à la Paix, un ex directeur de la police et un ex commandant de l'armée.
La guérilla était représentée par des membres de longue trajectoire, avec de l'expérience dans les processus de paix précédentes qui ont un profil plus politique que militaire.
Depuis le début des négociations, les FARC ont donné des signes de bonne volonté (renoncement aux enlèvements en février 2012, arrêt des offensives pendant 2 mois à partir du 20 novembre 2012) et ont cherché un cessez-le-feu.
Un premier Accord Général pour la fin du conflit et la construction d'une paix stable a été signé entre les FARC et le gouvernement le 26 août 2012 avec l'accompagnement de Cuba, de la Norvège et du Venezuela et avec un agenda de 6 points. Cet accord a établi les règles de la négociation et la participation citoyenne. A la différence des négociations précédentes, l'agenda est plus encadré et moins vague.
Les FARC sont entrés dans la négociation actuelle dans des conditions très différentes de celles des précédents processus de paix.
L'accord final (2016)
Un accord final a été signé le 26 août 2016 entre FARC et gouvernement en présence de représentants de 15 pays et organismes internationaux. Il est composé de plusieurs parties signées en plusieurs fois.
1. Réforme rurale intégrale - signé en mai 2013
Elle a pour objectif la transformation intégrale de la campagne en éliminant les grosses inégalités entre les campagnes et les villes.
- Création d’un Fond de Terres constitué par les baldios (qui sont souvent exploités illégalement par les narcotrafiquants pour la culture de la coca), l’extension de domaine et les terres mal ou pas exploitées. L’extension de domaine est constituée des biens confisqués par l’État à des personnes condamnées pour trafic de drogue.
- Exécution des programmes spéciaux de développement (réduction de la pauvreté extrême, construction d'infrastructures, stimulation de l'agriculture familiale, assistance technique, crédits)
- Développement de la sécurité alimentaire
2. Participation politique - signé en novembre 2013
Son objectif est de consolider la paix avec l'ouverture démocratique. Les nouveaux projets et organisations politiques seront intégrés sur la base de la non exclusion et du soutien avec transparence et équité, surtout pour les forces marginalisées entre autre par la violence du conflit. L’idée est de délier la relation entre la politique et les armes.
Dans le point 3 de l’accord intitulé « Fin du conflit », on signale que le parti politique des FARC sera reconnu seulement une fois le désarmement terminé et les conditions légales remplies (statuts, plateforme politique). Le parti des FARC sera toutefois exempté de l'exigence d'avoir obtenu 3% des voix au Sénat et à la Chambre des députés (nombre minimal de vote pour être représenté au parlement). Le nouveau parti doit participer aux élections de 2018 et 2022 pour assurer une représentation minimale dans le Congrès de la République. Ils auront droit à 5 sénateurs et 5 représentants à l'Assemblé Nationale pendant les 2 prochaines périodes électorales. Mais, si les listes électorales obtiennent 5 sièges ou plus, on n’assignera pas de sièges supplémentaires.
L’intégration des FARC dans la sphère politique colombienne comprend également l’établissement de conditions spéciales et transitoires. Par exemple, l’organisation d’élections immédiates dans 16 circonscriptions dans les zones les plus frappées par la guerre. Ainsi, les habitants pourront élire de façon provisoire des représentants pendant cette phase de transition.
Le traité comprend la révision intégrale du régime et de son organisation électorale. Et, mesure qui n’existait pas dans la constitution de 1991, il garantit le statut de l'opposition dans laquelle participerait tous les partis politiques intéressés.
3. Fin du conflit - signé en août 2016
L’objectif principal du traité de paix est l’arrêt bilatéral et définitif du feu et des hostilités sous la surveillance de l'ONU. L’État cherche à garder le monopole de la force, des armes et des finances publiques.
Les principales mesures sont :
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Établissement d'un calendrier pour rendre les armes et pour intégrer les combattants à la vie civile.
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Dans un délai de 150 jours toutes les armes doivent être rendues. Les FARC ont 10 jours à partir de la signature de l'Accord définitif pour transmettre l'information sur le nombre d'armes et les coordonnés des dépôts de leur matériel explosif.
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Création d'un mécanisme de suivi et de vérification par des représentants de l'État et des FARC, chapeauté par les Nations Unies, qui publie des compte-rendus périodiques
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Mise en place d'un programme de protection pour les anciens FARC membres de la nouvelle formation politique, une fois rendue la totalité de leurs armes.
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Pour réaliser la transition des guérilleros à la légalité et l'abandon des armes, on a créé 22 zones transitoires de normalisation et 8 points supplémentaires avec des mesures spéciales de sécurité.
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Droit de chaque ex-combattant à la santé, éducation et réunification avec sa famille. Ils pourront également bénéficier d’aides financières exceptionnelles (183 €/mois pendant 2 ans ou environ 2 500 € pour monter des projets individuels ou collectifs). La création d'un Conseil National de Réincorporation est prévu pour suivre leur réinsertion.
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Les FARC ne pourront exécuter aucune activité illicite comme extorsion, enlèvement ou narcotrafic. Toute infraction sera considérée comme une violation de l'accord. Les accusés devront répondre devant la justice ordinaire.
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Démantèlement des organisations criminelles et punition de leurs actes.
4. Solution au problème des drogues illicites - signé en mai 2014
L’objectif de cette partie est d’aborder le problème de la culture de la coca comme un problème de développement rural et sa consommation comme problème de santé publique.
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La construction de la paix passe par la lutte contre le narcotrafic, au moins son expression territoriale de cultures illicites, les économies illégales et les organisations criminelles qui y sont associées. Les deux partis s’engagent à chercher une solution définitive au narcotrafic.
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Le gouvernement a décidé de mettre en place les politiques et programmes établies dans ce point des accords et de lutter fermement contre la corruption imposée par les mafias dans les Institutions de l’État.
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Les FARC ont décidé de contribuer à cette lutte avec des actions pratiques. Ils s'engagent à mettre fin à toute relation qui aurait existé avec le narcotrafic dans le cadre de la rébellion.
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Les cultivateurs de coca doivent transiter vers une économie légale. Il s'agit de travailler avec les communautés pour gagner leur adhésion volontaire à travers la souscription d'accords de substitution et de non replantation. Dans les cas où ils ne souhaitent pas participer aux programmes ou s’ils ne respectent pas les compromis, on peut entreprendre l'éradication manuelle quand elle est possible. L’État pourra utiliser l’épandage aérien avec du glyphosate pour détruire les cultures de coca. Dans cette perspective on envisage la création d’un programme national intégral de substitution des cultures illicites et de développement alternatif.
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L’État crée un programme national d'intervention globale face à la consommation de drogue.
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Pour combattre le narcotrafic l’accord prévoit une nouvelle stratégie de politique criminelle qui rassemble la police et la justice pour frapper les maillons les plus forts des réseaux.
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Nouvelle stratégie contre les capitaux investis dans l'affaire illicite, contre le blanchiment d'argent.
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Des contrôles de l’État à la production, importation et commercialisation des produits chimiques nécessaires à la production de cocaïne.
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Démantèlement des mafias surtout dans les régions où elles mettent en péril la réalisation de la paix.
5. Victimes: système intégral de vérité, justice, réparation et non récidive - signé en déc. 2015
L’objectif est d’arriver au plus grand niveau possible de satisfaction des victimes, assurer le compte-rendu de ce qui s'est passé et garantir la sécurité des personnes qui participeront à l'éclaircissement de la vérité. Explicitement, on parle de toutes les victimes du conflit armé qu’elles soient victimes des agents de l’État, des guérillas et des paramilitaires.
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Création d'une commission pour organiser les aveux publics des agresseurs en présence des victimes et/ou leur famille. Cette commission n’exerce pas de fonction judiciaire.
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Constitution d'une unité pour la recherche des disparus (participation de la société civile-pour retrouver les fosses communes)
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Constitution d'une Juridiction Spéciale pour la Paix
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Mise en place de mesures de réparations matérielles et psychologique et garanties de non répétition.
Juridiction spéciale
La JEP (Juridiction Spéciale pour la Paix), appelée aussi Justice transitionnelle, a eu l'aval de la procureure de la Cours Pénale Internationale.
C’est le composant juridique de l’accord. Son objectif est de faire rendre des comptes face à un tribunal national charger de réaliser les investigations, juger et sanctionner les délits commis pendant le conflit, en particulier les plus graves. Elle s’appliquera à tous ceux qui ont participé de façon directe ou indirecte aux exactions, incluant des personnes qui, sans faire partie d'organisations, ont participé au financement et à l’organisation des crimes les plus atroces.
La JEP est constituée par 5 magistrats colombiens et étrangers. Ils seront choisis par des institutions, comme le Secrétariat Général de l’ONU, le Pape, la Salle Pénale de la Cours Suprême de Justice, ou encore l’ensemble des Présidents des Universités Publiques.
En accord avec le Droit International Humanitaire et le Droit Constitutionnel colombien on peut octroyer des amnisties pour les délits politiques et connexes. Dans tout cas de figure, et tenant compte du Statut de Rome, seront exclus d'amnistie ou de bénéfices équivalents les responsables de crimes contre humanité, crimes graves de guerre, prises d'otages, enlèvements, tortures et exécutions sommaires, disparition forcée, viol et autres formes de violence sexuelle, déplacement forcé et recrutement de mineurs.
Sanctions
Pour les crimes non amnistiables, la JEP, à travers le Tribunal pour la paix, peut établir 3 types de sanctions :
- Las Propias : pour ceux qui reconnaîtront au début du procès leur responsabilité, les sanctions seront une restriction effective des libertés et des mouvements pour des périodes allant de 5 à 8 ans (assignation à résidence).
- Les Alternativas : pour ceux qui reconnaîtront leur responsabilité tardivement, mais, avant la sentence, les sanctions seront une peine de prison entre 5 et 8 ans.
- Les Ordinarias : pour ceux qui n'ont pas reconnu leurs crimes et se dérobent à la justice, le tribunal établira des peines de prison entre 15 et 20 ans.
Pour accéder aux sanctions Propias et Alternativas, il est nécessaire de contribuer à l'établissement de la vérité, la réparation et non répétition (réparation matérielles, déminage, éradication manuelle de la coca).
6. Mise en œuvre, vérification et référendum - signé en août 2016
- Création au lendemain de la signature de l'accord final d'une commission pour la mise en place et le suivi des accords. Cette commission sera composée par 3 représentants du gouvernement et 3 représentants des anciens FARC avec un support technique international. Le gouvernement est responsable de l’implémentation des accords.
- Le mécanisme de vérification est composé par deux notables reconnus internationalement, élus par les FARC et le gouvernement et par un représentant de chaque pays garants Norvège, Venezuela et Chili
Une mission des Nations Unis est sollicitée pour vérifier l’intégration des FARC dans la vie politique et la bonne application des mesures de protection personnels et collectives ainsi que la réinsertion des combattants. Cette mission prendra ses fonctions quand la Commission de cessez-le-feu terminera son intervention. Cette commission aura une durée de 3 ans renouvelables.
Le président colombien Juan Manuel Santos, à gauche, et le chef des FARC, Rodrigo Londoño, plus connu sous ses noms de guerre de « Timoleon Jimenez » ou « Timochencko », à droite, lors de la signature de l’accord de paix, le 26 septembre 2016 à Carthagène.
Objections au texte de l’accord de paix
Ce texte est considéré trop laxiste par la droite.
Un des thèmes le plus abordé est celui de la Justice Transitionnelle car, selon les détracteurs, il conduira à l'impunité. Ils soutiennent que des amnisties seront octroyées sous la manche au mépris des victimes et du droit pénal international.
Or, il semble impossible de juger tous les crimes commis en 60 ans de conflit. Il est donc nécessaire d’établir des critères de priorité sur les plus significatifs.
Mais l'impunité de la guérilla n'est pas le principal souci des opposants au processus de paix. Ils savent que l’État a été efficace sur ce point. La Procureur Général de la nation a préparé plus de 55 000 accusations contre les FARC. Selon l’organisme gouvernemental Unité des Victimes, les FARC avec d'autres guérillas sont responsables de 15% des victimes. En contrepartie, il y a seulement 3 000 accusations préparées contre des agents de l’État, responsables, eux, de 25% des victimes et aucune contre les organisateurs, financeurs et instigateurs du paramilitarisme responsables de 50% des victimes.
Le procureur de la Cour Pénale Internationale a affirmé, dans son compte rendu sur la Colombie de 2015, que les guérilleros sont les seuls acteurs du conflit qui n’ont pas profité de l'impunité à cause de l’implacable et constante persécution de l’État contre eux. Dans ces circonstances, on ne doit pas s'étonner que l'ex président Uribe, grand opposant au processus de Paix, appelle à l'amnistie des combattants de base. Ce qui intéresse Uribe est de garantir son impunité et celle de ses collaborateurs. Il a appelé après le référendum a plus d'indulgence contre les délinquants de son bord. On ne doit pas oublier qu’entre 2005 et 2007, pendant son mandat, la justice avait poursuivi pour corruption 30% des élus au Parlement.
Ceux qui considèrent que les forces armées étaient en mesure de gagner par une victoire militaire estiment que les accords donnent un nouveau souffle à l'insurrection et peuvent permettre « d'imposer le castro-chavisme dans le pays ». Ils cherchent à créer une union nationale contre l'ennemi interne, c’est-à-dire les forces progressistes et révolutionnaires.
L'Opposition radicale de droite craint la présence de forces de gauche dans la concurrence électorale et la mise sur le tapis des problématiques économiques et sociales du pays qui risquerait de mettre en péril leurs privilèges.
Les conservateurs ont aussi attaqué le texte d’un point de vue sexiste. Les églises évangéliques et catholiques ont diffusé l’idée que l'accord allait généraliser les relations homosexuelles, la fin de la famille traditionnelle et imposer une dictature féministe. Tout ça parce que dans les négociations s'est constitué une commission de genre qui est arrivée à arracher quelques droits pour les femmes et les LGBTI. La participation massive des femmes dans des mobilisations et la construction d'organisations propres pour la défense de la vie et contre la guerre ont irrité le secteur conservateur.
Il faut préciser que selon l’Institut de Registre des Victimes, entre 2004 et 2014, 181 093 personnes ont été victimes de violences sexuelles. Les femmes représentent 84% des victimes (deux par heure, une chaque 32 minutes) et les filles entre 10 et 14 ans ont été particulièrement ciblées. Environ 3 000 membres de la communauté LGBTI ont porté plainte, mais la plupart des victimes n’ont pas osé le faire. Selon l’ONG Coalition Contre la Torture, des agents de l’État ont été responsables de 66% des viols, 32% ont été attribué aux paramilitaires et 2% à la guérilla.
Le Conseil de la Présidence de la République pour l’Equité, dans son rapport de mars 2015, souligne que 21% des fonctionnaires des organes de protection des victimes estiment qu’on donne trop d’importance à la violence faite aux femmes...
Le référendum
Le président Santos, afin de donner une assise populaire aux accords et de se donner une image de défenseur de la démocratie, a convoqué un référendum le 2 octobre 2016. Tous les secteurs politiques, et les enquêtes donnaient la victoire à l'approbation des accords. Le 2 octobre 2016, avec 63% d'abstention, le NON l'a emporté avec 50,2% des voix. A l'étranger, le OUI l'a emporté avec 54,13% des voix à l'exception des États-Unis où il n'a obtenu que 37% des voix. En France, le OUI l’a emporté avec 82,53%.
Comment expliquer ces résultats ?
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Le peuple a été absent dans la construction des accords. Le référendum avait pour but simplement de demander l’approbation de la population.
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La campagne pour le OUI a été affaiblie par la confiance dans les sondages, qui le donnaient largement vainqueur.
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Les médias ont maintenu une certaine diabolisation des FARC.
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Abstention dans les villes plus éloignées du conflit car leurs habitants n’y sont pas confrontés directement.
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La campagne du NON s’est appuyée sur des émotions et des mensonges plus que sur des arguments (Juan Carlos Vêles, directeur de campagne du NON, a reconnu les manipulations de celle-ci)
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Le NON a aussi été un vote de protestation contre le gouvernement de Santos et de sa politique répressive.
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Les accords ne touchent pas le modèle capitaliste et ne permettaient pas une transformation de la vie quotidienne de la majorité de la population.
Majorité pour la paix
Ces résultats ne signifient pas que les Colombien-nes ne veulent pas arrêter la guerre. L'opinion publique est favorable à la paix comme le démontre par ailleurs toutes les enquêtes d'opinion. Les grandes mobilisations dès le lendemain du référendum ainsi que les réactions de ceux qui ont voté NON, ont manifesté un désir de modifier les accords et non de reprendre les combats.
Tous les partis en présence ainsi que les élites sont également favorables, au moins formellement à une issue politique pour sauver le processus de paix. Même l'ex président Uribe, principal défenseur du NON, a déposé une proposition modifiant les accords de paix, sa politique belliqueuse traditionnelle étant devenue impopulaire.
Les FARC, quant à elles, considèrent que l'Accord de Paix demeure valide malgré le résultat du référendum. Toutefois, elles se sont déclarées ouvertes à accepter des modifications.
Au lendemain du referendum, l’ELN a lui aussi appelé toutes les forces politiques à « continuer la lutte pour la paix » et a réitéré sa volonté de continuer les négociations en vu de déposer les armes. Le 27 octobre 2016 a été fixé comme date de lancement de la phase publique des négociations ELN-Gouvernement.
L’attribution du Prix Nobel de la paix à Santos est difficile à concevoir sachant que le Président a été Ministre de la Défense pendant le gouvernement d’Uribe. Il est donc responsable des exécutions sommaires de jeunes civils présentés a tort comme des guérilleros abattus au combat (Falsos positivos). Sur le plan international, ce prix relance le soutien au processus de paix.
Issues possibles
Les issues possibles après ce référendum étaient les suivantes :
- Le président ou le congrès peuvent utiliser leurs prérogatives légales et constitutionnelles pour atteindre la paix validant les accords, mais le résultat du référendum met en difficulté cette option.
- Le gouvernement peut convoquer une assemblée constituante qui apporterait d'éventuelles modifications au texte.
- Le gouvernement pourrait proposer la constitution d'une commission de dialogue nationale (pacte national) avec durée déterminée et des résultats concrets suite à laquelle serait organisé un nouveau referendum. C’est la solution soutenue par les partis traditionnels.
Uribe, chef du NON a présenté le 9 octobre ses principales objections et propositions :
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Les accords ne doivent pas affecter les propriétaires ou possédant de la terre et, au contraire, on doit soutenir les entreprises agro-industrielles.
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Il s'oppose au Tribunal Transitionnel et propose de créer dans la Cour Suprême de Justice une salle transitionnelle excluant les magistrats étrangers.
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Il demande au Congrès l’allègement judiciaire contre les policiers et membres de l'armée actuellement incarcérés.
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Il exige des peines restrictives de liberté a exécuté dans des fermes de 5-8 ans selon les crimes.
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Il s'oppose à ce que la participation des FARCS au narcotrafic soit considéré comme un délit connexe.
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Il exige que les anciens FARC ne puissent mener des activités politiques avant l’accomplissement de leurs peines.
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Il est pour amnistier sans démobilisation immédiate, ni abandon des armes, des guérilleros de base non impliqués dans des crimes de guerre (en espérant comme bénéfice secondaire l’amnistie des paramilitaires et militaires impliqués).
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Il propose, au lieu de leur donner une indemnité, de recruter comme salariés les anciens guérilleros pour l’arrachage manuel de la coca.
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Il propose la protection effective des FARC à condition qu'ils arrêtent le narcotrafic, les enlèvements, etc.
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Il est en faveur d’une éradication manuelle des cultures, mais défend l’usage de la fumigation aérienne si nécessaire.
Santos essaie de faire le minimum des changements possibles à l'accord.
Ses stratégies :
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Réussir à ce que les FARC acceptent des ajustements et des précisions à l'accord "donnant garanties à tous".
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Isoler Uribe en négociant séparément avec divers secteur du NON (Pastrana, Églises Évangéliques, représentants du Parti Conservateur).
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Gagner le soutien des victimes. Il leur a dédié le Prix Nobel et réalise une cérémonie commémorative a Bojaya (lieu du massacre commis par les FARC) en donnant l'argent du prix aux associations des victimes.
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Relancer des négociations avec l’ELN.
Finalement, le mardi 13 décembre, la Cour constitutionnelle de Colombie a approuvé une procédure accélérée, ou « fast track », permettant au Parlement de légiférer rapidement sur la mise en application de l’accord de paix. Uribe crie au scandale anti-démocratique.
Après l’accord
Le chiffre de 56 000 voix d’avance du NON au référendum est a peine supérieur aux 45 000 voix des disparus qui ne pourrons plus jamais voter.
En effet, la possibilité d’exercer la politique sans avoir recours aux armes et sans avoir peur de se faire assassiner s’éloigne dans un pays où la classe dominante a imposé le silence de l’opposition par la répression et la mort. Cette perspective d’ouverture démocratique était la plus grande attente du processus de paix.
Ce processus n’a pas été conçu pour améliorer les conditions d’existence de la majorité des Colombien-nes car il ne touche pas les bases du système d’exploitation. Il n’a pas pour objectif d’amener l’équité et la justice sociale dans le pays, même pas une réforme agraire.
Les revendications des FARC ont été moins ambitieuses que celles des négociations précédentes et la participation des masses a été peu significative. Les gens n’ont pas été intégrés à la construction des accords et n’ont donc pas pu se les approprier.
L’ouverture de la phase publique des négociations avec l’ELN ouvre peut-être la possibilité d’une participation massive dans leur processus de démobilisation. Cette guérilla prévoit la participation d’amples secteurs de la population par la voie des discussions publiques.
Comme ça a été le cas dans la première période de violence (1948-1962), les élites cherchent la division et la confrontation des opprimés entre eux (à l’époque les pauvres s’entretuaient sous les drapeaux des partis libéral et conservateur). Pour se poser en sauveur du pays, l’alternative des dominants en 1957 a été le Front National, une alternance au pouvoir des deux partis traditionnels avec l’exclusion systématique d’autres forces politiques, notamment celles de gauche.
Suite au résultat du referendum, le gouvernement propose à nouveau la même solution, le Pacte National. Dans ce pacte, le Président Santos cherche la paix pour les capitalistes nationaux et étrangers, avant tout pour faciliter un projet néolibéral. L’ancien Président Uribe s’appuie davantage sur les grands propriétaires terriens. Mais ils ne défendent au fond que deux nuances de capitalisme, et c’est pourquoi ils peuvent facilement se mettre d’accord.
Avec le Pacte National, les élites cherchent à isoler politiquement les FARC qui ont perdu beaucoup de leur capacité de combat et n’ont ni bonne image ni un ancrage suffisant dans la population pour les protéger.
Si les FARC arrivent à se constituer en mouvement ou parti politique, il leur sera très difficile de devenir une organisation de masse, comme ils le prévoyaient dans le Plan Renacer. Et il ne s’agira pas d’une organisation révolutionnaire. Le plus probable est qu’ils aient 10 sièges parmi les 258 qui composent le Parlement et qu’ils participent à une coalition de gauche.
Malgré ses profondes limites, il faut exiger la mise en œuvre des accords signés et refuser toute table de négociations différente de celle de la Havane pour empêcher les secteurs les plus réactionnaires de gagner du terrain.
Le seul chemin est celui qu’ont adopté des milliers de citoyens qui s’expriment dans la rue depuis le résultat du référendum. Les indiens, ouvriers, instituteurs, chômeurs sont dans la rue exigeant le respect des accords. Des communautés indigènes et d’afro-descendants demandent au gouvernement l’application immédiate dans leurs régions des accords. Les femmes de la campagne et le mouvement féministe sont fortement mobilisées, en particulier contre la stigmatisation de la droite contre les questions de genre.
Le soutien des organisations politiques et syndicales étrangers est très important.