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Les étudiant-e-s aussi doivent manger – Un mouvement de grève secoue les universités berlinoises depuis janvier
Adapté par l’auteur à partir d’un article paru dans la Sozialistische Zeitung, Février 2018, p. 7
Leur engagement demeure souvent à peine visible, mais les contractuel-le-s étudiant-e-s (CE) accomplissent une grande partie du travail scientifique, pédagogique et administratif dans les universités allemandes. En principe, cela leur permet d’assurer leur subsistance par un travail en rapport avec leurs études. Toutefois, en réalité, beaucoup d’universités ne paient que le salaire minimum, et livrent les étudiant-e-s sous-payé-e-s à l’arbitraire des professeur-e-s et de la bureaucratie administrative.
À Berlin, les générations précédentes d’étudiant-e-s ont conquis une convention collective, la seule à ce jour dans toute l’Allemagne. Pourtant, les étudiant-e-s d’aujourd’hui ne s’en satisfont pas. D’après un sondage syndical de décembre 2017, 80% des étudiant-e-s berlinois-e-s étaient prêt-e-s à soutenir une grève pour une nouvelle convention collective. Parmi les CE des universités berlinoises, 65% se disaient prêt-e-s à se mettre en grève. Une première journée de grève a eu lieu le 16 janvier, suivie de trois jours consécutifs du 23 au 25 janvier. Le 2 février 2018, suite à une nouvelle journée de grève, une assemblée générale commune des universités berlinoises a résolu de poursuivre la lutte jusqu’à ce que les responsables universitaires et politiques leur donnent satisfaction.
Depuis début 2017, les CE de Berlin négocient en effet une nouvelle convention collective. Par la voix de leur commission tarifaire élue, ils/elles revendiquent avant tout un salaire de 14€/h (jusqu’à présent 10,98€ par heure), c’est-à-dire une augmentation de 27,5%, et l’indexation sur les salaires des autres salarié-e-s des universités. Dans le cadre du plafond à 40 heures/semaine, ils/elles obtiendraient ainsi un revenu de 560€/mois. Cette augmentation correspondrait à la baisse du pouvoir d’achat depuis la dernière révision de la convention collective en 2001. Elle doit garantir aux étudiant-e-s salarié-e-s un minimum de subsistance, dans le contexte de l’augmentation rapide du coût de la vie à Berlin.
En outre, ils/elles avancent un catalogue de revendications légitimes, parmi lesquelles une garantie contre l’augmentation des cadences et le droit à 30 jours de vacances par an. Ces revendications visent à combler le fossé avec les autres catégories de salarié-e-s des universités, et découlent de revendications de longue date des syndicats du secteur. Par leurs revendications, les étudiant-e-s font preuve d’un haut degré de conscience, en cherchant à dépasser les divisions catégorielles dans les universités.
Au cours de la campagne pour une nouvelle convention collective, plus d’un millier de CE ont adhéré aux syndicats Ver.di et GEW[1]. Ces derniers ont fermement soutenu la campagne depuis ses débuts. Simultanément, la bureacratie syndicale a tenté de diviser le mouvement. C’est ainsi qu’elle a notamment mis en place à l’Université technologique[2] (Technische Universität), où le mouvement était particulièrement fort, une commission tarifaire illégitime, qui mène jusqu’à ce jour des négociations exploratoires séparées.
L’appel à la grève place les directions de Ver.di et GEW face à leur responsabilité : soutenir les travailleur.e.s en lutte jusqu’à ce que toutes les revendications de la commission tarifaire élue soient satisfaites dans toutes les universités.
Dans le camp adverse, on trouve les présidences des universités, qui ne sont pas du tout portées au compromis. Ce qu’ont déjà montré les cinq cycles de négociation menés en 2017 : la meilleure offre consistait en une augmentation de 4% (11,42€/h). À l’approche de la grève, la présidence de l’Université libre[3] a mis en doute sa légalité[4], sans motif plausible, et a menacé les grévistes de mesures disciplinaires. La Haute école de l’économie et du droit[5] a exigé que toutes les heures de travail manquées à cause de la grève soient rattrapées ! Il semble que les adversaires de la nouvelle convention collective veuillent utiliser l’éparpillement des étudiant-e-s sur de nombreux sites pour diviser et affaiblir le mouvement.
Cette lutte syndicale est en même temps une lutte politique. Non seulement les étudiant-e-s remettent-ils en cause dès aujourd’hui l’organisation du travail dans l’université capitaliste, mais encore, le sénat rouge-rouge-vert de Berlin[6] joue un rôle décisif dans cette affaire. Les contrats actuels avec les universités[7] prévoient et financent une augmentation des salaires de 18,5% sur cinq ans, et pour les CE de 15%. À noter que les augmentations de salaire financées par les précédents contrats avec les universités ne sont jamais parvenues jusqu’aux CE ! Jusqu’à présent, le sénat de Berlin, y compris la fraction Die Linke, a couvert tacitement les universités qui tentent à nouveau de détourner la masse salariale pour des dépenses de prestige.
Les obstacles dans les universités berlinoises rencontrés par la jeunesse dans les pays voisins, et notamment en France. Avec le processus de Bologne, les États de l’Union européenne convertissent leurs universités au modèle néo-libéral, fondé sur la concurrence permanente entre tou-te-s pour dégrader les conditions de travail d’étude. L’objectif est de réduire les coûts pour le Capital de la reproduction de la main-d’œuvre, tout en renforçant le contrôle dans la sphère idéologique. En remettant en cause non seulement la logique austéritaire et concurentielle de Bologne, mais aussi la fonction même de l’université capitaliste, les salarié-e-s et les étudiant-e-s peuvent mettre en place une autre université, ouverte, populaire et émancipatrice. Par leur grève offensive, les étudiant-e-s berlinois-e-s montrent la voie à suivre pour y parvenir.
[1] Ver.di, syndicat de la fonction publique appartenant à la principale confédération DGB ; Gewerkschaft Erziehung und Wissenschaft, syndicat de l’enseignement et de la recherche scientifique, appartenant également à la DGB.
[2] Technische Universität Berlin, environ 34 000 étudiant-e-s.
[3] Freie Universität Berlin, environ 36 000 étudiant-e-s.
[4] Le droit de grève en Allemagne est très encadré, les revendications devant être de nature strictement économique.
[5] Hochschule für Wirtschaft und Recht, environ 9 000 étudiant-e-s.
[6] La ville de Berlin est dirigée par une coalition entre le SPD, les Verts et Die Linke (parti large à direction réformiste).
[7] Le fédéralisme à l’allemande veut que les universités soient du ressort des états fédéraux (Länder). Leurs rapports réciproques sont régis par des contrats (Hochschulverträge).