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Sélection, réforme du bac et du lycée, construire un mouvement large
Retour sur la journée du 6
Hier, mardi 6 février 2018, a eu lieu une journée de mobilisation et de grève dans l’enseignement au sens large, avec des manifestations dans plusieurs villes de France, rassemblant des profs, des personnels, de étudiant·e·s, des lycéen·ne·s. Si la taille des manifestations apparaissait relativement modeste, il est important de souligner que malgré une météo difficile (sous la neige a Paris!) des milliers de personnes se sont regroupées pour exprimer leur refus de la politique de Macron. À Caen, Lille, Bordeaux ou encore Paris, des cortèges auto-organisés de lycées et de facs en luttes occupaient le devant de la scène avec une combativité exemplaire. Nous déplorons ici la politique activiste et casse-tout de la tête de cortège vêtue de noir qui, par des pratiques minorisantes et auto-justificatrice n'est apparue que comme un vaste défouloir pour militant·e·s en manque d'adrénaline.
Dans chaque fac où cela a été possible, des assemblée générales se sont développées pour développer la mobilisation, regroupant 900 étudiant·e·s à Toulouse, 300 à Paris 1, près de 200 à Paris 8. À Nanterre, l'assemblée générale a rassemblé 200 personnes, surtout des étudiant·e·s, mais aussi quelques enseignant·e·s du secondaire et des enseignant·e·s et personnels du supérieur. D'autres AG se sont tenues à Tolbiac, à Caen, à Paris 13, etc.
Plusieurs lycées de la région parisienne ont été bloqués et ont participé aux manifestations. Pour certains d'entre eux, se sont réunis la veille de petites assemblées générales pour préparer le mouvement, comme ce fut le cas par exemple au lycée Lamartine. Globalement cependant, ces blocages et départ commun en manifestation furent le fruit de petites équipés motivées, pas encore majoritaires dans les établissements. Le travail d'information et de conviction reste un travail précieux et nécessaire à faire, afin d'éviter de s'enfermer dans un modèle ultra volontariste épuisant et restreignant. Par ailleurs, un début de coordination lycéenne s'est tenue après la manifestation, et cette coordination a regroupé près de 65 lycéen·ne·s de 15 établissements différents. Elle a duré une heure et les discussions se sont surtout centrées sur les méthodes pour élargir la mobilisation et celles pour lutter contre la répression administrative.
Lors de l’AG de la région parisienne convoquée en fin de journée à la bourse du travail de Paris, nous avons pu faire le tour des différents lieux de mobilisation. Dans le secondaire, il apparaît que les lycées les plus mobilisés à l’heure actuelle sont ceux des quartiers populaires, en raison notamment de la population de ces lycées qui est la principale visée par les réformes du gouvernement. Cette AG de la région parisienne est un cadre d’auto-organisation très important dans la situation. Elle doit contribuer à ce que s’exprime nationalement une opposition claire à l’ensemble de ces réformes.
En effet, la politique des directions syndicales, à ce stade, ne permet pas la construction d’une mobilisation puissante et reconductible. Certes, formellement l’appel interfédéral (FSU, FO, Sud, Unef, UNL, SGL) à la journée d’action du 1er février 2018 demande l’abandon du projet de loi Vidal, le maintien du bac comme diplôme national et comme premier grade universitaire permettant l’inscription à l’université dans la filière de son choix, le refus des blocs de compétences en lieu et place des diplômes. Mais, pour le moment, dans la pratique, les prises de positions d’instances universitaires se partagent entre rejet des réformes et demandes de moyens pour les mettre en œuvre, ce qui radicalement antinomique.
Dans le second degré, la principale organisation, la direction du SNES ne demande pas l’abandon du projet de réforme du bac et du lycée. Sous prétexte de ne pas jouer « la politique de la chaise vide », elle continue de participer à des concertations avec Blanquer, où les syndicats étant sommés de donner leur avis sur chaque point mais dans le cadre de la réforme voulue par le gouvernement. Mais de ce point de vue, les autres structures syndicales (FO, Sud, Cgt, etc.) ne font pas mieux, car elles aussi participent à ces concertations. Or, comment mobiliser les collègues pour le retrait, si dans le même temps on discute point par point dans le cadre de la réforme ? La direction du SNES dit à ses militant·e·s qu’elle est pour le retrait global des réformes, mais ne l’exprime pas dans son matériel de masse. Par exemple, le tract du SNES appelant à la grève du 6 février se bornait à constater que ces réformes (collège, lycée, Parcours Sup, statut, etc.) « font système », ce qui est tout à fait exact, mais n’indique pas la position du syndicat sur celles-ci. En outre, les jeux de concurrence entre appareils syndicaux, sur fond d’élections professionnelles en décembre 2018, entrave la nécessaire unité dans le combat. Enfin, les directions syndicales ne soulignent pas l’importance de l’enjeu : elles ne souligent pas qu’il s’agirait d’un basculement si ces réformes passaient. En toute logique, elles n’ont prévu aucun plan d’action sérieux pour construire une grève reconductible et massive.
Dans le même temps, les équipes syndicales militantes, à la base, qui d’ailleurs travaillent souvent ensemble par delà leurs différentes affiliations (SNES, Sud, Cgt, FO, CNT, etc.) sont un facteur clef dans la construction de la lutte. Là où le travail d’information a été bien fait, les taux de grévistes ont été importants. Cependant, le poids de ces équipes ne peut devenir un facteur significatif dans balance sans un travail de centralisation, qui passe par les AG à tous les niveaux et leur coordination.
C’est pourquoi, pour constuire une mobilisation victorieuse, il faudra marcher sur deux jambes, développer l’auto-organisation et combattre dans les syndicats pour la rupture avec le gouvernement.
Cette journée a aussi été la confirmation de l’imposante mobilisation du Mirail à Toulouse avec une assemblée générale rassemblant plus de 900 personnels et étudiant·e·s. La mobilisation dure maintenant depuis plus d'un an contre la fusion locale (avec reprise en décembre dernier), à laquelle vient s’ajouter la sélection qui va être mise en place à la rentrée prochaine. L’auto-organisation convergente des personnels et des étudiant·e·s est centrale sur cette mobilisation, et cette dynamique permet de donner confiance aux autres universités.
Des attaques sans précédent
Il est très important de remettre en perspective les réformes proposées par le gouvernement. Le programme de Macron, c’est de réaliser une contre-révolution néolibérale. Il ne veut pas simplement continuer à remettre en cause les conquêtes sociales à un rythme de croisière plus ou moins rapide. Son objectif est bien plus radical : il veut détruire d’un coup des conquêtes fondamentales, balayer les rapports sociaux existant en France depuis la fin des années trente, bref imposer un changement du modèle de domination de la bourgeoisie.
Macron juge que le rapport des forces lui permet d’en finir avec l’actuel système d’enseignement qui est le reflet d’un compromis de classe (ce système est le fruit de luttes sociales). Le but est clair : imposer un modèle convenant pleinement aux souhaits fondamentaux du patronat depuis longtemps.
Bien sûr, ces réformes, et notamment celles sur la sélection, ne sont possible que grâce aux précédentes réformes des gouvernements passés (LMD, loi LRU, etc.). L’autonomisation des établissements est un des axes pour l’adaptation aux besoins du patronat, l’ouverture du grand marché de l’éducation aux appétits privés (d’abord dans le supérieur).
Pour une analyse précise du changement du système éducatif, nous renvoyons à l’article d’Émancipation à paraître dans la prochaine revue : https://emancipation.fr/spip.php?article1716.
Ce changement profond, que le gouvernement annonce, mène à la destruction du caractère national du système éducatif, à son ouverture à la concurrence et menace clairement son caractère public. Tout ceci est très grave, et si nous n’imposons pas une défaite au gouvernement, la sélection sociale sera renforcée, excluant toujours plus les quartiers populaires avec pour maîtres d’œuvre les enseignant·e·s elles et eux même ! Quand on voit les annonces du gouvernement concernant le statut de fonctionnaire, les perspectives sont encore plus alarmantes. Face à une telle offensive, il ne peut être question de vouloir amender ces projets, ni de tergiverser : l’exigence de leur abandon immédiat est un point de départ incontournable.
Cela ne veut bien évidemment pas dire qu’il faut défendre le système scolaire actuel car c’est indiscutablement un système qui organise une sélection sociale déjà très forte. Nous ne pouvons aspirer qu’à un système plus juste qui, tout en étant structuré par des programmes nationaux, permette à tou·te·s les élèves de progresser à leur rythme, en associant les apprentissages intellectuels et manuels, l’apprentissage de la liberté et de la coopération, et en développant en chacun l’ensemble de ses facultés.
Les inégalités sociales de la société capitaliste redoublées par celles de l’école, qui n’a ni l’organisation ni les moyens pour aider les élèves en difficulté, produisent peu à peu des adolescent·e·s qui n’ont plus le goût d’aller dans cette école capitaliste qui leur renvoie sans cesse l’image de leur incapacité et brise impitoyablement leurs révoltes. C’est pourquoi l’objectif d’un lycée polytechnique et polyvalent pour tou·te·s ne peut être poursuivi sans un combat pour que l’école ait les moyens nécessaires et, plus profondément, sans un combat pour une autre société, débarrassée de l’exploitation et de l’oppression. Car tant qu’il y aura des classes sociales, il y aura une école inégalitaire, dont l’une des fonctions essentielles sera de trier les futur·e·s salarié·e·s en fonction de la division sociale du travail. Comme le projet d’école de Blanquer-Macron-Gattaz est solidaire de leur projet de société capitaliste ultralibérale, le nôtre est lié à la société émancipée pour laquelle nous luttons.
Plateforme revendicative et intervention
Des profs de philo du secondaire, regroupés à 115 en assemblée générale le 3 février, ont adopté une plateforme revendicative qu’il est important de développer, et qu’ils et elles ont proposé à l’AG de région parisienne du 6 février :
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Ni amendable, ni négociable : retrait du projet de réforme du bac et du lycée !
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Non bac au bac maison ! Maintien du bac comme diplôme national et comme condition suffisante pour s’inscrire à l’université dans la filière de son choix
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À bas la sélection à l’entrée de l’université : fac ouverte aux enfants d’ouvriers et d’employés ! Retrait du projet de loi Vidal/ORE !
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Contre l’atomisation des savoirs et savoir-faire ! Pour une école critique, émancipatrice et populaire : nous ne sommes pas là pour formater et trier la future main d’œuvre, mais pour contribuer à aider la jeunesse à s’auto-émanciper !
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Pour un système d’éducation national, des programmes nationaux, contre l’autonomie des établissements qui renforce les inégalités !
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Des moyens à la hauteur des besoins, en Éducation Prioritaire et partout ailleurs pour aller vers l’égalité réelle ! Construction de nouvelles écoles, collèges, lycées, universités ! Abaissement des effectifs par classe, vers 24 élèves ! Des dédoublements autant que nécessaires !
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Aucun licenciement de contractuel·le·s ! Titularisation de tou·te·s sans condition de concours ni de nationalité et fin des emplois précaires !
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Pas touche au statut : ni annualisation, ni temps de présence obligatoire, ni dénaturation du métier, ni transfert à la fonction publique territoriale !
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Non aux réformes néolibérales et à leur monde !
À ces revendications centrées sur le lycée nous devons ajouter des revendications plus spécifiques aux universités, comme par exemple :
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Le retrait total de tous les projets de fusions ou grands établissements qui vont un peu plus vers la sélection et la privatisation de l'université !
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Le retrait de l'ensemble des contre réformes réactionnaires ayant notamment jalonné les années 2000 : de la LMD à la loi Fioraso en passant par la LRU et la loi Vidal et le plan étudiant !
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La mise en perspective d'une fac fermée aux intérêts privés, populaire, développant un savoir critique et autogérée par les étudiant·e·s et les personnels.
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La mise en place d'un salaire étudiant pour permettre d'avancer un peu plus vers la fin complète de la sélection !
L’enjeu central est de construire une mobilisation de masse, dépassant les cadres des lycées et des universités où les militant·e·s sont déjà bien présent·e·s. Pour cela, nous ne devons pas axer notre activité sur le fait de faire le plus de journées de mobilisation possible, mais il nous faut réfléchir ces journées de mobilisation dans la perspective de la construction d’une grève généralisée, seule à même de faire reculer le gouvernement. Pour cela, nous proposons plusieurs axes d’intervention :
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Nous devons faire un énorme travail d’explication du projet du gouvernement et articuler cela à la société capitaliste.
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Nous devons construire les cadres d’auto-organisation locaux, y compris régionaux et nationaux, pour marcher sur les deux jambes, à la fois dans et avec les structures syndicales, et à la fois par l’auto-organisation pour une réelle implication des travailleurs et des travailleuses et permettre d’interpeller les directions syndicales et faire pression sur elles pour aller réellement au bout du combat.
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L’objectif doit être de rassembler, notamment dans les villes et les quartiers populaires, des acteurs/trices de la mobilisation dans l’éducation, en particulier : des étudiant·e·s, des lycéen·ne·s, des enseignant·e·s et autres personnels du secondaire et du supérieur, mais aussi des parents d’élèves, généralement sous-informés ou désinformés aujourd’hui. Il est positif pour la construction du mouvement de « jumeler » des universités avec des lycées du secteur : les participations croisées de collègues de facs et de lycées dans les AG et autres heures d’information syndicale sont un bon moyen d’établir la confiance et de mieux diffuser l’information. Pour construire les réseaux militants nécessaires à l’émergence d’un mouvement large, on peut aussi miser sur la participation de certains enseignant·e·s conscient·e·s de collèges, qui ont dans leurs classes de 3e les premières futures victimes du bac Macron si ce dernier arrivait à ses fins. Pour les parent d’élèves, une bataille spécifique avec des arguments adaptés doit être menée pour leur faire prendre conscience que c’est l’avenir de beaucoup de jeunes – de leurs enfants ! – qui est sur le point d’être sacrifié sur l’autel du profit et dans l’intérêt des banquiers : augmentation des droits d’inscription à l’université et développement des prêts étudiants selon le modèle anglo-saxon, mais en plus garantis par l’État (si le gouvernement devait suivre les conseils de Robert Gary-Bobo, membre de l’équipe de campagne présidentielle de Macron pour ces questions).
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De tels comités locaux de mobilisation doivent se répartir les tâches de diffusion de l’information et de construction de la mobilisation, en visant sa massification dès le mois de mars (après les vacances scolaires et universitaires), par exemple sous forme d’AG de villes pouvant ensuite se fédérer aux niveaux régional et national.
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Nous devons aussi construire des cadres pour centraliser nos actions. Nous sommes pour l’instant minoritaires, et il nous faut être efficace. Des cadres qui centralisent notre action sur certains lieux, certains lycées, et certaines universités pour y développer leur mobilisation sont très importants.
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Les dates des 14 et 15 février sont des dates d’appui importantes pour construire un mouvement sur le plus long terme qui a pour objectif la grève généralisée.
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Là où la mobilisation est la plus avancée, notamment au Mirail, il nous semble juste de lancer l'élaboration d'un manifeste portant nos revendications en positif et dessinant l'université que nous voulons construire.
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Enfin, nous pensons qu’il peut être utile d’organiser dès la rentrée, au moins à Paris, un meeting central sur la sélection, le plan étudiant, et la réforme du bac.