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Lutte dans l’Éducation nationale : premier bilan d’une tentative avortée pour lancer un mouvement national
Début de l’année : relative atonie face aux attaques
La politique de suppressions de postes massives et de mettre en place d’une gestion des ressources humaines sur le modèle de l’entreprise privée capitaliste dans la Fonction publique est l’un des aspects importants de la mission confiée par la bourgeoisie à Sarkozy. Elle s’incarne dans la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP). L’enseignement y occupe une place particulière : c’est la première concentration de fonctionnaires (plus d’1,1 million sur un total d’environ 5 millions en prenant en compte les trois fonctions publiques) et c’est le lieu de la formation initiale de la future main-d’œuvre, formation que le patronat veut voir adapter à ses besoins dans le cadre de concurrence internationale.
En décembre 2008, dans le contexte d’un éclatement de la crise capitaliste mondiale, de la révolte de la jeunesse grecque, de plans de licenciement à venir, Sarkozy avait choisi de différer la réforme des lycées, face à un puissant début de mouvement lycéen, explosif, nombreux et fortement auto-organisé. Mais il avait maintenu les autres attaques (suppressions de postes, réforme dite de la mastérisation, remise en cause des RASED dans le primaire, etc.).
À la rentrée 2009, le nouveau ministre de l’Éducation, Luc Chatel, s’est concerté avec les syndicats pour la mise en place de la réforme reportée, tout en l’habillant un peu mieux que son prédécesseur. Il a laissé miroiter aux élèves et aux parents d’élèves que, malgré la suppression massives de postes, il serait possible grâce à sa réforme de réaliser de l’« aide personnalisée », « du tutorat », etc (1).
Les directions syndicales ont accompagné la politique du ministre en participant aux concertations. La direction du Sgen-CFDT et de l’UNSA-Éducation ont même globalement approuvé la réforme. Quant à la direction du SNES, elle n’a commencé à la critiquer qu’après avoir longuement participé aux concertations, contribuant à endormir les collègues, auxquels on a fait miroiter une « réformette », alors qu’il s’agit de la même réforme que celle de Darcos, voire pire… Dans ces conditions, les deux journées d’action appelées par les directions syndicales de l’enseignement le 24 novembre et le 21 janvier ont été des échecs relatifs. Mal informés sur la réforme, anesthésiés par le discours du gouvernement et la mollesse des directions syndicales, peu convaincus par des journées d’action sans mots d’ordre clairs et sans lendemain, les enseignants se sont relativement peu mobilisés.
Tentative de lancer le mouvement à partir du 93
Vu la gravité des attaques, des militants ont estimé que l’on ne pouvait se résigner à laisser passer les coups sans rien faire. Comme souvent dans l’enseignement, c’est de la Seine-Saint-Denis qu’est venue l’initiative. En effet, ce département est souvent à l’avant-garde des mobilisations : les conditions d’enseignement y sont plus difficiles qu’ailleurs, les enseignants sont souvent jeunes, les militants y sont proportionnellement nombreux. Et c’est en février que sont connues les suppressions de postes pour l’année suivante, ce qui provoque souvent des luttes au moins locales, voire académiques. Cette année, l’initiative semble avoir été prise par des militants LO de la cité scolaire (collège et lycée) Henri Wallon, auxquels les camarades du NPA ont immédiatement emboîté le pas.
Lancée le 1er février, la grève s’est assez rapidement étendue en Seine-Saint-Denis. L’AG d’Henri Wallon a décidé d’aller rendre visite aux collègues des autres établissements en constituant des délégations nombreuses (20, 30, voire 40 collègues) pour les inciter à se joindre à la grève, ce qu’ils ont appelé la « grève marchante », car il leur a semblé reprendre ainsi la méthode employée il y a un an par les travailleurs de Guadeloupe. Dans le même temps, les grévistes se sont adressés aux collègues professeurs des écoles et aux parents d’élèves.
Un premier rassemblement de 200 personnes a eu lieu devant la mairie d’Aubervilliers le 4 février, suivie d’une assemblée générale d’environ 130 grévistes, qui a décidé d’un appel à une nouvelle journée de mobilisation le 9 février, soutenue ensuite par les syndicats du département. C’est pourquoi le 9 février il y avait 650 personnes à la manifestation à Saint-Denis et près de 250 grévistes en AG, représentants 53 établissements, dont 43 en grève. Parallèlement, des actions locales ont été organisées sur les établissements : réunions avec les parents d’élèves, occupations nocturnes, actions symboliques diverses. Le 11 février, le mouvement a commencé à s’étendre à l’académie, l’appel de l’AG étant soutenu par un appel de l’intersyndicale de Créteil (SNES, Sud, FO, CGT-Éduc’Action, CNT, etc.), avec une manifestation en direction du Ministère de l’Éducation Nationale, qui a regroupé environ 2000 personnes. C’était une nécessité, car la plate-forme de revendications adoptées (cf. ci-contre), large et unificatrice, ne pouvait être imposée que par un mouvement d’ampleur nationale.
Les revendications de l’AG des établissements en lutte d’Île-de-France
- Oui à l’embauche massive de personnels enseignants et agents dans l’Éducation Nationale de la maternelle à l’université. Non à la suppression de 16000 postes à la rentrée prochaine, aux classes surchargées et au non remplacement des personnels.
- Abrogation de la loi de mobilité des fonctionnaires qui autorise les licenciements dans la fonction publique.
- Non à la précarité dans les 1er et 2nd degrés et le supérieur. Titularisation et formation de tous les personnels précaires.
- Oui à un véritable service public de l’Éducation Nationale de l’école maternelle à l’université.
- Retrait de toutes les réformes qui visent à le démanteler : réforme Chatel des lycées, des LP, Darcos du premier degré, mastérisation… Non à la destruction programmée des COP, CIO, des RASED et des SEGPA.
Après un léger affaiblissement le mardi suivant, le mouvement a continué à progresser de façon significative : la journée du 18 février, où une manifestation dynamique a réuni environ 5000 personnes, avec en plus des établissements de Seine-Saint-Denis, quelques établissements du Val-de-Marne, de Paris intra-muros, des étudiants de l’IUFM, etc. L’AG des établissement en lutte d’Île-de-France s’est adressée à la fois aux collègues des autres académies (qui allaient reprendre le travail, alors qu’en Île-de-France les vacances commençaient) et aux directions syndicales à tous les niveaux pour essayer d’étendre la grève au-delà de la seule académie de Créteil.
12 mars : une journée nationale d’action sans lendemain
Sous cette pression, les directions syndicales nationales de l’enseignement ont décidé d’appeler à une grève nationale pour le 12 mars au retour des vacances scolaires pour toutes les zones. Mais c’était à nouveau une journée d’action sans le moindre plan de lutte national pouvant tracer la perspective d’une victoire. La grève a été assez largement suivie, en moyenne à 50% au niveau national, souvent forte là où le mouvement était à peine en train de commencer, légèrement en retrait déjà sur les premiers établissements à s’être engagés dans la lutte. Ce niveau de mobilisation exprimait à la fois le rejet des réformes et la disponibilité d’une fraction importante des enseignants pour lutter.
Mais en l’absence de réelles perspectives, le mouvement a dès lors cessé de progresser. Le niveau de mobilisation dans l’enseigne-ment lors de la journée interpro-fessionnelle du 23 mars en a été l’expression. Certes, la mobilisation a été forte dans le primaire, avec des taux de grévistes dépassant les 50% au niveau national et souvent les 70% en région parisienne, mais sans réelle dynamique permettant d’envisager une poursuite de la lutte. De même, si des départements jusqu’alors en retrait ont participé plus massivement (comme le 92 Nord), le mouvement a été globalement en recul, en particulier là où il était le plus auto-organisé. Cela s’est exprimé dans une AG IDF bien moins nombreuses (environ 140 personnes...) avec nettement moins d’établissements représentés (70 au total). Par delà les divergences d’appréciation, l’avis dominant était que la tentative d’impulser un mouvement au niveau national avait échoué, du moins provisoirement.
Pour un bilan politique du mouvement
Comme militants révolutionnaires du NPA, nous nous devons d’essayer de faire un bilan politique lucide de l’ensemble du mouvement et en particulier de l’intervention de notre parti.
Une lutte auto-organisée sur des mots d’ordre justes refusant le fatalisme
Vu l’ampleur des attaques du gouvernement contre la Fonction Publique et l’enseignement en particulier, il était bien sûr juste d’essayer de briser l’inertie et tenter de lancer un mouvement pouvant faire peu à peu tâche d’huile. L’auto-organisation, caractérisée par des AG sur les établissements, au niveau des villes à certains endroits, mêlant parfois enseignants du 1er et du 2nd degrés, le tout couronné par l’AG IDF, était un autre point fort du mouvement. Il a contribué à la construction d’une mobilisation significative à l’échelle de la Seine-Saint-Denis à partir d’un établissement, par un travail volontariste et dynamique pour étendre la lutte. L’impuissance du mouvement à atteindre ses objectifs n’est certes guère imputable aux grévistes qui se sont dépensés sans compter pour le populariser et l’étendre. Il tient en bonne partie à une situation politique générale, sur laquelle les grévistes n’ont guère de prise. Mais sa faiblesse a aussi des causes politiques qu’il faut examiner afin de se préparer à mieux intervenir dans les luttes à venir.
Le poids de la situation politique générale
La situation politique est marquée par trois facteurs. Sur le moyen terme, elle est conditionnée par la crise économique mondiale qui s’est ouverte en 2008, dont les effets se font sentir non pas de façon continue, mais par vagues. Plus immédiatement, la situation est déterminée par le poids sur l’état d’esprit des travailleurs de la série de défaites partielles subies au printemps 2009, principalement en raison de la politique de collaboration de classes et de dispersion des luttes mise en œuvre par les directions syndicales. Ces échecs tendent à renforcer le sentiment que la lutte ne paie pas et que le gouvernement et le patronat ne peuvent pas être vaincus. Enfin, la situation plus immédiate dans l’enseignement a été caractérisée par la politique d’accompagnement des plans du gouvernement de la part des syndicats de la FSU, majoritaires dans le secteur. Or les travailleurs se demandent toujours, avant de se lancer dans un mouvement de lutte dur, s’ils ont une chance significative de gagner. Dans ces conditions, un mouvement lancé par en bas à partir d’un département et sans préparation n’avait que très peu de chances de réussir à faire tâche d’huile.
L’obstacle des directions syndicales ou la grève ne marchant que sur un pied
Certes, une fois le mouvement commencé, les syndicats de l’académie de Créteil (sauf le SGEN et l’UNSA) l’ont soutenu, notamment en appelant à la grève pour la plupart des journées d’action et en participant aux AG de grévistes. Mais les attaques posaient bien sûr la question d’un mouvement national. Or, la politique des directions nationales a constitué un obstacle constant à toute extension réelle du mouvement et à une grève capable de gagner : concertations sur la réforme du lycée pendant trois mois avec le ministre avant de refuser timidement la réforme ; journée d’action nationale sans mot d’ordre clairs et sans lendemain ; absence de tout plan de lutte national… Comment l’expliquer ? D’une part, les directions syndicales, intégrées par mille liens au sein de la machine de l’État capitaliste, sont soucieuses de préserver leur appareil (décharges, subventions, locaux, postes dans les institutions de l’État, représentativité, etc). Cet objectif leur dicte une politique tiède, voulant éviter à la fois de donner le sentiment aux collègues qu’elles ne veulent pas se battre et au gouvernement qu’elles veulent vraiment le combattre. En effet, toute grève nationale reconductible met en jeu l’appareil du syndicat : si elle se développe, elle risque toujours d’être prise en main par les travailleurs eux-mêmes débordant le cadre de départ ; si c’est un échec, elle risque de conduire à la fois à une perte de militants et à des mesures de rétorsion de la part du pouvoir. Sarkozy exerce vis-à-vis du SNES un chantage à la suppression des Commissions Administratives Paritaires (CAP), qui est l’une des principales bases matérielles de son hégémonie dans la profession. D’autre part, les dirigeants syndicaux sont en majorité des réformistes : ils sont effrayés par tout combat pouvant mettre en danger le gouvernement, les institutions, voire le capitalisme, au sein duquel ils ont trouvé leur place ; ils ont perdu toute confiance dans l’énergie et la détermination des travailleurs.
C’est pourquoi l’idée d’un parallèle avec la méthode utilisée il y a un an en Guadeloupe pour arriver à la grève générale, suggérée par la reprise de l’expression de « grève marchante », est erronée. Les centrales syndicales de la petite colonie française qu’est la Guadeloupe (l’UGTG, la CGTG, la CTU), sans être révolutionnaires, sont loin d’être intégrées à l’État au même degré que leurs homologues françaises. Plus combatives, elles avaient préparé rigoureusement la grève générale par la constitution d’un cadre de front unique large (le LKP), des tracts, des meetings et des manifestations. La « grève marchante » n’y a pas été un outil utilisé par la base pour imposer aux directions un mouvement qu’elle ne voulait pas, mais pour étendre des grandes entreprises vers les plus petites une grève générale à laquelle ces directions avaient appelé.
C’est pourquoi il était important de voter des motions demandant aux directions syndicales de proposer un plan de lutte nationale pour engager une grève victorieuse. Bien sûr, ces motions ne peuvent exercer une pression efficace sur les directions que si le mouvement lui-même se développe à la base. Mais elles peuvent aussi y contribuer et sont de toute façon nécessaires pour faire progresser la conscience politique de nos collègues sur le rôle des directions syndicales, dont la plupart correspondent politique-ment au Front de Gauche ou au PS.
Quelle intervention du NPA ?
Parmi les commissions du CPN, il en existe une consacrée à l’Éducation Nationale. En raison du choix politique de la majorité du CPN et du CE de donner la priorité aux élections sur les luttes et des décisions financières correspon-dantes, cette commission s’est peu réunie. Elle a permis des échanges sur les réformes et sur les luttes, mais n’a pas proposé une orientation politique précise pour l’intervention dans ce secteur.
Il existe également une commission correspondante au niveau de la région parisienne, avec une équipe d’animation et des réunions ouvertes à tous les enseignants du NPA, toutes les trois semaines environ. Quel est son actuel bilan ?
Durant la période précédent le mouvement, la commission, malgré la demande insistante de plusieurs camarades, n’a sorti aucun matériel face à la réforme annoncée, ni suite au discours général de Sarkozy, ni suite à l’annonce de la réforme elle-même par Chatel. Il y a là un problème politique. Certains camarades se sont opposés à cette demande, en disant qu’un matériel du parti ferait doublon avec le matériel syndical ou de tendance syndicale. Cela revient d’une façon générale à nier la nécessité du parti et de l’intervention politique dans la lutte des classes. Plus parti-culièrement, dans la mesure où la direction du principal syndicat enseignant du second degré dialoguait avec le pouvoir et alimentait les illusions sur une réforme supposée plus douce que celle de Darcos, il était impératif d’alerter les collègues contre les axes inchangés du projet et d’exiger que les directions syndicales rompent les concertations. Mais ces illusions étaient manifestement en partie partagées par certains camarades qui pensaient aussi que le gouvernement serait plus timoré, vu l’échec de l’année précédente. Cependant, même si cette analyse avait été juste, il aurait été d’autant plus nécessaire de préparer le combat que le gouvernement s’apprêtait à mieux enrober sa réforme pour la faire passer. Plus fondamentalement, il est problématique que l’orientation défendue par les militants du NPA dans leur syndicat ne soit pas discutée collectivement, en particulier pour celles et ceux qui occupent des postes de responsabilités dans la FSU via la tendance École Émancipée, dans Sud ou encore dans la CGT-Éduc’Action — comme si la politique devait s’arrêter à la porte des syndicats.
Certes, une préparation politique de la lutte à venir n’aurait pas pu à elle seule inverser le cours des choses, puisque nous sommes minoritaires dans notre milieu ; mais elle aurait permis d’influencer les collègues, les militants syndicaux, et de faire progresser la conscience politique de tous en montrant au grand jour le refus des directions syndicales réformistes d’en découdre avec le gouvernement Sarkozy. Malheu-reusement, seul le comité Éduc Nat 93 a produit un matériel politique, comparable à une feuille de boîte pour l’enseignement : il est impératif de se battre pour qu’un tel travail politique soit aussi accompli dans toute la région parisienne et au niveau national. C’est la condition pour construire un courant lutte de classe dans ce secteur, regrouper autour du NPA les salariés les plus avancés et progresser dans la construction du parti.
Quand le mouvement a commencé, le rythme des réunions en région parisienne s’est logiquement accéléré et le nombre de participants s’est élevé, permettant aux militants actifs dans cette lutte de mieux se connaître, d’échanger non seulement des informations, mais aussi leurs points de vue sur le mouvement, ses obstacles et ses perspectives. Cependant, l’affluence est restée limitée au regard du nombre d’enseignants adhérents au parti. Cela s’explique en partie par le fait que chacun, tout en appréciant ces échanges, mesure aussi leurs limites : les réunions ne prennent le plus souvent aucune décision et n’ont aucune influence sur l’activité de la majorité des camarades. À notre connaissance, un seul tract du secteur a été tiré, pour la manifestation du 18 février, en fait repris du travail accompli par les camarades du comité Éduc Nat 93. C’est très en deçà de ce qui était possible et nécessaire. L’activisme déterminé des militants les plus investis ne peut pas permettre de surmonter ce problème qui est avant tout politique.
Il est souhaitable que les militants du NPA qui sont intervenus dans la lutte puissent discuter et tirer ensemble le bilan. Mais il est clair que les graves faiblesses de l’intervention du parti comme tel dans le mouvement de l’Éducation Nationale ne peuvent être résolues seulement au sein de ce secteur. Car elles renvoient au fait que non seulement pour en finir avec le capitalisme, mais déjà pour une intervention efficace dans la lutte de classes, il faut un parti doté d’un programme ouvertement révolutionnaire et démocrati-quement centralisé. Cela ne fait que confirmer sous un autre angle qu’il est chaque jour plus urgent que les militants qui veulent faire évoluer le NPA dans ce sens se réunissent pour débattre et s’engagent résolument sur la voie de la constitution d’une grande tendance révolutionnaire.
1) Sur l’analyse des réformes, cf. Au CLAIR de la lutte n° 1 (p. 32) sur l’école primaire, n° 4 (p. 15) et n° 5 (p. 7) sur la réforme des lycées et la mastérisation.