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    Sri Lanka : l’écrasante victoire électorale du nouveau président et de son parti suscite un grand espoir dans la population, mais il n’y a pas d’illusions à se faire

    Par Don Samantha (21 décembre 2024)
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    Le 24 septembre dernier, Anura Kumara Dissanayake a été élu président du Sri Lanka à la surprise générale. Il a dissout l'Assemblée nationale et les élections législatives du 14 novembre lui ont donné une nouvelle victoire, encore plus spectaculaire, puisque son parti a obtenu 61% des voix et 70% des sièges. C'est un bouleversement politique majeur puisque les deux partis qui alternaient au pouvoir depuis l'indépendance du pays en 1948, l'UNP (Parti national uni) et SLFP (Parti de la liberté du Sri Lanka), ont été balayés. Ces partis, dirigés tous deux par quelques familles, gangrenés par la corruption, suscitaient une haine croissante de la part de la population. Après le défaut de paiement de l'État au printemps 2022, il y avait eu un grand soulèvement populaire, qui avait abouti à la fuite du président et du premier ministre (voir https://tendanceclaire.org/article.php?id=1827), avant d'être réprimé par le nouveau président, nommé par le Parlement lui-même honni. Depuis, la situation politique était incertaine, mais le gouvernement et le FMI avaient imposé à la population une politique d'austérité drastique. En votant pour Anura Kumara Dissanayake (dit AKD) et son parti (qui ne comptait que trois député-e-s dans la précédente Assemblée !), le peuple s'est saisi de l'arme électorale pour chasser du pouvoir les deux anciens partis et tourner la page.

    Le nouveau président a promis de rétablir les droits des populations tamoules, victimes d'une politique raciste de l'État central depuis l'indépendance et d'une répression féroce depuis la guerre civile des années 2000, avec notamment une occupation militaire de leurs territoires et une oppression permanente. De plus, AKD a tenu sa promesse de lancer le processus de rédaction d'une nouvelle Constitution, qui sera ratifiée par le Parlement puis soumise à un référendum. Cependant, il se garde bien de faire appel au peuple pour élaborer cette nouvelle Constitution : il ne veut en aucun cas que les travailleur/se-s et les opprimé-e-s prennent en main leur propre destin. D'autre part, il s'est engagé, avant même d'être élu, à maintenir sa politique dans le cadre des exigences le FMI, au point que sa promesse de renégocier les prêts semble déjà enterrée. Même si la presse internationale a prétendu, pour appâter le chaland, qu'AKD était un « ancien marxiste », il n'y a aucune illusion à se faire sur lui et son gouvernement.

    Cependant, la situation est inédite et c'est bien à la mobilisation populaire, sur le plan électoral (mais dans la continuité du soulèvement de 2022) que les nouveaux dirigeants du pays doivent leurs postes. En ce sens, il se pourrait bien que le peuple s'enhardisse et ne laisse pas AKD et les siens mener une politique dictée par le FMI et les intérêts des capitalistes. L'espoir de mobilisations populaires est donc permis. Il est crucial que le peuple, dans la diversité de ses composantes ethniques et religieuses, trouve la voie de l'auto-organisation et que les groupes de gauche et d'extrême gauche l'y aident de toutes leurs forces. Dans ce cadre, les revendications démocratiques et sociales doivent être défendues de concert, sans oublier le droit du peuple tamoul à l'auto-détermination.

    Nous publions ci-dessous un texte de notre camarade Don Samantha, membre du mouvement Asia Commune (asiacommune.org), qui regroupe des organisations ouvrières et révolutionnaires de l'Asie du Sud (Sri Lanka, Inde, Bangladesh, Pakistan...). Ce texte aide à comprendre la situation actuelle en revenant sur l'histoire du Sri Lanka, l'alternance des deux grands partis au pouvoir depuis l'indépendance, les grands événements politiques qui ont marqué cette histoire, y compris les épisodes de guerre civile, et enfin la situation récente, qui a conduit à l'élection du nouveau président, dont le parcours et le portrait montrent qu'il n'y a pas grand-chose à en attendre, malgré l'immense espoir qu'il suscite dans la population. La traduction est due à notre camarade Mireille F.

    Luc Raisse

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    Le Sri Lanka est une petite île de l'océan Indien située au Sud-Est de l’Inde. Sa superficie est de 65 610 km2. Le pays compte 22,2 millions d'habitants. Les langues qui y sont parlées sont principalement le singhalais et le tamoul. La langue anglaise y est également utilisée depuis la période de l’empire colonial britannique. Le pays est multiconfessionnel : il y a des bouddhistes, des hindouistes, des musulmans et des chrétiens.

    Bénéficiant de la lutte pour l’indépendance de l’Inde, le Sri Lanka a été libéré de la colonisation britannique le 4 février 1948. À partir de cette date et jusqu'à l’élection présidentielle du 21 septembre 2024, le pays a été dirigé par plusieurs familles pro-impériales. Au cours de ces 76 dernières années, le Sri Lanka a été gouverné par les familles Senanayake (UNP), Bandaranaike (SLFP), Wickremesinghe (UNP) et Rajapaksa (SLFP). Clanistes, idéologiquement d’extrême droite et purs racistes cingalais, les Wickremesinghe et Rajapaksa dirigeaient ensemble le pays à la veille de l’élection présidentielle de 2024.

    Quatre familles ont dirigé le Sri-Lanka de 1948 à 2024

    Jetons un coup d’oeil sur quelques-unes des implications historiques de ces quatre familles politiques qui ont gouverné le Sri Lanka durant ces sept dernières décennies.

    En 1953, un « hartal » massif a eu lieu au Sri Lanka. Un « hartal » est une protestation publique de masse. Dudley Senanayake était Premier ministre à cette époque. Dix manifestants ont alors été tués par la police de son gouvernement. Le soulèvement était tel que Dudley Senanayake a dû tenir sa réunion de cabinet sur un navire au large des côtes. Cette lutte était menée par le Lanka Sama Samaja Party (LSSP), qui était un énorme parti politique à cette époque. Ce parti était alors le plus gros parti trotskiste de la Quatrième Internationale. Bien que les dirigeants capitalistes aient alors quitté le gouvernement, le LSSP n'a pas été capable d’obtenir le pouvoir politique. Ceci s'est produit parce que ce parti n'avait pas de perspective révolutionnaire internationaliste. Cette faute a été vécue comme une trahison par une partie de la population mobilisée.

    A la suite de cette faute du LSSP, l'idéologie nationaliste cingalaise a commencé à se renforcer. En 1956, Solomon Bandaranaike, porte-parole bien établi du chauvinisme cingalais, est devenu Premier ministre du pays. Immédiatement après sa nomination, la langue singhalaise a été inscrite dans la Constitution comme langue officielle. Les locuteurs tamouls se sont alors ressentis comme des citoyens de seconde classe. Le 26 septembre 1959, après avoir fait quelques concessions à la langue tamoule à la suite de violents heurts ethniques, Solomon Bandaranaike a été assassiné par un moine bouddhiste raciste cingalais – un de ses pères nourriciers donc !

    En 1971, a eu lieu un mouvement insurrectionnel de jeunes dirigé par le Janatha Vimukthi Peramuna (JVP-maoïste). À cette époque, c'était Sirimavo Bandaranaike, veuve de Salomon Bandaranaike, qui occupait le poste de Premier ministre. Son gouvernement a tué 20 000 jeunes et réprimé la rébellion. Le Lanka Sama Samaja Party (LSSP) faisait également partie de ce gouvernement de répression. Il y a un point à souligner ici. Le LSSP est un parti qui a apporté une grande notoriété au mouvement de gauche de 1935 à 1964. Ce parti est entré dans une politique de collaboration de classe en 1964. Il est devenu depuis un parti de pseudo-gauche.

    Le tournant dictatorial et néo-libéral de la fin des années 1970

    En 1978, le régime Jayewardene-Wickremesinghe a aboli la démocratie, instaurant une constitution dictatoriale. Cette constitution faisait de la présidence un poste exécutif et conférait au président des pouvoirs considérables. Les partis de gauche qui s'opposaient au pouvoir exécutif du président ont été éliminés. Le secrétaire général du Nava Sama Samaja Party (NSSP), qui s'opposait à cette constitution dictatoriale, a été expulsé de l'université de Peradeniya et emprisonné.

    En 1980, une grève générale a eu lieu. Cette grève était menée par des dirigeants syndicaux membres du Nava Sama Samaja Party (NSSP). L’administration de Jayewardene & Wickremesinghe a violemment réprimé la grève. Et 40 000 travailleurs des secteurs public et privé ont été licenciés.

    En 1981, la bibliothèque de Jaffna, qui était la plus grande bibliothèque d'Asie du Sud, a été incendiée et détruite sous les auspices du régime Jayewardene-Wickremesinghe. Ceci a été très douloureux pour le peuple tamoul.

    En 1982, une élection présidentielle avancée d’un an et un referendum sur un allongement de 6 ans de la durée du parlement en cours organisés par les Jayewardene et Wickremesinghe ont maintenu ces derniers au pouvoir.

    En 1983, de très violents affrontements ont éclaté entre Tamouls et Cingalais. Des milliers de Tamouls ont été tués. Des dizaines de milliers de Tamouls ont fui le Sri Lanka.

    Le gouvernement Jayewardene-Wickremesinghe a tiré politiquement parti de ces hostilités : il a interdit le Janatha Vimukthi Peramuna (JVP, maoïste), le Parti communiste du Sri Lanka (CPSL, stalinien) et le Nawa Sama Samaja Party (NSSP, trotskiste – future section sri-lankaise de la Quatrième Internationale) et arrêté leurs dirigeants, prétextant que ces partis soutenaient les Tamouls.

    Une nouvelle insurrection a été menée par le Janatha Vimukthi Peramuna (JVP-maoïste) de 1987 à 1990. Le gouvernement Jayewardene-Wickremesinghe a violemment réprimé l’insurrection, tuant 60 000 rebelles.

    Parallèlement, des milliers de militants de gauche qui défendaient le droit à l’autodétermination des minorités ont été tués. Ces massacres ont été perpétrés par le Janatha Vimukthi Peramuna (JVP- maoïste) ou par des groupes racistes cingalais qui coopéraient avec lui.

    Le gouvernement Jayewardene-Wickremesinghe a été battu aux élections législatives de 1994. Soutenue par le Janatha Vimukthi Peramuna (JVP-maoïste) et les partis de gauche menés par le Lanka Sama Samaja Party (LSSP), Chandrika Kumaratunga Bandaranaike, fille de Salomon et Sirimavo Bandaranaike, est arrivée au pouvoir. Elle a été nommée au poste de Premier ministre, puis a été élue présidente.

    En 1996, la célébration de la journée internationale des travailleurs a été déclarée interdite.

    Par ailleurs, le processus de paix avec le peuple tamoul du nord et de l'est et le peuple tamoul des plantations amorcé en 1995 n’avançait absolument pas.

    Les Tamouls du Nord et de l'Est ont alors commencé à s’orienter vers des solutions militaires. Le nord et l’est se sont ainsi peu à peu retrouvés en situation de guerre. Les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE) ont perpétré des attentats suicides dans tout le pays. Les principaux centres financiers du Sri Lanka ont été assiégés. Et, en 2001, la croissance économique du Sri Lanka chutait à -1,55%.

    Le gouvernement de Chandrika Kumaratunga Bandaranaike s'est de ce fait attiré le mécontentement de la population. C'est ainsi que Ranil Wickremesinghe, Premier ministre de 1993 à 1994, est redevenu Premier ministre à l'issue des élections législatives qui se sont tenues en 2001. Ce dernier a alors entamé des pourparlers de paix avec les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE).

    Soutien du JVP-maoïste (le parti du nouveau président) au régime dictatorial et à la guerre contre les Tamouls

    Prenant parti contre les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE) pour des motifs racistes, le Janatha Vimukthi Peramuna (JVP-maoïste) a chassé Ranil Wickremesinghe du pouvoir en formant un gouvernement de coalition avec Chandrika Kumaratunga Bandaranaike en 2004.

    Le Janatha Vimukthi Peramuna (JVP-maoïste) ne s'est pas arrêté là. Il a travaillé dur pour amener Mahinda Rajapaksa à la présidence en 2005. Le Janatha Vimukthi Peramuna (JVP-maoïste continuait à être extrêmement raciste. Mahinda Rajapaksa, devenu président, a alors été propulsé dans une guerre féroce et destructrice contre les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE). Le parti de l'actuel président Anura Kumara Dissanayaka, le Janatha Vimukthi Peramuna, a soutenu l'armée cingalaise dans le massacre du peuple tamoul.

    En mai 2009, Mahinda Rajapaksa a remporté une victoire militaire sur les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE) avec le soutien du Janatha Vimukthi Peramuna (JVP-maoïste). Immédiatement après cette victoire, Mahinda Rajapaksa a décidé d'organiser une élection présidentielle anticipée. L'adversaire de Mahinda Rajapaksa était Sarath Fonseka, lequel avait été le commandant de l'armée sri lankaise durant cette guerre. Dans les 24 heures qui ont suivi la victoire de Mahinda Rajapaksa à l'élection présidentielle anticipée de janvier 2010, son rival, Sarath Fonseka, a été arrêté et emprisonné.

    Le deuxième mandat de Mahinda Rajapaksa devait prendre fin en janvier 2015. Mais, briguant un troisième mandat, ce dernier a modifié la Constitution de sorte à pouvoir se présenter à l'élection présidentielle de 2015. Il s’est présenté à cette élection, mais a été battu. C’est avec le soutien de Ranil Wickremesinghe, du Janatha Vimukthi Peramuna (JVP-maoïste) et des pseudo-gauchistes que le candidat rival de Mahinda Rajapaksa, Maithripala Sirisena, a gagné l’élection présidentielle de 2015.

    La politique de Sirisena/Wickremesinghe puis de leurs rivaux, les Rajapaksa, a conduit au désastre économique et financier de 2022

    Premier ministre sous la présidence de Maithripala Sirisena en 2015, Ranil Wickremesinghe a nommé son ami Arjuna Mahendran au poste de gouverneur de la Banque centrale. Ce dernier est un Singapourien. Il n'est pas citoyen sri-lankais.

    Le 27 février 2015, Arjuna Mahendran a commis une fraude financière de 11 millions de dollars américains et a fui le Sri Lanka. Ranil Wickremesinghe n'a pris aucune mesure contre lui. Aucune enquête n'a non plus été menée concernant les meurtres, les enlèvements, les crimes contre l'humanité et la corruption qui avaient eu lieu sous la présidence de Mahinda Rajapaksa.

    Sur le plan économique, des concessions fiscales ont été accordées aux grands hommes d'affaires, les impôts indirects ont été considérablement augmentés et le pays a continué à emprunter des obligations souveraines internationales à des taux d'intérêt exorbitants. Ranil Wickremesinghe a ainsi préparé la crise économique qui sévira au début des années 2020 sous la présidence de Gotabaya Rajapaksa.

    Fou de rage après la défaite de Mahinda Rajapaksa à l’élection présidentielle de 2015, le clan Rajapaksa a formé une opposition commune au nouveau gouvernement. Cette opposition a exacerbé nationalisme et fanatisme. Cette exacerbation a atteint son comble avec les attentats-suicides du dimanche de Pâques 2019 causant la mort de 269 personnes.

    Les Rajapaksa ont utilisé ces attentats de Pâques 2019 pour revenir au pouvoir en novembre 2019. Ils promettaient notamment de traduire en justice les coupables de ces attentats. Gotabaya Rajapaksa, frère cadet de Mahinda Rajapaksa, a été élu président le 16 novembre 2019 et a nommé ce dernier Premier ministre.

    Gotabaya Rajapaksa avait été Secrétaire du ministère de la Défense sous la présidence de son frère aîné. Il a été accusé par des organisations défenseuses des droits humains d'être responsable des crimes commis durant cette période.

    Peu de temps après la réinstallation des Rajapaksa au pouvoir, les taxes sur les produits importés ont été réduites – à titre d’exemple, la taxe pour un kilo de sucre importé était passée de 50 roupies à 25 cents. Puis des concessions fiscales ont été accordées aux grands commerçants. Le montant des pertes fiscales pour le pays a alors été d’environ 422 millions de roupies (1,4 million de dollars US).

    En avril 2021, les importations d'engrais chimiques ont été interdites. Ceci a provoqué un effondrement complet de l'économie agricole. La pénurie alimentaire n’allait pas tarder. Au même moment le Sri Lanka était touché par la pandémie de Covid 19. C’est alors toute l’économie qui s’est effondrée. Du printemps 2021 à l’automne 2022, la population a sévèrement manqué de nourriture. Le pays n’avait plus de devises étrangères pour importer gaz et essence. Fin 2021, les réserves en devises étrangères n’étaient plus que de 500 millions de dollars US. Les banques étrangères ont alors cessé d'émettre des lettres de crédit. En 2022, le taux d'inflation sur les denrées alimentaires avait atteint 90 % par rapport à l’année précédente et le taux d'inflation générale avait atteint les 70 %. Faute de carburant, les coupures d’électricité duraient 12 heures par jour. L'industrie du tourisme s'était complètement effondrée. Du fait du manque d'engrais, l'industrie d'exportation des principales cultures comme celles du thé, de la noix de coco et du caoutchouc s'est également effondrée. Les gens commençaient à mourir d’épuisement dans les files d'attente qui s’étiraient jusqu’aux lieux de distribution de gaz et d’essence. Une malnutrition aiguë a sévi chez les enfants. Les structures hospitalières et scolaires ont connu des dysfonctionnements.

    En avril 2022, le Sri Lanka a déclaré faillite. La très grande majorité de la population était dans l’incapacité de se représenter ce qu’il allait se passer ensuite.

    Il n’existait pas dans le pays de mouvement de gauche organisé susceptible de proposer une solution aux opprimés. Il y avait des partis et des groupes de gauche, mais il n’y avait pas d’entité politique internationaliste responsable. Ce n’était que compétition populiste entre partis de pseudo-gauche.

    Le soulèvement de 2022 et sa répression

    Au printemps 2022, des femmes ont organisé un rassemblement à Colombo encerclant la résidence privée du président. Ce rassemblement n’était impulsé par aucune formation politique ou syndicale. Puis, s’auto-organisant, les gens sont venus sur Colombo par dizaines de milliers. Ils ont occupé la maison du président et celle du Premier ministre. Les résidences privées de la plupart des ministres ainsi que les locaux d’entreprises qu’ils possédaient ont été incendiés.

    Le 13 juillet 2022, Gotabaya Rajapaksa s'est enfui aux Maldives. Le 14 juillet 2022, il a annoncé qu'il avait officiellement démissionné de la présidence. Le pays était alors dans une situation révolutionnaire.

    Les travailleurs et travailleuses d'Asie du Sud et le monde entier observaient avec beaucoup d’attention ce qu’il se passait au Sri Lanka.

    Le Janatha Vimukthi Peramuna (JVP-maoïste), parti de l’actuel président, Anura Kumara Dissanayaka, a cessé d’appeler à la grève générale et a appelé à attendre les élections locales. Les milliers de personnes qui s’étaient déplacées jusqu’à Colombo dans la volonté d’obtenir un véritable changement de société se sont alors finalement retrouvées comme de simples visiteuses des résidences officielles du président et du Premier ministre, President’s House et Temple Trees, pique-niquant dans les jardins de ces palais. Faute de perspective, la lutte n’a pas été victorieuse de la Constitution, laquelle a fait que Ranil Wickremesinghe est redevenu Premier ministre puis est devenu président.

    Dès son arrivée au pouvoir, Ranil Wickremesinghe a violemment réprimé la mobilisation, expulsant manu militari les protestataires de leurs campements installés à Colombo et détruisant leurs tentes. Toutes les élections ont été reportées. La classe dirigeante indienne était terrifiée à l'idée d'un bouleversement social dans la région asiatique. Aussi le gouvernement indien a-t-il immédiatement offert au Sri Lanka un prêt à taux réduit de 4 000 millions de dollars américains. Capitalisant sur ce prêt, Ranil Wickramasinghe a commencé à gérer la crise. Des subventions ont été allouées pour l’aide alimentaire. Des associations bénévoles de pays étrangers se sont en outre organisées pour fournir de la nourriture aux écoliers.

    À partir du 22 juillet 2022, les Wickremesinghe et Rajapaksa ont dirigé ensemble le pays jusqu’à l’élection présidentielle du 21 septembre 2024. Les membres du gouvernement nommés le 22 juillet 2022 par Ranil Wickremesinghe, élu président l’avant-veille par le parlement, étaient en effet quasiment tous des soutiens du clan Rajapaksa, voire les mêmes politiciens qui étaient aux commandes sous la présidence de Gotabaya Rajapaksa. Comme d'habitude, les Wickremesinghe et Rajapaksa ont fait appel aux grandes puissances mondiales pour obtenir des prêts. Des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) ont alors commencé. Selon les derniers rapports du ministère des finances du Sri Lanka, le montant total de la dette s'élevait à 96 170 millions de dollars américains en décembre 2023.

    L'imposition d'une politique d'austérité drastique par le FMI

    Fin mars 2024, le montant total de la dette s'élevait à 100 184 millions de dollars américains, dont 14 741 millions en obligations souveraines internationales, lesquelles avaient été empruntées sur le marché libre à des taux d'intérêt très élevés.

    Source : Bulletin trimestriel de la dette 2024 - Premier trimestre, Ministère des Finances, de la Stabilisation économique et des Politiques nationales, Sri Lanka

    Le Sri Lanka avait adopté une politique d’économie ouverte en 1977. Cette politique économique concernait principalement les importations et la dette extérieure. En 1977, la dette extérieure totale du Sri Lanka était de 743 millions de dollars US. Au cours des 47 années qui ont suivi, le pays a contracté une dette extérieure de 99 447 millions de dollars US. La soutenabilité de cette dette n’avait pas été démontrée. En 2019, le total des réserves de change était de 7 000 millions de dollars US. Fin 2022, le montant de ces réserves n’était plus que de 500 millions de dollars US. Le Sri Lanka était pris au piège de la dette. Ses 22,2 millions d'habitants se sont retrouvés sous le seuil de pauvreté. Des pays comme le Sri Lanka, le Venezuela, l'Argentine, le Kenya, le Liban, le Ghana, le Pakistan, le Bangladesh, l'Équateur et le Suriname sont incapables de rembourser une telle dette.

    En 2023, un processus de restructuration de la dette extérieure et de la dette intérieure a été engagé. Le début de ce processus de restructuration s’est fait sous les directives du Fonds monétaire international (FMI), celui-ci accordant au Sri Lanka une aide financière en échange de la mise en place de mesures d'austérité.

    La restructuration de la dette intérieure du pays a alors immédiatement portée sur les fonds de pension (EPF & ETF). Le montant total de ces fonds, constitués de l’argent des travailleurs et des travailleuses du Sri Lanka, s'élevait alors à plus de 10 000 millions de dollars US. Au nom de la restructuration de la dette intérieure, une taxe de 30 % a été imposée sur ces fonds de pension et le taux des intérêts de rémunération de ces épargnes retraite a été réduit, passant de 14 % à 9 %. Tandis que les travailleurs et les travailleuses étaient ainsi contraints de supporter le fardeau de la restructuration de la dette intérieure, la mise en recouvrement des impôts dus par un grand nombre d’hommes d’affaires qui avaient fraudé le fisc était en revanche repoussée de jour en jour.

    Le Fonds monétaire international (FMI) a accepté d’accorder 2 900 millions de dollars US sous forme de prêt concessionnel dans le cadre de la restructuration de la dette extérieure et de prolonger de plusieurs années la période de remboursement de cette dette. Il a donné son accord pour une augmentation des taxes, jusqu’à 400% dans certains secteurs, ainsi que pour la privatisation d’environ 80 entreprises publiques.

    La victoire d'AKD à l'élection présidentielle... et son allégeance immédiate au FMI

    C’est dans ce contexte que s’est tenue l’élection présidentielle de 2024. Le chef du Janatha Vimukthi Peramuna (JVP-maoïste), Anura Kumara Dissanayaka, a remporté l'élection présidentielle du 21 septembre 2024 sous l’étiquette du National People's Power (NPP), alliance qu’il avait formée autour de son parti. Les citoyens et les citoyennes du Sri Lanka avaient dû attendre deux ans avant de pouvoir confirmer par la voie des urnes leur volonté d’un changement politique et social exprimée dans la rue. Les Wickremesinghe et Rajapaksa, qui, au mépris de la voix du peuple, n’avait alors pas organisé d’élection présidentielle ont été défaits. Anura Kumara Dissanayaka avait été élu président au suffrage universel.

    Les médias du monde entier ont annoncé qu'un dirigeant marxiste était devenu président du Sri Lanka. Ni ce nouveau président, ni son parti, le Janatha Vimukthi Peramuna (JVP-maoïste), ni son front électoral (NPP) ne sont marxistes. Le monde entier doit absolument savoir cela.

    Le Janatha Vimukthi Peramuna (JVP-maoïste) était, dès sa création en 1965, un parti petit-bourgeois. L'actuel président du Sri Lanka est le chef de ce parti.

    Quatre jours après son entrée en fonction, Anura Kumara Dissanayaka a déclaré vouloir immédiatement discuter avec le Fonds monétaire international (FMI). Le 2 octobre 2024, des responsables du FMI sont venus à Colombo et l’ont rencontré. Le surlendemain de cet entretien, le FMI a annoncé dans un communiqué de presse qu'il était désormais prêt à travailler en étroite collaboration avec le nouveau président du Sri Lanka.

    Au vu de cette annonce du FMI, il semble que le nouveau gouvernement du Sri Lanka soit entré avec joie dans la maison du capitalisme en ruine.

    Dès sa dissolution du parlement, le 24 septembre 2024, le président Anura Kumara Dissanayaka a expliqué à un peuple très ému qu’il devrait pouvoir se voir accorder plus de pouvoir lors des élections législatives du 14 novembre 2024. Le président s’est engagé à satisfaire tous les vœux du peuple si ce dernier lui donnait la majorité au parlement.

    Ce que le peuple attend du nouveau président

    La tenue de cette promesse du nouveau président est un challenge.

    En effet, à titre d’exemples :

    - Le 14 novembre 2023, la Cour suprême du Sri Lanka a rendu un arrêt dans lequel quatre dirigeants ont été reconnus coupables de la faillite du Sri Lanka. Trois d'entre eux appartiennent à la même famille. Il s'agit de Gotabaya Rajapaksa (président de 2019 à 2022 notamment), de Mahinda Rajapaksa (premier ministre de 2019 à 2022 notamment) et de Basil Rajapaksa (ministre des finances de 2021 à 2022 notamment). Le quatrième est Ajith Nivard Cabral (gouverneur de la banque centrale de 2021 à 2022 notamment). Or Basil Rajapaksa est parti aux Etats-Unis et les trois autres coupables vivent encore aujourd’hui au Sri Lanka…

    - Les responsables de l’attentat du dimanche de Pâques 2019 sont toujours en liberté…

    - L'absence de mise en œuvre des recommandations de la Commission d’enquête sri lankaise sur les crimes de guerre commis dans le nord et l'est du pays en 2009 n'a pas été relevée ...

    - Les terres cultivées par les Tamouls du centre sont encore sous la garde de l'armée. Les cultivateurs tamouls, qui vivent dans les collines centrales depuis 200 ans, ne possèdent toujours pas un perche de terre ...

    - La citoyenneté sri-lankaise n’a toujours pas encore été accordée aux Tamouls…

    La population attend du nouveau gouvernement des solutions rapides à ces questions.

    Il faut reconstruire une perspective révolutionnaire

    Bien que très petits, plusieurs autres partis de gauche avaient présenté des candidats à l’élection présidentielle de 2024. Les candidats de ces autres partis de gauche ont obtenu au total 0,31% des suffrages exprimés. C’étaient des résultats identiques à ceux que ces partis avaient obtenus au cours de ces dernières décennies. Ces partis ne proposaient pas de nouvelles perspectives pour la nouvelle génération. Leur participation à l’élection présidentielle de 2024 s’était limitée, comme d’habitude, à l’enregistrement de leurs candidats auprès de la Commission électorale.

    Dans de nombreux pays du monde, le mouvement révolutionnaire de gauche s'est affaibli. La nouvelle génération doit construire des solutions qui permettent d’en finir avec le capitalisme. Le capitalisme a conduit le monde entier à la barbarie. Le temps d’un communisme stagnant est révolu. La nouvelle génération doit entamer un nouveau chapitre révolutionnaire. Les travailleurs et les travailleuses du monde entier doivent s'unir pour former un parti International des travailleurs.

    Asia Commune travaille à l’élaboration d’une nouvelle perspective politique, économique et sociale pour et avec les peuples des sociétés de classe d’Asie du Sud.

    Don Samantha,

    membre d'Asia Commune

    asiacommune.org

    asiacommune22@gmail.com

    revolutionaryfrontsouthasia@gmail.com

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