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Le contre-rapport d’Attac et de la fondation Copernic sur la compétitivité : inconsistance de l’antilibéralisme
Les organisations antilibérales Attac et Copernic (A&C) ont publié début novembre un contre-rapport intitulé « Pour en finir avec la compétitivité » (1). Répondre aux argumentaires patronaux est une nécessité. Mais nous ne partageons pas l’analyse et les prescriptions de la médecine antilibérale qui fait miroiter la possibilité d’une autre politique sans rupture avec le capitalisme. Ce contre-rapport illustre la nécessité, pour nous anticapitalistes, de développer nos propres analyses (sur la base du marxisme) pour appuyer notre projet politique.
La compétitivité a-t-elle quelque chose à voir avec le « coût du travail » ?
Selon A&C, l’existence d’un « déficit de compétitivité dû à un coût du travail trop élevé » serait une « rengaine » (p.3), une idée reçue à combattre.
La compétitivité peut se définir comme la capacité des entreprises d"un pays à gagner des parts de marché. Une bonne compétitivité peut être obtenue grâce à des prix bas (« compétitivité prix ») ou d"autres facteurs, comme la bonne qualité des produits (« compétitivité hors prix ») relativement à ceux des concurrents. Plusieurs facteurs jouent sur la « compétitivité prix » dont :
- les coûts des moyens de production
- les coûts salariaux unitaires (évolution du coût du travail corrigée de celle de la productivité)
- le taux de change (quand la monnaie du pays se déprécie, les prix des marchandises des entreprises du pays baissent quand ils sont exprimés en monnaie étrangère)
Pour A&C, les choses sont simples : « les coûts salariaux ne sont pas la cause des pertes de parts de marché » (p.9), de même d"ailleurs que les autres facteurs de la « compétitivité prix » (hormis le taux de change pour les échanges extra-européens). « Les problèmes de l"industrie française tiennent essentiellement à sa compétitivité hors-prix » (p.8). La principale raison de la faiblesse de l"industrie française tiendrait à un effort d"innovation insuffisant mesuré par une trop faible part des dépenses de « recherche et développement » par rapport au PIB (2,1% en France contre 2,8% en Allemagne en 2009).
En admettant qu"ils aient raison, il reste à expliquer le pourquoi de la faiblesse de l"effort d"innovation. Pour les antilibéraux, cela ne tiendrait pas à la faiblesse du taux de marge (relativement aux concurrents), mais à la hausse des revenus du capital. Autrement dit, les capitalistes français auraient la particularité de se goinfrer au détriment de la compétitivité de leurs entreprises. Ils privilégieraient la jouissance à court terme quitte à se tirer une balle dans le pied à moyen terme.
Or, un graphique présent dans leur contribution (et reproduit ci-dessous) montre au contraire une corrélation très forte entre taux de marge et dépenses de recherche et développement. Autrement dit, plus les entreprises font de profit, plus elles investissent dans la recherche, et donc plus elles améliorent leur « compétitivité hors prix ».
Contrairement à ce que racontent les antilibéraux, plus les capitalistes abaissent le « coût du travail » (nos salaires), plus ils font de profit, et plus ils sont en mesure d"améliorer leur « compétitivité hors prix » (en investissant dans la recherche) et plus ils ont les moyens de baisser leurs prix, et donc d"améliorer leur « compétitivité prix ».
Le coût du travail français a-t-il augmenté ?
Selon A&C, il n’y a pas de dérive du coût du travail en France. Pour preuve : « le coût unitaire français baisse en moyenne de 0,5% par an [dans l’industrie] de 1996 à 2008 et le coût unitaire allemand baisse de 0,7% par an » (p.14). Néanmoins, ce « constat » ne prend pas en compte deux facteurs importants :
- le niveau de gamme de la production industrielle française (qui renvoie à la qualité, à la sophistication, à la différenciation des produits) est inférieur à celui de l’Allemagne. Corrigé du niveau de gamme, la hausse du coût salarial unitaire en France par rapport à l’Allemagne est de 62% entre 1998 et 2012 (contre 20% effectivement observé) (2)
- les coûts salariaux dans les services ont un impact important sur la compétitivité de l’industrie. En effet, l’industrie consomme beaucoup de services (locaux), et les coûts salariaux dans les services sont nettement plus faibles en Allemagne qu’en France. Globalement, la « compétitivité coût » (qui tient compte du niveau des salaires mais aussi du coût des moyens de production) s’est dégradé en France de 40% par rapport à l’Allemagne (3).
A&C minorent donc de façon importante la dégradation de la compétitivité de l’économie française liée au « coût du travail ».
L"investissement est-il faible parce que les revenus du capital seraient élevés ?
Pour A&C, « la conclusion s’impose donc de relier la baisse de la compétitivité de l’économie française, particulièrement de son industrie, au choix du capitalisme néolibéral de donner la priorité quasi exclusive à la rémunération des actionnaires sur toute autre considération » (p.17.). A&C indiquent ainsi que « les revenus nets distribués [dividendes] représentant aujourd’hui 9% de la valeur ajoutée des sociétés non financières, niveau historique record depuis la Seconde Guerre mondiale ». (p.4). C’est vrai, mais c’est une vision tronquée : le profit brut des entreprises (excédent brut d’exploitation dans le jargon de la comptabilité nationale) se répartit en trois grandes composantes : l’investissement, les revenus de la propriété, et les impôts. Les dividendes ne sont qu’une portion des revenus de la propriété. Et s’ils ont augmenté continûment depuis 40 ans, ce n’est pas le cas pour les revenus de la propriété dans leur globalité, en raison de la baisse des intérêts versés dans les années 1990.
Sur longue période, les parts respectives de l’investissement et des revenus du capital dans le profit total sont relativement stables. Pour une raison simple : les lois du système imposent aux capitalistes d’investir pour rester compétitifs par rapport à leurs concurrents. La faiblesse de l"investissement et de la croissance s’explique fondamentalement par la faiblesse du taux de profit, et non par un changement de comportement des capitalistes qui seraient devenus plus cupides que précédemment.
Peut-on sortir de la crise par la hausse des salaires et des dépenses publiques ?
A&C reprennent l’analyse keynésienne traditionnelle : « La contraction de la demande interne dans tous les pays, produite par la réduction des coûts salariaux et les coupes dans les dépenses publiques, pèse sur le commerce extérieur de tous. Où exporter lorsque tous les pays réduisent leur demande ? La baisse de la demande interne ne peut qu’entraîner une réduction des exportations et aboutir à une récession généralisée » (p.4). La solution coule alors de source : « on pourrait relancer à court terme la croissance en renonçant aux illusions de la compétitivité et en stimulant de façon coordonnée la consommation privée et l’investissement public en Europe » (p.25), même si les auteurs nous mettent en garde contre les risques écologiques d’une quête effrénée de croissance.
Autrement dit, l’État pourrait augmenter la « demande » et donc le niveau de la production en augmentant ses dépenses et en redistribuant les richesses. Par exemple, A&C nous expliquent que l’État pourrait créer 300 000 emplois publics avec 10 milliards d’€ au lieu de baisser les impôts des entreprises (p.5). Avec un tel raisonnement comptable, l’État pourrait éradiquer le chômage en prenant 100 milliards sur les profits pour créer 3 millions d’emplois publics. Sauf que ce raisonnement fait « simplement » abstraction du fait que le moteur de l’accumulation (et donc de la croissance) est le taux de profit. Toutes ces mesures de « relance » feraient baisser le taux de profit, et donc aggraveraient la crise.
Le fossé entre l’antilibéralisme et l’anticapitalisme
Le projet politique européen des antilibéraux de A&C est celui d’une réforme de l’Union européenne dans le cadre du capitalisme : « Il faut donc une autre Europe, une Europe de la solidarité, qui se rééquilibre non pas en enfonçant les peuples dans la spirale de l’austérité, mais en accroissant les salaires et les dépenses publiques dans les pays trop excédentaires, et en construisant un vrai budget et une vraie fiscalité européens » (p.24). Il ne s’agit pas de remettre en cause la propriété privée des grands moyens de production, mais de construire un État européen capable de mener des politiques keynésiennes de relance. Pire, A&C ne s’opposent pas aux mesures visant à intégrer les organisations syndicales à la gestion du système. Ainsi la mesure visant à intégrer des représentants des salariés dans les conseils d’administration des grandes entreprises est jugée « pas inutile » (p.5) bien qu’insuffisante.
A&C défendent un modèle abstrait et nébuleux : « ce nouveau modèle de développement doit être fondé sur les principes de la coopération, de la rupture avec un consumérisme destructeur, de la réponse aux besoins sociaux, de la réduction des inégalités et de l’ouverture d’une transition écologique » (p.4). La « transition vers une économie démocratique et écologique » (p.27) fait abstraction des questions un tant soit peu concrètes : quid de la propriété privée des moyens de production ? Quid des classes sociales ? Quid de la nature de l’État ? Les bons sentiments masquent la vacuité du projet politique. On y apprend seulement que « le profit ne sera plus un but en soi mais une simple contrainte d’équilibre économique, dans le cadre de marchés régulés démocratiquement et d’une planification participative » (p.26). Autrement dit, les capitalistes feront toujours des profits, les biens seront toujours échangés sur des marchés, mais qu’on se rassure : tout cela sera « régulé » dans le cadre d’une économie « participative » où les citoyens seraient encouragés à ne pas céder aux excès consuméristes d’aujourd’hui.
Comme A&C, nous voulons « en finir avec la compétitivité ». Mais pour cela, il faut en finir avec le capitalisme, car la recherche de compétitivité est consubstantielle au capitalisme. En effet, dans le cadre du système, celui qui n’est pas compétitif – capitaliste ou travailleur – est pénalisé, voire éliminé. Contrairement à ce que certains camarades pensent, il n’y a pas de continuité entre l’antilibéralisme et l’anticapitalisme. L’antilibéralisme est un obstacle au développement de consciences anticapitalistes, dans le sens où il cherche à crédibiliser des solutions illusoires qui ne remettent pas en cause le noyau dur du capitalisme (le pouvoir des capitalistes sur les moyens de production et donc sur nos vies). Ce que nous devons démontrer est au contraire que la satisfaction des besoins sociaux, l’épanouissement des individus, la protection de notre environnement, nécessitent une révolution sociale où les travailleurs auto-organisés prennent la direction des opérations dans toutes les sphères de la vie sociale.
1) Disponible sur http://www.france.attac.org/sites/default/files/en_finir_avec_la_competitivite.pdf
2) http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=66900