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Partis larges et gouvernements anti-austérité : de défaite en défaite, tirer toutes les leçons de la déroute de Syriza
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La direction du NPA, dont la majorité est organiquement liée à la majorité du Secrétariat Unifié de la IV Internationale (SUQI) refuse de tirer toutes les leçons d’une orientation de construction qui n’a cessé de faillir et de conduire à des catastrophes politiques et organisationnelles dans ses sections nationales avec, bien sûr, un impact global très négatif, depuis plus d’une vingtaine d’années. La question est la suivante : quelle est la politique de la direction du SUQI qui se trouve au cœur d’échecs majeurs et répétés, s’accompagnant parfois de véritables naufrages dans certains pays ? Après avoir dressé une liste, non exhaustive, des principales expériences fâcheuses et désastreuses vécues pendant les deux décennies qui viennent de s’écouler, cette contribution se concentre sur la dernière tragédie – grecque – en date.
Le cœur du problème politique apparaît d’abord dans des choix plus ou moins empiriques du SUQI dans les années 1980, puis se systématise dans la décennie 1990, après la Chute du Mur de Berlin et l’effondrement du Bloc de l’Est, facilement colonisé par le capital.
La faillite politique du courant Démocratie socialiste (DS) au Brésil
En 1979-80, on voit d’abord la petite section brésilienne du SUQI participer à la construction du Parti des Travailleurs brésilien. Participer à la construction d’un parti de masses comme le PT n’est pas en soi un problème : il s’agit – ou plutôt, il devrait s’agir – d’un choix tactique, d’autant plus obligé en l’occurrence que toutes les organisations de la gauche non stalinienne ou en rupture avec le stalinisme se sont alors retrouvées dans le PT. Ce qui pose problème, c’est que dans le cas de la DS, la tendance du PT liée au SUQI, priorité a été donnée à la construction du PT – et à la construction, notamment, de son appareil – au détriment de tout le reste, et notamment la construction d’un courant révolutionnaire dans ce parti. L’appareil du PT, parti large dirigé dès le départ par une fraction de gauche de la bureaucratie syndicale, a ainsi graduellement phagocyté la DS, qui a négligé de se construire de façon indépendante par rapport à la direction du parti et de ses divers appareils. Les membres de la DS ont participé, de plus en plus nombreux/euses et de plus en plus systématiquement, non seulement aux structures du PT en tant que permanent.e.s, mais aussi et surtout aux appareils de l’État bourgeois investis par le PT, notamment aux exécutifs, d’abord municipaux, puis ceux des États fédérés, et finalement au niveau du gouvernement central. Tout cela a eu des conséquences extrêmement délétères et destructrices pour la section brésilienne du SUQI elle-même (la DS) et, logiquement, pour les perspectives révolutionnaires et la IV Internationale au Brésil et dans le monde. Peu à peu, dans les années 1990, et de façon définitive dès 2003, la DS s’est fondue dans les appareils réformistes du PT et les institutions bourgeoises gérées par lui, perdant de plus en plus ses repères et ses principes, jusqu’à en arriver à participer à un gouvernement du PT en alliance avec les forces de droite les plus nauséabondes et à cautionner la politique exigée par le FMI et applaudie par les élites brésiliennes et internationales. Lorsqu’une poignée d’élu.e.s de la gauche du PT se sont opposé.e.s par leur vote à la casse des retraites des fonctionnaires décidée par le premier gouvernement Lula, dès 2003, la DS a très majoritairement soutenu ce dernier et la direction devenue social-libérale du parti, laquelle était chargée d’exclure les gêneurs/euses, qualifiés de « radicaloïdes ». La boucle était bouclée : la DS, devenue avant tout une fraction de la bureaucratie du PT, impliquée avec lui dans la gestion des affaires de la bourgeoisie, s’opposait aux militant.e.s qui voulaient tout simplement sauver l’honneur par un positionnement politique de gauche. Au sein de la DS, la rupture de gauche avec le PT, entre 2003 et 2005, n’a concerné qu’environ 20% de la tendance. Il y a eu beaucoup d’abandons écœurés du militantisme, et surtout, l’immense majorité de cette tendance a choisi le confort bureaucratique du permanentat et surtout des charges électives et des postes de confiance grassement rémunérés que procurait le PT, devenu principal parti du gouvernement. La DS a donc pourri sur pied : au départ petite organisation révolutionnaire étudiante, elle a fini par faire son nid dans un appareil hyper-opportuniste de politiciens professionnels prêts à toutes les combines politicardes. Cette expérience désastreuse de construction du PT sans souci d’indépendance politique – et par conséquent matérielle – a été menée sur toute cette période, sans qu’apparemment, à aucun moment, les dirigeants du SUQI ne soient intervenus pour tirer le signal d’alarme ou du moins ne soient parvenus – l’ont-ils seulement tenté, vu le principe (à géométrie variable, on le verra bientôt) selon lequel les sections du SUQI doivent décider de leur politique ? – à mettre un terme à cette putréfaction bureaucratique. Lors de la scission de 2003-2005, le SUQI a soutenu les secteurs du PT (et de la DS) qui rompaient avec le parti pourri, mais sans jamais remettre sérieusement en question, par une autocritique un peu consistante, la politique ayant conduit à ce naufrage.
En France, le soutien à la campagne réformiste de Juquin en 1988
Dans un cadre différent, mais à partir des mêmes prémisses de fond, dès le milieu des années 1980, la LCR française s’oriente vers la construction d’une « alternative » politique en cherchant à former, selon des modalités variables, une organisation plus large, voire un nouveau parti dont la section française du SUQI serait l’une des composantes. Il s'agit alors de regrouper différentes petites organisations centristes et « réformistes de gauche » et surtout de rechercher des convergences à un niveau programmatique et stratégique avec les secteurs du PCF plus ou moins en rupture avec la direction de ce parti. Cette attitude n'a rien à voir avec la tactique du Front unique qui consiste à « frapper ensemble » et « marcher séparément », autrement dit à nous mettre d'accord avec les réformistes sur des points précis et ponctuels, sans nous abstenir de les critiquer et de défendre notre orientation. Cette phase de recherche de « l’alternative » a sans doute culminé avec la douloureuse affaire de la campagne présidentielle de Pierre Juquin en 1988. Voulant créer un événement politique permettant de déborder sur sa gauche à la fois la sinistre politique du PS, la farce mitterrandolâtre et le candidat du PCF (André Lajoinie), la LCR s’est ardemment engagée aux côtés de Juquin, ancien dirigeant du PCF, dans une campagne « unitaire » regroupant divers groupes réformistes ou centristes. En fin de compte, bon nombre de militant.e.s de la LCR ont compris qu’ils ou elles servaient surtout à fournir des troupes, essentiellement comme faire-valoir. Le candidat, jamais sorti du réformisme, s’est autonomisé d’une façon de plus en plus totale et droitière avant même la fin de la campagne, pour au final ne recueillir au premier tour de la présidentielle que le score très modeste de 2,10% (à peine mieux qu’Arlette Laguiller et ses 1,99%), tandis que le candidat officiel du PCF captait 6,76% de l’électorat. Cette expérience a été très traumatisante pour une grande partie des militant.e.s de la LCR de l’époque. Mais les leçons n’en ont été tirées que très superficiellement par la direction de la LCR et par le SUQI. Au contraire, la recherche, au-delà de convergences pour l’action, de partenaires réformistes ou centristes pour discuter d’un programme commun est devenue une constante, une véritable ligne politique.
Dans la pratique, la défense d'un programme minimum antilibéral
L’effondrement du stalinisme et le triomphe de la dictature du capital dans les pays de l’Est marque une étape majeure dans cette voie. L’idée s’installe dans la majorité du SUQI que la période historique a changé, et que donc, il faut aussi changer de logiciel politique et d’outils organisationnels, afin de se diriger vers un socialisme qui, certes, reste un objectif historique, mais dont l’horizon semble nettement s’éloigner. Sans pouvoir ici entrer dans tous les détails, les initiateurs de ce « cours nouveau », vont remplacer les principes du programme de transition trotskyste par des programmes « unitaires », beaucoup moins clairs et moins… révolutionnaires, insistant surtout sur des mesures d’urgence. Les grandes leçons du marxisme et les apports de Lénine – sur la nécessité de détruire l’Etat bourgeois notamment – semblent mis de côté. Mais mis où ? Dans la naphtaline, pour les ressortir à une époque plus prometteuse pour les travailleurs ? Ou carrément dans les poubelles de l’histoire ? Là réside une question cruciale, sur laquelle on peut encore s’interroger aujourd’hui... Cet affadissement et cette dé-radicalisation programmatiques prônés et mis en musique par la direction du SUQI s’accompagnent bien sûr d’un changement de ligne quant à la construction de ses sections nationales. Finis les partis révolutionnaires, censés être trop radicaux, trop loin des possibilités concrètes et de la nécessité de reconstruire une conscience de classe élémentaire, ou guère plus… Place aux partis larges qui regrouperaient en leur sein toute une palette de courants allant de réformistes, de préférence qualifiés de « radicaux », à des révolutionnaires purs et durs, autour de programmes intermédiaires entre ces deux extrémités. L’orientation du SUQI, dès le début des années 1990, se concentre donc sur la recherche de la construction d’une « gauche radicale » regroupée, selon des modalités qui varient d’une section nationale à une autre, dans des « partis larges », à la fois en rupture avec le stalinisme moribond et en opposition à une social-démocratie déjà convertie au néolibéralisme. Graduellement, nous avons vu les sections du SUQI passer d’un projet de révolution socialiste mondial, impliquant nécessairement la violence insurrectionnelle organisée des travailleurs/euses et la rupture avec les États bourgeois, à un projet d’alliances antilibérales visant à conquérir des majorités électorales pour mener, dans des gouvernements à la tête d’États – dont la nature de classe est de moins en moins questionnée – des politiques de rupture avec le libéralisme. Pour ce qui est de la rupture avec le capitalisme lui-même, l’idée, sans que cela ne soit écrit, est qu’elle adviendra forcément plus tard. On arrive ainsi, de fait, à une sorte d’« étapisme », toujours implicite, de la direction du SUQI : d’abord en finir avec le néolibéralisme, dans la perspective d’une gauche « radicale » qui refuse de trancher entre réformisme et révolution ; ensuite, lorsque les conditions seront plus favorables, en finir avec l’exploitation capitaliste elle-même et s’engager dans la construction du socialisme. La plupart des défenseurs, majoritaires au SUQI, de la ligne des « partis larges » et de programmes d’action communs avec des « réformistes en rupture », « de gauche », etc. ne voudront sans doute jamais reconnaître cet étapisme, cette dichotomie, car c’est toute l’histoire et la culture du SUQI que cela remettrait en cause. Mais de fait, par des relations de pure logique, c’est forcément à cela que conduit la politique des partis larges incluant des forces de gauche réformiste : le programme que viennent à défendre au quotidien les sections du SUQI qui appliquent cette ligne, ce n’est plus le programme marxiste-révolutionnaire, mais un programme minimum, basé sur la négociation avec des forces clairement réformistes et/ou centristes. Car il n’y a pas de secret et c’est parfaitement logique : négocier un programme commun avec des réformistes implique de s’adapter aux exigences de ces derniers, et donc de laisser de côté ce qui relève d’une logique révolutionnaire. En d’autres termes, l’intersection d’un programme marxiste-révolutionnaire et d’un programme réformiste se situe au niveau du plus petit commun dénominateur, c’est-à-dire du réformisme. Si le programme de transition trotskyste n’est pas officiellement abandonné, il est mis au placard et c’est le programme commun du « parti large » qui, dans les pays concernés, prend peu à peu toute la place. La vieille dichotomie entre programme minimum et programme maximum, caractéristique de la social-démocratie, refait surface et est donc mise en pratique par les sections du SUQI qui mettent en œuvre cette ligne.
En Italie et en Allemagne aussi, l'adaptation au réformisme
Et celle-ci a été mise en œuvre…avec quels résultats ! Qu’on nous cite autre chose que des échecs, et parfois même de véritables catastrophes ! Qu’on nous cite un seul exemple durable de réussite (en particulier d’un parti allant vers le dépassement du réformisme initial par des courants révolutionnaires). Les échecs ne sont pas toujours consommés à ce jour mais la logique des événements, sauf à redresser la barre très vite et très radicalement, y conduit inexorablement. Sans pouvoir s’étendre sur tous les détails des multiples échecs et des catastrophes politiques générés par la politique de la majorité du SUQI, mentionnons rapidement les cas de l’Italie et de l’Allemagne.
La LCR italienne, avec d’autres (Démocratie prolétarienne ; PCI-ML), participent avec enthousiasme à la création du PRC (Refondation Communiste) en Italie en 1991, parti dont le courant dominant est un secteur de gauche – certes, mais d’une gauche clairement réformiste – de l’ex-PC italien, courant qui refuse le tournant du PCI vers la social-démocratie. Cette expérience conduit au développement d’un parti d’abord « mouvementiste » et institutionnel à la fois, assez radical au début, puis avant tout parlementaire et institutionnel (41 députés à la Chambre et 27 sénateurs en 2006). Cela permet au président du PRC, Fausto Bertinotti, de devenir président de la Chambre, dans le cadre d’une alliance avec le « centre-gauche » néolibéral (La Coalition de l’Olivier). La direction du PRC choisit de soutenir le gouvernement Prodi dans sa guerre en Afghanistan… Ce parti, finalement plus « raisonnable » que ne le prétendaient les médias quelques années plus tôt, se retrouve totalement éliminé de la scène parlementaire en 2008. Et en 2007, quelques rebelles isolés quittent le PRC gangréné par la bureaucratisation et le parlementarisme, pour fonder avec de maigres forces une Gauche Critique qui regroupera les principaux tenants du SUQI. Plus de 15 ans de gâchis politique : un militantisme acharné consacré à la construction d’un parti large aux mains de réformistes, qui se termine ainsi en eau de boudin, et là aussi une politique jamais sérieusement remis en cause par la direction du SUQI !
Mentionnons aussi la trajectoire de la section allemande du SUQI, l’ISO, issue de la récente unification de l’ISL et du RSB, qui étaient toutes deux sections du SUQI). Des membres de l’ISO, issus de l’ex-ISL, continuent de prioriser la construction de Die Linke. Pourtant, Die Linke apparaît en Allemagne comme un parti réformiste de plus en plus modéré, construit pour l’essentiel autour de l’ex-dirigeant social-démocrate Oskar Lafontaine et, surtout, du rejeton réformiste et bureaucratique du SED, parti unique du temps de la RDA, dans la partie orientale de l’Allemagne. Dans ce pays, pas de participation de Die Linke au gouvernement fédéral – du moins pas à ce jour – mais plusieurs expériences de participation (en alliance avec la social-démocratie) à la gestion de Länder (régions) et à l’application à ceux-ci de politiques d’austérité. Pourtant, des membres (issus de l’ex-ISL) continuent d’en faire partie. Comment l’ISO espère-t-elle donc se démarquer efficacement et publiquement de ces errements réformistes ? En admettant que la tactique entriste soit justifiée dans la situation particulière de l’Allemagne (faible niveau de lutte de classe, éparpillement des organisations non-réformistes), il faudrait au minimum qu’elle soit discutée collectivement, ce qui n’a eu lieu ni avant, ni pendant, ni après le processus de réunification. La tactique entriste ne devrait être maintenue qu’à condition de militer, dans Die Linke, pour la convergence des différents courants de gauche (Antikapitalistische Linke, Sozialistische Linke, etc.) et la mise en œuvre d’une politique ouvertement révolutionnaire, en opposition frontale à l’appareil réformiste et en totale indépendance des bureaucraties syndicales.
Passons rapidement sur les déboires de la section danoise du SUQI, le Parti socialiste ouvrier, avec l’Alliance Rouge et Verte auquel il participe au Danemark, Alliance qui vote le budget gouvernemental ; sur le désastre politique que représentent le soutien par le Bloc de Gauche portugais – bloc membre avec Syriza, le PRC, le PCF, du PGE (Parti de la gauche européenne) – au gouvernement social-démocrate du Portugal, et le vote de la section locale du SUQI en faveur du plan d’austérité européen présenté comme destiné à un « sauvetage » de la Grèce; sur la joyeuse participation au mouvement réformiste et institutionnaliste Podemos en Espagne avec des « Anticapitalistas » et une direction du SUQI qui n’hésitent pas à exclure les opposants à cette orientation. Passons sur bien d’autres échecs et turpitudes qui vont toujours dans le même sens. Dans le cas de l’Espagne et d’Anticapitalistas, la catastrophe politique n’est pas encore arrivée : elle se prépare avec l’aide active de la direction du SUQI, qui visiblement n’a pas encore connu assez de déroutes pour faire l’effort de comprendre. Un indice devrait pourtant alarmer nos stratèges des partis larges et autres promoteurs des « gouvernements anti-austérité » du SUQI : le soutien sans faille de Pablo Iglesias et de la direction de Podemos à Tsipras après sa capitulation devant les requins de la troïka en 2015… Et cela, alors que même Mélenchon s’est alors démarqué de Tspiras et de la politique menée par son gouvernement ! Mais rien n’y fait pour la direction du SUQI, dont la persévérance dans l’erreur est dramatique !
Les conséquences calamiteuses de la politique du SUQI en Grèce
Venons-en donc à ce qu’a été la politique lamentable de la direction du SUQI en Grèce et à ses conséquences calamiteuses. Car, mise à part l’ignominieuse putréfaction social-libérale de la DS brésilienne dans le PT de Lula, c’est sans nul doute en Grèce que, jusqu’à présent, la logique des partis larges et des programmes partageables avec des réformistes – ce qui revient toujours à soutenir ces derniers – a eu les conséquences les plus tragiques, pour le peuple grec, et les plus dommageables, pour les perspectives révolutionnaires dans ce pays et ailleurs dans le monde.
Partons ici de ce que disait la direction du SUQI en juillet 2015, juste après la grande victoire du NON au référendum grec, et juste avant la capitulation du gouvernement Tsipras : « La preuve vient d’être faite aux yeux de tous que l’Union européenne et ses institutions ne sont ni un espace neutre ni un cadre neutre. C’est une construction politique organisée par les capitalistes pour échapper à tout contrôle populaire dans la mise en œuvre de leurs intérêts. Cette construction ne se réformera pas. Il est illusoire de vouloir mener une politique alternative tout en acceptant la souveraineté de ces institutions autocratiques ». Le même texte parle d’un mandat donné par le peuple grec à Tsipras, par les 61% de votes NON : « Ce mandat passe par l’arrêt du paiement de la dette illégitime et odieuse, par un chemin qui, avec la nationalisation et le contrôle du système bancaire donne à la population grecque sa souveraineté sur ses choix politiques, économiques et sociaux. Ce sont ces choix qu’exprime la gauche grecque, essentiellement la gauche de Syriza et les militants d’Antarsya qui ont contribué à la victoire du non ». Cette citation amène plusieurs remarques.
Tout d’abord, la critique de L’UE exprimée ici, parfaitement juste, ne correspond en rien à ce que pensent Tsipras, la majorité de Syriza et le gouvernement grec, qui, au contraire, insistent depuis toujours sur leur attachement à « l’Europe » et déclarent vouloir rester dans le cadre de l’euro et de ses institutions. Mais ce fait majeur n’est pas pointé par la déclaration ci-dessus, qui veut faire comme si le problème n’existait pas. De manière plus générale – et cela est vrai depuis le début de Syriza – la direction du SUQI évite soigneusement de mettre en évidence le fait que les options pro-UE, d’une part ; et réformistes, donc pro-capitalistes, d’autre part (les deux étant bien sûr liées) ne permettent pas de faire une confiance aveugle à la direction Tsipras, dans le bras de fer qui l’oppose au capital (aussi bien la bourgeoisie grecque que les tyrans financiers et néolibéraux de l’UE et du FMI). Car une chose est de soutenir d’éventuelles mesures progressistes, même partielles, que prendrait un gouvernement réformiste, face au sabotage et aux aboiements de la bourgeoisie ; une autre est de ne pas combattre, y compris en les dénonçant publiquement et avec force, les hésitations et les dérives d’une telle force politique (Syriza avant 2015) et les reculs du gouvernement Tsipras avant même sa capitulation. Or de la fin janvier au début juillet 2015, le gouvernement Tsipras n’a cessé de reculer face à la troïka, sans jamais élever sérieusement la voix, sans jamais préparer un « plan B » de sortie de l’euro, sans parler de sortie de l’UE elle-même. A aucun moment, avant le référendum, ce gouvernement n’a montré la moindre détermination à mettre le prix pour rejeter l’austérité, c’est-à-dire en particulier claquer la porte au nez de la troïka et rompre avec l’euro en s’appuyant sur la mobilisation des travailleurs et du peuple grec. Même si l’appel au référendum de la part de Tsipras pouvait sembler assez déroutant après tout cela, les « marxistes-révolutionnaires light » de la direction du SUQI ne pouvaient qu’avoir des doutes sur ce que pourrait faire Tsipras après le référendum, et insister davantage sur le fait que le dirigeant grec, pour le moins, devait maintenant choisir son camp : soit les travailleurs/euses et le peuple grecs, soit les financiers et l’UE.
Ensuite, la seconde citation mentionne correctement l’arrêt du paiement de la dette et la nationalisation du système bancaire. Mais cela ne suffit pas car contrôler les banques ne suffit pas : la déclaration ne parle pas d’autres mesures indispensables que devrait prendre un gouvernement réellement décidé à rompre avec l’UE, notamment l’expropriation d’une grande partie de l’économie grecque et sa remise sous gestion des travailleurs/euses, à commencer par tous les monopoles et les entreprises étrangères ; le monopole du commerce extérieur… On ici a l’impression d’une déclaration à minima, pour froisser le moins possible les réformistes assumés de Syriza, qui ne veulent pas entendre parler de tout cela.
La seconde citation contient aussi un élément qui mérite un commentaire assez ferme... Diplomatiquement – ou plutôt hypocritement – le texte du SUQI met dans le même panier « la gauche de Syriza et les militants d’Antarsya » comme acteurs/actrices de la victoire du NON. C’est, dans les faits, tout à fait exact. Sauf que cette mise sur un plan d’égalité ne correspond pas du tout aux rapports réels de la direction du SUQI avec les militant.e.s sur place, qui sont scandaleux. Depuis longtemps, la direction du SUQI, en contradiction flagrante avec les statuts de l’Internationale, a complètement négligé et « bypassé » sa section grecque, l’OKDE-Spartakos, et fait le choix de soutenir dans les faits, parmi les militant.e.s en Grèce, celles et ceux qui faisaient le choix d’intégrer Syriza. Cette hypocrisie, ce mépris des camarades de la section grecque du SUQI et cette politique en opposition à un fonctionnement respectueux des statuts de l’internationale, sont sans doute les raisons pour lesquelles on trouve assez peu de documents officiels du SUQI sur la question grecque, et plutôt des contributions individuelles. Pour comprendre cela, il faut revenir un peu en arrière.
C’est en 2004 que se forme la coalition Syriza, dont la force principale est, de loin, Synaspismos (une scission du KKE au début des années 1990, sur la base à la fois d’un rejet du sectarisme dévastateur de ce parti, et d’une orientation de type « eurocommuniste » assez droitière et réformiste). Quelques groupes d’extrême gauche s’y joignent, comme Xekinima, la section grecque du CIO (section sœur de la Gauche Révolutionnaire, un temps présente au NPA et qu’elle a quitté sur la pointe des pieds en 2012). C’est le cas aussi de Kokkino, section sympathisante du SUQI. Rappelons que Syriza s’est affiliée au PGE (parti de la gauche européenne), tout comme le PCF et le PRC italien. Quant au SUQI, la Grèce est un pays, un peu comme l’Allemagne, où l’Internationale voit ses forces divisées, entre, pour faire vite, un courant qui veut garder le programme et l’organisation marxiste-révolutionnaire et qui ne remet pas aux calendes grecques la perspective de révolution socialiste ; et un autre courant, adepte d’un parti large (Syriza), qui met surtout l’accent sur la lutte contre l’austérité et laisse de côté les questions fondamentales du programme et de la stratégie révolutionnaires. Mais contrairement à l’Allemagne, où le SUQI avait deux sections officielles en concurrence (l’ISL et le RSB), le SUQI a déjà, alors, une et une seule section grecque, l’OKDE-Spartakos, qui n’a pas du tout l’intention de rejoindre Syriza. Les adhérent.e.s au SUQI en Grèce qui sont en faveur d’un parti large et de la remise à plus tard de la révolution, vont donc se retrouver dans Kokkino, puis, par regroupements successifs dans le DEA, une des organisations de la gauche de Syriza.
C’est donc, avec Syriza, un parti large qui se crée, sous domination clairement réformiste, mais… cela importe peu à la direction du SUQI, qui voit là une nouvelle occasion de mettre en application la maxime « nouvelle situation, nouveau programme, nouveaux partis » devenue dominante dans les années 1990. Sauf que… dans le cas de la Grèce, la direction du SUQI tombe sur un bec : sa section grecque ne suit pas cette voie.
Plusieurs années passent, et à partir de 2009 particulièrement, la Grèce s’enfonce dans la crise, les mémorandums et une austérité de plus en plus dramatique pour son peuple. Syriza apparaît de plus en plus comme une alternative électorale et institutionnelle en refusant clairement l’austérité. Mais bourrée d’illusions européennes et réformistes, Syriza estime que l’UE est un cadre institutionnel donné, à partir duquel il est possible de construire une unité politique européenne, que l’euro n’est pas précisément un outil destiné à imposer l’austérité, et que la lutte contre le capitalisme – sans même parler de révolution – n’est pas à l’ordre du jour. En 2009, Syriza n’obtenait encore que 4,6% des voix nationalement. En 2012, avec la crise, les élections générales lui donnent 16,8% (beaucoup plus dans les grandes villes), lui permettant de devenir la première force de gauche, en passant devant le vieux parti vermoulu de la social-démocratie, le PASOK.
De son côté, le « front anticapitaliste, révolutionnaire, communiste et écologique » Antarsya se forme en 2009, regroupant 10 organisations issues du maoïsme et du trotskysme, dont la section grecque du SUQI, l’OKDE-Spartakos. Antarsya n’obtient que 0,36% des voix en 2009 et passe à 1,19% en 2012, victime du « vote utile » pour Syriza et n’atteignant donc pas le seuil de 3% nécessaires à être représenté au parlement. Contrairement à Syriza, Antarsya met en avant, non seulement l’annulation de la dette, mais aussi la nationalisation sous contrôle ouvrier des banques et des grandes entreprises, et exige la sortie de l’euro et de l’UE. Antarsya prône l’auto-organisation des luttes et la prise en main de celles-ci par les travailleurs/euses. Au sein d’Antarsya, l’OKDE-Spartakos va plus loin que ce qui précède, avec une orientation clairement révolutionnaire, basée sur la prise du pouvoir par les travailleurs/euses, l’expropriation pure et simple des banques et grandes sociétés capitalistes ; et, au-delà de l’UE, la rupture avec la totalité des institutions bourgeoises. On voit ici comment, très concrètement, la section grecque a une ligne opposée à la majorité du SUQI.
Mais en mai 2012, pour les élections parlementaires, la majorité du SUQI ne défend pas sa section grecque, non consultée, boycottée de fait. Elle veut forcer l’OKDE-Spartakos à s’allier à Syriza et comme la section grecque refuse et est déjà engagée avec Antarsya, la direction du SUQI prend position en soutien de Syriza et suit celles et ceux qui, en Grèce, se retrouvent dans le parti large à direction réformiste, munis d’un simple statut de sympathisant du SUQI. L’OKDE-Spartakos proteste et avertit : « Il est clair que les objectifs politiques de SYRIZA demeurent définitivement dans le cadre du capitalisme et de la démocratie bourgeoise ».
Mais tout au long de cette séquence et jusqu’au cataclysme de juillet 2015, les dirigeants du SUQI, aveugles et sourds à cet avertissement, mais de plus sectaires et de mauvaise foi, n’ont rien fait d’autre que de mépriser les camarades de l’OKDE-Spartakos, allant même jusqu’à les traiter de contre-révolutionnaires, ce qui est un comble ! A l’opposé, Syriza a longtemps été présenté par un modèle d’organisation « anti-austérité » par les « innovateurs » à la tête du SUQI. Celui-ci a présenté le gouvernement formé en 2015 comme un « gouvernement anti-austérité », cherchant à camoufler les reculs de Syriza avant même janvier 2015 et ses reculs progressifs face à la troïka jusqu’au cataclysme de juillet 2015. De même, l’alliance de Syriza avec le parti bourgeois ANEL n’a pas attiré, comme il l’aurait fallu, l’attention et les critiques de nos anti-austéritaires de choc à la tête du SUQI.
Mais finalement, qu’est-ce que l’expérience de Syriza a prouvé, si ce n’est l’incohérence et la fragilité d’une telle force politique, voulant à la fois rester dans l’UE et dans l’euro, maintenir en place les patrons et le capitalisme, et… refuser l’austérité qu’implique la crise de ce système ? Et c’est vers une telle « force » qui a totalement capitulé face aux bandits de l’UE et du FMI, malgré le vote massif du peuple grec contre l’austérité une semaine avant l’acceptation par Tsipras de l’accord immonde du 13 juillet 2015 – c’est vers une telle force que, selon la direction du SUQI, devaient converger les membres grecs de l’Internationale. Ce fiasco historique, politique et organisationnel, a prouvé autre chose : en faisant le choix, avec Kokkino et le DEA, de participer, comme courant de gauche, à une force politique réformiste et parlementaire, les « experts » entêtés de la direction du SUQI n’ont peut-être pas réédité la naufrage écœurant de la DS au Brésil en 2003, mais ils ont privé les travailleurs et le peuple grec d’une force réellement bien structurée sur place pour lutter à leurs côtés, au moins pendant toute la période de janvier à juillet 2015, et bien sûr par la suite. La gauche de Syriza a mis du temps à réagir, elle l’a fait d’abord mollement, elle s’est divisée, elle est trop longtemps restée engluée dans les débats, certains de ses membres ont rejoint Tsipras dans la trahison : en un mot, la gauche de Syriza, et donc, en particulier, les militant.e..s que soutenait la direction du SUQI sont restés paralysé.e.s et impuissant.e.s par rapport à la situation. Et quand la scission de Syriza a lieu, environ un mois et demi après la tragédie, avec la création de l’Unité populaire, derrière seulement 25 députés frondeurs (notamment Lafazanis), la rupture n’est pas complète. Si la volonté d’en finir avec l’austérité et la sortie de l’euro est bien revendiquée par ce courant, ce dernier ne s’inscrit pas dans une logique de rupture avec la dictature du capital et d’affrontement avec la bourgeoisie. De plus, les élections parlementaires suivantes, en septembre 2015, placent ce regroupement en dehors du parlement, avec 2,86% des suffrages obtenus (sous la barre des 3%). Cela prouve autre chose : gagner la conscience des travailleurs/euses, savoir profiter d’une phase de luttes de classes intenses pour être en mesure de les conduire à la victoire, tout cela demande à la fois du temps et de l’indépendance politique. La gauche de Syriza était identifiée avant tout comme Syriza – et ses critiques de la direction du parti et du gouvernement se voulaient positives, mesurées, constructives – et c’est sans doute, avec le manque de temps, avec son impréparation et ses hésitations initiales, la raison principale qui l’a empêchée d’apparaître d’emblée comme une alternative crédible à Syriza.
Depuis plus de deux ans, les calamités, la misère et la famine déferlent sur le peuple grec et laissent, peut-être, du temps, dans la douleur, pour méditer sur cette déchirante séquence historique.
En finir avec cette politique d'adaptation du réformisme, renouer avec le marxisme révolutionnaire
Avant qu’un nouveau drame, en Espagne ou ailleurs, ne vienne briser durablement les forces des révolutionnaires, il est grand temps de poubelliser cette politique de gribouille qui a déjà fait tant de dégâts parmi des organisations internationales qui, initialement, se réclamaient du trotskysme et de la révolution socialiste mondiale. Refusons, sous prétexte de reconstruire de nouvelles forces de gauche, de mettre les révolutionnaires à la remorque des réformistes. Finissons-en avec le choix de prioriser les partis larges, et quand tactiquement cette option se présente comme la plus judicieuse, pensons en termes d’entrisme et donnons la priorité, au sein du parti large, à la construction d’un courant révolutionnaire qui refuse en particulier de participer aux institutions bourgeoises que le parti large veut investir. Rejetons les programmes en demi-teinte, anti-néolibéraux mais pas anticapitalistes, qui s’avèrent des chiffons de papier dès qu’il s’agit de les mettre en œuvre. Cessons une bonne fois de nous gargariser avec le vocable trompeur et confusionniste de « gauche radicale ». Laissons cela à la presse bourgeoise. Syriza, c’était et ça reste pour cette dernière « la gauche radicale ». Mais qu’est-ce donc que cette bête-là ? Qu’est-ce donc qu’une gauche radicale comme Syriza qui en est venue à mettre en œuvre une austérité draconienne et littéralement dramatique pour les travailleurs et le peuple grecs ?
Au contraire, repartons des fondamentaux du marxisme révolutionnaire. Construisons partout, en toute première priorité, des partis (ou si l’existence d’un parti large s’impose tactiquement, des courants structurés et cohérents) communistes et révolutionnaires, indépendants des réformistes, actifs dans les luttes des travailleurs/euses et des milieux populaires, s’affichant publiquement pour la révolution contre le capital et son Etat, et expliquant pourquoi. Remettons au centre de notre activité la coordination des luttes, la grève générale, construisons l’auto-organisation, avec la perspective, dès que les circonstances le rendront possible, d’exproprier la bourgeoisie et de démolir son État par une insurrection. Vieillot, ringard, décalé ? Avant de lancer de tels qualificatifs, celles et ceux qui ont fait tant d’erreurs et conduit à de pareilles défaites feraient mieux de balayer enfin devant leur porte et d’en chasser les feuilles mortes et pourrissantes des partis larges et des gouvernements anti-austérité. Construire une vraie internationale communiste révolutionnaire prendra sans doute du temps, mais les raccourcis opportunistes de ces dernières décennies nous en ont fait perdre beaucoup.