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Selon le « think tank » pro-PS Terra Nova, le divorce entre le PS et les classes populaires est définitif… et le PS doit en tirer les conséquences
Terra Nova, boîte à idées proche du PS, a publié une note importante le 10 mai (1), intitulée « Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ? » Trente ans jour pour jour après l’élection de François Mitterrand à la présidence de la république, elle propose de redéfinir le positionnement du PS et de couper toutes les références qui pouvaient encore le relier à son passé de parti ouvrier.
L’électorat du PS n’est plus l’électorat populaire
Terra Nova donne des chiffres très clairs : au 1er tour, 13% des ouvriers ont voté Jospin en 2002 et, au 2e tour, le vote ouvrier passe de 72% pour Mitterrand en 1981 à 50% pour Royal en 2007 : « Pour la première fois de l’histoire contemporaine, les ouvriers, qui ne votaient déjà plus à gauche au premier tour, ne votent plus à gauche au second. » Même si Terra Nova tend à nous expliquer que les « classes populaires » sont en voie de disparition, elle est obligée d’admettre que les ouvriers et employés constituent toujours plus de 50% de l’électorat.
Selon Terra Nova, le PS doit faire son deuil de cet électorat populaire capté par le FN
Le PS ne doit nourrir aucun espoir de reconquête de cet électorat. Selon le « think tank », la faute en revient aux « classes populaires » qui auraient, par un processus inexpliqué, basculé du côté obscur et rompu avec les valeurs de gauche. On ne peut qu’être estomaqué par un tel manque de lucidité sur les raisons de cette rupture entre le PS et les « classes populaires ».
En revanche, Terra Nova analyse très bien le nouveau positionnement du FN : « Le FN de Marine Le Pen a opéré un retournement sur les questions socioéconomiques, basculant d’une posture poujadiste néolibérale (anti-État, anti-fonctionnaires, anti-impôts) à un programme de protection économique et sociale équivalent à celui du Front de gauche. » Un tel amalgame est néanmoins inacceptable, car le programme du FN reste déterminé par le combat central contre l’immigration et les immigrés, pour la « préférence nationale » et la natalité française. Cependant, alors que certains, à la gauche de la gauche, persistent à dépeindre le programme du FN comme « libéral », Terra Nova comprend bien le tournant « social » du discours du FN pour essayer de s’enraciner parmi les ouvriers et les employés... et propose d’en tirer les conséquences suivantes : non pas repositionner le PS comme un parti de défense des intérêts des travailleurs, mais les abandonner à leur triste sort !
Créer un axe majoritaire autour des « classes moyennes », présentées comme ouvertes et tolérantes
Selon Terra Nova, le PS doit en finir avec l’illusion de renouer avec la « coalition historique » (les « classes populaires » – ouvriers et employés – au centre, les catégories intermédiaires à la périphérie) assimilée à une « France moisie » (2), fermée, aigrie et intolérante : « Il n’est pas possible aujourd’hui pour la gauche de chercher à restaurer sa coalition historique de classe. » Le PS devrait construire une « nouvelle coalition » autour de la « France de demain », « plus jeune, plus diverse, plus féminisée », « progressiste sur le plan culturel ».
Terra Nova acte le fait que le PS n’a rien de spécifique à proposer sur le terrain économico-social (si ce n’est l’adaptation aux exigences du capital), mais qu’il doit partir de son électorat actuel (les diplômés, les jeunes, les minorités, les femmes) pour créer une coalition majoritaire des « classes moyennes » autour de valeurs culturelles progressistes. Le PS devrait abandonner toute proposition économique substantielle : « Il nécessite une adaptation du discours de gauche sur les questions économiques et sociales. Sur la fiscalité par exemple : les classes moyennes, par rapport aux classes populaires, se caractérisent notamment par l’accumulation d’une petite épargne sur le cycle de vie, qu’elles veulent protéger et transmettre. » Traduire : il faut même renoncer à tout projet de redistribution par l’impôt, puisque cela cliverait à l’intérieur des « classes moyennes » alors que le PS doit les fédérer autour de quelques valeurs.
Le PS devrait donc mettre en avant un projet purement sociétal pour regrouper la France qui « veut le changement », « est tolérante, ouverte, solidaire, optimiste, offensive ». C’est le « modèle Obama » que le PS doit adopter pleinement. Faute de pouvoir influer sur le cours de la mondialisation capitaliste et donc sur le sort des prolétaires, le PS doit s’adresser à ceux qui adhèrent au modèle économique dominant parce qu’ils bénéficient encore de quelques miettes ou parce qu’ils espèrent en bénéficier. Le PS devrait donc regrouper cette « France ouverte » – et qui vote ! – autour de quelques valeurs « humanistes » et laisser la France prolétarienne aigrie aux populistes.
Vers une recomposition du paysage politique français ?
La réflexion de Terra Nova ne manque pas d’intérêt : alors que certains, à l’extrême gauche, s’accrochent à l’idée que le PS est encore un parti ouvrier réformiste, « ouvrier bourgeois » (3), le « think tank » est bien conscient que ce passé est révolu et cherche, à partir de ce constat, à constituer une coalition majoritaire qui ne repose pas sur l’électorat populaire.
Le pari implicite de Terra Nova est le suivant : le PS et l’UMP vont perdre une grande partie de l’électorat populaire qui leur reste (puisque la situation des classes populaires va continuer à se dégrader), au profit de l’abstention, du Front national et de façon plus marginale des antilibéraux du Front de gauche (qui sont bien trop compromis avec le PS pour faire illusion4 auprès des masses). Il s’agit donc pour le PS de gagner la partie des couches supérieures du salariat qui vote UMP, en ne l’effrayant pas sur le plan économico-social (pas de redistribution en faveur des classes populaires), tout en la séduisant sur le plan « sociétal » par des mesures progressistes (droit au mariage et à l’adoption pour les homosexuels, etc.). Le champ politique serait alors polarisé entre une « gauche » qui regrouperait les couches supérieures du salariat et le patronat « moderne » et une « droite » populiste, nationale et sociale aux accents fascisants, qui aurait sa base au sein des classes populaires et du petit patronat. Dans ce scénario, l’UMP serait marginalisée et se diviserait, avec d’une part ceux qui se tourneraient vers le pôle dirigé par le PS, de l’autre ceux qui lorgneraient vers le FN.
Dominique Strauss Kahn était le candidat idéal pour incarner ce type de positionnement du PS. Son éventuelle candidature aurait pu accélérer la recomposition du champ politique qui aurait marginalisé l"UMP et, à court terme, aurait éjecté Sarkozy du 2e tour de l"élection présidentielle en 2012. En revanche, une candidature d"Aubry aurait un profil davantage « gauche traditionnelle » qui pourrait permettre à Sarkozy de figurer au second tour, à condition qu"il soit en capacité de neutraliser les candidatures au centre-droit (Borloo, Villepin, Morin, etc.).
Plus que jamais, la nécessité d’un parti communiste révolutionnaire en rupture avec le système capitaliste et ses composantes
Ce scénario est vraisemblable si les tendances à l’œuvre actuellement se poursuivent, si la direction du PS s’inscrit pleinement dans la stratégie de Terra Nova et si aucune alternative « anti-système » ne se dresse face à la montée du FN.
La seule force capable d’incarner cette alternative est un parti anticapitaliste révolutionnaire se construisant dans le prolétariat, dans et par lutte de classe. C’est ce projet que nous portons dans le NPA. Il faut rompre radicalement avec la politique catastrophique de la direction de notre parti, qui a conjugué un anticapitalisme « abstrait » et un positionnement à la « gauche de la gauche », en étant incapable d’apparaître comme réellement différent des antilibéraux du Front de gauche, perçus (à juste titre) comme une composante de ce système honni par un nombre croissant de travailleurs, malgré les gesticulations de Mélenchon.
Nous devons pour cela :
- OSER affronter toutes les composantes du système, en premier lieu les bureaucraties syndicales et leurs alter ego dans le champ politique, en menant les combats de classe jusqu’au bout sur la base de revendications claires, de l’auto-organisation et du front unique ouvrier ;
- OSER nous battre pour une alternative révolutionnaire, c’est-à-dire la destruction des institutions bourgeoises et la mise en place d’un gouvernement des travailleurs ;
- OSER parler des premières mesures (expropriation des grands groupes du CAC 40, contrôle ouvrier, répudiation de la dette, sortie de l’UE capitaliste et de l’euro, contrôle strict par l’État ouvrier des flux marchands et financiers, planification démocratique de l’économie selon les besoins définis par les travailleurs eux-mêmes, extension internationale de la révolution, etc.) qu’un tel gouvernement devrait prendre, condition indispensable pour crédibiliser notre projet auprès des travailleurs ;
- OSER parler du communisme, de la société nouvelle que nous voulons construire.
C’est en développant un tel projet que nous pourrons arracher les travailleurs à la désespérance, qui est le terreau sur lequel prospère le Front national. C’est en développant un tel projet que nous pourrons commencer à construire une réelle force ancrée dans le prolétariat, articulant les combats quotidiens avec le combat pour la révolution.
1) http://www.tnova.fr/essai/gauche-quelle-majorit-lectorale-pour-2012
2) Expression popularisée par Philippe Sollers dans une tribune dans Le Monde en janvier 1999 : http://www.pileface.com/sollers/article.php3?id_article=319
3) Au sens où le PS aurait une base prolétarienne et une direction bourgeoise, ce qui nécessiterait que le PS se revendique de la défense des intérêts spécifiques du prolétariat, du socialisme au sens de la mise en place d’un autre mode de production sur la base de la propriété collective des moyens de production, tout en ayant une direction qui piétine dans la pratique ces fondamentaux du mouvement ouvrier. C’était le cas de la SFIO et même encore dans une certaine mesure du PS de Mitterrand jusqu’à ce qu’il exerce le pouvoir et applique lui-même directement la politique du capitalisme néo-libéral.