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La première révolution russe : 1905
1905 est une date essentielle dans l’histoire du mouvement ouvrier. Le prolétariat russe se soulève alors, s’organise comme classe dans la grève générale et se dote d’une structure politique indépendante et révolutionnaire : le Soviet (ou conseil) des députés ouvriers. Outre les bases sociales et politiques de la Russie à cette époque, c’est d’abord le déroulement même des événements révolutionnaires qui seront examinés ici (1). Une seconde partie, dans le prochain numéro du Cri des travailleurs, sera l’occasion de revenir sur les analyses et les positions politiques que Trotsky formula à l’occasion de 1905, en particulier la théorie de la révolution permanente.
Arriération économique de la Russie, mais développement d’une puissante classe ouvrière
La situation sociale et économique de la Russie à la veille de 1905 est marquée tout aussi bien par des traits d’arriération, en particulier dans les campagnes, que par une vigoureuse industrialisation, financée à coups d’emprunts de capitaux européens et favorisant la constitution d’une classe ouvrière puissante. Le régime autocrate du tsar ponctionne l’essentiel des richesses du pays pour son propre fonctionnement (armée, police…). Les emprunts extérieurs très importants expliquent eux aussi une augmentation démesurée des impôts indirects, les intérêts de la dette absorbant à eux seuls un tiers des revenus du Trésor, retardant le développement des forces productives. Le processus très lent de la différenciation des classes en a été freiné d’autant. On n’assiste pas en Russie à une accumulation du superflu, et donc pas non plus à l’extension de la division du travail. En particulier, la coupure entre l’agriculture et l’artisanat est faible, à la différence des pays d’Europe occidentale. Mais la deuxième moitié du XIXe siècle a vu le développement des ports et des chemins de fer, l’européanisation progressive des techniques industrielles et une prolétarisation d’une partie des moujiks. Ainsi l’industrie russe, très centralisée, n’a-t-elle pas connu les étapes du petit métier et de la manufacture, et n’a donc pas permis la formation d’un terreau social susceptible de forger une démocratie bourgeoise. L’intelligentsia, totalement dépendante de l’État, se montre incapable de présenter une quelconque opposition politique. Quant aux artisans, ils forment « une classe obscure, affamée, aigrie » (Trotsky).
La population de la Russie est alors à majorité paysanne écrasante (80 %). En 1861 est intervenue l’abolition du servage : les paysans ont dû alors racheter les terres et leur affranchissement. Un profond archaïsme économique et technique règne dans les campagnes ; les famines régulières sont dues notamment à l’absence de méthodes de culture rationnelles. Les propriétaires prélèvent d’importantes rentes usuraires, qui plongent la paysannerie dans la misère.
L’influence du prolétariat est déterminée par son rôle dans l’économie moderne. Il y a en Russie à cette époque 3 millions d’ouvriers dans l’industrie, qui produisent par leur travail la moitié du revenu annuel du pays. Ce prolétariat se trouve d’emblée face à un pouvoir d’État extrêmement centralisé et face à des forces capitalistes tout aussi concentrées. La lutte à engager sera sans merci.
Les tâches de la révolution russe sont d’abord « bourgeoises », au sens où elle doit affranchir la Russie du tsarisme, de l’absolutisme et du féodalisme. Mais la principale force sociale engagée dans cette révolution est la classe ouvrière, et c’est en ce sens que l’on peut aussi parler, avec Trotsky, de révolution prolétarienne. La bourgeoisie n’y tient pas le premier rôle, à la différence de ce qui a caractérisé la Révolution française, révolution qui consacra le plein rôle de la bourgeoisie dans sa lutte pour la prise du pouvoir. En 1848 en France, la bourgeoisie n’occupa déjà plus une telle place, et s’associa avec les forces de la réaction, craignant d’être débordée par le prolétariat en voie de constitution comme classe. « La révolution pouvait être faite non par elle, mais contre elle », écrit Trotsky. Mais le prolétariat était encore trop faible, manquait d’expérience et d’organisation, pour prendre seul la tête de la révolution et la mener jusqu’à la victoire. « L’antagonisme du prolétariat et de la bourgeoisie s’était trop affirmé pour que celle-ci pût sans crainte assurer le rôle d’un dirigeant national ; mais cet antagonisme n’était pas encore assez fort pour permettre au prolétariat de se charger de ce rôle. » (2) En Russie, il en va différemment : le prolétariat est en train de se constituer comme classe, de se forger son expérience de la lutte, de construire ses organisations. C’est lui qui va affronter l’autocratie.
La lutte pour imposer un régime constitutionnel — revendication du parti bourgeois des « Cadets » — n’a pas d’abord émané du prolétariat. Elle a été le fait des étudiants radicalisés et de certains intellectuels combatifs. Cette lutte a connu un premier apogée en 1904, mais les étudiants ont été livrés à eux-mêmes et leurs mobilisations réprimées. L’ « oukase » (décret) impérial de décembre 1904 interdit toutes réunions à caractère anti-gouvernemental. À partir de cette date, les réunions, les congrès sont de fait dispersés par la force, la presse subit une censure violente, les manifestations sont pourchassées avec une brutalité impitoyable. Dans la classe moyenne, cet oukase détruit les illusions politiques qu’elle pouvait encore avoir à l’égard du tsarisme et fait naître une haine de l’absolutisme jusque là inconnue. Les mots d’ordre révolutionnaires deviennent alors acceptables.
Le « Dimanche rouge » et ses suites
Aux premiers jours de 1905, les ouvriers de Pétersbourg lancent une pétition décrivant les conditions de vie et de travail, toutes les humiliations, les persécutions, les injures que subit le peuple. « Elle énumérait tout : depuis les courants d’air qui traversaient le fabriques jusqu’à la servitude du pays ». Les revendications de cette pétition, formidable cahier de doléances, sont à la fois économiques et politiques : la pétition réclame des salaires décents, la journée de huit heures et l’abandon progressif de la terre au peuple, l’amnistie, les libertés publiques et la séparation de l’Église et de l’État, et surtout la convocation d’une Assemblée constituante, élue au suffrage universel non censitaire.
C’est autour de ces revendications que la mobilisation de janvier 1905 va s’articuler. Le 3 janvier, une grève éclate à l’usine Poutilov de Pétersbourg. Quatre jours plus tard, les grévistes sont au nombre de 140 000. Une grande manifestation est prévue pour le dimanche 9 janvier. Parmi les manifestants se trouvent plusieurs milliers d’ouvriers conscients organisés dans les partis sociaux-démocrates. Mais l’armée tire sur les manifestants pacifiques ; les morts se comptent par centaines, les blessés par milliers.
Après ce massacre du « Dimanche rouge », un flot de grèves parcourt tout le pays, pendant plusieurs semaines : 122 villes sont touchées par cette mobilisation ouvrière, souvent spontanée, animée par un mouvement de solidarité avec les victimes de Pétersbourg.
Outre les grèves, la mobilisation prend aussi la forme d’assembles populaires, qui trouvent asiles dans les universités. « Les ouvriers allaient tout droit à l’université en sortant de l’usine. La foule qui sortait de l’université ne ressemblait plus à celle qui y était entrée. » Le mouvement de grève connaît des flux et des reflux mais il ne cesse jamais vraiment pendant la période qui court de janvier à octobre 1905. Ainsi en septembre, la grève qui part des compositeurs de l’imprimerie Sytine à Moscou — avec pour revendications la diminution des heures de travail et l’augmentation des salaires — s’étend-elle dans d’autres branches industrielles. Le 2 octobre, les ouvriers des imprimeries de Pétersbourg se mettent à leur tour en grève par solidarité avec leurs camarades de Moscou.
La grève génale d’octobre
La grève reprend avec plus de force encore en ce début du mois d’octobre. Tout commence vraiment alors par une grève des chemins de fer, qui se déploie peu à peu dans d’autres secteurs. La grève se développe et se coordonne avec beaucoup d’efficacité, grâce aux moyens qui d’ordinaire favorisent l’État centralisé, mais qui en l’occurrence permettent de décentraliser la grève et de l’étendre à tous les centres industriels : le chemin de fer et le télégraphe. Trotsky décrit la grève comme une puissance en marche, forte de sa vigoureuse organisation à l’échelle du pays : « [La grève] ouvre une imprimerie quand elle a besoin de publier le bulletins de la révolution, elle se sert du télégraphe pour envoyer ses instructions, elle laisse passer les trains qui conduisent les délégués des grévistes. Pour tout le reste, elle ne fait aucune exception : elle ferme les usines, les pharmacies, les boutiques, les tribunaux. » Et de fait, la grève du prolétariat (et à sa tête les ouvriers de la métallurgie et de l’imprimerie) s’accompagne de celle d’autres secteurs et d’autres catégories sociales : médecins, avocats, intellectuels… Si les « Cadets » (les « constitutionnels démocrates », la bourgeoisie libérale) n’osent pas se montrer dans le réunions populaires, l’aile gauche des intellectuels soutient la grève prolétarienne avec des secours financiers considérables. La bourgeoisie capitaliste espère pour sa part une réforme politique qui permettra un essor de l’industrie. Les entrepreneurs ne répriment donc pas la grève, en octobre du moins ; ainsi ne recourent-ils presque pas au lock-out. La bourgeoisie compte sur le prolétariat pour mener une révolution bourgeoise à sa place. Pour illustration de cette attitude, les propriétaires des usines métallurgiques du secteur de Moscou décident de refuser les services des cosaques. Surtout, les employeurs continuent de verser leurs salaires aux ouvriers pendant la grève. « S’attendant à un épanouissement de l’industrie sous “le régime de la légalité”, ils inscrivirent sans discuter cette dépense sous la rubrique des frais extraordinaires de production »…
De très importants meetings se tiennent, et des barricades se dressent dans certaines villes. « Des véhicules, des rails, des poteaux, une multitude de menus objets, tout ce que la révolution, suivant l’expression de Victor Hugo, peut jeter à la tête de l’Ancien Régime, sert à la construction ». L’imprimerie joue un rôle fondamental dans cette lutte. Les syndicats des ouvriers de la presse mènent le combat contre la censure, pour la liberté de la presse, et un grand nombre d’ouvriers impriment des écrits illégaux. Les Izvestia du Soviet sont distribuées à tous les carrefours. À Pétersbourg, de la sorte, la censure est abolie de fait. En province, elle recule fortement, grâce aux journaux en provenance de la capitale, sur lesquels la populations se précipite dès leur arrivée par convois.
Dans les campagnes aussi, la révolution s’étend. Là, des paysans assurent leur mainmise sur les terres ; ailleurs, d’autres s’emparent des récoltes ; des ouvriers agricoles organisent la grève et le boycottage ; en de nombreux endroits, les paysans refusent de fournir des recrues à l’armée, de payer les impôts et les dettes. Plus de 2 000 manoirs sont détruits. L’influence des socialistes révolutionnaires (S.-R.) et des sociaux démocrates a été décisive ici. En Lituanie, la classe paysanne chasse les gendarmes, les greffiers et les maîtres d’école à la botte du pouvoir tsariste, et se dote de ses juges par voie d’élection. Ses délégués sont présents au Congrès de Vilnius qui compte deux mille représentants du peuple.
La constitution du Soviet des députés ouvriers
Le prolétariat éprouve de fait la nécessité de s’organiser en créant sa structure politique propre : ce sera le Soviet des députés, siégeant à Pétersbourg. Dans tous les foyers industriels en grève, la démocratie se met en place ainsi à partir d’octobre 1905, à l’échelle du pays tout entier, et sous une forme inédite, sur la base d’un délégué au Soviet pour 500 ouvriers (ce principe n’étant d’ailleurs pas toujours strictement appliqué : certains délégués représentent 100 ou 200 ouvriers) ; les petites entreprises industrielles s’unissent pour former des groupes d’électeurs suffisamment importants pour être représentés par un délégué au Soviet.
Face à la mobilisation du peuple, où domine de manière éclatante le prolétariat, le pouvoir cède partiellement. Le 18 octobre, le tsar signe le manifeste de la Constitution. C’est donc formellement l’instauration d’une régime constitutionnel. Mais cette Constitution omet toutes les libertés, se garde bien de donner à la Douma le droit de légiférer et refuse l’extension du droit électoral.
Le Soviet des députés ouvriers porte alors à la Douma des revendications précises : réglementer l’approvisionnement des masses ouvrières, ouvrir des locaux pour des réunions, suspendre toute attribution de provisions à la police et à la gendarmerie. Il demande ainsi à l’assemblée bourgeoise d’aider le peuple à vaincre l’absolutisme dans son propre intérêt de classe. Mais la Douma refuse : la bourgeoisie se montre plus que timorée devant la révolution que le peuple mène pour débarrasser la Russie de l’autocratie.
La grève générale n’aboutit pas à une prise de pouvoir ; elle en est la condition nécessaire, mais non suffisante. Ces journées d’octobre constituent avant tout, analyse Trotsky, une grève politique, « une grande manœuvre pour la révolution, une revue simultanée de toutes les forces », et non une véritable insurrection. Et tandis que rien n’a vraiment changé au sommet de l’État (l’armée reste entre les mêmes mains, les administrateurs conservent leurs postes — « l’absolutisme, insiste Trotsky, en tant que fait matériel, subsistait intégralement »), tandis que le tsar accorde d’une main une Constitution, de l’autre, il lance les soldats à l’assaut de l’Institut technologique où siège le Soviet des députés ouvriers. Tandis que la foule brandit des drapeaux rouges, la soldatesque tire ; la fusillade contre le Soviet montre que la « Constitution » n’est qu’un chiffon de papier. Dès la fin du mois d’octobre, donc, cette sanguinaire répression pose une question essentielle : de quel côté se trouve l’armée ? De sa position doit dépendre en effet le sort de la révolution. Pour cela, il faut mettre les masses mobilisées et l’armée face à face ; la grève générale en est l’occasion, violente mais indispensable. Le prolétariat en lutte apprend alors qu’il lui faut, pour être victorieux, s’assurer de trois conditions : organiser les campagnes et établir une liaison entre elles et les villes ; s’attacher étroitement l’armée ; prendre les armes.
Le Soviet décide que la grève générale doit continuer, malgré la répression, contre la répression. Et le prolétariat met en application la décision de ses délégués : la grève se poursuit partout. « Pas de fumée aux cheminées des usines ; elles sont comme les témoins muets du scepticisme des quartiers ouvriers où l’illusion constitutionnelle n’a pas pénétré ». Mais la répression est monstrueuse, d’une barbarie inouïe. L’ancien régime recrute son lumpenproletariat « dans tous le recoins, dans tous les taudis, dans toutes les tanières » : bandits de grand chemin, repris de justice, souteneurs, moujiks affamés arrivés dans les villes, petits boutiquiers aigris, mouchards, va-nu-pieds. Ces troupes des bas-fonds se lancent dans de véritables pogroms, à côté desquels « les horreurs de la Saint-Barthélémy ne semblent qu’un innocent effet théâtral » : quatre mille personnes — hommes, femmes, enfants, vieillards — sont massacrées dans les villes et les campagnes de Russie, dix mille autres mutilées. Contre ces bandits, les ouvriers parviennent à organiser des compagnies armées ; à Pétersbourg par exemple, une milice ouvrière avec des services de nuit réguliers se met en place. Mais lorsque le Soviet constate que la poursuite de la grève sera difficile, il invite à reprendre le travail le même jour à la même heure, ce qui est fait. C’est là une indication de la force du Soviet, de la confiance que lui porte la population qui en a élu les délégués mandatés et révocables.
La grève d’octobre laisse des traces immédiates. En reprenant le travail, beaucoup d’ouvriers, dans quelques grandes usines, imposent dans les faits l’application de la journée de huit heures. Les huit heures, c’est « le programme entre tous les programmes », comme dit Trotsky, « le vœu entre tous les vœux ». La réduction de la journée de travail (qui allait parfois jusqu’à douze ou quatorze heures) est le seul moyen pour les ouvriers de se réunir à la sortie de l’usine, de s’organiser politiquement après le travail. C’est donc une exigence essentielle de la démocratie politique. Mais devant cette atteinte à leur propriété privée, les patrons, cette fois, réagissent. C’est d’ailleurs l’État qui commence par fermer les grandes entreprises qu’il contrôle, puis viennent les fermetures des établissements privés. Plusieurs dizaines de milliers d’ouvriers sont jetés à la rue. Les réunions ouvrières sont de plus en plus souvent dispersées par la police. Le Soviet convie à battre en retraite, la lutte essentielle se concentrant désormais dans la réouverture des usines. Mais la marque de cette bataille est profonde dans le prolétariat ; la revendication des huit heures est à présent ancrée même chez les ouvriers les moins conscients et les moins politisés.
Faire le lien avec les soldats
La grève reprend en novembre. Elle a pour origine la mutinerie militaire qui a lieu à Cronstadt les 26 et 27 octobre et qui est écrasée par le régime, lequel proclame l’état de siège et destine les mutins à la cour martiale. De vastes meetings de protestation se tiennent à Saint-Pétersbourg. Ainsi, alors qu’une grève mobilisant toutes les énergies vient à peine de s’achever, une autre recommence, chez les ouvriers de la capitale. Mais cette fois, la grève permet de faire le lien entre le prolétariat et l’armée. On assiste à une série de meetings dans les casernes de Pétersbourg. Aux séances du Soviet se présentent désormais des soldats ouvriers et même des délégués de la troupe. Le Soviet adresse pour sa part un manifeste aux soldats, qui proclame : « Vos peines sont nos peines, vos besoins sont nos besoins. »
Une révolte militaire explose à Sébastopol. Les ouvriers se rendent aux réunions de soldats quand ceux-ci ne sont pas autorisés à aller dans les meetings ouvriers. La révolte s’étend de façon régulière dans le casernes. Le cuirassé Potemkine résiste jusqu’au bout en faisant flotter le drapeau rouge jusqu’à épuisement des cartouches. Les matelots — et parmi eux, d’abord, les techniciens, les machinistes —, soldats qualifiés, sachant lire et écrire, se sont ainsi montrés aux avant-postes révolutionnaires. L’infanterie quant à elle, composée essentiellement de paysans, s’est révélée beaucoup plus instable ; c’est elle qui tire sur le prolétariat.
Car, en décembre, la contre-révolution marche à grands pas. Les 560 députés du Soviet sont arrêtés. En réaction, on assiste à une très puissante grève, à Moscou principalement ; la foule désarme les officiers venus de Mandchourie. Les compagnies ouvrières sont actives face à la troupe ; des cosaques tournent les talons devant les manifestations ouvrières. « On n’inquiète pas les soldats, on évite de les mécontenter ». Devant les usines, les ouvriers font de la propagande auprès des soldats. Mais, lors du troisième jour de grève, l’affrontement se fait sanglant, l’armée tire, elle n’a pas basculé. Les dragons tirent sur des passants isolés, sur les badauds qui lisent les affiches, massacrent la population. Il y a mille morts et autant de blessés. Malgré une résistance acharnée des groupes ouvriers armés à Moscou — soit environ 800 hommes dans les compagnies formées par les partis social-démocrates et S.-R. (socialistes-révolutionnaires), 500 cheminots pourvus d’armes à feu et environ 400 ouvriers typographes, auxquels il faut ajouter le soutien de toute la population qui dresse des barricades, comme dans un grand nombre d’autres villes —, la contre-révolution triomphe.
Au total, entre janvier 1905 et avril 1906, le gouvernement du tsar a fait massacrer plus de 15 000 personnes, d’après les estimations effectuées à l’époque. Plus de 20 000 furent blessées, 70 000 furent arrêtées, déportées, incarcérées. Parmi elles, en tant que membre du Soviet des députés de Pétersbourg, Trotsky, dont on étudiera au prochain numéro les analyses, proposées en particulier dans le texte intitulé « Bilan et perspectives ».
1) En suivant Trotsky, 1905, [éd. fr.] Paris, Éditions de Minuit, 1969, 476 p.
2) Sauf indication contraire, les citations sont de Trotsky, op. cit.